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Décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 2003
Non conformité partielle

Les députés soussignés défèrent, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2003 telle qu'adoptée par le Parlement. Plusieurs dispositions de ce texte nous paraissent contraires à la Constitution.
A l'appui de cette saisine, nous développons les motifs suivants concernant l'absence de sincérité de la loi de finances pour 2003 et à l'encontre en particulier des articles 4, 8, 11, 27, 29, 80, 88 et 108 de la loi. Nous vous adressons également un certain nombre de documents en annexe afin d'étayer notre argumentation.
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Sur l'absence de sincérité de la loi de finances pour 2003 et des prévisions associées :
Le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 95-369 DC du 29 décembre 1995 relative à la loi de finances pour 1995, confirmée par sa décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995 relative à la loi de finances pour 1996, rappelé l'obligation faite au Gouvernement de respecter le principe de sincérité budgétaire et, donc, son obligation d'information pleine et entière du Parlement sur l'état de nos finances publiques.
La loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances dispose, en son article 32 : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Cet article vise donc à donner une portée renforcée au principe de sincérité et à préciser les conditions dans lesquelles il doit s'apprécier. Comme l'indique le volume I des travaux préparatoires (page 169), « le chapitre Ier du titre II consacre le principe de sincérité des lois de finances comme principe fondamental de notre droit budgétaire. Il s'agit là d'une disposition importante de la proposition de loi organique » et, page 170 : « Le principe de sincérité implique que l'évaluation des charges et des ressources de l'Etat des lois de finances soit réalisée avec »bonne foi, et ce aussi correctement que possible, compte tenu des informations disponibles. »
Le Conseil a eu l'occasion de préciser le sens à donner au principe de sincérité des lois de finances dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 : « La sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances. »
La loi de finances pour l'année 2003, adoptée définitivement le 19 décembre 2002, méconnaît de manière évidente l'article 32 de la loi organique puisque les évaluations de recettes et les estimations de dépenses qu'elle comporte ne tiennent pas compte des informations économiques disponibles au moment de l'élaboration du projet de budget ni de celles disponibles pendant le débat budgétaire au Parlement.
En réalité, le Gouvernement a commis une erreur manifeste, certaine et volontaire, ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives, et conduisant à fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire. La conformité à la Constitution de la loi de finances pour 2003 ne peut qu'être mise en cause au regard du principe de sincérité.

A. - SUR L'ABSENCE DE SINCÉRITÉ
DANS L'ÉVALUATION DES RESSOURCES DE L'ÉTAT POUR 2003
Le projet de loi de finances pour 2003 a été construit sur une hypothèse de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,2 % en 2002 et de 2,5 % en 2003. Contrairement à ce qu'a affirmé à plusieurs reprises le ministre chargé du budget, M. Alain Lambert, qui prétendait que « le taux de croissance n'a finalement pas autant d'importance qu'on veut bien le dire sur les recettes fiscales ni sur les dépenses de l'Etat » (sur France 3 le 15 octobre puis sur LCI le 22 octobre), ces hypothèses ont une portée fondamentale pour évaluer les recettes fiscales de l'Etat. Elles sont, en effet, cohérentes avec un scénario économique d'ensemble, comportant une évaluation de l'ensemble des composantes de la demande interne (consommation et investissement) et du solde extérieur, de l'évolution de l'emploi et des revenus des ménages et, par voie de conséquence, de chacune des assiettes des impôts perçus par l'Etat. Ainsi, l'impôt sur le revenu perçu en 2003 est évalué en fonction de l'évolution estimée en 2002 des revenus des ménages. De même, l'évaluation des rentrées de TVA pour 2003 est directement arrêtée en application de la progression attendue des « emplois taxables » à la TVA, qui constitue une des hypothèses centrales du scénario économique d'ensemble.
Autrement dit, en arrêtant son hypothèse de croissance pour 2002 et 2003, le Gouvernement, comme c'est le cas chaque année, a validé un scénario économique d'ensemble, conduisant les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à une évaluation fine de la progression attendue des assiettes des divers impôts et prélèvements. Il s'en déduit alors ce qui, dans le fascicule « voies et moyens », est dénommé évolution spontanée des recouvrements, c'est-à-dire l'évolution des recouvrements à législation constante, sous le seul effet de l'évolution escomptée de l'économie nationale. Ce montant est ensuite corrigé de l'impact des mesures de la loi de finances. Il existe donc une corrélation absolue, d'ordre mathématique, entre l'hypothèse de croissance retenue pour ces deux années et l'évaluation des ressources globales de l'Etat.
1. L'insincérité est affirmée
dès la présentation du projet de loi
Or, il apparaît que, dès la présentation du budget, le scénario de croissance retenu par le Gouvernement ne tenait pas compte des informations disponibles. Ce scénario de croissance est décrit par le Gouvernement en page 11 du rapport économique et financier : « La croissance française retrouverait au cours du second semestre [2002] un rythme de croissance annualisé compris entre 2 % et 2,5 %. Elle n'accélérerait par la suite que très modérément, ce qui conduirait à une croissance en moyenne annuelle de 2,5 % en 2003. ».
Ce scénario est donc en deux temps, vive accélération au second semestre 2002 qui permet d'atteindre le rythme de 2,5 %, puis stabilisation à ce niveau sur l'ensemble de 2003.
D'une part, le Gouvernement a refusé de tenir compte des informations officielles dont la publication a été préalable ou parallèle à la présentation du projet de loi de finances pour 2003 en conseil des ministres. Il avait pourtant expliqué le report d'une semaine de la présentation du projet de loi de finances en conseil des ministres (du 18 au 25 septembre 2002), par son souci de prendre en compte les dernières données disponibles. Or, le Gouvernement, qui attendait en réalité de connaître la note de conjoncture de l'INSEE rendue publique le 27 septembre 2002, a délibérément choisi de ne pas en tenir compte.
Cette note indiquait en effet que, contrairement au scénario retenu par le Gouvernement, « la croissance serait plus faible au second semestre 2002 qu'au premier ». L'INSEE retient en effet un rythme de progression du PIB de seulement 1,5 % au second semestre 2002.
Surtout, ce rythme très faible de la croissance en 2002 par rapport aux hypothèses du Gouvernement induit que l'acquis de croissance pour 2003 (la croissance effective du PIB, avec une croissance nulle en 2003, obtenue grâce à l'inertie de la croissance 2002) sera beaucoup plus faible que celui escompté par le Gouvernement. Compte tenu des résultats fournis par l'INSEE, on peut constater que l'acquis de croissance pour 2003 à la fin du troisième trimestre 2002 est de seulement 0,2 %, avec un rythme annuel de croissance de seulement 0,8 %. C'est-à-dire qu'il faudrait une très forte accélération de la croissance en 2003 (un rythme annuel de 3,2 %, soit une croissance de 0,8 % par trimestre, et non de 0,8 % en rythme annuel !) pour atteindre le niveau retenu par le Gouvernement. Or cette accélération de la croissance en 2003 n'est pas envisagée dans le scénario du Gouvernement, puisque celle-ci est censée avoir eu lieu fin 2002.
A contrario, si le scénario du Gouvernement se produit et que la croissance en 2003 n'accélère pas par rapport au rythme actuel, on aboutira à une croissance moyenne de 2 % au mieux, chiffre qui est bien celui retenu par l'ensemble des instituts publics ou privés de conjoncture.
L'INSEE avait également rendu publics, le 26 septembre 2002, les chiffres concernant la chute de la production industrielle française en juillet 2002. La production industrielle accusait un net recul par rapport au mois précédent, de 1,0 % en juillet par rapport à juin, à un niveau inférieur de 0,7 % par rapport au mois de juillet 2001. Le recul de la production se révélait ainsi quasi général et avait conduit les analystes à confirmer le scénario d'un ralentissement aux troisième et quatrième trimestres de 2002, avant une reprise molle au début de 2003.
Enfin, l'INSEE signalait, le 26 septembre toujours, une « forte probabilité de détérioration de la conjoncture » liée à la dégradation du moral des industriels, l'indicateur synthétique évaluant le climat des affaires en France s'établissant à 96, contre 98 en juillet. Le ministre de l'économie avait pris publiquement acte de cette information en déclarant qu'« il est clair que l'environnement mondial ne facilite pas la décision pour les entreprises, tant qu'il n'aura pas été éclairci par quelques décisions au Moyen-Orient. »
D'autre part, comme chaque année, l'hypothèse de croissance associée au projet de loi de finances peut être comparée à d'autres prévisions. Dans nombre de pays voisins, le Gouvernement retient non pas l'hypothèse avancée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, mais une moyenne des prévisions disponibles, d'origine publique et/ou privée. Il est donc possible de se référer au consensus des prévisionnistes pour 2002-2003, information publique aisément disponible. A la mi-octobre, lors du début de la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale, le consensus des prévisionnistes s'établissait à 1 % pour 2002 et à 2,1 % pour 2003. Les hypothèses retenues par la Commission de Bruxelles, publiées en novembre 2002, s'établissaient à 1 % pour 2002 et 2 % pour 2003. L'écart entre l'opinion des conjoncturistes et le chiffre avancé par le Gouvernement n'a ensuite pas cessé de se creuser, tout au long du débat budgétaire. Ainsi, dans le journal Les Echos du 6 décembre 2002 (page 43), on constate que le consensus des conjoncturistes français pour 2003 s'établit à 1,8 %, soit près de 30 % en dessous de l'hypothèse du Gouvernement, et à 0,8 % pour 2002.
