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Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001
Non conformité partielle

LOI DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE POUR 2001
Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité soicale pour 2001, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 5 décembre 2000.
I. - Sur l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale
Les sénateurs soussignés estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale en 2001 est contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
La loi de financement pour 2001 met en place un certain nombre de circuits financiers de transferts de dépenses et de recettes au sein même des branches de la sécurité sociale et des fonds concourant à son financement, mais également entre ces branches et fonds, d'une part, et le budget général, d'autre part.
Ainsi, l'article 15 prévoit la prise en charge de dépenses supplémentaires par le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), auparavant inscrites au budget général ; l'article 16 affecte au FOREC la taxe sur les véhicules de société ainsi qu'une part de la taxe sur les conventions d'assurance, qui constituaient auparavant des recettes de l'Etat, des droits sur les tabacs auparavant affectés à la CNAMTS et des droits sur les alcools auparavant affectés au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ; l'article 17 transfère du FSV à la CNAMTS 0,15 point de CSG ; l'article 21 transfère du FSV à la CNAF la charge des majorations de pensions pour enfant, l'article 29 met à la charge du FSV le règlement d'un engagement de l'Etat à l'égard des régimes de retraite complémentaire ; l'article 31 affecte au FSV les produits de la taxe de 2 % sur le revenu du patrimoine et des placements auparavant affectés à la CNAF et à la CNAMTS.
En outre, l'article 54 traduit l'inscription de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire dans les comptes de la branche famille, nette de la reprise du FASTIF par le budget général.
Au total, l'ensemble de ces mouvements financiers qui, selon le secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale, sont « parfois artificiels » et « font perdre une grande partie de leur signification aux soldes des branches du régime général » a pour effet de mobiliser au profit du FOREC environ 16 milliards de francs financés essentiellement par le FSV et la branche famille (cf. le rapport du Sénat no 67, 2000-2001, tome I, p. 67 à 81).
Par des mécanismes compliqués à dessein, le présent projet de loi porte atteinte au principe de la compensation intégrale à la sécurité sociale des exonérations de charges sociales.
Il réalise ainsi, de façon opaque et détournée, l'objectif auquel le Gouvernement avait dû renoncer lors de l'examen du projet de loi de financement pour 2000 : instituer une contribution sur les organismes de protection sociale « déterminée en fonction du surcroît de recettes et des économies de dépenses induits par la réduction du temps de travail » pour ces organismes (cf. art. 2 du projet de loi no 1835, AN, 11e législature).
La différence tient « ce que seuls la CNAF et le FSV sont désormais mis à contribution et que l'Etat lui-même s'exonère de cette théorie, au demeurant critiquable, des » retours ".
Ce faisant, le projet de loi s'affranchit de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi (cf. décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999), particulièrement nécessaire dans le cas des lois de financement de la sécurité sociale, catégorie de lois créée par la réforme constitutionnelle de 1996, afin de permettre, dans la transparence, un débat annuel sur les enjeux financiers de la protection sociale.
Dès lors que les articles précités bouleversent les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses de la loi et donc les conditions générales de l'équilibre financier, c'est l'ensemble de la loi qui est contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle susmentionné.
II. - Sur les articles 3 et 7 de la loi
Les sénateurs, auteurs de la saisine, considèrent que l'ensemble de l'article 3 et l'article 7, qui en est la conséquence, sont contraires à l'article 13 de la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 34 de la Constitution.
Sur la non-conformité des articles 3 et 7 avec l'article 34 de la Constitution :
Le dispositif de réduction dégressive de CSG, prévu à l'article 3, et le mécanisme de compensation en faveur des régimes de sécurité sociale, à l'article 7 portent atteinte à l'exigence constitutionnelle d'équilibre de la sécurité sociale.
La création des « lois de financement de la sécurité soicale » avait notamment pour objectif de distinguer le financement de la sécurité sociale du financement du budget de l'Etat. Cette distinction était rendue possible, à la fois par l'existence de cotisations affectées aux branches de la sécurité sociale et par la création d'une « imposition de toutes natures », la contribution sociale généralisée, affectée intégralement et dès l'origine à la seule sécurité sociale. Son taux a été augmenté en 1993, 1997 et 1998 pour faire face à l'exigence d'équilibre financier de la sécurité sociale, devenue un principe constitutionnel par la révision constitutionnelle du 19 janvier 1996.
