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Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 - Saisine par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003
Non conformité partielle

I. Sur l'absence de sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003
I.1. Sur les articles 8 et 9
L'article 8 de la loi déférée établit pour l'année 2003 les prévisions de recettes, par catégorie, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement. Quant à l'article 9, il fixe pour 2002 les prévisions révisées de recettes par catégorie, de l'ensemble des régimes obligatoires créés pour concourir à leur financement.
Ces articles doivent être analysés comme présentant des prévisions irréalistes, conduisant, dès lors, à ce que la loi en cause méconnaisse le principe constitutionnel de sincérité tel qu'il s'impose, selon les termes de votre jurisprudence, aux lois de financement de la sécurité sociale (Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, considérants 16 à 19 ; Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, considérants 5 et 6).
Certes, votre jurisprudence ne paraît envisager de censure que dans l'hypothèse d'une erreur manifeste d'appréciation, dans la mesure, notamment, où existent des aléas inhérents à de telles évaluations ainsi que des incertitudes particulières relatives à l'évolution de l'économie dans certaines périodes (Décision du 18 décembre, précitée, considérant 6). Il faut donc en déduire que dans le cas où le gouvernement et le Parlement disposent d'informations objectives et rationnelles dont ils ne tiennent volontairement pas compte pour fixer les prévisions pertinentes, l'erreur manifeste ne peut qu'être relevée, avec toutes conséquences.
Il se trouve qu'en l'occurrence, l'erreur manifeste d'appréciation ne peut faire de doute. Elle résulte d'un faisceau d'indices éclairé par les propres déclarations et énonciations du gouvernement qui, face aux évolutions de l'économie nationale comme mondiale, a sciemment sous-estimé le ralentissement de la croissance avec toutes ses conséquences sur l'évolution de la masse salariale et, partant de là, sur les comptes sociaux.
Ainsi, le gouvernement se fonde sur une base de croissance de 2,5 % du produit intérieur brut pour l'année 2003. Pourtant, il est acquis que les résultats économiques dûment constatés depuis le début de l'année civile 2002, et particulièrement ceux du troisième trimestre, ont conduit le même gouvernement, par la voix du ministre de l'économie et des finances, à nuancer cette estimation. Autrement dit, le chiffre de la croissance retenu pour fonder l'équilibre des finances sociales du pays est désormais minoré, et en tout état de cause, pour demeurer une hypothèse souhaitable, n'est absolument pas réaliste.
La même estimation erronée doit être constatée s'agissant des prévisions de recettes révisées que porte l'article 9. Il est patent que cet article n'intègre aucune des évolutions économiques constatées au troisième trimestre de l'année 2002.
Il ne s'agit donc plus de prévisions rationnellement déterminées, mais d'une approche ignorant volontairement les évolutions probables voire déjà constatées. En l'espèce, il ne s'agit pas de prévisions soumises à des aléas inhérents à l'exercice ou aux incertitudes particulières. Cette loi de financement, d'ailleurs présentée comme étant de transition, est fondée sur des estimations qui font l'impasse sur l'évolution de la croissance revue à la baisse au regard des informations tangibles dont disposent les experts.
Cette analyse est illustrée par, au moins, deux éléments.
D'une part, le gouvernement a présenté, dans le cadre de la discussion au Sénat du projet de loi de finances pour 2003, un amendement (n° I-225) destiné à revoir à la baisse les prévisions de recettes pour un montant de 700 millions d'euros. Dans le même ordre d'idée, il apparaît que le projet de loi de finances rectificative pour 2002, adopté lors du Conseil des Ministres du 20 novembre 2002, admet que par rapport aux évaluations révisées pour l'année 2002 et associées au projet de loi de finances pour 2003, les recettes fiscales nettes devraient enregistrer une moins value estimée à 1,5 milliard d'euros.
Il résulte de ces éléments chiffrés et objectifs que les estimations reprises par les articles 8 et 9 de la loi critiquée se fondent sur des hypothèses nécessairement erronées car ne prenant pas en compte les informations disponibles sur l'état de l'économie nationale.
