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Décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 2001
Non conformité partielle

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil Constitutionnel la loi de finances pour 2001, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 20 décembre 2000.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil Constitutionnel de décider notamment que les articles 3, 6, 36, 46, 71, 85, 89 et 116 ne sont pas conformes à la Constitution, notamment pour les motifs développés ci-dessous ainsi que de se saisir de tout autre article dont il lui paraîtrait opportun de soulever d'office la conformité à la Constitution.
Article 3
Cet article a pour objet de supprimer l'abattement annuel sur certains revenus mobiliers lorsque le foyer fiscal est imposé au taux marginal de l'impôt sur le revenu.
Il résulte d'une jurisprudence constante que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Dans un cas comme dans l'autre, la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. De même, est-il toujours de jurisprudence constante que ce principe ne fasse pas obstacle à ce que, pour des motifs d'intérêt général, le législateur édicte, par l'octroi d'avantages fiscaux ou sociaux, des mesures d'incitation au développement d'activités économiques et financières. L'essentiel, dans l'un et l'autre cas, est que l'appréciation du législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés.
De ce point de vue, l'article 3 supprimant l'abattement annuel sur certains revenus mobiliers pour les foyers imposés au taux supérieur de l'impôt sur le revenu qui s'analyse comme la mise sous condition de ressources d'un régime fiscal essentiellement destiné à favoriser le développement de l'épargne, apparaît à la fois comme sans rapport avec la finalité économique de la mesure et comme une source d'arbitraire. L'imposition au taux de la tranche supérieure du barème de l'impôt dépend de facteurs et, en particulier, du nombre de parts de quotient familial, qui ne reflètent pas le revenu global ou la richesse du contribuable, tandis que l'on peut craindre d'importants effets de seuil de nature à entraîner une rupture d'égalité devant les charges publiques : si tant est que l'on puisse justifier le principe d'une telle mise sous condition de ressources, l'imposition au taux marginal du barème de l'impôt n'est pas un critère objectif et rationnel de la capacité contributive et n'a été choisi qu'en raison du contexte politique de la mesure.
Article 6
Cet article exonère de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, les voitures particulières et les véhicules utilitaires de moins de deux tonnes appartenant à des
personnes physiques ainsi qu'à des associations, des syndicats et des congrégations religieuses.
Cet article méconnaît le principe de l'égalité des citoyens devant la loi. En effet, les véhicules appartenant aux artisans et aux commerçants exerçant en nom propre sont exonérés de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, tandis que ceux appartenant aux artisans et aux commerçants exerçant sous le régime de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (E.U.R.L) continuent à être redevables de la taxe.
Or, dès lors que des commerçants ou des artisans sont dans une situation de concurrence, le fait que des coûts supplémentaires soient pris en compte pour certains d'entre eux (en l'occurrence, ceux qui sont établis sous un régime juridique de l'E.U.R.L) dans le prix de revient des produits facturés aux clients constitue, à l'évidence, une rupture de l'égalité devant l'impôt. La différence de traitement entre les particuliers et les entreprises ne se justifie plus, dès lors qu'il s'agit en fait des mêmes activités à but lucratif, mais exercées selon un régime juridique distinct.
Par ailleurs, il convient de remarquer que, compte tenu du calendrier spécifique applicable à la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, cet article emporte un effet rétroactif. En effet, la loi de finances n'est promulguée qu'à la fin de l'année, alors que la période d'imposition de la vignette court du 1er décembre au 30 novembre de l'année suivante. Les redevables de la taxe seront donc, d'un strict point de vue juridique, en infraction avec les dispositions législatives en vigueur en n'acquittant pas la taxe au 1er décembre. En somme, l'absence de campagne de la vignette pour 2001 pour les véhicules dont le présent article propose l'exonération présume du vote de cet article par le Parlement. Au delà, il s'agit d'un problème plus grave : la loi de finances pour 2001 traite ici d'une matière qui relève en partie de l'exercice 2000 puisque la période d'imposition de la vignette s'étend du 1er décembre d'une année au 30 novembre de l'année suivante. L'Etat va donc, en l'absence de texte le prévoyant, s'abstenir de percevoir la vignette, qui constitue une imposition de toute nature. Cette abstention constitue une infraction qui peut conduire des comptables publics devant la Cour de discipline budgétaire et financière.