La création d'un mécanisme de ristourne dégressive, non seulement n'a aucun rapport avec l'exigence d'équilibre de la sécurité sociale, mais lui est contraire.
En effet, un tel dispositif crée un lien supplémentaire et inutile entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Il fait dépendre l'équilibre financier de la sécurité sociale de décisions prises en loi de finances, en raison de la compensation nécessaire des pertes de recettes de la contribution sociale généralisée résultant pour les régimes sociaux de cette exonération.
La loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances prévoient d'affecter à la CNAMTS, à la CNAF et au FSV une fraction de la taxe sur les conventions d'assurance, qui ne sera pas intégralement affectée à la sécurité sociale, mais dont le produit sera partagé entre Etat, FOREC et régimes sociaux. Le rendement de cette taxe n'est pas comparable avec celui de la contribution sociale généralisée. La compensation apparaît ainsi incertaine.
Certes, en raison des mécanismes d'exonération de charges sociales, une partie des recettes des régimes de base sont déjà constituées de compensations sous la forme de dotations budgétaires ou de fiscalité affectée. Mais le mécanisme de réduction dégressive ne fera qu'amplifier ce phénomène, antérieur à la révision constitutionnelle de 1996 ; il n'apparaît pas admissible qu'à l'image des finances locales, une fraction de plus en plus importante des recettes de la sécurité sociale soit tributaire de la compensation de pertes de recettes, sauf à vider de sens l'existence des lois de financement de la sécurité sociale.
Sur les multiples atteintes au principe d'égalité devant les charges publiques :
Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leur faculté », s'appliquaient aux impositions de toutes natures affectées à la sécurité sociale.
Le mécanisme de ristourne dégressive de CSG aboutira pour les salariés au SMIC, en 2003, à la suppression de la majeure partie d'une participation au financement de la sécurité sociale. Or, à la différence du budget de l'Etat, la sécurité sociale ne dispose pas d'impositions indirectes, permettant - malgré les exonérations accordées dans le cadre de l'impôt sur le revenu - de faire participer au financement du budget de l'Etat l'ensemble des contribuables.
Le dispositif porte ainsi atteinte au principe de solidarité et au principe d'universalité du financement de la sécurité sociale, alors que la CSG avait pour objet, à son institution, « d'associer au financement de la sécurité sociale l'ensemble de la population », selon les termes mêmes de la décision no 90-285 DC du 28 décembre 1990.
Le Conseil constitutionnel a certes rappelé que « le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux » (décision no 97-388 DC du 20 mars 1997). Mais une ristourne permanente de CSG ne constituera en aucun cas « un avantage fiscal », puisque la CSG, imposition de toutes natures, ne peut être considérée comme un « impôt » au sens classique, pour au moins deux raisons :
- la contribution sociale généralisée est pour partie déductible, en raison de l'opération de substitution entre les cotisations d'assurance maladie et la CSG : un impôt n'est jamais déductible, selon les principes traditionnels du droit fiscal, de l'assiette d'un autre impôt ;
- la France a été condamnée, le 15 février 2000, par la Cour de justice des communautés européennes, pour avoir assujetti les travailleurs frontaliers, dépendant d'un régime européen de sécurité sociale : la CSG est considérée par les autorités européennes comme une « cotisation sociale », compte tenu de son affectation exclusive aux régimes sociaux et nonobstant sa qualification nationale « d'impôt ».
Selon le Conseil constitutionnel, « s'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous réserve de respect des principes de valeur constitutionnelle, il doit, pour se conformer au principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but qu'il s'assigne ».