D'autre part, il est patent que le gouvernement ne cherche à masquer cette insincérité que pour la forme. Pour s'en convaincre encore plus, il suffit de se reporter au Rapport sur les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale figurant en annexe à la présente loi. Le point 5.1. de ce rapport est, en effet, très éclairant. Intitulé « S'engager pour la crédibilité des objectifs », ce paragraphe est l'occasion pour le gouvernement de prendre « l'engagement de présenter au Parlement au début du mois de mai un projet de loi de financement rectificative, au cas où les prévisions de recettes et de dépenses effectuées dans le cadre de la commission des comptes de printemps montreraient un décalage significatif avec les objectifs fixés dans la loi de financement pour 2003 » (page 36 du Rapport annexé).
Cette présentation constitue une annonce préalable, sans portée normative, des évolutions réelles et déjà connues des prévisions critiquées, et donc, implicitement mais nécessairement, montre que le gouvernement n'ignore rien du caractère irréaliste des chiffres sur lesquels il fonde les mesures portées par ce texte. L'insincérité ne peut pas être plus flagrante qu'au travers l'annonce d'une loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour pallier aux insuffisances qui interviendront en raison de cette sur-estimation de la croissance ; sur-estimation dont on ne peut plus douter qu'elle est sciemment organisée.
On ne se laissera pas surprendre, à cet égard, par la formulation du rapport précité qui sonne comme un écho direct à votre jurisprudence selon laquelle il appartiendrait au gouvernement, si les conditions de l'équilibre financier des régimes obligatoires de bases de la sécurité sociale étaient remises en cause, de soumettre au Parlement les ajustements nécessaires dans une loi de financement rectificative (Décision du 18 décembre 2001, considérant n° 6, préc.).
On voit trop bien que ce faisant, le gouvernement tente, par avance mais vainement, d'éviter une censure pour violation du principe de sincérité. La réalité est simple : le gouvernement sachant que les chiffres servant de base à la loi critiquée sont manifestement erronés, prépare le terrain pour une loi de financement rectificative. La manoeuvre est habile mais, paradoxalement, éclaire l'erreur commise quant aux prévisions fixées par les articles 8 et 9 en cause. Dans ces conditions, la reconnaissance par le gouvernement d'une moindre croissance pour 2002 confirme le caractère irréaliste de sa prévision initialement annoncée pour l'année 2003, et partant de là, de l'évolution de la masse salariale pour cette même année.
L'invalidation pour manquement au principe de sincérité est donc inévitable.
I.2. Sur les articles 32, 33 et 34
Il en va de même concernant les articles de la loi fixant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ci-après : ONDAM). Objectif que vous soumettez également à votre contrôle au titre du principe de sincérité (Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, cons. 45 et 46).
Or, il ne peut faire de doute que cet objectif est, au cas présent, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
La progression proposée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 est de 5,3 % par rapport à l'année 2002. Il s'agit d'un taux de progression inférieur à la progression réelle, et constatée, des dépenses d'assurance maladie enregistrée au cours des trois dernières années. Pour 2000 et 2001, celle-ci a été de 5,6 % et de 7,2 % pour 2002. Le rapporteur au Sénat reconnaît, à cet égard, que le taux de l'ONDAM retenu pour 2003 est sensiblement inférieur à celui constaté pour 2002 (Sénat, Rapport de Monsieur Alain Vasselle, n° 58, page 72). Le gouvernement a donc fixé un objectif dont il sait, et notamment au regard des causes structurelles de la croissance des dépenses de santé également constatées dans les pays de l'OCDE, qu'il sera dépassé. Monsieur le Ministre de la Santé n'en fait pas mystère si l'on veut bien comprendre le sens à peine caché de ses déclarations, lors de son audition devant la Commission des affaires culturelles familiales et sociales de l'Assemblée Nationale (Assemblée Nationale, Rapport n° 330, Tome I, 2ème partie, page 25).
En outre, et à cette occasion, monsieur le ministre de la santé a pris soin d'indiquer qu'un « collectif sanitaire et social » sera présenté au premier semestre 2003 en cas d'écart significatif entre les prévisions et les objectifs annoncés (Rapport, n° 330, idem). Présentée au terme d'un raisonnement insistant sur la croissance structurelle des dépenses de santé, une telle annonce démontre que le gouvernement sait avoir déterminé un taux de progression de l'ONDAM particulièrement irréaliste.