Enfin, cet article ne respecte pas le principe de libre administration des collectivités territoriales et est contraire à l'article 72 de la Constitution, en ce qu'il réduit l'autonomie fiscale des départements.
Article 36
Cet article a pour objet de créer un compte d'affectation spéciale n° 902-23 intitulé « Fonds de provisionnement des charges de retraites et de désendettement de l'Etat ».
Il est a priori choquant du point de vue démocratique qu'une recette de l'importance de celle des redevances Universal Mobile Telecommunication System (UMTS) puisse être instituée, par voie réglementaire, sans que le Parlement n'ait à en connaître ni l'assiette, ni le montant, ni les modalités de recouvrement.
Le montant des redevances pour occupation privative du domaine public est pourtant bien, selon notre droit, fixé par voie réglementaire, comme le rappelle le Conseil d'Etat dans son avis n° 364-989 du 6 juillet 2000 donné au ministre de l'économie des finances et de l'industrie. Mais s'agit-il réellement d'une redevance ou d'une « imposition de toute nature » dont le législateur, selon l'article 34 de la Constitution, doit « fixer les règles » ?
La décision du Conseil constitutionnel du 23 juin 1982 relative aux agences financières de bassin permet d'établir que des « redevances » qui ne constituent ni la rémunération d'un service rendu, ni une taxe parafiscale, ne peuvent être considérées que comme des impositions de toute nature. Cette décision est capitale, d'une part car elle élargit la notion d'imposition, d'autre part, car elle la clarifie. Elle consacre la disparition des « impositions quasi fiscales ». Ainsi, mises à part les cotisations sociales, un prélèvement obligatoire ne peut plus appartenir qu'à l'une des deux catégories que constituent les « impositions de toute nature d'une part » et les « taxes parafiscales », d'autre part.
Par ailleurs, lorsqu'il y a rémunération pour service rendu (au sens de l'article 5 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances), on se trouve en présence d'une troisième catégorie, concurrente, de recettes versée à une personne morale de droit public.
Or, la nature juridique du prélèvement versé par les titulaires de licences UMTS est ambiguë et la qualification de redevance pour service rendu contestable.
On peut se demander, tout d'abord, s'il y a occupation privative du domaine public dès lors que la technologie employée conduit à une utilisation simultanée des mêmes fréquences [La technologie dite « CDMA » (code division multiple access) attribue en effet l'ensemble de la bande de fréquences à toutes les conversations téléphoniques qui sont codées et transmises simultanément. Ce n'était pas le cas avec la technologie GSM précédente « TDMA » (time division multiple access)] par les différents utilisateurs.
Si tel n'est pas le cas, la fixation du montant de la redevance relève à un degré beaucoup moindre de l'exercice des prérogatives de puissance publique reconnues à l'administration. On peut montrer que l'on se trouve en présence d'une taxe et non d'une redevance, dès lors que le montant des droits exigés de l'occupant du domaine public est sans aucun rapport avec les avantages qu'en retirent les usagers.
En effet, les redevances pour services rendus doivent trouver leur contrepartie directe dans la prestation constituée par la mise à disposition du domaine au bénéfice de l'occupant pour une utilisation excédant le droit d'usage gratuit du domaine public qui appartient à tous (CE Chambre de commerce et d'industrie du Var, 22 décembre 1989).
En outre, la rémunération des services, autres que la mise à disposition du domaine public, rendus aux opérateurs, n'est même pas assurée par la nouvelle redevance. Ces derniers devront acquitter par ailleurs des taxes de constitution de dossier, de contrôle et de gestion, et une contribution au fonds de réaménagement du spectre géré par l'Agence nationale des fréquences (ANF).
La cause de l'intérêt public pourrait également être plaidée (certaines occupations du domaine public peuvent être consenties gratuitement ou moyennant des redevances réduites lorsqu'un intérêt public le justifie selon le code du Domaine de l'Etat). Or, il est question que les services en réseau de communication soient intégrés dans la notion de « services d'intérêt économique général » qui pourrait faire l'objet d'une prochaine directive européenne.
