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Décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001 - Réplique par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2002
Non conformité partielle

MÉMOIRE EN RÉPLIQUE - par plus de 60 sénateurs
Les observations présentées par le Gouvernement appellent de la part des sénateurs, auteurs de la saisine sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, les réflexions suivantes.
Les requérants soulignent tout d'abord que le Gouvernement ne répond pas à un grand nombre de leurs moyens ou observations. Par exemple, rien ne vient justifier la pertinence des conventions comptables utilisées pour fixer les objectifs de dépenses, et notamment celui de la branche famille.

- Sur les critiques dirigées contre l'ensemble de la loi
Concernant l'annulation de l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, le Gouvernement objecte qu'« on ne saurait critiquer utilement des dispositions contenues dans une telle loi au seul motif que leur impact sur l'une des branches ou sur l'un des organismes concourant au financement de la sécurité sociale serait négatif ».
Certes. Mais le raisonnement poursuivi par les requérants est que ces « impacts négatifs » sur les branches ou sur les organismes concourant au financement des régimes de base sont systématiques et s'exercent en sens unique, c'est-à-dire au détriment de la sécurité sociale dans son ensemble : c'est cette multiplicité qu'il est demandé de sanctionner.
S'agissant des prévisions de recettes, le Gouvernement se prévaut d'une révision à la hausse de la prévision de croissance de la masse salariale pour 2001 (+6,5 % au lieu de +5,9 %), qui aurait une incidence positive sur les comptes 2002, en raison d'un « effet base ». Cette argumentation aurait été plus convaincante si les prévisions de recettes révisées pour 2001 avaient été réévaluées, comme l'Assemblée nationale avait la possibilité de le faire. en nouvelle lecture. Le Gouvernement aurait eu alors le loisir de maintenir inchangées les prévisions de recettes pour 2002, l'effet base 2001 neutralisant une révision à la baisse de la prévision de croissance de la masse salariale pour l'exercice 2002, cette révision apparaissant davantage conforme aux évolutions macro-économiques. Le Gouvernement confirme en quelque sorte que de telles rectifications auraient été justifiées lorsqu'il indique, dans ses observations sur l'article 76, que « l'on sait que le contexte de l'année 2002 sera moins bon que celui de 2001 ».
Le Gouvernement se targue « dans un souci de sincérité et d'exactitude » d'avoir retenu « comme base pour bâtir ces agrégats révisés [pour 2001] les dernières prévisions de dépenses et de recettes établies à l'occasion de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2001 ». Ce postulat serait cohérent si la contribution sociale de solidarité sur les sociétés n'avait pas fait l'objet d'une réévaluation par rapport aux prévisions établies lors de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Aucun motif ne vient justifier ce traitement « différencié » : le Gouvernement se contente ainsi d'apporter des compléments utiles à l'information du Conseil, venant corroborer en tous points l'analyse présentée par les requérants.
S'agissant du taux de croissance de l'ONDAM, le fait qu'il soit un « objectif de dépenses » et non pas une « enveloppe budgétaire limitative » ne présente aucune incidence sur la nécessité de fixer un objectif réaliste et sincère. L'argument selon lequel « les dépassements constatés dans le passé » n'aient « en définitive pas remis en cause les équilibres globaux de l'assurance maladie » est contestable : seules des plus values de recettes, constatées dans l'ensemble des branches, ont permis de compenser au niveau du solde global du régime général les dépassements de dépenses d'assurance maladie. Les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ne s'analysent pas seulement au niveau de l'évolution du seul « solde global », abstraction faite de l'évolution des recettes et des dépenses. De plus, l'expression utilisée par le Gouvernement (« les équilibres globaux de l'assurance maladie ») montre que l'objectif constitutionnel d'équilibre de la sécurité sociale, dans son esprit, va bien au-delà d'un simple équilibre global, contrairement à ce qu'il soutient précédemment : cet objectif s'analyse branche par branche. En tout état de cause, « les équilibres globaux de l'assurance maladie » ont bien été affectés, comme en témoignent l'évolution des soldes de la CNAMTS pour 1999, 2000 et 2001, au regard des prévisions retenues par les lois de financement de la sécurité sociale pour 1999, 2000 et 2001.

- Sur les dispositions ayant une incidence sur l'exercice 2000 (articles 12, 59 et 68)
S'agissant des « reports à nouveau inscrits aux comptes de bilan après la clôture de ces derniers », le Gouvernement estime qu'aucune disposition constitutionnelle ou organique ne fait obstacle à ce que le législateur se prononce sur leur utilisation. Cette argumentation est contestable : elle reviendrait à créer un mécanisme parallèle de recettes et de dépenses, échappant aux prévisions de recettes et aux objectifs de dépenses prévus par la loi organique du 22 juillet 1996. Si l'on peut avancer, sur le plan politique, que de nouvelles dépenses sont financées, en quelque sorte, par les excédents de l'exercice 2000, il importe, sur le plan juridique, que ces dépenses soient retracées sur l'exercice 2002, ce qui n'est pas le cas. L'argument selon lequel ces dispositions affectent « directement la trésorerie du régime général et les conditions de son équilibre financier » et « entrent ainsi dans le champ de la loi de financement de sécurité sociale » est particulièrement spécieux : n'importe quelle disposition relative au revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation adultes handicapés (AAH), dont les dépenses transitent par la trésorerie du régime général, pourrait par exemple, si l'on suivait un tel raisonnement, entrer dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale.
Concernant l'article 12, le Gouvernement estime qu'un éventuel vote du Parlement sur des comptes modifiés « n'est pas prévu par les dispositions organiques régissant les lois de financement ». Effectivement, le législateur organique n'avait pas imaginé que l'on puisse modifier les comptes de l'exercice n-2. Le Gouvernement ajoute que ce vote serait « en toute hypothèse, sans objet car ces lois n'adoptent pas des comptes en tant que tels mais des objectifs de recettes et de dépenses ». Cette lapalissade ne doit pas faire oublier que « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », selon l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution : l'article 12 a bien pour objet de bouleverser l'équilibre retenu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Enfin, le fait que les objectifs aient été adoptés en encaissement/décaissement, et non en droits constatés, est inopérant : les prévisions de recettes retenues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 intégraient bien la compensation intégrale des exonérations de cotisations de sécurité sociale. Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, la rectification explicite des montants sur lesquels le législateur s'était alors prononcé aurait eu, sur le plan comptable, « du sens ». Le Gouvernement n'a pas proposé une telle rectification car elle aurait été, sur le plan politique et juridique, « explicitement » absurde, car remettant en cause des comptes clos.