Il n'est pas indifférent à ce stade de rappeler que, lors du débat budgétaire pour 2002, l'opposition parlementaire avait évoqué le décalage existant entre la prévision de croissance utilisée par le gouvernement de l'époque et celle retenue par une partie des conjoncturistes privés. Mais il est également nécessaire d'observer que, durant ce débat, les conjoncturistes se partageaient entre deux scénarios économiques pour l'année 2002, l'un de reprise rapide, l'autre de stagnation. Les conjoncturistes interrogés par La Tribune datée du 18 septembre 2001 estimaient que le gouvernement apportait une réponse appropriée à la conjoncture. Le Crédit agricole, en rappelant que « toutes les idées noires ne sont pas des bonnes idées », tablait ainsi, le 27 septembre 2001, sur une croissance de 2,4 %. Enfin, selon l'éditorial du Monde daté du 15 octobre 2001 intitulé « Bonnes nouvelles économiques », le « scénario rose » avait « de bonnes chances de se concrétiser ».
Le Gouvernement avait choisi, pour la loi de finances pour 2002, l'un de ces scénarios, de même qu'une partie non négligeable des observateurs. Cette précision est utile car elle permet de rappeler qu'existent bien sûr des aléas inhérents à l'exercice de prévision qui peuvent alimenter les débats politiques ou d'experts mais ne mettent pas en cause la sincérité du budget.
En revanche, le refus manifeste et constant du Gouvernement, pour la loi de finances pour 2003, de tenir compte des informations publiques et privées disponibles, et le consensus de l'ensemble des observateurs pour considérer les chiffres du Gouvernement comme erronés permettent de constater que le débat budgétaire a été faussé par des prévisions sciemment inexactes. Le Gouvernement a présenté, à dessein, un scénario d'évolution macroéconomique manifestement faussé, ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives et faussant les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.
On constate donc bien que l'hypothèse et le scénario de croissance retenus par le Gouvernement s'écartent notablement, dès l'origine, non seulement du consensus des prévisionnistes, mais aussi et surtout des prévisions qui peuvent raisonnablement découler des données fournies par l'INSEE. L'impact sur les évaluations de recettes est d'autant plus important que c'est à la fois l'hypothèse pour 2002 et celle pour 2003 qui paraissent entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et conduisent donc à une surestimation manifeste des recouvrements :
- pour les impôts assis sur les revenus de l'année N-1 (en l'occurrence 2002), tels que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés ;
- pour les impôts recouvrés à partir des assiettes de l'année N, comme la taxe sur la valeur ajoutée, par exemple ;
- pour l'ensemble des impôts, l'évaluation au titre de 2003 est erronée en raison de deux facteurs dont l'impact se cumule : l'effet de base au titre de 2002 et l'évolution propre à 2003, puisque les erreurs manifestes sur la croissance de 2002 et sur celle de 2003 cumulent leurs effets. Or, seul l'effet base au titre de 2002 a finalement été modifié dans le projet de loi de finances pour 2003.
2. L'insincérité est confirmée
pendant le débat parlementaire
Les nombreuses déclarations des ministres pendant le débat budgétaire ou dans la presse montrent, en effet, qu'ils avaient parfaitement conscience de l'inexactitude manifeste des hypothèses de croissance retenues.
Le Premier ministre a lui-même souligné ce que ce chiffre pouvait avoir de « volontariste » (Le Monde, 25 septembre 2002). Il a reconnu qu'il s'agissait d'une hypothèse « haute mais réaliste », « à la fois une estimation mais aussi un objectif » (France 2, 26 septembre 2002). Le 10 décembre, il consentait même à reconnaître que la prévision de 2,5 %, si elle n'est « pas tout à fait un pronostic, [est] assurément une ambition. »
Dès l'adoption du budget par le conseil des ministres, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Francis Mer, a multiplié les déclarations, indiquant notamment que « la réalité ne sera certainement pas de 2,5 % » et que le chiffre pris comme base « évoluera certainement ». Ce doute était exprimé devant les journalistes quelques instants seulement après l'audition du ministre par la commission des finances (repris dans une dépêche AFP du 25 septembre 2002). Il déclarait ensuite que « si on fait un peu moins, ce n'est pas un drame » (France Inter, 26 septembre 2002).

De même, M. Alain Lambert a annoncé, à l'occasion de la présentation à l'Assemblée nationale du projet de loi et donc avant même l'examen des dépenses, la mise en place dès janvier d'une régulation budgétaire portant sur les dépenses, afin de faire face à une probable dégradation du déficit résultant d'une croissance moindre que prévue. Cette annonce établit clairement que les ministres considèrent que les recettes sont surévaluées dans le budget initial et qu'il faudra donc ajuster les recettes et les dépenses dès le début de l'année.
De même, après avoir déclaré (cf. dépêche AFP du 19 octobre 2002) que « les rentrées fiscales sont actuellement en ligne, même si elles sont légèrement plus faibles que ce qu'on avait prévu dans un budget réactualisé 2002 », le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a finalement « corrigé » le volet « recettes » du budget devant le Sénat un mois plus tard. Cette correction a été présentée comme purement technique et ne remettant pas en cause le scénario économique d'ensemble, ce qui est assurément le cas puisque seule la base a été modifiée alors qu'il aurait également fallu revoir à la baisse le taux de progression des recettes retenu pour 2003.
Rien ne peut justifier le fait qu'on révise à la baisse les prévisions de recettes sur l'exercice 2002 pour tenir compte du ralentissement conjoncturel sans en tirer les conséquences sur la progression attendue des recettes en 2003.
Ainsi, le Gouvernement a sciemment retenu une hypothèse de croissance nettement plus favorable que l'ensemble des prévisions disponibles, tant publiques que privées, lors de la préparation de la loi de finances et pendant le débat budgétaire.
3. Les conséquences sur le niveau des recettes
sont importantes
Durant le débat budgétaire, le Gouvernement a affirmé à plusieurs reprises avoir évalué les recettes avec prudence en retenant une élasticité moyenne des recettes par rapport au PIB sensiblement inférieure à l'unité en 2003.
Le ministre délégué au budget affirmait que : « le coefficient d'élasticité pour 2002 serait voisin de 0,3 seulement, celui de 2003 serait de 0,8 % » (Journal officiel, Débats Assemblée nationale, 2e séance du 15 octobre 2002, page 3315).
Il apparaît pourtant clairement que tel n'a pas été le cas. En effet, selon le fascicule « voies et moyens » (tome I, page 5), les recettes fiscales brutes totales sont évalués à 303 051 millions d'euros pour 2002 et, après prise en compte de l'évolution spontanée, à 314 230 millions d'euros pour 2003. Pour les recettes fiscales nettes, c'est-à-dire les recettes fiscales brutes, déduction faite des remboursements et dégrèvements, les chiffres pour 2002 et 2003 sont évalués respectivement à 242 451 millions d'euros et 251 036 millions d'euros. La progression spontanée de 2003 par rapport à 2002 s'établit donc à + 3,69 % pour les recouvrements bruts et + 3,54 % pour les recouvrements nets, pour un PIB en valeur évalué à + 3,9 % pour 2003. Il apparaît donc que l'élasticité des recettes fiscales à la croissance n'est pas de 0,8 %, comme le prétend le Gouvernement, mais de 0,94 % pour les recettes brutes. Même si l'on retient l'évolution des recettes fiscales nettes, ce qui n'est pas économiquement pertinent, ce taux d'élasticité n'est pas de 0,8 mais de 0,907 %.
L'évolution des remboursements et dégrèvements dépendant de facteurs d'ordre administratif ou technique sans rapport avec l'évolution de l'économie, c'est bien la progression des recouvrements bruts qui doit être comparée à celle du PIB.
C'est d'ailleurs sur les recettes brutes, et non sur les recettes nettes, qu'a porté la révision à la baisse - censée tenir compte du ralentissement conjoncturel - de 300 millions d'euros de la TVA (ligne 6 du A) et de 400 millions d'euros de l'impôt sur le revenu (ligne 1 du A) opérée au Sénat (amendement n° I-225, séance du 27 novembre 2002) sur les prévisions de recettes fiscales pour 2002, le montant des remboursements et dégrèvements étant inchangé par rapport au projet de loi déposé à l'Assemblée nationale.
L'examen attentif des chiffres du fascicule « voies et moyens » ne permet donc pas de confirmer la « prudence » avec laquelle le Gouvernement prétend avoir fait ses évaluations, le ministre du budget parlant, durant la séance du 15 octobre 2002, de « l'extrême prudence de [ces] évaluations de recettes fiscales ».
Bien au contraire. Les économistes affirment que l'élasticité des recettes spontanées (à législation constante) au PIB est égale à 1 sur un cycle économique complet ; elle est généralement supérieure à 1 dans les phases d'accélération de la croissance (par exemple, 1997-2000 : élasticité constamment supérieure à 1 et même à 2 en 1999), mais elle est inférieure à 1 dans les phases de ralentissement. Le Gouvernement aurait donc dû retenir pour 2002-2003, s'il avait effectivement appliqué le principe de précaution, une élasticité très sensiblement inférieure à 1, comme ce fut le cas dans la période 1993-1996. En retenant, au contraire, une élasticité quasiment unitaire, le Gouvernement a gonflé imprudemment les évaluations de recettes.
Cette application d'un taux d'élasticité manifestement erroné a des conséquences très importantes sur le montant des recettes fiscales.
Si l'on retient l'hypothèse de croissance en valeur de 3,9 % du Gouvernement (avec une inflation de 1,4 %) et que l'on applique réellement un taux d'élasticité de 0,8 % revendiqué par le Gouvernement, les recettes fiscales brutes passent de 303 051 millions d'euros à 312 506 millions, soit 1 723,8 millions d'euros de moins que proposé par le Gouvernement dans son projet (le même calcul appliqué aux recettes fiscales nettes donne une moins-value de 1 020 millions d'euros).