Dans ces conditions économiques, sociales et structurelles connues et reconnues, le gouvernement, en déterminant un taux de progression pour 2003 inférieur de près de 2 % à celui constaté pour l'année 2002, a donc fixé sciemment un ONDAM certes « souhaitable » mais non sérieux (voir Audition de monsieur le Ministre, Rapport précité, page 25).
Il est d'autant moins sérieux que la loi querellée ne comporte aucune mesure de nature à maîtriser lesdites dépenses d'assurance maladie. Comme le gouvernement l'a énoncé et revendiqué, il s'agit d'une loi de transition. Dans ces conditions, on comprend qu'il n'y a aucune disposition de nature à modifier sérieusement la structure des dépenses de santé, prises en ses différents agrégats, et donc aucune raison objective et rationnelle pour que la croissance structurelle de ces dépenses puisse diminuer par rapport à 2002. La minoration de l'évolution de l'ONDAM est donc consciente et ne peut être admise.
De tous ces chefs, la méconnaissance du principe de sincérité est certaine.

II. Sur l'article 4 bis
Cet article prévoit une cotisation spéciale assise sur les bières dites fortes, en « raison des risques que comporte l'usage immodéré de ces produits pour la santé ». Une telle sur-taxation méconnaît le principe d'égalité dès lors qu'elle aboutit à traiter différemment des produits se trouvant objectivement dans une situation semblable au regard du but poursuivi par la loi.
La lutte contre l'alcoolisme et ses ravages mérite une action incessante et la plus vigoureuse possible, mais ne saurait conduire à servir de prétexte à une mesure dont la finalité semble quelque peu étrangère au but de santé publique tel qu'affiché. Il apparaît, en effet, à la lecture du motif figurant dans la loi que les bières destinées à subir la sur-taxation dont il s'agit ne sont pas dans une situation particulière au regard des risques d'alcoolisme. Ainsi, quand l'article critiqué indique que cette cotisation supplémentaire est perçue « en raison des risques que comporte l'usage immodéré de ces produits pour la santé », il est permis de dire que l'usage immodéré de toute boisson alcoolique entraîne non seulement un risque d'ivresse immédiat, mais également un risque de dépendance à ce type de substance, et de comportements dangereux tels ceux liés à la conduite automobile.
En outre, force est d'admettre qu'une bière titrant un degré d'alcool de 6 ou 7 degré consommé de façon immodéré produira les mêmes effets que ceux visés par l'article critiqué. De surcroît, le risque est grand, pour ne pas dire certain, que cette mesure par son effet mécanique, voulu, de renchérissement du coût d'achat des produits visés entraîne un glissement de consommation vers des produits moins onéreux et dont les conséquences sur la santé, et en particulier celle des jeunes, sera aussi préjudiciable. On peut même considérer que la consommation de boissons dont le degré d'alcool est moins fort conduit à une consommation plus importante aux fins de trouver les sensations que certains cherchent au travers de ces boissons.
Les travaux parlementaires ont montré que le but recherché n'était pas celui indiqué dans l'article critiqué, y compris par le vote d'un sous-amendement à l'Assemblée Nationale tendant à exonérer de cette cotisation les bières de même caractéristique mais de production locale. Certes cet amendement a disparu au cours de la navette, mais il illustre la volonté qui se trouve derrière cette disposition. Encore une fois, pour les auteurs de la saisine, la lutte contre ce fléau que représente l'alcoolisme mérite mieux qu'une telle mesure.
De ces chefs, la censure ne pourra qu'intervenir.

III. Sur l'article 27
L'article présentement critiqué a pour objet d'organiser un régime de remboursement du médicament selon des modalités particulières. Désormais, l'assuré social bénéficiera d'un remboursement sur la base d'un tarif forfaitaire, encore appelé « tarif de responsabilité », destiné, prétend-on, à responsabiliser les assurés sociaux. Si la maîtrise des dépenses de santé repose, et nul n'en disconvient, sur la responsabilisation de l'ensemble des intéressés, y compris donc des assurés sociaux et par la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse d'éducation à la santé, il demeure qu'une telle mesure méconnaît les dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 au titre duquel le droit à la santé est garanti pour tous et ensemble le principe de solidarité qui va de pair, et partant de là, le principe d'égalité.
