Décision n° 2002-459 DC du 22 août 2002 - Observations du gouvernement
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre l'article 3 de la loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise, adoptée le 1er août 2002.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
A/ L'article 3 de la loi, issu d'un amendement présenté en première lecture par le Gouvernement devant le Sénat, a complété les dispositions de l'article L 351-14 du code du travail afin de permettre de financer l'allocation d'assurance chômage versée aux salariés relevant des professions de la production cinématographique, de l'audiovisuel ou du spectacle involontairement privés d'emploi par une contribution spécifique supplémentaire à la charge des employeurs et des salariés, dans les conditions déterminées par un accord conclu en vertu de l'article L 351-8 du code du travail.
Cette disposition, qui autorise la perception de la contribution spécifique à compter du 1er septembre 2002, est applicable à l'accord relatif à l'assurance chômage des intermittents du spectacle qui a été conclu le 19 juin 2002 et qui est aujourd'hui soumis à l'agrément du ministre chargé de l'emploi.
A l'appui de leur recours, les députés font valoir que la disposition contestée aurait été adoptée en méconnaissance des articles 39 et 44 de la Constitution, parce qu'elle serait dépourvue de tout lien avec l'objet du projet de loi qui était soumis au Parlement.
B/ Cette argumentation ne pourra qu'être écartée.
1/ Il sera rappelé, d'une part, que l'invocation de l'article 39 de la Constitution est inopérante à l'égard d'une disposition résultant d'un amendement déposé par le Gouvernement, avant la réunion de la commission mixte paritaire. Le Gouvernement se borne, dans un tel cas, à exercer un droit qu'il tient de l'article 44 de la Constitution (décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002).
Il résulte, d'autre part, des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement peut s'exercer à chaque stade de la procédure législative, sous réserve des dispositions particulières applicables après la réunion de la commission mixte paritaire. Les adjonctions et modifications apportées au texte en cours de discussion ne peuvent toutefois être dépourvues de tout lien avec l'objet du texte soumis au Parlement.
On peut relever que la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a cessé d'impartir à l'exercice du droit d'amendement des limites supplémentaires, tenant à l'ampleur intrinsèque des adjonctions ou modifications apportées au texte initial (voir la décision n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 et la décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002, revenant sur la décision n°86-225 DC du 23 janvier 1987). La jurisprudence s'en tient désormais à la seule condition selon laquelle une disposition résultant d'un amendement ne doit être dépourvue de tout lien avec le texte en discussion, condition qui est appréciée souplement.
Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il, par exemple, admis l'existence d'un lien, dans le domaine social, entre des dispositions relatives à la cessation d'activité des agents publics et la détermination de leurs droits à pension avec un projet de loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, alors même que ces agents ne relèvent pas du régime des assurances sociales (décision n°90-287 DC du 16 janvier 1991).
2/ En l'espèce, la disposition critiquée de l'article 3 n'est pas dépourvue de tout lien avec l'objet ou les autres dispositions de la loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise.
Les principales dispositions de la loi déférée ont pour objet de mettre en place un dispositif spécifique susceptible de favoriser l'accès à l'emploi d'une catégorie particulière de la population active. Ce dispositif, adapté aux difficultés auxquelles se heurtent certains jeunes en raison de leur âge et de l'absence de diplôme, vise à leur permettre d'obtenir un emploi stable et un revenu suffisant.
La mesure adoptée à l'article 3 de la loi vise également à permettre un meilleur accès à un emploi stable et à un revenu suffisant pour une catégorie particulière de la population active. Les obstacles que l'on cherche à lever sont certes d'une nature différente. Mais la consolidation du régime interprofessionnel d'assurance chômage et la pérennisation en son sein d'un dispositif d'indemnisation dérogatoire au profit des professions du spectacle, de la production cinématographique et de l'audiovisuel sont au nombre des éléments qui permettent, eu égard aux particularités d'exercice de ces professions, aux personnes qui en relèvent d'accéder à l'emploi dans de meilleures conditions.
Il faut, à cet égard, relever que, depuis une dizaine d'années, près de 90 % des salariés du secteur culturel exercent leur activité dans le cadre de contrats de durée déterminée d'usage, effectués au sein d'une même structure ou chez des employeurs différents. Ce développement des emplois intermittents s'est accompagné d'une baisse de la durée annuelle moyenne de travail de 40 % entre 1986 et 1999, ainsi que d'une diminution de 37 % du montant des rémunérations annuelles moyennes perçues. Les conditions de travail des intermittents du spectacle se caractérisent ainsi par une précarité croissante, qui a rendu nécessaire l'adoption et la pérennisation de règles d'indemnisation dérogatoires au droit commun défini par la convention d'assurance chômage.
Ces conditions dérogatoires permettent aux salariés concernés, à condition qu'ils remplissent les conditions minimales d'affiliation, de bénéficier d'une allocation chômage versée continûment entre les périodes de travail. A ce titre, l'allocation versée par le régime d'assurance chômage constitue un revenu de complément qui permet aux intermittents du spectacle de préserver leur autonomie et de se consacrer à leur vocation dans des conditions financières satisfaisantes. Grâce à ce système, les entreprises disposent, quant à elles, d'un vivier de talents très divers et aisément mobilisables.
Il faut, en outre, souligner que ce régime protecteur bénéficie notamment aux jeunes qui, en raison d'une expérience professionnelle insuffisante, rencontrent des difficultés particulières lors de leur entrée sur le marché du travail. Dans son rapport du 13 mars 1997, M. Pierre CABANNES indiquait ainsi que ce régime « crée en pratique un statut revendiqué notamment par les jeunes, pour lesquels il constitue une sorte de régime de garantie de ressources et un processus d'insertion dans la vie active ».
La consolidation de ce dispositif spécifique d'indemnisation du chômage et son maintien dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle contribuent donc à l'insertion professionnelle des jeunes et, plus généralement, au soutien de l'emploi dans un secteur qui s'est structuré depuis plusieurs années autour de règles dérogatoires d'indemnisation.
On peut ajouter que les mesures décidées par les articles 1er et 3 de la loi ont toutes deux trait, au moins en partie, à des contributions qui entrent dans le champ de l'UNEDIC.
Ainsi, au-delà des leviers utilisés, les articles 1er et 3 de la loi déférée, qui s'insèrent tous deux dans le même livre du code du travail, constituent deux éléments de la politique de l'emploi destinés à lever, par des mécanismes adaptés, certains freins qui s'opposent à un accès satisfaisant à l'emploi de catégories particulières de demandeurs d'emploi. Par leur objet même, ils ne sont pas dépourvus de lien. L'article 3 n'a, dès lors, pas été adopté dans des conditions contraires aux dispositions des articles 39 et 44 de la Constitution.
En définitive, le Gouvernement considère que le moyen soulevé par les auteurs du recours n'est pas de nature à justifier la censure des dispositions déférées au Conseil constitutionnel. Quant au mémoire présenté, sous sa seule signature, par un sénateur, il ne pourra qu'être écarté comme irrecevable par application de l'article 61 de la Constitution (décision n°2001-450 DC du 11 juillet 2001).