- Sur l'article 18
Les sénateurs requérants notent avec intérêt que le Gouvernement reconnaît que les points I et II « ne découlent pas nécessairement des dispositions adoptées en première lecture ». L'argument selon lequel « en matière de relations entre l'assurance maladie et les professionnels de santé, il est nécessaire, pour légiférer efficacement, de mener à bien une concertation associant les caisses, les partenaires sociaux et les syndicats représentants les professionnels de santé » est juridiquement inopérant. Enfin, le Gouvernement se prévaut d'un avis favorable de la CNAMTS, à l'unanimité, lors de la séance de son conseil d'administration du 20 novembre 2001 : or, la date de cette réunion est postérieure à celle de la commission mixte paritaire.

- Sur l'article 42
Pour justifier la contribution de la CNAMTS au fonds de concours finançant l'achat de produits destinés à lutter contre les effets du bioterrorisme, le Gouvernement invoque le « précédent » de la participation de ladite CNAMTS au financement de l'établissement français du sang ou de l'établissement français des greffes. Or, l'action de ces organismes n'est pas exercée à l'endroit des conséquences « d'une calamité nationale », ainsi que le dispose l'alinéa 12 du préambule de 1946. C'est bien au regard du caractère de calamité nationale, impliquant la solidarité et l'égalité de tous les Français devant leur conséquence, que la rupture d'égalité est ici constituée.

- Sur l'article 56
Le Gouvernement n'explique ni ne justifie la différence de traitement retenu pour le traitement comptable du congé de paternité, inscrit dans l'objectif de dépenses de la branche famille, et de l'assurance vieillesse parents au foyer (AVPF).
Après avoir admis que le congé de paternité était « juridiquement une prestation de l'assurance maladie », il explique que le congé de paternité fait incontestablement partie de la politique familiale. Ces considérations de nature politique pourraient tout aussi bien s'appliquer au « risque maternité » lui-même. L'argument de « bonne gestion » avancé par le Gouvernement ne saurait être ici reconnu : la rédaction de l'article 55 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, qui englobe dans le champ d'application de l'assurance maternité l'octroi des indemnités journalières résultant du congé de paternité, montre que la nouvelle assurance ainsi créée est la copie conforme des indemnités journalières résultant du congé de maternité. Ni l'origine différente du financement, ni le traitement divergent dans les agrégats de dépenses ne sont ainsi justifiés.

- Sur l'article 76
Les sénateurs requérants observent que le Gouvernement n'apporte aucune justification sérieuse concernant le plafond d'avances de trésorerie du régime général pour 2002. Les informations concernant l'évolution de la trésorerie de ce régime en 2001 confirment le montant mentionné dans leur saisine : la trésorerie du régime général, en 2002, bénéficiera ainsi d'une base de départ encore plus favorable que celle précisée à l'annexe c) du projet de loi.
Le Gouvernement semble se méprendre sur l'argumentation utilisée à l'encontre du plafond prévu pour la CNRACL : les sénateurs requérants estiment qu'il est sous-estimé, au regard des prévisions comptables calamiteuses de la CNRACL pour 2002, et non sur-estimé.
Enfin, s'agissant des régimes des mines et des ouvriers de l'Etat, le Gouvernement infirme désormais les informations données par l'annexe c) du projet de loi : ce revirement est troublant au regard des exigences de sincérité que doit respecter la fixation des montants de plafonds de trésorerie.

- Sur le rattachement de certaines dispositions au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
Les sénateurs requérants se bornent tout d'abord à constater, s'agissant du III de l'article 30, que les observations présentées par le Gouvernement contredisent les déclarations tenues au Sénat, le 14 novembre 2001, par M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Les arguments utilisés sont particulièrement spécieux, puisque le Gouvernement détaille les conséquences éventuellement dommageables, pour les intéressés comme pour les caisses de sécurité sociale, de l'absence d'une correction de la loi n°2001-647 du 20 juillet 2001 relative à l'allocation personnalisée d'autonomie. Or, le Gouvernement précise lui-même que la rédaction actuelle de l'article L. 232-8 du code de l'action sociale et des familles s'explique, en raison d'une « erreur matérielle », et non du fait « de l'intention des rédacteurs de la loi du 20 juillet 2001 ». Il est difficile d'imaginer qu'une telle « erreur matérielle », contraire à l'intention de la loi, puisse avoir un quelconque impact.