Votre jurisprudence a eu l'occasion de faire application de ces normes de valeur constitutionnelle. A plusieurs reprises, vous avez rappelé la prévalence du principe de protection de la santé publique (pour exemple : Décision n° 89-269 DC,
25 et 26 ; Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 ). Apparaît éclairante, à cet égard, la décision aux termes de laquelle, vous avez jugé que s'il incombe aux autorités législatives et réglementaires de mettre en oeuvre ce droit, cela n'exclut pas, cependant, le recours à une convention pour régir les rapports entre les caisses primaires d'assurance maladie et les médecins, car cela « vise à diminuer la part des honoraires à la charge des assurés sociaux » (Décision n° 89-269 DC). Comme a pris soin de le relever le Conseil d'Etat dans son rapport de 1998 sur le droit à la santé, « en définitive, si l'on souhaite évoquer un droit à la santé, il faut l'entendre comme principe d'égalité devant le service public de la santé » (Conseil d'Etat, Rapport public pour 1998, page 239). La cohérence des 10ème et 11ème alinéa du Préambule de 1946 tisse entre le droit à la santé et le droit à la protection sociale, un lien fondé sur l'égalité de tous devant la loi.
Le mécanisme proposé, derrière sa présentation en trompe l'oeil, ne pourra que conduire à mettre en oeuvre une logique comptable de moindre remboursement, dont l'un des résultats sera de ne plus garantir un égal accès aux soins. Le tarif dit de responsabilité placera les assurés sociaux dans une situation dont ils ne maîtriseront pas les paramètres objectifs. Ainsi, et pour exemple, il importe de s'interroger sur la situation d'un assuré social à qui son médecin traitant n'aura pas prescrit de générique et à qui le pharmacien n'aura pas proposé de produit de substitution par rapport au médicament princeps dont il demande délivrance en vertu de la prescription du praticien.
Suivant la logique de l'article critiqué, l'assuré social sera remboursé sur la base du forfait alors même que ni sa volonté de surconsommation ni son refus de bénéficier d'un produit générique à moindre coût ne seront en cause. Autrement dit dans cette hypothèse, c'est l'assuré social qui, sans disposer des moyens pour y pallier, devra supporter concrètement un moindre remboursement au titre de sa médication.
Implicitement, cette logique qui fait de l'assuré social la variable d'ajustement de cette politique du médicament est décrite par monsieur le rapporteur pour la branche maladie, lorsqu'il écrit dans son rapport que « le succès de la mesure repose en partie sur l'information conjointe et détaillée des trois acteurs concernés : le prescripteur, le pharmacien et le patient » (Rapport précité, page 81). La morale de cette triste fable est que si le prescripteur et le pharmacien viennent à manquer à leur devoir d'information, il reviendra au patient d'en subir les conséquences.
Il est vrai, d'autre part, que monsieur le ministre de la santé a indiqué lors des débats que « nous nous acheminons vers le forfait générique et l'automédication », ajoutant « qu'il faut responsabiliser les gens qui choisissent un médicament au SMR [service médical rendu] suffisamment intéressant pour qu'ils le prennent mais pas suffisamment pour que la solidarité nationale s'exerce » (Assemblée Nationale, 1ère séance du 30 octobre 2002). On voit poindre ici les méandres du mécanisme critiqué. Comme il existerait, selon certains parlementaires, des petits risques et des risques lourds, et donc des modalités de prise en charge différentes, il y aurait des médicaments intéressants pour le patient mais pas au point que la solidarité nationale intervienne !
Une solidarité nationale à deux vitesses n'est pas compatible avec les principes tels qu'énoncés par les 10ème et 11ème alinéa du Préambule, et ensemble avec le principe d'égalité.
De tous ces chefs, l'invalidation ne manquera pas d'intervenir.

IV. Sur le domaine des lois de financement de la sécurité sociale
La loi critiquée comprend plusieurs dispositions qui, à l'évidence, sont hors du champ de la loi de financement de la sécurité sociale telle que défini par le quatrième alinéa de l'article 34, par le premier alinéa de l'article 47-1 de la Constitution, et en application de ces règles constitutionnelles, par la loi organique. En particulier, les articles 2, 11, 16, 25 et 38 ne sauraient figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale.
IV.1. Sur l'article 2
Cet article prévoit que le gouvernement transmet chaque année au Parlement, au plus tard le 15 octobre, un rapport analysant l'évolution, au regard des besoins de santé, des soins financés au titre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie.
