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Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 - Observations complémentaires du gouvernement

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003
Non conformité partielle

I / Sur l'article 2
A/ L'article 2 de la loi déférée prévoit la création d'une délégation parlementaire dénommée Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé. Composé de douze députés et douze sénateurs, l'office a pour mission d'informer le Parlement des conséquences des choix de santé publique.
Selon les parlementaires requérants, la création de l'office priverait les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat de l'une de leurs missions et serait étrangère au domaine d'intervention des lois de financement de la sécurité sociale.
B/ Cette argumentation n'est pas fondée.
En premier lieu, la critique selon laquelle la création de l'office priverait les commissions permanentes des assemblées de certaines de leurs missions ne résiste pas à l'examen. L'article 2 de la loi déférée n'a ni pour objet ni pour effet de substituer une nouvelle délégation parlementaire aux six commissions permanentes mentionnées à l'article 43 de la Constitution, qui demeurent exclusivement compétentes pour ce qui touche à la procédure législative elle-même. Il se borne à ajouter à la liste des délégations parlementaires déjà instituées, résultant notamment de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 plusieurs fois modifiée, un office destiné à éclairer les assemblées sur les conséquences des choix de santé publique.
En second lieu, s'ils ne sont à l'évidence pas réservés aux lois de financement de la sécurité sociale, ces choix de politique de santé publique s'effectuent notamment dans ce cadre.
D'une part, en effet, les lois de financement de la sécurité sociale ont pour objet, ainsi que le prévoit le 1 ° du I de l'article L.O 111-3 du code de la sécurité sociale, d'approuver les orientations de la politique de santé. Ces orientations sont contenues dans le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale conformément à l'article L.O. 111-4 du même code.
D'autre part, les lois de financement de la sécurité sociale concourent directement ou indirectement à la mise en oeuvre des politiques de santé, par l'effet des dispositions qu'elles comportent et qui s'appliquent à la branche maladie ou qui sont relatives à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), que ce soit, par exemple, dans le domaine du médicament, de l'accès aux soins - en ville et dans le secteur hospitalier -, de la prévention ou de la thérapeutique. Peu des mesures prises par le législateur dans le cadre d'une loi de financement de la sécurité sociale, en raison de leur incidence directe sur l'équilibre financier des régimes obligatoires de base et qui affectent l'assurance maladie, sont dépourvues de portée sanitaire. Le caractère annuel et le contenu des lois de financement de la sécurité sociale en font un instrument privilégié de mise en oeuvre des politiques de santé.
Il est donc légitime que le Parlement décide de se doter d'un instrument lui permettant d'apprécier la validité des décisions et objectifs pris dans le domaine de la santé dans le cadre, en particulier, des LFSS. Ces politiques se prêtant extrêmement difficilement à un contrôle, stricto sensu, de leur application, c'est par le biais de l'évaluation que le Parlement peut satisfaire à la mission qui lui est dévolu par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
L'ensemble des informations qui seront ainsi fournies lui permettront L'Office parlementaire créé par les dispositions de l'article 2 constituera pour le Parlement un outil lui permettant de contrôler par lui-même les conséquences, sur le plan sanitaire, des choix opérés dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi ces dispositions permettront-elles, conformément aux dispositions du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, d'améliorer, sous cet aspect, le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