L'application d'un taux d'élasticité de 0,8 cette fois combinée avec une hypothèse de croissance raisonnable de 2 % du PIB - chiffre retenu notamment par la Commission européenne - a des conséquences plus importantes encore.
Les recettes fiscales brutes passent alors de 303 051 millions d'euros en 2002 à 311 293,99 millions d'euros en 2003, l'écart sur les recettes fiscales brutes ressortant ainsi à 2 936 millions d'euros (et à 1 990 millions d'euros sur les recettes nettes).
Cet écart ne pourrait que croître compte tenu de la révision à la baisse des recettes fiscales et du retard de croissance pris par rapport au scénario du Gouvernement : en période de ralentissement conjoncturel, l'élasticité ne se rapproche pas de 1 mais de 0. En bonne logique économique, le Gouvernement aurait dû, en même temps qu'il révisait à la baisse ses prévisions de recettes fiscales, en tirer les conséquences sur l'élasticité appliquée à ces recettes, et donc réduire ce taux.
Ce calcul permet de chiffrer à 2 936 millions d'euros l'écart qui résulte de l'insincérité du Gouvernement en ce qui concerne l'élasticité retenue et la prévision de croissance trop optimiste.
On peut ainsi estimer que la surévaluation des recettes est de l'ordre de 3 milliards d'euros pour 2003. Ce chiffre est massif et montre bien l'ampleur de l'insincérité de la loi de finances. La révision incomplète des recettes fiscales effectuée au Sénat, loin d'améliorer la sincérité, accroît au contraire l'insincérité manifeste des évaluations associées à la loi de finances.
B. - SUR L'ABSENCE DE SINCÉRITÉ
DANS L'ÉVALUATION DES CHARGES DE L'ÉTAT POUR 2003
Deux éléments majeurs permettent de considérer que l'évaluation des charges de la loi de finances pour 2003 n'est pas davantage conforme à l'exigence de sincérité dont le principe est posé à l'article 32 de la loi organique.
1. La régulation est annoncée
avant le vote de la loi de finances
En premier lieu, le ministre de l'économie, Francis Mer, comme le ministre chargé du budget, M. Alain Lambert, ont annoncé la mise en place, dès janvier 2003, d'une régulation budgétaire. Dès le 15 octobre 2002, Alain Lambert annonçait lors de l'ouverture du débat budgétaire qu'« à compter de 2003, une pratique nouvelle garantira, en gage de confiance, à tous les gestionnaires publics, dès le début de l'année, l'essentiel de leurs crédits ; la part mise en réserve sera d'emblée connue et ne sera pas augmentée en cours d'année ». Cette annonce a été confirmée le 19 novembre 2002 lors du vote sur la première partie de la loi de finances à l'Assemblée nationale, Francis Mer déclarant qu'« en engageant dès janvier les discussions sur les économies possibles dans les ministères, nous voulons aider tous les acteurs à faire de leur budget un instrument de la réforme. En procédant à un gel de crédits dès le début de l'année, nous voulons encourager les ordonnateurs à prendre leurs responsabilités et à optimiser la gestion de leurs crédits, en toute transparence », déclaration reprise par Alain Lambert : « Nous procédons à la mise en réserve d'une faible fraction des crédits en début d'exercice, afin de libérer immédiatement et de manière irrévocable la part la plus importante des moyens et des services, de façon à leur donner la visibilité dont ils ont besoin pour gérer les crédits avec plus de parcimonie. » Ceci signifie que, dès le début de l'année, une partie des crédits mise à disposition des ministères par le Parlement sera « gelée » par un acte réglementaire, voire « annulée ». S'il en a annoncé le principe et le calendrier pendant le débat, le ministre n'a cependant précisé ni les montants, ni les crédits qui seraient concernés, ni les intentions précises du Gouvernement en la matière (gel ou annulation).
Cette annonce doit conduire à deux conclusions : en annonçant un tel dispositif pendant le débat budgétaire, ce qui est sans précédent, le ministre a, de ce seul fait, admis l'insincérité des évaluations de recettes ; il a aussi créé les conditions de l'insincérité du volet « dépenses » de la loi de finances. En effet, les autorisations de dépenses effectivement allouées aux ministres seront sans rapport réel avec celles ouvertes par les votes du Parlement, puisqu'une partie (non précisée) des crédits sera mise en réserve ou annulée dès janvier 2003. Selon l'ampleur de cette régulation et les budgets sur lesquels elle portera, ce sont les priorités budgétaires mêmes du Gouvernement qui pourront être différentes de ce qui a été présenté au Parlement et approuvé par lui.
Il est particulièrement éclairant de noter la déclaration du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, lors de la fin de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2003 (3e séance du vendredi 15 novembre 2002) : « Une autre inquiétude, et je termine par là, a trait au déroulement du débat budgétaire. Il n'est pas tenable, à l'heure où nous discutons et votons le budget, de devoir s'attendre à ce qu'un gel, voire une annulation de crédits, intervienne dans quelques semaines. Certes, la situation n'est pas nouvelle, Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, l'a rappelé. Tous les gouvernements ont eu recours à cette pratique, avec plus ou moins de bonheur. Mais je souhaiterais vraiment intégrer au budget un fonds d'action conjoncturelle. Certes, certains ministres n'auraient plus alors la possibilité de présenter un budget en hausse. Mais nous faisons tout de même preuve d'une certaine hypocrisie qui, il faut le reconnaître, réduit vraiment l'intensité et la qualité du débat budgétaire. Ce qui était vrai hier l'est tout autant aujourd'hui. »
Il est effectivement arrivé, à de nombreuses reprises dans le passé, qu'un dispositif de régulation budgétaire soit mis en place. Mais il s'agissait alors de faire face à un aléa conjoncturel apparaissant en cours d'année et susceptible d'écarter l'exécution budgétaire de l'objectif de déficit fixé à l'article d'équilibre voté par le Parlement. Au cas particulier, ce dispositif n'est mis en place, dès janvier, que pour faire face aux conséquences de l'insincérité manifeste de l'hypothèse de croissance retenue. Il aurait semblé aux requérants plus respectueux des droits du Parlement que le Gouvernement procède par amendement à son projet initial.
2. La sous-estimation volontaire des dépenses
est reconnue pendant le débat parlementaire
En second lieu, de nombreuses déclarations de ministres permettent de conclure à l'insincérité des dépenses et se révèlent totalement contradictoires avec l'explication générale donnée par Alain Lambert le 15 octobre 2002 : « Cette maîtrise de la dépense s'exprime, d'abord, par notre refus de l'affichage. Certains budgets ministériels sont en baisse, car le Gouvernement a choisi de privilégier le résultat et donc la sincérité et la réalité des actions, abandonnant la pratique de l'inscription des crédits qui ne sont jamais consommés. »
Trois exemples parmi d'autres méritent d'être signalés tant ils sont révélateurs de l'erreur d'évaluation des dépenses.
Ainsi, s'agissant du budget de la culture, lors de la première séance du vendredi 15 novembre 2002, le ministre a déclaré : « De même que la hausse des crédits dans les budgets précédents n'était qu'optique, leur baisse aujourd'hui n'est qu'apparente... Ma demande de crédits frais tient compte des énormes réserves accumulées les années précédentes et que j'évoquais plus haut. Elle n'a donc pas porté sur la totalité des crédits de paiement qu'il est prévu de dépenser en 2003, mais sur un montant minoré de 205 millions d'euros, compte tenu des crédits qui sont déjà à ma disposition. » Il ajoutait ensuite que « si vous acceptez de voter ce budget, je puis vous assurer que je disposerai en 2003 des crédits de paiement dont j'ai réellement besoin, non seulement pour payer les factures qui arriveront à échéance, mais surtout pour mener la politique volontariste d'accélération de la consommation des crédits d'investissement que vous appelez tous de vos voeux ».

Au-delà du fait que la notion de « crédit frais » n'est guère reconnue par notre droit budgétaire, la déclaration du ministre signifie que, au lieu d'annuler, purement et simplement, les crédits inutilisés à la fin de 2002, ce sont les crédits de 2003 qui ont supporté un « abattement » au titre des reports, le ministre ayant ainsi la possibilité de financer des dépenses de 2003 avec des crédits d'années antérieures, pour un montant considérable de 205 millions d'euros. Cette manipulation, on le voit, donne une image faussée de l'autorisation de dépense de 2003 et crée un écart artificiel entre les crédits ouverts dans le budget, les crédits disponibles et les crédits exécutés. Il s'agit là d'un cas avéré d'insincérité.
S'agissant du budget de l'emploi, lors de la deuxième séance du 14 novembre 2002 (examen des crédits du ministère de l'emploi), le ministre a confirmé que 240 000 contrats emploi solidarité seraient créés en 2003, alors que 80 000 figurent au budget :
« Pour ce qui est de l'année 2003, le Premier ministre a pris l'engagement de permettre l'ouverture de 20 000 contrats CES par mois : 160 000 sont d'ores et déjà financés : 80 000 par le projet de budget pour 2003 et 80 000 par des reports de crédits de 2002 sur 2003. Il faudra donc abonder le budget au fur et à mesure que les besoins s'exprimeront, et pour cela ouvrir des crédits supplémentaires par des mesures de gestion ou dans un collectif. »
Cette déclaration est critiquable. Elle confirme l'insincérité de l'évaluation de la dépense au titre des CES. Le fascicule des crédits du ministère du travail chiffre à 736 millions d'euros l'économie représentée par la suppression de 180 000 CES par rapport aux dispositions votées en 2002 (260 000 CES). On peut en déduire que le coût des 80 000 contrats supplémentaires non financés dont la création est annoncée par le Premier ministre serait proche de 327 millions d'euros.