La jurisprudence considère que seule la loi organique peut déterminer les rapports qui doivent être annexés au projet de loi de financement de la sécurité sociale, et invalide, par exemple, une disposition prévoyant un rapport sur l'état de santé bucco-dentaire de la population joint à une annexe au projet de loi (Décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, considérant n° 20). Pareillement, vous avez censuré la disposition prévoyant que dans un délai de trois mois, le gouvernement présente au Parlement un rapport exposant les conditions dans lesquelles les techniciens de laboratoires pourraient être classés en catégorie B active de la fonction publique hospitalière (Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, cons. n° 86).
Au cas présent, il est certain que le rapport dont il s'agit ne peut figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale. Le caractère inconstitutionnel de la disposition n'a pas échappé au rapporteur pour la branche assurance maladie et accidents du travail (Assemblée Nationale, Rapport n° 330, Tome II, page 41). Certes, pour tenter d'éviter la censure, l'article en cause a transformé ce rapport non pas en annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont le nombre et le contenu sont limités par les I et II de l'article L.O. 111-4, mais en « simple rapport ».
Le subterfuge ne pourra, cependant, pas tromper dès lors que le rapporteur admet lui-même le caractère artificiel de ce procédé purement rédactionnel, et que, surtout, il apparaît que ce rapport doit être remis à la même date, le 15 octobre de chaque année, que le projet de loi de financement de la sécurité sociale y compris le rapport et les annexes mentionnées au I et II de l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale.
C'est dire que cet article 2 a été introduit dans la loi critiquée en connaissance de cause de sa contrariété à la Constitution. La circonstance que le rapporteur suggère de modifier la loi organique sur ce point, ne sera pas de nature à faire échapper la disposition en cause à la censure.
IV.2. Sur l'article 11
L'article 11 pris en son paragraphe II modifie l'article 1er de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public.
Il est peu de dire que cette disposition est parfaitement étrangère au champ des lois de financement de la sécurité sociale tel que défini, en particulier par l'article L.O. 111-3 pris en ses
I et III du code de la sécurité sociale.
On ne voit pas, en réalité, en quoi le fait d'exclure de la catégorie des documents administratifs communicables au public les documents préalables à l'élaboration du rapport d'accréditation des établissements de santé prévu à l'article L. 6113-6 du code de la santé publique et les rapports d'audit des établissements de santé mentionnés à l'article 40 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, concerne les orientations de la politique de santé dans ses différentes dimensions, l'information et le contrôle du Parlement ou bien encore l'équilibre financier des régimes obligatoires de base.
Au contraire, on est tenté de voir là une restriction aux droits des citoyens d'accéder aux informations relatives à la définition et à la mise en oeuvre des politiques publiques. Cette restriction non fondée quant à la liberté d'accès aux documents administratifs est, par ailleurs, en contradiction avec la volonté affichée de responsabiliser les assurés sociaux. Le principe de transparence de l'action administrative et le droit à l'information des citoyens s'en trouvent donc méconnus, et l'invalidation est certaine.
IV.3. Sur l'article 16
Cet article prévoit que le ministre chargé de la sécurité sociale, lorsqu'il approuve les accords, conventions, annexes et avenants mentionnés aux articles L. 162-1-13, L. 162-14-1 et L. 162-14-2 du code de la sécurité sociale, adresse aux commissions compétentes du Parlement un rapport sur la cohérence de ces actes avec l'objectif prévu au 4 ° du I de l'article L.O. 111-3, et transmet copie de ce rapport au conseil de surveillance de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés.
De telles dispositions, dont l'utilité en terme d'information ne sauraient être niées, ne trouvent cependant pas leur place dans la loi de financement de la sécurité sociale. En particulier, on relèvera que le second alinéa de l'article critiqué, organisant la transmission du rapport du ministre au Conseil de surveillance de la Caisse nationale, ne concourt en rien à l'amélioration du contrôle du Parlement sur les lois de financement ni davantage à l'équilibre financier des régimes de bases obligatoire.
