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Décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001 - Saisine par 60 sénateurs

Loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier
Non conformité partielle

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de bien vouloir déclarer comme contraires à la Constitution les dispositions du deuxième du 1er paragraphe (I) de l'article 27 du projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF).
A - Contenu du dispositif

  1. L'article L. 412-1 du Code monétaire et financier prévoit l'obligation, pour les émetteurs de titres de capital et de titres de créance faisant appel public à l'épargne, de publier un document d'information (le « prospectus »), dans des conditions prévues par un règlement de la Commission des Opérations de Bourse (COB).
  2. Le dispositif fixé par le deuxième du 1er paragraphe (I) de l'article 27 du projet de loi portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier vise à permettre à ces émetteurs d'établir leur prospectus dans une langue usuelle en matière financière. Si cette langue n'est pas le français, le prospectus doit être assorti d'un résumé en français, établi dans des conditions prévues par un règlement de la COB.
    B - Motifs d'inconstitutionnalité
  3. Ce dispositif est contraire à l'article 2, alinéa 1er, de la Constitution qui dispose que « la langue de la République est le français ».
  4. Cette dernière disposition vise les personnes morales de droit public, les personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi que les usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics (Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française).
  5. La COB est une autorité administrative indépendante (ordonnance n°67-833 du 28 septembre 1967 modifiée, instituant une Commission des Opérations de Bourse), et entre dès lors dans le champ de la jurisprudence constitutionnelle. L'usage du français s'impose donc à elle, tant dans ses rapports avec l'administration qu'au regard de ses relations avec les personnes privées.
  6. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a clairement fixé le cadre constitutionnel des dérogations pouvant être admises à l'usage du français sachant que « les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage » (Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires »).
  7. Sachant que la COB « peut prendre des règlements concernant le fonctionnement des marchés placés sous son contrôle ou prescrivant des règles de pratique professionnelle qui s'imposent aux personnes faisant appel publiquement à l'épargne », sous réserve d'homologation par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances (article 4-1 de l'ordonnance n° 67-833 modifiée du 28 septembre 1967), des émetteurs pourraient donc se prévaloir d'un droit à l'usage d'une langue usuelle en matière financière dans leurs relations avec la COB.
  8. Le dispositif critiqué est contraire au principe d'égalité, dans la mesure où le fait de prévoir une possibilité de rédaction en langue usuelle en matière financière - avec dans ce cas, traduction d'un résumé en français - établit une distinction selon l'aptitude des investisseurs potentiels à comprendre une langue étrangère.
  9. La question se pose également de la langue de référence en cas de contentieux, dans la mesure où l'usage du français a valeur constitutionnelle pour tous les ordres de juridictions nationaux. On peut dès lors légitimement s'interroger sur la valeur juridique d'un « prospectus » rédigé en langue étrangère et de celle d'un simple résumé plus ou moins précis rédigé, quant à lui, en français.
  10. Enfin, si la liberté d'expression et de communication est garantie par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, elle doit également s'organiser dans le cadre du droit des citoyens à l'information qui en découle (Décision n° 84-181 du 10 octobre 1984), ce qui ne saurait être pleinement assuré par la présentation d'un document, sur la base de laquelle se déterminent les investisseurs potentiels, rédigé dans une langue étrangère - fût-elle usuelle en matière financière -, et d'un simple résumé en langue française.

Pour ces raisons, et au regard de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en matière d'usage et de diffusion de la langue française, les dispositions inscrites au deuxième du 1er paragraphe (I) de l'article 27, concernant l'article L. 412-1 du Code monétaire et financier, doivent être déclarées contraires à la Constitution.