Comme on le voit, sur ce budget également, les crédits ouverts dans le budget initial ont été artificiellement minorés (ils financent 80 000 CES) et sont sans rapport avec la dépense annoncée par le Premier ministre (240 000 CES). La mauvaise foi est, sur ce point, patente. L'erreur sur le montant des crédits inscrits est ainsi prise en toute connaissance de cause et conduit à modifier l'équilibre général dans des proportions importantes.
Enfin, lors de la deuxième séance du 22 octobre 2002, consacrée à l'examen du budget de l'éducation nationale, deux amendements déposés par les requérants ont permis de constater que certaines actions annoncées par le Gouvernement et représentant une dépense certaine n'avaient fait l'objet d'aucune inscription de crédits. L'amendement n° 72 visait au rétablissement de 33,6 millions d'euros de crédits supprimés, qui permettaient le financement des postes d'aides-éducateurs assurés par des personnes bénéficiaires du dispositif dit « emplois-jeunes » (programme nouveaux services, nouveaux emplois). Ayant confirmé sa volonté de ne pas reconduire ce dispositif, cohérent en cela avec la suppression proposée des crédits, le ministre délégué à l'enseignement scolaire M. Xavier Darcos annonçait en revanche : « Nous allons mettre en place un nouveau dispositif, les assistants d'éducation, qui s'y substituera petit à petit, avec de véritables fonctions, un véritable métier. » Pourtant, les crédits correspondant à ce nouveau dispositif n'ont pas été inscrits dans la loi de finances pour 2003.
De même, l'amendement n° 71 visait au rétablissement des 34,96 millions d'euros de crédits permettant le financement de 5 600 postes de surveillants. Dans ce cas également, le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche Luc Ferry a indiqué qu'il prévoyait un nouveau dispositif de substitution, mais sans indiquer quel serait le financement affecté puisqu'il déclarait : « Nous avons évidemment d'autres crédits - ce sont simplement les crédits de l'éducation nationale, qui permettront la montée en puissance de ce dispositif. Et je m'engage à ce qu'il y ait à la rentrée 2003 - puisque ce dispositif, nous l'annoncerons en février - plus d'auxiliaires de vie scolaire, plus d'aides aux handicapés dans les établissements scolaires, plus de surveillance - et une meilleure surveillance. » Il s'agit ici, à l'évidence, d'un sujet sensible, touchant à l'encadrement des élèves et d'une des économies « phare » du budget de 2003.
Or, dans les deux cas, les crédits inscrits en loi de finances initiale ne reflètent pas les déclarations des ministres. Si l'économie correspondant à la suppression des emplois figure bien dans le budget, aucun crédit n'est prévu pour financer le dispositif de remplacement. L'insincérité est ainsi avérée sur ce point également.
C. - L'INSINCÉRITÉ EST VOLONTAIRE
En retenant volontairement une hypothèse de croissance trop favorable, en surestimant les recettes et en n'inscrivant pas les crédits correspondant aux dépenses annoncées, le Gouvernement a délibérément cherché à fausser l'équilibre associé à la loi de finances. Ce choix le conduisait en effet à surévaluer massivement les rentrées fiscales attendues en 2003 et, ainsi, à occulter le fait que le déficit global des administrations publiques risquait en 2003 de se rapprocher de la limite de 3 % fixée par le pacte de stabilité et de croissance, et même de la dépasser.
Les déclarations et prises de positions sur ce sujet n'en sont que plus éclairantes. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin indiquait notamment (LCI, 28 octobre 2002, et Correspondance économique du 29 octobre 2002, page 5) : « Ce déficit, il faut bien que je le résorbe, et j'ai besoin d'avoir un peu de temps, mais pour le reste je suis tout à fait d'accord pour dire qu'on ne peut pas avoir l'euro sans discipline budgétaire » et ajoutait « les choses paraissent compatibles puisqu'elles ont été construites dans cet esprit et avec cette logique (...) il va de soi que tout dépend de la croissance et que les engagements que nous avons pris nous les avons pris avec des hypothèses de croissance. Tout dépendra de l'hypothèse de croissance. »
Il est particulièrement éclairant de noter à cet égard que, par son ampleur, la surestimation des recettes fiscales à laquelle a procédé volontairement le Gouvernement est, à elle seule, de nature à aggraver le déficit de l'Etat, et par conséquence des administrations publiques, dans une mesure telle que le critère du pacte de stabilité et de croissance relatif au plafond de déficit public à hauteur de 3 % du PIB ne serait plus respecté.
Il est possible aux requérants de préciser les conditions qui auraient dû, selon eux, être réunies pour assurer, compte tenu des déclarations des ministres eux-mêmes, le respect du principe de sincérité et des droits du Parlement :
- révision des hypothèses économiques : par référence aux informations disponibles et aux prévisions raisonnables qu'il était possible d'en déduire, la croissance de 2002 aurait dû être révisée de 1,2 à 1 %. Pour 2003, une fourchette allant de 1,8 % à 2,2 %, avec un point moyen à 2 %, aurait été raisonnable, au lieu de 2,5 % ;
- révision, par voie d'amendement, des estimations de recettes en cohérence avec le scénario économique ainsi modifié et non en seule référence aux révisions affectant l'année 2002, contrairement à l'amendement I-225 adopté le 27 novembre 2002 par le Sénat à l'initiative du Gouvernement. Le ministre Alain Lambert indiquait clairement que « le Gouvernement a dû constater, dans le projet de loi de finances rectificative approuvé en conseil des ministres le 20 novembre dernier, que les recettes pour 2002 seraient moins importantes que prévu » ;
- modification, par voie d'amendement, des estimations de dépenses pour traduire, dès le stade de la loi de finances, le dispositif de régulation annoncé pour janvier 2003, mais dont le contenu n'a pas même fait l'objet d'indications de la part du Gouvernement. Le Parlement a, en effet, débattu, budget par budget, des priorités des différents ministres et approuvé les autorisations de dépenses qui lui étaient présentées, alors même que la régulation budgétaire annoncée pour janvier 2003 modifiera substantiellement les capacités de dépenses des différents ministères, voire les priorités globales du budget 2003 ;
- révision, pour coordination, de l'article d'équilibre afin de traduire les révisions des recettes et des plafonds de dépenses et donner ainsi une image plus fidèle et sincère des comptes de l'Etat.
En conclusion, le Conseil constitutionnel annulera donc pour insincérité l'ensemble du projet de loi de finances pour 2003.
A tout le moins, le Conseil tirera les conséquences sur l'article d'équilibre de l'évaluation insincère des recettes et des dépenses, à hauteur de celle-ci.
A défaut, il résulterait nécessairement, de la décision du Conseil constitutionnel portant sur l'insincérité, l'élaboration par le Gouvernement d'une loi de finances rectificative.
Sur la remise en cause du principe d'égalité :
Sur l'article 4 :
L'article 4 a pour objet d'autoriser l'imputation des moins-values subies à compter du 1er janvier 2002 à la suite de la cession de valeurs mobilières sur les plus-values réalisées au cours de la même année et des dix années suivantes, alors que les dispositions en vigueur n'autorisent cette imputation, conformément au principe traditionnel qui régit le report en avant des pertes constatées au titre d'une catégorie de revenus, que sur les cinq années suivantes.
La disposition critiquée déroge aux règles généralement applicables en matière d'impôt sur le revenu qui ne prévoient la possibilité d'imputer le déficit que sur les cinq années suivantes : déficits agricoles (article 156-I-1 ° du code général des impôts), déficits issus de BIC non professionnels (article 156-I-1 ° bis), déficits provenant de certaines activités non commerciales (article 156-I-2 °), ou, de façon plus générale, déficits sur le revenu global (premier alinéa du I de l'article 156), sans que le fondement du traitement différent ainsi réservé aux pertes résultant de cessions de valeurs mobilières apparaisse avec évidence.
Mais surtout, elle introduit une rupture d'égalité dans les règles applicables aux profits réalisés sur les marchés à terme, sur les marchés d'options négociables et sur les opérations de bons d'option.
Ces règles, qui ne sont applicables qu'aux personnes qui ne réalisent pas ces opérations à titre professionnel mais seulement de façon occasionnelle, sont fixées par les articles 150 ter et suivants du CGI.
L'article 150 quinquies prévoit que les profits nets réalisés dans le cadre de contrats se référant à des emprunts obligataires ou à des actions admises aux négociations sur un marché réglementé français ou négociées sur le marché hors cote français sont imposés dans les conditions prévues à l'article 96 A, ce qui signifie que les personnes réalisant ces opérations sont astreintes à une obligation déclarative et au taux prévu au 2 de l'article 200 A, c'est-à-dire au taux de 16 % augmenté des prélèvements sociaux auxquels sont également taxables les gains de cessions de valeurs mobilières.
L'article 150 sexies prévoit que les mêmes règles sont applicables pour les profits résultant d'opérations réalisées en France dans le cadre de contrats autres que ceux visés à l'article 150 quinquies, ce qui vise notamment les contrats se référant à des valeurs mobilières qui ne sont pas admises aux négociations sur des marchés réglementés, ou à des contrats d'instruments financiers à terme visés au II de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier autres que les contrats sur obligations ou sur actions.
Enfin, par application du 12 ° de l'article 120 du CGI, les profits résultant d'opérations réalisées à l'étranger sur un marché à terme ou sur des bons d'options sont également taxables selon les règles fixées par les articles 150 ter et suivants (voir en ce sens l'instruction du 24 avril 1992, 5 G-6-92, n° 27).
Les règles d'imputation des pertes résultant d'opérations menées sur des marchés à terme sont aujourd'hui identiques quel que soit le contrat dans le cadre duquel ces opérations ont été réalisées, et qu'elles soient réalisées en France ou à l'étranger. L'article 156-I-6 °, applicable aux pertes résultant d'opérations réalisées à l'étranger, prévoit que ces pertes sont imputables exclusivement sur les profits de même nature, réalisés dans les mêmes conditions « au cours de la même année ou des cinq années suivantes ».