Alors qu'il est question de nouvelle gouvernance sociale - notion dont on ignore ce qu'elle recouvre de plus satisfaisant que les principes démocratiques - une telle disposition semble donc anticiper sur des évolutions dont on ne peut assurer qu'elles garantiront, à l'avenir, le rôle du Parlement en la matière. Le fait que la rédaction finale de cet article prévoit la transmission au Parlement dudit rapport, ne doit pas faire de doute sur l'intention à l'origine de la disposition.
Là encore, à l'instar de l'artifice rédactionnel prévu à l'article 2, cette rédaction ne fait pas davantage entrer cet article 16 dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale.
IV.4. Sur l'article 25
Cet article a pour objet de prolonger le délai pour la signature des conventions tripartites par les établissements assurant l'hébergement des personnes âgées dépendantes, reportant la date limite du 31 décembre 2003 au 31 décembre 2006.
Or, cette prorogation ne peut entrer ni dans les dispositions du
I de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale prévoyant que la loi de financement dispose pour chaque année les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses, ni dans celles du II du même article au titre de l'amélioration du contrôle du Parlement ou de l'équilibre financier des régimes obligatoires.
Ce report n'entre pas, à l'évidence, dans les prévisions du I de l'article L.O. 111-3 précité puisque n'ayant pas d'incidence sur les objectifs pour la seule année à venir. Il ne saurait satisfaire davantage à l'exigence d'une incidence significative sur l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. C'est ainsi que vous avez jugé qu'une disposition figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 mais n'ayant d'effet direct que sur l'équilibre financier de 2003 était un cavalier social (Décision n° 99-422 DC, considérant 32 à 34, Rec. page 143).
La mesure en cause ne peut donc figurer dans la loi.
IV.5. Sur l'article 38
L'article 38 de la loi critiquée est présenté comme organisant l'autonomie du fonctionnement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de l'assurance maladie. En particulier, il est proposé par le paragraphe II de faire désigner les membres de la commission des accidents du travail directement par les organisations syndicales et patronales représentatives.
De telles prescriptions ne peuvent cependant trouver leur place dans le cadre de la loi de financement pour la sécurité sociale dès lors qu'elles n'entrent pas dans les prévisions du
I de l'article L. O. 111-3 ni dans le cadre du III de cet article, puisqu'elles n'améliorent pas le contrôle du Parlement sur la mise en oeuvre de la loi de financement et n'affectent pas de manière significative l'équilibre financier des régimes de bases.
En réalité, il s'agit de permettre la désignation des membres de la commission en question sans lien avec le conseil d'administration de la Caisse Nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Il faut mesurer, à cet instant, que derrière l'idée d'autonomisation de gestion de cette branche, avance masquée la fin du paritarisme telle que garanti par la loi. Si on voit mal le lien avec la loi de financement de la sécurité sociale, on comprend, en revanche, le risque de remise en cause des fondements de la protection sociale telle que conçue au titre d'un véritable consensus national.
Ce lien est si peu existant que monsieur le rapporteur devant l'Assemblée Nationale ne s'embarrasse pas de fioritures pour indiquer le but exact de cette mesure. Précisant que ces nouvelles modalités de désignation des membres de la commission des accidents du travail se fera désormais sans lien quelconque avec le conseil d'administration de la CNAM, il ajoute que « cela devrait permettre au MEDEF, qui a quitté ledit conseil d'administration en septembre 2001 et donc par voie de conséquence la commission des accidents du travail, de réintégrer cette commission sans siéger de nouveau à la CNAM » (Rapport, AN, n° 330, T.I. 3ème partie, page 97). Le masque tombe.
On ne saurait être plus clair, ni énoncer plus sincèrement le détournement de procédure en cours.
Il serait vain pour le gouvernement d'invoquer, à cet égard, le précédent de l'article 75 de la loi de financement pour 2002 qui réformait les missions et modes de gestion de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale et que vous avez validé (Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, considérant 75). Dans cette occurrence, il s'agissait de rendre possible la poursuite de négociations ayant des incidences directes sur la rémunération des personnels de ces caisses puisque permettant de reprendre les négociations collectives interrompues du fait de certains dirigeants. Au cas présent, rien de tel et nul blocage n'empêche la commission des accidents du travail d'oeuvrer. L'aveu du rapporteur lui-même montre assez bien que l'équilibre financier de la sécurité sociale ne saurait être significativement affecté par cet article.
La censure est donc certaine.