Contenu associé

Décision n° 2000-440 DC du 10 janvier 2001 - Observations du gouvernement

Loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports
Conformité

La loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports, adoptée par le Parlement le 21 décembre 2000, comporte dans son titre Ier relatif aux transports maritimes un chapitre Ier concernant les courtiers interprètes et conducteurs de navires.
En premier lieu, l'article 1er de la loi prévoit qu'il sera mis fin au monopole dont cette profession, instituée par Colbert en 1657, bénéficiait pour l'accomplissement des actes et formalités prévus par la réglementation douanière, en vertu des dispositions de l'ancien article 80 du code de commerce, reprises à l'article L. 131-2 du nouveau code issu de l'ordonnance du 18 septembre 2000.
Il est en effet apparu que le maintien de ce privilège était difficilement conciliable avec le règlement no 2913/92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaires.
En second lieu, et corrélativement, la loi met fin au droit, que les courtiers interprètes et conducteurs de navires tenaient de la loi du 28 avril 1816 sur les finances, de présenter un successeur à l'agrément du ministre chargé de la marine marchande. L'article 2 de la loi prévoit que les titulaires d'office, qui sont au nombre de soixante-dix-sept en activité, sont indemnisés à raison de la perte de ce droit de présentation.
L'article 4 de la loi, qui définit les modalités d'indemnisation des personnes concernées, est contesté devant le Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs, qui estiment que ce dispositif méconnaît les exigences issues de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les requérants considèrent que l'indemnisation prévue n'est pas juste, dans la mesure où elle ne couvre que partiellement les conséquences de la perte du monopole dont disposaient les courtiers maritimes. Ils estiment en outre que la loi ne garantit pas non plus le caractère préalable de l'indemnité.
Pour sa part, le Gouvernement considère que ces moyens ne sont pas fondés. Pour l'essentiel, en effet, cette argumentation est inopérante, dans la mesure où l'indemnisation ainsi prévue n'entre pas dans le champ d'application de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
1. Il convient à cet égard de souligner que le dispositif adopté s'inspire de celui qui a été retenu dans le passé pour des cas analogues, et, en dernier lieu, pour les commissaires-priseurs, par la loi no 2000-642 du 10 juillet 2000.
Dans ce dernier cas, comme dans celui des courtiers maritimes, la loi ne porte aucune atteinte au droit de propriété, au sens de l'article 17. Elle se borne à modifier la législation régissant l'exercice de cette profession en remettant en cause le droit qu'avaient ces officiers ministériels de présenter leurs successeurs à l'autorité publique investie du pouvoir de nomination.
Ce droit ayant une valeur pécuniaire, le législateur a considéré que la mesure qu'il prenait était nécessairement à l'origine d'un préjudice pour les intéressés. Il a estimé que ce préjudice présentait un caractère suffisamment certain pour être d'emblée pris en compte dans la loi, contrairement à ce qui a pu être décidé, dans le passé, pour les administrateurs judiciaires (loi no 85-99 du 25 janvier 1985, déclarée conforme, sur ce point, par la décision no 84-182 DC du 18 janvier 1985), ou pour les agents de change (loi no 88-70 du 22 janvier 1988 déclarée conforme par le dispositif de la décision no 87-240 DC du 19 janvier 1988).
C'est donc sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques, et non en application de l'article 17 de la Déclaration, que les officiers ministériels dont le privilège est ainsi remis en cause ont vocation à être indemnisés. L'on ne saurait, en effet, considérer qu'aucune modification de la législation applicable à une activité économique, susceptible d'avoir une incidence défavorable pour les intéressés, ne peut intervenir sans indemnisation préalable, sauf à donner à l'article 17 une portée qu'il n'a pas, au risque de paralyser, dans bien des cas, l'action du législateur.
Il en résulte que si l'indemnité doit être juste, elle n'a pas à être préalable.
2. Or l'indemnité dont le mode de calcul est défini par l'article 4 de la loi déférée est juste, contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants.
D'une part, en effet, elle tient compte du fait que la part du chiffre d'affaires procuré par les activités bénéficiant du monopole dans le résultat global des courtiers maritimes varie fortement, selon les offices. La loi a ainsi prévu que l'assiette de l'indemnité est pondérée en fonction de ce ratio, ce qui permet d'assurer une parfaite égalité de traitement entre ces derniers.
D'autre part - et surtout -, le montant de l'indemnité, fixé à 65 % de la valeur économique des offices pondérée, tient compte du fait que la loi ne met nullement fin à l'activité en cause, contrairement, par exemple, à ce qu'impliquaient la loi no 65-1002 du 30 novembre 1965 pour les offices de greffier des juridictions civiles et pénales et la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971, s'agissant des offices d'avoués près les tribunaux de grande instance. Les intéressés pourront donc continuer à exercer et, le cas échéant, développer leurs activités professionnelles dans des conditions normales de concurrence.
La méthode retenue pour la détermination de la valeur des offices est similaire à celle qui a été adoptée dans le cas des offices de commissaires-priseurs, sur la proposition d'un groupe de travail composé d'un inspecteur général des finances, d'un conseiller à la Cour de cassation et d'un président de chambre à la Cour des comptes. Elle reposait sur le constat que le montant des cessions de tels offices était égal à la moyenne arithmétique d'une année de recette nette moyenne et de trois années de solde moyen d'exploitation.
Au demeurant, la loi a prévu, outre cette compensation directe, des mesures favorables aux intéressés : d'une part, la possibilité d'accéder aux professions et activités réglementées mentionnées à l'article 5, sans aucune condition tenant à la cessation de l'activité de courtier maritime ; d'autre part, la suppression de l'interdiction d'exercer aucune opération de commerce, qui était jusque-là faite aux courtiers par l'ancien article 85 du code de commerce, devenu article L. 131-7 du nouveau code. Cette dernière possibilité, qui prend effet dès l'entrée en vigueur de la loi, est de nature à avoir une incidence favorable sur le niveau d'activité des offices de courtiers, alors même que la suppression du monopole est différée et ne sera effective que dans deux ans.
Le Gouvernement estime donc que le Conseil constitutionnel ne pourra que déclarer conformes à la Constitution les dispositions contestées.