Le « critère objectif et rationnel » affiché par la mesure est de « favoriser la reprise d'activité ». Cet objectif est poursuivi par un mécanisme d'incitation fiscale. Le Sénat a cependant montré, au cours de la discussion du projet de loi de finances, qu'il existait d'autres moyens de poursuivre ce critère objectif et rationnel. Si le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement et n'a pas à se prononcer sur la validité de tel ou tel autre dispositif permettant de poursuivre le même objectif, il n'en demeure pas moins que le mécanisme de la loi de financement de la sécurité sociale ne respecte pas un certain nombre de principes de valeur constitutionnelle.
En effet, un tel mécanisme porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Non seulement les charges du foyer fiscal ne seront pas prises en compte, mais l'ensemble des revenus ne fera pas l'objet d'une globalisation. Le mécanisme fera apparaître des situations d'une iniquité inextricable, puisqu'un ménage disposant d'un seul salaire à 1,4 SMIC ne bénéficiera pas de la mesure, alors qu'un ménage constitué de deux revenus au SMIC bénéficieront de deux fois l'équivalent annuel d'un mois de salaire.
Le Gouvernement a reconnu cette situation, qui s'explique par la nature même de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité, imposition cédulaire portant sur les seuls revenus d'activité d'un salarié ou d'un non-salarié. Il n'était pas possible d'utiliser, à des fins fiscales, un tel outil dont l'objet est exclusivement de financer la sécurité sociale.
Le fait d'accorder des exonérations sur la seule CSG sur les revenus d'activité, sans modifier les règles relatives à la CSG sur les revenus de remplacement et à la CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement semble également incompatible avec le principe d'égalité devant les charges publiques.
Par ricochet, le mécanisme introduit une rupture d'égalité devant les charges publiques au titre de l'impôt sur le revenu. Du fait de la non-déductibilité d'une fraction de la CSG, le mécanisme proposé par cet article introduit une différence de traitement entre les ménages, disposant de revenus équivalents. Selon qu'ils sont ou non bénéficiaires de la mesure, pour un même revenu imposable, le revenu disponible sera différent, méconnaissant le principe de contribution selon ses facultés réelles. Cette différence de traitement n'est pas en rapport avec l'objet de la loi et est contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le dispositif tend de surcroît à créer une imposition sur les revenus d'activité progressive, puis proportionnelle.
Or, le Conseil constitutionnel a indiqué, dans sa décision no 90-285 du 28 décembre 1990, qu'il appartenait « au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lequelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables ». Le législateur peut décider que la CSG est soit proportionnelle, soit progressive. Mais il est difficile d'imaginer un système mixte : un mécanisme progressif pour les actifs entre 1 et 1,4 SMIC et un mécanisme proportionnel pour les actifs au-delà de 1,4 SMIC. Un tel seuil apparaît d'ailleurs totalement arbitraire, comme l'ont montré les interventions d'un certain nombre de parlementaires au cours des débats, demandant un relèvement à 1,8 SMIC.
Sur la non-conformité du C du II avec l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution :
Les « pluriactifs » bénéficieront d'un traitement privilégié du fait de la réduction dégressive de CSG proposée par le Gouvernement : par exemple, bénéficiant de deux revenus à 1 SMIC, ils auront droit à la réduction à taux plein dans les deux cas, alors même que leurs seuls revenus d'activité dépasseront le seuil fixé de 1,4 SMIC. Cette situation apparaît contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
La loi se borne à renvoyer à un décret les conditions dans lequelles les personnes exerçant simultanément une activité salariée et une activité non salariée bénéficieront de l'exonération de CSG sur leurs revenus d'activité.
Il semble que le législateur ait méconnu sa compétence en renvoyant à un décret le soin de préciser une telle disposition.
De plus, un mécanisme de contrôle véritablement efficace nécessite le croisement des fichiers informatiques des services fiscaux et des organismes de protection sociale. Cette disposition n'a pas été prévue par le législateur.
Le paragraphe concerné ne présente pas ainsi de garanties suffisantes au regard des exigences des libertés publiques.
III. - Sur les articles 3, 4, 14, 16 (
IV),
24, 44 et 45 (
I à V) de la loi
Les signataires considèrent que les articles concernés sont étrangers au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Les articles 3 et 4 prévoient, le premier, une ristourne dégressive de la CRDS sur les revenus d'activité et, le second, une exonération des pensions de retraite et d'invalidité, ainsi que des allocations de chômage et de préretraite des personnes non imposables.