L'article 150 sexies prévoit de même que la perte est exclusivement imputable sur les profits de même nature « réalisés au cours des cinq années suivantes ». Et c'est également la solution que retient l'article 150 quinquies pour les profits qu'il vise, puisque le dernier alinéa de cet article prévoit que ces pertes « sont soumises aux dispositions du 11 de l'article 150-0 D ».
Or, précisément, la modification du 11 de l'article 150-0 D par l'article 4 de la loi déférée va conduire à appliquer des règles différentes pour les seules pertes relatives à des opérations visées à l'article 150 quinquies, qui pourraient dorénavant être imputées sur les profits de même nature réalisés au cours des dix années suivantes.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet pourtant d'appliquer des règles différentes à des situations identiques que lorsque cette différence de traitement repose sur des critères objectifs et rationnels en relation avec l'objet de la loi.
Or, on ne voit pas en quoi la situation des personnes physiques réalisant des opérations sur des marchés à terme dans le cadre de contrats se référant à des emprunts obligataires ou à des actions admises aux négociations sur un marché réglementé français justifierait un traitement différent des pertes constatées par celles qui réalisent des opérations sur ces mêmes marchés dans le cadre d'autres contrats ou encore des opérations sur des marchés étrangers, notamment les marchés réglementés européens visés à l'article L. 422-1 du code monétaire et financier.
On voit encore moins en quoi l'objectif poursuivi par le législateur, qui était de permettre aux investisseurs sur ces marchés d'imputer sur une plus longue période les pertes liées à l'évolution défavorable des marchés financiers, justifierait que les contribuables ayant réalisé des pertes sur d'autres contrats que ceux visés à l'article 150 quinquies ou sur des marchés étrangers soient privés, au contraire d'autres contribuables réalisant également des opérations sur des marchés à terme, de cet avantage fiscal.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer la rupture d'égalité introduite par l'article 4 entre des contribuables pourtant placés, au regard de l'objet de la loi, dans une situation identique.
Sur l'article 8 :
L'article 8 a pour objet de relever le plafond de la réduction d'impôt au titre des sommes versées pour l'emploi d'un salarié à domicile de 6 900 euros à 7 400 euros pour les dépenses engagées en 2002 puis 10 000 euros pour les dépenses engagées à compter du 1er janvier 2003. Cette mesure méconnaît le principe, déduit par le Conseil constitutionnel de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC), selon lequel l'appréciation par le législateur des facultés contributives des citoyens ne doit pas conduire à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Il faut rappeler que c'est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a estimé que, le législateur étant tenu de prendre en compte l'ensemble des facultés contributives des contribuables lorsqu'il décide de modifier les règles de calcul d'une imposition, il ne pouvait instituer une réduction de contribution sociale généralisée qui ne prenne pas en considération les ressources de l'ensemble des membres du foyer fiscal (décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000).
Le Conseil constitutionnel a notamment rappelé que l'attribution d'un avantage à des contribuables soumis à imposition commune pouvait, s'il était excessif, conduire à une méconnaissance de l'article 13 de la DDHC, « alors surtout que la vie commune permet de dégager certaines économies à revenus inchangés » (décision n° 99-149 DC du 9 novembre 1999).
Mais, inversement, le législateur doit, pour respecter ces dispositions, veiller à ce que l'imposition commune ne pénalise pas excessivement les contribuables soumis à ce régime par rapport aux contribuables qui sont soumis à imposition séparée.
C'est ainsi que le Conseil constitutionnel n'a admis que le législateur avait pu instituer un dispositif d'exonération de l'imposition des plus-values de cession qui ne prenait pas en compte la situation familiale du contribuable qu'en relevant que ce dispositif répondait à un objectif de simplification, en dispensant d'obligations déclaratives les contribuables ne réalisant que des opérations de faible ampleur (décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999).
Il en résulte a contrario que, lorsque l'objectif poursuivi par le législateur ne le justifie pas, il lui appartient de prendre en considération la situation familiale du contribuable, lorsqu'il fixe les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice d'un avantage fiscal.
Or, l'article 199 sexdecies, tel qu'il est ainsi modifié par l'article 8 de la loi déférée, ne prend pas en considération la situation familiale des contribuables qui emploient un ou plusieurs salariés à domicile.
Alors que le montant des dépenses consacrées à l'emploi d'un salarié à domicile dépend étroitement du nombre de personnes composant le foyer fiscal contrairement à la plupart des autres avantages fiscaux qui, comme le crédit d'impôt pour l'entretien du logement visé à l'article 199 sexies du CGI, prennent en considération non seulement la situation conjugale mais même le nombre de personnes à charge, le législateur n'a pas prévu, s'agissant de cette réduction d'impôt, de doubler son montant pour les couples mariés par rapport aux célibataires ni d'en majorer le montant en fonction du nombre de personnes à charge. Il en résulte non seulement que les célibataires bénéficient, alors même que les charges qu'ils supportent au titre d'un salarié à domicile sont moins lourdes, d'un avantage identique à ceux des personnes mariées mais également qu'un couple de concubins percevant des revenus exactement similaires à ceux d'un couple marié pourra bénéficier d'une réduction d'impôt deux fois plus importante que celle dont bénéficient ces derniers. Les concubins étant considérés sur le plan fiscal comme des célibataires, ils pourront bénéficier de deux réductions d'impôt au titre d'un même salarié, s'ils prévoient par exemple de l'employer chacun à mi-temps.
Ainsi, alors qu'un couple de concubins supporte exactement les mêmes charges qu'un couple marié, et est donc placé en ce qui concerne les dépenses liées à l'emploi d'un salarié à domicile dans la même situation, l'article 199 sexdecies modifié par la loi de finances pour 2003 introduit un traitement différent.
Il en résulte une rupture d'égalité d'autant plus caractérisée que l'article 8 augmente sensiblement le montant du plafond de la réduction d'impôt, de plus de 45 % à compter du 1er janvier 2003, ce qui confère un avantage disproportionné aux célibataires et aux couples de concubins par rapport aux couples mariés. Le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer ce dispositif. Et il ne pourra être utilement soutenu par le Gouvernement que cette discrimination est en rapport avec l'objet de la mesure dès lors, d'une part, que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la prise en compte des facultés contributives et de la situation familiale des contribuables s'impose en toute hypothèse (décision n° 2000-437 DC précitée) et qu'en tout état de cause au regard de l'objet de la mesure qui n'est pas seulement de soutenir l'emploi mais également de permettre aux contribuables, et notamment aux familles qui comptent des enfants en bas âge, d'utiliser plus facilement les services d'un employé à domicile, la discrimination ainsi instituée n'est, ainsi qu'il a été démontré, pas justifiée.
Sur l'article 11 :
L'article 11 a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière et est contraire au principe d'égalité devant l'impôt.
L'article 11 est issu d'un amendement déposé au nom de la commission des finances du Sénat par le rapporteur général Philippe Marini lors de la séance du 27 novembre 2002. Il a pour objet, selon l'exposé des motifs développé par son auteur, d'attirer l'épargne vers un secteur immobilier important pour le développement de l'économie en appliquant un régime de transparence fiscale aux sociétés d'investissements immobiliers cotées.
Ces dispositions ont d'abord été adoptées à l'issue d'une procédure irrégulière. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé dans sa décision n° 76-73 DC du 28 décembre 1976 que l'article 39 de la Constitution, qui institue au bénéfice de l'Assemblée nationale un droit de priorité sur les dispositions financières, faisait obstacle à ce que le Sénat examine avant l'Assemblée nationale des amendements instituant des mesures financières entièrement nouvelles. Ce n'est que lorsque les mesures soumises en premier lieu au Sénat ne portent que sur l'adaptation mineure de dispositifs existants que le Conseil constitutionnel admet que l'article 39 n'est pas méconnu (décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, s'agissant d'une modification des règles de paiement de l'impôt sur les spectacles).
Or les dispositions introduites par l'article 11 constituent sans aucun doute une mesure financière entièrement nouvelle au sens de la jurisprudence constitutionnelle. Jusqu'à l'intervention de ce texte, les sociétés d'investissements immobiliers cotées étaient soumises au droit commun des sociétés de capitaux : leurs résultats étaient taxables à l'impôt sur les sociétés au niveau de la société et les dividendes qu'elles distribuaient à leurs actionnaires étaient imposables chez ces derniers à l'impôt sur le revenu, sous déduction de l'avoir fiscal attaché à ces dividendes.
C'est à cette situation, qui aurait entraîné selon les indications données par M. Philippe Marini dans son rapport une double taxation des bénéfices alors qu'elle n'est pourtant pas différente de la situation de tous les actionnaires de sociétés de capitaux, que l'article 11 a pour objet de mettre fin, en supprimant toute imposition des résultats au niveau de la société, seules les distributions de bénéfices réalisés par ces sociétés étant dorénavant imposées au niveau de l'actionnaire.
Il s'agit donc non pas d'une adaptation mineure d'un dispositif existant mais d'une réforme complète du régime fiscal de certaines sociétés de capitaux.
A cette réforme de grande ampleur s'ajoute la création d'une imposition nouvelle puisque le B de l'article 11 institue un taux inédit d'impôt sur les sociétés, fixé à 16,5 %, sur les plus-values dégagées par les sociétés qui opteraient pour le régime d'exonération de l'IS et qui se trouveraient alors, par application du 2 de l'article 221 et des 1 et 3 de l'article 201, immédiatement taxables à l'IS sur les bénéfices réalisés au cours de l'année de l'option lorsque ces bénéfices n'ont pas encore été imposés.