Un problème d'égalité devant les charges publiques entre les différents utilisateurs de fréquences se trouve, d'autre part, posé. Au nom de quel principe peut-on justifier de faire payer aux opérateurs UMTS une redevance sans commune mesure avec les droits exigés des autres catégories d'usagers (radios, télévisions...) ?
Par ailleurs, l'avis précité du Conseil d'Etat rappelle que d'après l'article R.56 du code du Domaine de l'Etat, le montant d'une redevance pour occupation privative du domaine public de l'Etat doit être déterminé, légalement, en fonction de l'avantage procuré au titulaire de l'autorisation par le droit qui lui est concédé.
Ce n'est manifestement pas le cas, en ce qui concerne l'attribution des licences UMTS : l'avantage est hypothétique et le montant manifestement disproportionné.
L'argumentation du Conseil d'Etat, selon laquelle l'avantage lié à l'utilisation des fréquences est valorisable dès la délivrance de l'autorisation est très critiquable, d'autant que les licences ne sont pas cessibles.
Enfin, suivant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, quel est le service rendu par l'Etat aux titulaires de licences (mis à part une mise à disposition de fréquences que le droit européen a rendu obligatoire) ? Est-ce que ce ne sont pas plutôt les opérateurs qui rendent service à la collectivité en prenant le risque de développer, à travers la mise en oeuvre coûteuse d'une technologie nouvelle, un service d'intérêt général ?
L'affectation au désendettement de l'Etat et au financement des retraites prouve, en elle-même, l'absence de liens directs entre la détermination du montant de la redevance et le service rendu aux occupants du domaine public.
En réalité, le fait d'imposer à quatre redevables, en fonction de leur seule qualité d'opérateurs de réseaux mobiles de troisième génération, une telle participation, en vertu du principe de solidarité nationale, au financement des retraites et au désendettement de l'Etat constitue une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques.
Juridiquement, la qualification de « redevance pour service rendu » apparaît ainsi inappropriée. L'assimilation de l'utilisation des fréquences UMTS à une occupation privative du domaine public n'est pas justifiée. En tout état de cause, il existe des taxes, comme celle perçue sur les ouvrages hydrauliques [Article 124-I de la loi de finances pour 1991. Tribunal des conflits, 20 octobre 1997, SA Papeteries Etienne] qui, bien qu'elles soient directement liées à l'occupation du domaine public, ont un caractère fiscal.
Dès lors que le prélèvement ne constitue ni une taxe parafiscale, ni une rémunération pour services rendus, il doit être regardé comme une imposition de toute nature en vertu de la jurisprudence précitée (décision n° 82-1242 relative aux agences financières de bassin).
Un prélèvement de nature fiscale a certes un caractère collectif et fait supporter le financement de charges publiques incombant au budget de l'Etat à un plus ou moins grand nombre de contribuables. Le fait que quatre opérateurs seulement soient assujettis au paiement de la redevance UMTS ne suffit pas cependant à établir qu'il ne s'agit pas d'une imposition de toute nature : la redevance des mines qui a un caractère fiscal (article 1519 du code général des impôts) est payée essentiellement par les houillères de bassin, filiales d'un seul groupe, Charbonnages de France. Les redevances fiscales dues par les exploitants d'installations nucléaires de base concernent un nombre encore plus restreint de personnes morales (principalement EDF).
En conclusion, le gouvernement a commis une erreur manifeste d'appréciation qui encourt la censure du juge constitutionnel en qualifiant de « redevance domaniale » le paiement par les opérateurs d'un droit sans rapport, compte tenu notamment de son montant et de la périodicité de son versement, avec les revenus escomptés de l'usage du domaine public.
Comme ce moyen de financement ne présente ni le caractère de taxe parafiscale, ni celui de redevance pour services rendus, le législateur ne pouvait, en tout état de cause, sans méconnaître la Constitution et le principe explicite posé par la décision précitée du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel du caractère limitatif des catégories des ressources de l'Etat, autoriser la perception d'un tel droit.