II/ Sur l'article 59
A/ L'article 59 fixe à 60 %, pour l'année 2003, la part prise en charge par la Caisse nationale des allocations familiales des dépenses mentionnées au 5 ° de l'article L.223-1 du code de la sécurité sociale. Il s'agit des dépenses supportées par le Fonds de solidarité vieillesse au titre des majorations de pension accordées en fonction du nombre d'enfants, prévues au a) du 3 ° et au 6 ° de l'article L.135-2 du même code.
L'article L.223-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, prévoit le versement par la Caisse nationale d'allocations familiales au Fonds de solidarité vieillesse d'un montant égal aux dépenses de celui-ci au titre de ces majorations de pension. L'article 59 de la loi déférée a pour effet de limiter à 60 % de ce montant la part effectivement prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales en 2003. Cette part, tout en restant inférieure à celle qui découlerait de la pleine application des seules dispositions de l'article L.223-1 du code de la sécurité sociale, sera ainsi supérieure à celle qu'ont prévue, à hauteur de 15 % pour 2001 et 30 % pour 2002, respectivement, le III de l'article 21 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 puis l'article 60 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
Les auteurs du recours soutiennent qu'en portant à 60 % la part du coût des majorations de pension accordées en raison du nombre d'enfants prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales, le législateur aurait méconnu les termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lesquels la Nation « assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Ils font valoir à cet égard que, par son ampleur, le transfert de charges opéré menacerait « l'équilibre de gestion des branches concernées ». Ils soutiennent également que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité.
B/ Ces critiques ne sont pas fondées.
1) Le Conseil constitutionnel a, par ses décisions n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 et n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, jugé que le principe de la prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales du coût des majorations de pensions accordées en fonction du nombre d'enfants n'était pas contraire à la Constitution.
Il a, en particulier, été relevé que les majorations de pensions pour enfants devaient s'analyser comme « un avantage familial différé qui vise à compenser, au moment de la retraite, les conséquences financières des charges de famille », ce qui a conduit le Conseil à écarter le grief tiré d'une atteinte à l'autonomie des branches de la sécurité sociale. D'ailleurs, le Conseil, tout en relevant que l'existence de branches de la sécurité sociale est reconnue par une norme de rang organique, a précisé que l'autonomie financière des branches ne constitue pas par elle-même un principe de valeur constitutionnelle.
2) La décision du 18 décembre 2001 a certes posé une limite aux transferts de ressources et de charges entre branches, qui ne doivent pas être « tels qu'ils compromettraient manifestement la réalisation de leurs objectifs et remettraient ainsi en cause tant l'existence des branches que les exigences constitutionnelles qui s'attachent à l'exercice de leurs missions ».
Mais, en l'espèce et à l'évidence, il ne peut être sérieusement soutenu que la réalisation des objectifs de la branche famille, voire son existence, serait compromise ou que seraient remises en cause les exigences constitutionnelles qui s'attachent à l'exercice de ses missions, dès lors que l'équilibre financier de cette branche n'est pas menacé.
En effet, le rapport adopté en septembre 2002 par la commission des comptes de la sécurité sociale a prévu en 2003 pour la Caisse nationale d'allocations familiales, à laquelle incombe l'intégralité des dépenses de la branche, des dépenses d'un montant de 46,290 milliards d'euros et des recettes de 47,965 milliards d'euros, soit un solde positif de 1,675 milliards d'euros. Ces prévisions incluent la prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales de 30 % du coût des majorations de pension pour enfants, soit 945 M euros. L'article 59 de la loi déférée a pour effet d'accroître cette charge de 945 M euros, et ainsi de réduire à 730 M euros l'excédent des comptes de la Caisse nationale d'allocations familiales en 2003. Mais, compte tenu aussi des effets de l'article 58 de la loi déférée, dont les dispositions prévoient la création d'une allocation forfaitaire par enfant à la charge de la Caisse nationale d'allocations familiales, et de l'article 14, prévoyant un versement de la Caisse de remboursement de la dette sociale à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale au profit, notamment, de la Caisse nationale d'allocations familiales, l'excédent devrait s'élever en définitive à 912 M euros. Le coût total des majorations de pension pour enfants pris en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales représentera un peu moins de 4 % des dépenses de la Caisse.
3) Enfin, si le Conseil constitutionnel a vérifié, à l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, que le transfert de charges critiqué ne portait pas atteinte, eu égard à son montant, « à l'égalité entre familles selon qu'elles élèvent des enfants ou qu'elles l'ont fait dans le passé » (décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001), cette décision n'a pas aux yeux du Gouvernement la portée que lui prêtent les députés auteurs de la saisine.
L'importance du transfert par rapport au coût total des majorations de pension, exprimée en pourcentage de ce coût, n'a pas d'incidence sur la situation relative des familles qui élèvent des enfants, bénéficiaires des allocations familiales, et des familles ayant élevé des enfants, bénéficiaires, à leur retraite, des majorations de pension. Elle n'affecte, en effet, par elle-même ni le principe ni le montant des prestations servies à ces deux catégories de familles.
Ce n'est que dans le cas où le financement des majorations de pension, comparé à l'ensemble des dépenses de la branche famille, mobiliserait les ressources de la branche famille au profit des familles ayant élevé des enfants à un point tel que devraient être réduites les prestations servies aux familles élevant des enfants, que l'on pourrait envisager que soit méconnue l'égalité entre ces deux catégories de familles.
Or, comme on l'a vu, la prise en charge des majorations pour enfants ne représentera en 2003 que 4 % des dépenses de la Caisse nationale d'allocations familiales, et les comptes de la Caisse resteront excédentaires de 912 M euros, en dépit de l'accroissement de cette prise en charge par rapport à l'année précédente. Le niveau des prestations servies aux familles bénéficiant des prestations de la branche famille, qui est encore amélioré par les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, n'est ainsi pas affecté par l'article 59 de la loi déférée. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne pourra qu'être écarté.

Le Gouvernement estime ainsi qu'aucun des griefs articulés par le mémoire complémentaire des députés saisissants n'est de nature à justifier la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions déférées.