C'est d'ailleurs de la création de cette nouvelle imposition sur les plus-values des sociétés d'investissement immobilier dont le Gouvernement attend un produit de 400 millions d'euros qui lui a permis d'annoncer que l'équilibre du projet de loi de finances serait maintenu inchangé à la suite de la rectification devant le Sénat des prévisions de recettes sur la base desquelles était établi le projet initial.
Une telle mesure, créant un dispositif entièrement nouveau dont le rendement budgétaire représente plus de 84 % des mesures nouvelles d'accroissement des recettes de l'Etat figurant dans le projet de loi de finances, ne peut être présentée et adoptée en priorité par le Sénat sans méconnaître l'article 39 de la Constitution.
Le Gouvernement ne pourra sérieusement se prévaloir de la circonstance que cette mesure a été adoptée sur amendement sénatorial pour faire échec à la censure de cette disposition. Le Conseil constitutionnel ne pourrait faire droit à un tel argument sans autoriser un détournement du principe même du droit de priorité de l'Assemblée nationale en matière financière, alors même que les députés viennent de marquer unanimement leur attachement à ce principe à l'occasion de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la décentralisation.
Il serait en effet bien trop simple de permettre à un gouvernement de contourner l'obligation de présentation des mesures financières entièrement nouvelles en priorité à l'Assemblée nationale en faisant porter par des sénateurs des mesures qui sont en réalité d'origine gouvernementale.
Tel est indubitablement le cas ici puisque le principe de cette mesure a été annoncé par le ministre de l'économie et des finances et le ministre délégué au budget avant même l'adoption de l'amendement par la commission des finances du Sénat : c'est ainsi que, dès le 20 novembre, soit le lendemain de l'adoption en première lecture du projet de loi de finances pour 2003 par l'Assemblée nationale, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie indiquait qu'il prévoyait de compenser 700 millions d'euros de manque à gagner en recettes par un amendement au Sénat (cf. dépêche AFP du 20 novembre 2002) ; dans des propos recueillis le 21 novembre, le ministre délégué au budget évoquait « des mesures nouvelles (...) prises dans le budget 2003 pour compenser ces 700 millions d'euros » (Le Figaro économie du 21 novembre 2002). La nature de ces mesures nouvelles ne faisait aucun mystère puisque le même jour la presse indiquait que les nouvelles recettes envisagées par le Gouvernement avaient trait au « changement de statut fiscal des sociétés d'investissements immobiliers cotées (...) qui pourrait rapporter 300 à 500 millions d'euros » (La Correspondance économique du 21 novembre 2002, p. 10).
Qui plus est, le fait d'admettre la possibilité pour un amendement d'origine sénatoriale de s'affranchir du droit de priorité, au contraire d'un amendement d'origine gouvernementale, serait incompatible avec le caractère indissociable du droit d'amendement reconnu par l'article 44, alinéa 1, de la Constitution.
Ainsi, reconnaître aux sénateurs la faculté d'introduire par amendement des mesures financières entièrement nouvelles conduirait à une modification radicale de l'équilibre voulu par le pouvoir constituant entre Sénat et Assemblée nationale, compte tenu notamment de l'automaticité de la procédure d'urgence pour l'examen des projets de loi de finances.
En effet, à supposer qu'un amendement d'origine sénatoriale puisse introduire en première lecture une mesure financière entièrement nouvelle et que la commission mixte paritaire aboutisse, l'Assemblée nationale se verrait de facto privée de son droit d'amendement et ne pourrait qu'entériner la disposition nouvelle introduite au Sénat.
Or, a contrario, si les délais d'examen des projets de loi de finances sont fixés à 40 jours à l'Assemblée contre 20 jours au Sénat, c'est bien que le droit de priorité ne se limite pas seulement à une exigence formelle de soumission en premier lieu à l'Assemblée nationale mais répond également à la volonté du constituant d'assurer une discussion beaucoup plus approfondie de ces mesures à l'Assemblée nationale. C'est ainsi que dans sa décision n° 71-43 DC du 17 juin 1971 le Conseil constitutionnel n'a écarté une inconstitutionnalité liée à la méconnaissance du droit de priorité par la décision d'allongement du délai d'examen par le Sénat des projets de loi de finances qu'en relevant le caractère limité de cet allongement portant le délai de 15 à 20 jours.
De plus, une décision contraire placerait indubitablement le Sénat dans une position très privilégiée par rapport à l'Assemblée nationale compte tenu des conditions d'application de l'article 40 de la Constitution qui prévalent au Sénat. L'absence de contrôle a priori de la recevabilité financière des amendements d'origine sénatoriale, si elle est bien conforme à la Constitution (décision n° 96-381 DC du 14 octobre 1996), permet en effet la discussion voire l'adoption d'amendements qui seraient déclarés a priori irrecevables devant l'Assemblée nationale.
Enfin, censurer aujourd'hui la procédure manifestement irrégulière qui a abouti à l'adoption de l'article 11 ne porterait nullement atteinte au droit d'amendement des sénateurs, qui doit se concilier en tout état de cause avec le droit de priorité reconnu par l'article 39 à l'Assemblée nationale. C'est ainsi que rien n'interdira bien sûr aux sénateurs de modifier par amendement les dispositions figurant dans le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale ou d'introduire des mesures nouvelles dans l'hypothèse où, par leur ampleur ou leur portée, ces mesures ne présenteront pas un caractère entièrement nouveau au sens de la jurisprudence constitutionnelle.
L'article 11 n'est pas seulement inconstitutionnel parce qu'il a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, mais également car il méconnaît gravement le principe d'égalité devant l'impôt en introduisant une discrimination injustifiée entre les sociétés ayant pour objet l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de la location et entre les associés de ces dernières sociétés.
En effet, lorsqu'elles sont exonérées d'impôt sur les sociétés parce que soumises au régime des sociétés de personnes, les sociétés immobilières non visées à l'article 4 quater, de même que leurs associés, seront soumis à un régime nettement plus défavorable que celui institué par les dispositions critiquées, sans que cette discrimination reste proportionnée à l'objet de la loi.
Les sociétés fiscalement transparentes ne sont pas imposables à l'impôt sur les sociétés sur les résultats qu'elles réalisent, mais, en contrepartie, leurs associés sont imposables à l'impôt sur le revenu à hauteur de la quote-part de leur participation dans la société.
Contrairement aux indications données par M. Marini lors du débat au Sénat le 27 novembre 2002, le régime institué par le I de l'article 11 à l'article 208 C du CGI au bénéfice des seules sociétés immobilières cotées n'est pas un régime de transparence fiscale. Certes, les sociétés visées par ce régime ne seront plus taxables à l'impôt sur les sociétés sur leurs résultats, mais leurs associés ne le seront pas davantage. L'exonération d'impôt sur les sociétés dont bénéficient en vertu de ces dispositions les sociétés immobilières cotées n'est en effet pas subordonnée à l'imposition des résultats de la société chez l'associé à hauteur de la quote-part qu'il détient dans la société, mais seulement à ce que ces résultats soient distribués à hauteur de 85 % ou de 50 % avant la fin de l'exercice qui suit celui de leur réalisation.
Il en résulte que, contrairement aux résultats des sociétés fiscalement transparentes, les bénéfices des sociétés immobilières ne seront jamais taxables dans la catégorie de revenus dont ils relèvent mais seulement chez l'associé selon les règles applicables aux produits de participation dans des sociétés de capitaux soumises à l'impôt sur les sociétés.
Certes ces produits ne pourront bénéficier ni de l'exonération prévue par le régime des sociétés mères filiales ni de l'avoir fiscal, mais il résulte du II de l'article 11 qu'ils bénéficieront en revanche de l'exonération d'impôt sur le revenu applicable en vertu du 5 ° bis de l'article 157 du CGI aux produits et plus-values des placements effectués dans le cadre d'un plan d'épargne en actions (PEA), alors qu'en principe seules les actions de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés en France ou à un impôt équivalent dans un autre Etat membre de la Communauté européenne peuvent bénéficier de cet avantage.
Ici, au contraire, non seulement les résultats des sociétés immobilières cotées ne seront pas taxables à l'impôt sur les sociétés, mais encore leurs associés n'acquitteront aucun impôt sur le revenu sur les produits de leur participation dans ces sociétés dès lors qu'ils les détiendront dans le cadre d'un PEA.
Ce cumul d'exonérations introduit une rupture caractérisée de l'égalité devant l'impôt entre les sociétés immobilières cotées et les sociétés immobilières qui ne sont pas taxables à l'impôt sur les sociétés car fiscalement transparentes, d'une part, et entre leurs associés, d'autre part. La faculté de détenir les titres de ces sociétés dans le cadre d'un PEA introduit en outre une rupture d'égalité entre les sociétés immobilières cotées sur un marché réglementé français et les sociétés cotées sur un marché d'un autre Etat membre de l'Union européenne. En effet, les participations détenues dans ces dernières, qui sont, comme le rappelle le rapport de M. Marini, exonérées d'impôt sur les sociétés tout comme le seront les sociétés cotées en France, ne pourront en revanche figurer dans un PEA.
Cette rupture d'égalité est encore accentuée par les conditions très avantageuses qui ont été fixées pour atténuer les conséquences fiscales de l'option ouverte aux sociétés immobilières dans le cadre du nouveau régime institué par la loi déférée.
En principe, lorsqu'une société cesse d'être soumise à l'impôt sur les sociétés, il en résulte deux conséquences importantes, pour la société d'une part, pour ses associés d'autre part.
S'agissant de la société, ses bénéfices et ses plus-values latentes sont immédiatement taxables à l'impôt sur les sociétés, par application du 2 de l'article 221 et des 1 et 3 de l'article 201.