Même si l'article 36 de la loi de finances pour 2001 ne fixe que les modalités de liquidation du prélèvement qu'il mentionne et notamment, n'en détermine ni l'assiette, ni le taux, ni les modalités de recouvrement, on doit considérer que le législateur n'a pas exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
De même et s'agissant des « impositions de toute nature », l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 impose que la contribution commune aux charges de la nation soit « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il appartient au législateur de « déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables » (décision n° 81-133 DCdu 30 décembre 1981, cons. 6, loi de finances pour 1982, rec, p.41). En y manquant en l'espèce, le législateur n'a pas épuisé sa compétence et n'a donc pu valablement créer cette imposition nouvelle.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'article 36 de la loi de finances pour 2001 n'est pas conforme ni aux dispositions de l'article 34, alinéa 6, de la Constitution, ni à celles de l'article 13 de la déclaration des droits.
Article 46
Cet article a pour objet de fixer l'équilibre des ressources et des charges de l'Etat.
Cet article encourt plusieurs griefs d'inconstitutionnalité.
En premier lieu, il apparaît contrevenir à l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en ce qu'il ne comporte pas d'évaluation du montant des ressources d'emprunts et de trésorerie. Ainsi, la loi de finances ne comporte pas les voies et les moyens qui assurent son équilibre financier.
A supposer que l'évaluation susmentionnée, qui est l'une des dispositions essentielles de la première partie des lois de finances, puisse figurer dans un autre article que celui ici déféré, il est constant qu'aucune disposition de la première partie de la loi de finances pour 2001 ne comporte une telle évaluation, et qu'à ce titre, la loi de finances pour 2001 contrevient sur ce point aux prescriptions de l'article 31 susmentionné.
En second lieu, l'article 46 de la loi de finances pour 2001 appelle une annulation pour défaut de sincérité et pour manquement manifeste au respect du principe d'universalité budgétaire.
L'évaluation des ressources permanentes de l'Etat qu'il comporte est, de ces points de vue, critiquable à plusieurs titres. La désaffectation des recettes destinées au FOREC n'est rien moins qu'une débudgétisation qui contrevient aux articles 1er et 4 de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959. L'évaluation des recettes des comptes d'affectation spéciale est biaisée par le caractère arbitraire de l'évaluation du montant des recettes du compte d'affectation spéciale n° 902-24 qui, depuis des années, se trouve en exécution considérablement éloigné des prévisions des lois de finances (voir les rapports de la Cour des comptes et des rapporteurs spéciaux des commissions des finances du Parlement en charge des comptes spéciaux du Trésor).
Les plafonds des grandes catégories de dépenses que fixe l'article 46 manquent également de sincérité. Plusieurs crédits extrabudgétaires des ministères ne sont pas pris en compte. Les interventions du FOREC directement retracées en lois de financement de la sécurité sociale (côté recettes) ne sont pas évaluées en lois de finances (côté dépenses), comme elles devraient l'être.
Article 71
Cet article a pour objet de permettre aux communes d'établir une taxe sur les activités commerciales non salariées à durée saisonnière.
Cet article méconnaît le principe selon lequel les impositions doivent être proportionnées aux facultés contributives des contribuables.
Les exploitants des activités commerciales à durée saisonnière se verront taxés selon la surface du local ou du véhicule où s'exerce cette activité. Or, la superficie d'un local ou d'un véhicule est indépendante des facultés contributives des redevables. La surface d'un véhicule peut être sans rapport avec le volume d'activité réalisé : certaines activités nécessitant des installations de stockage ou de conservation sur place se verraient donc pénalisées vis-à-vis d'autres types d'activités.
Article 85
Le présent article vise à étendre l'applicabilité du régime de protection sociale des salariés des professions agricoles, telle que définie à l'article L. 722-20 du code rural, aux personnels non titulaires de l'établissement « Domaine de Pompadour » dont les contrats ont été transférés à l'établissement public « Les Haras nationaux ».
Cet article ne relève pas du domaine des lois de finances tel que défini par l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
Article 89
Cet article prévoit une réduction de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) en faveur des chômeurs et des retraités en dessous d'un certain seuil de revenus.