Toutefois, en l'absence de création d'une personne morale nouvelle, l'article 221 bis du CGI précise que les bénéfices en sursis d'imposition et les plus-values latentes ne font pas l'objet d'une imposition immédiate lorsque deux conditions sont cumulativement réunies : il faut, d'une part, « qu'aucune modification ne soit apportée aux écritures comptables » et, d'autre part, que « l'imposition desdits bénéfices et plus-values demeure possible sous le nouveau régime fiscal applicable ».
Or, précisément, le Conseil d'Etat a jugé qu'une société soumise à l'impôt sur les sociétés qui opte pour un régime de transparence fiscale ne peut bénéficier des dispositions de l'article 221 bis lorsqu'elle exerce une activité de location d'immeubles, en relevant que dans cette hypothèse les plus-values réalisées par la société après sa transformation, imposables désormais au nom de ses membres, pouvaient ne pas être imposées en raison des particularités du régime fiscal des plus-values immobilières des personnes physiques (CE, 28 juillet 2000, SCA Les Chapelains).
Par conséquent, en principe, l'option pour le régime de l'article 208 C devrait entraîner pour les sociétés immobilières cotées la taxation de leurs bénéfices et plus-values latentes au taux normal de l'impôt sur les sociétés. S'agissant, par ailleurs, des associés, l'article 111 bis du CGI prévoit que ces derniers sont imposables sur les bénéfices et réserves de la société qui cessent d'être soumis à l'impôt sur les sociétés, lesquels sont réputés distribués dans leur intégralité.
Or, le texte critiqué introduit sur ces deux points une dérogation en faveur des sociétés immobilières cotées, ce qui accentue encore la rupture d'égalité entre ces sociétés et les autres sociétés immobilières ainsi que leurs associés.
D'une part, le B de l'article 11 prévoit que les plus-values latentes ne seront taxables qu'à un taux de 16,5 %, soit presque exactement la moitié du taux normalement applicable qui est le taux normal de l'impôt sur les sociétés.
Comme le D de l'article prévoit en outre que les contributions visées aux articles 235 ter ZA et 235 ter ZC ne sont pas applicables à ces plus-values, la différence de taxation entre une société optant pour le régime visé à l'article 208 C et une société optant pour le régime de la transparence fiscale des sociétés de personne est de près de 20 %, ce qui est bien sûr considérable.
En outre, le C de l'article autorise les sociétés visées à l'article 208 C à procéder à une réévaluation de certaines de leurs immobilisations en franchise totale d'impôt, par dérogation avec la première condition de l'article 221 bis.
D'autre part, le F de l'article 11 exonère les associés des sociétés visées à l'article 208 C de toute imposition au titre des bénéfices réputés distribués en raison de la modification du régime fiscal de la société.
On comprend mieux, devant un tel cumul d'avantages fiscaux, que les représentants du secteur concerné se soient déclarés très favorables à une réforme qui, pourtant, conduit dans un premier temps à une augmentation des recettes de l'Etat.
C'est qu'en effet le paiement de ce que M. Marini qualifiait d'« exit tax », et qui n'est en réalité que l'application du droit commun mais avec un taux d'imposition de 16,5 % qui, quant à lui, est profondément dérogatoire, va permettre à ces sociétés et à leurs associés de bénéficier d'un avantage fiscal conséquent, dont seront en revanche exclues les sociétés immobilières non cotées, tout comme celles dont le capital social serait inférieur à 15 millions d'euros, ou encore les sociétés immobilières cotées sur un marché réglementé dans un autre Etat membre de l'Union européenne.
On ne voit pas, au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, les raisons qui justifient l'instauration d'avantages fiscaux d'une telle ampleur pour les sociétés visées à l'article 208 C. S'il s'agissait, comme l'indique M. Marini dans son rapport, d'accroître la capitalisation boursière de la place de Paris et d'attirer l'épargne vers le secteur immobilier, le législateur n'avait pas pour autant à attribuer à certaines sociétés et à leurs associés des avantages fiscaux aussi considérables par rapport au régime fiscal auquel resteront soumises les sociétés dont l'activité est exactement similaire et qui ne sont pas cotées, ou même d'ailleurs des sociétés cotées exerçant la même activité et qui ne remplissent pas les conditions fixées par l'article 208 C pour bénéficier de ces avantages.
On notera en outre qu'il n'est pas exigé des sociétés d'investissement immobilier cotées qu'elles aient pour objet exclusif l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de la location, mais seulement cette activité pour « objet principal » ; la conservation de bénéfices exonérés par ces sociétés est rendue possible pour un emploi qui peut être sans rapport avec leur objet principal. Il y a donc une rupture d'égalité entre d'une part les sociétés normalement imposées sur leurs bénéfices courants et sur leurs plus-values et d'autre part les sociétés d'investissement immobilier cotées qui sont exonérées. Le renforcement de l'autofinancement des sociétés d'investissement immobilier cotées, qui résulte de l'exonération d'impôt assortie d'une obligation limitée de distribution, particulièrement pour les plus-values, crée une discrimination en leur faveur, aussi bien pour leurs activités immobilières que pour toute autre de leurs activités exercées à titre cette fois « non principal ».
Le législateur est ainsi resté en deçà de sa compétence en ne prévoyant aucune règle permettant d'apprécier l'« objet principal » d'acquisition ou de construction d'immeubles en vue de la location et en n'organisant aucun contrôle des sociétés permettant de vérifier que leurs activités restent conformes à ce critère de l'« objet principal ». Les sociétés exonérées pourront donc exercer des activités éloignées du secteur immobilier tout en bénéficiant d'une exonération spécifique pour leurs activités dans ce secteur, à la différence des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés dans des conditions de droit commun.
Le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer cette rupture d'égalité compte tenu du caractère disproportionné des avantages fiscaux consentis au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.
On notera, en outre, qu'en réservant le bénéfice de ces avantages aux sociétés cotées sur un marché réglementé en France, le législateur a méconnu le droit de propriété, dont la liberté d'investir constitue un des éléments, puisqu'il décourage l'investissement dans les sociétés immobilières cotées sur d'autres marchés réglementés, notamment européens. Le fait de réserver la possibilité de détenir dans un PEA les participations dans de telles sociétés aux seules sociétés cotées en France n'est ainsi pas seulement contraire au principe communautaire de libre circulation des capitaux, mais également à la liberté d'investir qu'il appartient au Conseil constitutionnel de faire respecter.
Sur l'article 27 :
L'article 27 méconnaît les exigences constitutionnelles applicables aux pénalités fiscales.
Le 2 ° du I de cet article modifie l'article 1699 du CGI pour tenir compte de l'abrogation, par le 1 ° de cet article, du droit de licence sur les débits de boissons.
Cette nouvelle rédaction de l'article 1699 reprend cependant le renvoi qui y figurait déjà aux procédures de répression des infractions « prévues pour les impôts visés au titre III de la première partie du livre premier », c'est-à-dire, en clair, aux contributions indirectes et assimilées.
Or, l'article 1791 du CGI prévoit que les infractions aux dispositions du titre III de la première partie du livre Ier donne lieu à des amendes allant de 15 euros à 750 euros ou à des pénalités pouvant aller jusqu'au triple des droits éludés. Ces dispositions qui peuvent, dans nombre de cas, donner lieu, nonobstant les garanties de procédure dont elle sont assorties, à l'application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions qu'elles ont pour objet de réprimer, méconnaissent le principe de proportionnalité des délits et des peines, qui s'applique également aux sanctions fiscales, et sont donc inconstitutionnelles (décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997).
Pour la même raison, le renvoi opéré à ces dispositions par l'article 1699 du CGI dans sa nouvelle rédaction l'est tout autant et il est donc demandé au Conseil constitutionnel de censurer cet article dans cette mesure.
Sur l'article 29 :
En adoptant l'article 29, le législateur a méconnu le principe de non-contraction des recettes et des dépenses rappelé par l'article 18 de l'ordonnance organique et n'a pas exercé pleinement la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Cet article a pour objet de banaliser la situation de France Télécom au regard de la fiscalité locale en mettant fin au dispositif spécifique prévoyant l'affectation à l'Etat de la taxe professionnelle et de la taxe foncière acquittées par cette entreprise.
Le III de l'article précise les modalités de compensation de la perte de recettes fiscales correspondantes pour l'Etat. Cette compensation est essentiellement obtenue par une correction du dispositif de compensation des pertes de recettes des collectivités locales mis en place à l'occasion de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle : les recettes supplémentaires liées à la banalisation de France Télécom sont ainsi imputées sur le montant versé par l'Etat aux collectivités locales au titre de la compensation de la suppression de la part salaires.
Mais le 2 du III de l'article 29 prévoit que, lorsque le montant de cette compensation est inférieur au montant des recettes supplémentaires liées à la banalisation de France Télécom, « le solde est prélevé, au profit du budget général de l'Etat, sur le produit de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle perçu au profit de ces communes ou établissements ». Cette disposition méconnaît à la fois le principe d'universalité rappelé à l'article 18 de l'ordonnance organique et l'article 34 de la Constitution, dès lors qu'en se bornant à définir les modalités de calcul de ce prélèvement sans préciser ses modalités de recouvrement, le législateur n'a pas épuisé sa compétence.
Par la décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a strictement limité l'objet et le champ des prélèvements sur recette, en rappelant que les concours apportés par l'Etat aux collectivités locales en compensation d'exonération, de réductions ou de plafonnements d'impôts locaux constituent en principe des dépenses de l'Etat.
Il a toutefois admis que ces concours puissent donner lieu à un mécanisme de prélèvement sur recettes « dès lors que celui-ci est, dans son montant et sa destination, défini de façon distincte et précise dans la loi de finances, et qu'il est assorti, tout comme les chapitres budgétaires, de justifications appropriées ».
Le Conseil constitutionnel n'a en revanche jamais admis qu'un prélèvement de l'Etat sur les recettes des collectivités locales pouvait venir lui-même en atténuation des recettes prélevées par l'Etat pour le compte des collectivités locales.
Or, c'est pourtant bien ce que prévoit le 2 du III de l'article 29 puisqu'il crée en réalité une nouvelle imposition au profit de l'Etat tout en autorisant la compensation du produit de cette imposition avec les opérations auxquelles donne lieu la perception par l'Etat de recettes au nom de ces collectivités. Cette opération aboutit à ne pas retracer dans le budget général le produit de cette imposition et est donc contraire à l'article 18 de l'ordonnance organique.
En outre, alors que le Conseil constitutionnel a rappelé, notamment par sa décision précitée n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, qu'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les modalités de recouvrement des impositions de toute nature avec une précision suffisante, la disposition critiquée ne comporte à cet égard aucune précision.
On doit d'abord constater que cette disposition institue bien une imposition de toute nature. Il s'agit en effet d'un prélèvement obligatoire mis à la charge de certains redevables, les communes et les EPCI dont le montant de la compensation de part salaires est inférieur aux recettes résultant de la banalisation de France Télécom.
On peut admettre que les modalités essentielles de calcul de la base et du taux de ce prélèvement sont fixées avec suffisamment de précision puisque le 2 du III de l'article 29 précise que ce qui est prélevé au profit du budget général de l'Etat est le solde correspondant à la différence entre les recettes nouvelles des collectivités concernées et le montant de la compensation. Mais aucune indication n'est en revanche donnée sur les modalités de recouvrement de ce prélèvement.
Or, le Conseil constitutionnel a déjà jugé que, en se bornant à désigner l'autorité chargée de procéder au recouvrement d'une imposition de toute nature et à préciser les conditions dans lesquelles la responsabilité solidaire d'un tiers pourrait être engagée, le législateur n'avait pas déterminé avec une précision suffisante les règles relatives au recouvrement de cette imposition (décision n° 98-405 DC précitée). Ici, le Conseil constitutionnel ne pourra que constater que le législateur, en se bornant à préciser que ce prélèvement est effectué sur le produit de certaines taxes perçues par l'Etat au profit des redevables de ce prélèvement, sans préciser par exemple les conditions dans lesquelles ces redevables peuvent être informés du montant de ce prélèvement et éventuellement en contester le bien-fondé ou l'exigibilité, ou encore les conditions dans lesquelles l'Etat peut poursuivre le recouvrement de sa créance lorsqu'il omet de procéder au prélèvement, n'a pas pleinement exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel censurera donc les dispositions du 2 du III de l'article 29 ainsi que l'ensemble du III de cet article qui en est indivisible. En effet, maintenir le principe d'une diminution de la compensation de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle en vue de neutraliser, pour les collectivités locales, l'attribution de l'imposition de France Télécom sans préciser les conditions dans lesquelles cette neutralisation est opérée lorsque la compensation dont bénéficie une collectivité locale est inférieure au montant des recettes supplémentaires qu'elle peut attendre de l'imposition de France Télécom conduirait à traiter différemment des collectivités locales pourtant placées dans une situation identique au regard de l'objet de la loi qui est de banaliser le régime fiscal de France Télécom.
La censure du seul 2 du III porterait atteinte au principe d'égalité, et c'est pourquoi le Conseil constitutionnel censurera l'ensemble du III de l'article 29.
Sur l'article 80 :
L'application rétroactive de l'article 80 porte atteinte à l'exigence constitutionnelle d'assurer une application conforme au principe d'égalité devant les charges publiques des avantages octroyés aux souscripteurs de plan d'épargne logement.
L'article 80 a pour objet de subordonner l'attribution de la prime liée à un plan d'épargne logement aux seuls souscripteurs d'un tel plan qui bénéficient d'un prêt d'épargne logement.
Contrairement à l'article 11, cette disposition nouvelle issue d'un amendement sénatorial n'a pas été adoptée à la suite d'une procédure méconnaissant l'article 39 de la Constitution, puisqu'il ne s'agit pas d'une mesure financière entièrement nouvelle mais seulement de l'adaptation d'une mesure existante. Son II est en revanche contraire à la Constitution compte tenu des modalités d'application rétroactive qui ont été retenues par le législateur.
Le Conseil constitutionnel considère que le législateur ne peut adopter des lois rétroactives qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles (décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998).
S'il était ici loisible au législateur de fixer une date d'entrée en vigueur rétroactive pour cette disposition, il ne pouvait donc le faire qu'en respectant ces exigences. Or, en limitant le caractère rétroactif de la mesure aux seuls comptes ouverts à compter du 12 décembre 2002 sans prendre en considération le cas des versements effectués à compter de cette date sur des comptes ouverts auparavant, le législateur a introduit entre les titulaires de plan d'épargne logement une discrimination injustifiée au regard de l'objet de la mesure. En effet, la prime d'épargne étant proportionnelle à l'effort d'épargne accompli par les titulaires de ces plans, l'application de cette mesure aux seuls plans ouverts à compter du 12 décembre 2002 conduit à traiter différemment les versements effectués après cette date sur les plans ouverts avant cette date, qui continueront d'ouvrir droit à prime même lorsque le titulaire ne bénéficiera pas d'un prêt d'épargne logement, et les versements effectués après cette date sur les plans ouverts après cette date, qui n'ouvriront droit à prime que lorsque le titulaire bénéficiera d'un prêt d'épargne logement.
Le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer l'atteinte ainsi portée au principe d'égalité par cette disposition rétroactive, la discrimination ainsi instituée étant sans rapport avec l'objet de la loi.
Sur l'article 88 :
L'exclusion du champ d'application de la taxe sur les imprimés publicitaires et journaux gratuits instituée par l'article 88 de certains journaux est contraire au principe d'égalité, et en adoptant cette mesure le législateur n'a pas épuisé sa compétence.
L'article 88 institue une taxe annuelle affectée au budget de l'Etat sur les imprimés publicitaires non adressés et journaux gratuits lorsque les personnes ou organismes qui mettent à disposition du public, distribuent ou font distribuer de tels documents ne s'acquittent pas volontairement d'une contribution remise à un organisme agréé en vue de contribuer ou de pourvoir à l'élimination des déchets ainsi produits.
Toutefois, le deuxième alinéa de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement que l'article 88 institue exonère de cette contribution, et donc de la taxe qui doit être versée lorsque cette contribution ne l'est pas, les « quotidiens gratuits d'information générale » ainsi que les « journaux gratuits de petites annonces ».
Cette exonération est contraire au principe d'égalité, puisque, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, si ce principe « ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général », encore faut-il que « les règles qu'il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ».
Or on ne voit pas ce qui justifie, au regard de l'objectif d'élimination des déchets résultant de la distribution de journaux gratuits que poursuivent l'institution de la contribution comme de la taxe, l'exonération des quotidiens d'informations générales et des journaux gratuits de petites annonces, qui sont tout aussi productifs de déchets que les autres journaux gratuits.
En outre, ainsi qu'il a déjà été dit, le Conseil constitutionnel exige du législateur qu'il fixe avec une précision suffisante les modalités de recouvrement des impositions. Ici, le législateur s'est référé aux règles, garanties et sanctions prévues en matière douanière, ce qui ne permet pas de savoir s'il a ainsi entendu se référer aux sanctions fixées par le code des douanes ou à celles fixées par le code général des impôts en ce qui concerne les contributions indirectes que les services de la direction générale des douanes doivent également appliquer. Surtout, si le texte se réfère au code des douanes, alors on ne voit pas comment les dispositions de ce code, qui ne s'appliquent généralement pas à des impôts déclaratifs, pourraient se combiner avec l'exigence d'un recouvrement « concomitamment » comme le dit le texte de façon très imprécise au dépôt d'une déclaration annuelle. En indiquant enfin que cette déclaration est souscrite « au cours du mois de janvier », le législateur n'a pas défini avec une précision suffisante les obligations déclaratives liées à cette taxe, alors que ces obligations déterminent l'applicabilité des sanctions en cas de retard ou de défaut de déclaration.
Le Conseil constitutionnel censurera donc pour toutes ces raisons l'article 88.
Sur l'article 108 :
L'article 108 est contraire au principe de clarté de la loi fiscale comme au principe d'égalité.
Le 1 ° du II de l'article 298 bis du CGI prévoit que les exploitants agricoles « dont les activités sont, par leur nature ou leur importance, assimilables à celles exercées par des industriels ou des commerçants » sont soumis de plein droit à la TVA selon un régime simplifié d'imposition dont les règles sont fixées au I de cet article.
Cette disposition précise que la soumission de plein droit au régime simplifié s'applique « même si ces opérations constituent le prolongement de l'activité agricole ».
L'article 108 ajoute à cette disposition que l'application de plein droit du régime simplifié ne s'applique pas lorsque les opérations en cause entrent « dans les usages habituels et normaux de l'agriculture ».
Dans sa rédaction issue de cette modification, le 1 ° du II de l'article 298 bis impliquera donc l'application de plein droit du régime simplifié de TVA aux opérations présentant par leur nature ou leur importance un caractère industriel ou commercial même lorsqu'elles constituent le prolongement de l'activité agricole sauf lorsqu'elles entrent dans les usages habituels et normaux de l'agriculture... On ne sait à l'issue de cette succession de dispositions contradictoires si cet amendement n'a finalement aucune portée, puisqu'on voit mal comment des opérations assimilables à des activités industrielles ou commerciales pourraient entrer dans les usages habituels et plus encore normaux de l'agriculture, ou si plus probablement l'opacité totale de la portée de cette disposition conduira à de nombreuses difficultés d'application en raison des ambiguïtés auxquelles elle aboutit.
Le Conseil constitutionnel censurera cet article qui porte atteinte au principe constitutionnel de clarté de la loi.