Il revient à inscrire dans la loi de finances une disposition adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale dans les mêmes termes par les deux assemblées. Cette « acrobatie juridique » consiste donc à faire figurer la même mesure dans plusieurs textes différents. Il est demandé au Conseil Constitutionnel d'apprécier cette innovation et de dire, si la caisse d'amortissement de la dette sociale ( CADES) relève ou non du champ des lois de finances.
Or, le texte de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale qui en prévoit le domaine est clair : « Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
Cet article pose donc deux questions distinctes qu'il est demandé au Conseil constitutionnel de trancher :
Sur le fond il s'agit de déterminer si le régime de la CRDS et celui de la CADES doivent figurer en loi de finances.
Quant à la forme, il convient de déterminer si peut figurer dans une loi de finances une disposition identique à celle figurant dans un article adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées dans le cadre de l'examen d'un autre projet de loi.
Sur le même article, issu du mémoire complémentaire :
L'article 89 consiste en l'exonération de contribution pour le remboursement de la dette sociale des retraités et chômeurs en dessous d'un certain seuil de revenus.
La CRDS est une imposition de toute nature. Ses principales caractéristiques sont son assiette très large qui couvre la presque totalité des revenus, ainsi que son objet, contenu dans l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, qui en lie la perception au remboursement, d'ici janvier 2014, de la dette de la sécurité sociale reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale. Cette dernière caractéristique semble d'autant plus forte que le produit de la CRDS n'est pas retracé en loi de finances, illustrant bien que cette imposition est par nature affectée à un but précis.
Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a considéré, sur l'article 3, qu'il convenait « de prendre en compte les capacités contributives des redevables compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ».
Or la mesure déférée dans l'article 89 remet en cause les caractéristiques de la CRDS. S'il ne semble pas contraire au principe d'égalité de faire varier la charge selon les contribuables, il ne paraît cependant pas possible de le faire sans respecter les caractéristiques de la CRDS. Or la loi de finances pour 2001 ici déférée ne prévoit aucun mécanisme permettant de compenser en totalité à la CADES les pertes de recettes occasionnées par l'article déféré. Ce faisant, l'article 89 remet en cause l'équilibre de la CADES, c'est-à-dire la fonction impartie à la CRDS et donc ses caractéristiques.
Article 116
Cet article a pour objet de créer, dans son I, une taxe au profit de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et, dans son II, une taxe au profit de l'agence nationale d'amélioration et d'évaluation en santé (ANAES).
Le I de cet article instaure ce que le gouvernement appelait une redevance mais qui est en réalité une taxe comme le Sénat l'a requalifiée, le gouvernement se ralliant à ses arguments.
Il s'agit donc d'une imposition de toute nature dont, selon l'article 34 de la Constitution, la loi fixe : « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement ».
Ainsi, le I prévoit-il que l'assiette serait la « demande d'inscription d'un dispositif médical à usage individuel sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale » ; le barème ne peut dépasser 30.000 francs ; les modalités de recouvrement sont celles des créances des établissements administratifs de l'Etat.
Le I propose donc un barème, ce qui suppose que la taxe sera variable et qu'il ne s'agira pas d'un droit fixe et forfaitaire. Mais le texte ici déféré se garde bien de préciser les modalités d'établissement du barème, même de façon allusive : le Parlement ne sait pas selon quels critères relatifs à l'assiette variera le taux.
Certes d'après les informations recueillies par le rapporteur spécial des crédits de la santé et de la solidarité, le gouvernement et l'AFSSAPS souhaiteraient établir en réalité deux droits fixes, l'un pour la première demande, l'autre pour une modification apportée à un dispositif déjà inscrit. Dans le premier cas, le droit serait de 30.000 francs et dans le second de 15.000 francs. Cependant, il n'a jamais été apporté confirmation de ces intentions au cours des débats.
De telles informations, à la fiabilité limitée, ne peuvent donc pas remplacer l'inscription dans la loi de finances du critère de variation de la taxe.
Cet article méconnaît donc les dispositions de l'article 34 de la Constitution.