La CRDS est perçue au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, qui ne fait pas partie des organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. Ses recettes ne figurent donc pas en loi de financement de la sécurité sociale.
Dans sa décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997, le Conseil avait considéré qu'un nouveau transfert de dettes de l'ACOSS à la CADES pouvait figurer dans une loi de financement, en raison de l'allégement des frais financiers du régime général qu'il entraînait.
Dans le cas des articles 3 et 4, les mesures concernant les réductions et exonérations de la CRDS n'affectent en aucun cas directement ni même indirectement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base. En conséquence, ces articles n'ont pas à figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale.
Au demeurant, lors de la discussion à l'Assemblée nationale de la deuxième partie de la loi de finances, le Gouvernement a donné un avis « tout à fait » favorable à l'adoption d'un amendement « de précaution » (devenu l'article 48 vicies) présenté par la commission des finances et tendant à inscrire en loi de finances un dispositif identique à l'article 4 du projet de loi de financement. Les auteurs de l'amendement ont considéré que « dans la mesure où la CRDS ne (faisait) pas partie du champ des lois de financement de la sécurité sociale », cette démarche se justifiait « afin d'éviter tout risque d'annulation pour des raisons de forme, par le Conseil constitutionnel » (JO, débats AN, 3e séance du 20 novembre 2000, p. 9041).
L'article 4 est donc contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Il ne peut qu'en être de même pour l'article 2 dans la mesure où il vise la contribution pour le remboursement de la dette sociale.
L'article 14 couvre le bénéfice des allégements de cotisations sociales liés à la réduction du temps de travail aux salariés soumis à des horaires d'équivalence et à ceux soumis à des dispositions spécifiques en matière de durée maximale du travail.
Le Gouvernement n'a aucunement chiffré les conséquences sur l'équilibre financier de la sécurité sociale de l'adoption de cet article, qui tend à revenir sur la rédaction de la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.
En l'absence d'une telle évaluation, cet article doit être considéré comme étranger au domaine des lois de financement et, à ce titre, comme contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
L'article 16, paragraphe IV, prévoit l'affectation au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), dès 2000, de l'ensemble des droits sur les boissons initialement affectés au fonds de solidarité vieillesse, pour un montant estimé à 5,4 milliards de francs.
Cette disposition doit être examinée dans le cadre des différentes modifications apportées à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
En effet, suite à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la réduction négociée du temps de travail (décision no 99-423 DC du 13 janvier 2000), et à l'annulation de la taxation des heures supplémentaires, les recettes du FOREC figurant en loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 étaient amputées de 7 milliards de francs.
Cette amputation des recettes pour 2000 avait conduit la commission des affaires sociales du Sénat à souhaiter que soit déposé un projet de loi de financement rectificative (cf. notamment le rapport d'information no 356 1999-2000 sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale).
Ce souhait s'est trouvé renforcé du fait des modifications apportées en cours d'année par le Gouvernement à la loi de financement pour 2000 : dépenses liées à l'annonce, en mars 2000, d'une nouvelle étape de la politique hospitalière et accélération de la prise en charge de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire par la branche famille de la sécurité sociale « décidée » par la Commission des comptes de la sécurité sociale du 21 septembre 2000.
De fait, l'annexe f de la présente loi comportant les comptes du FOREC précise, sous la rubrique « Mesures appliquées à compter de l'exercice 2000 » : « compte tenu de la suppression de la contribution sur les heures supplémentaires, deux recettes nouvelles entrant en vigueur dès l'exercice 2000 sont prévues ».
L'apparition, dans la loi de financement pour 2001, de ressources nouvelles en 2000 pour le FOREC trouve en effet son équivalent dans le projet de loi de finances rectificative pour 2000 (art. 2), sous la forme d'une affectation supplémentaire de droit sur les tabacs à hauteur de 3 milliards de francs. Selon l'exposé des motifs de cet article 2 : « Cette affectation vise à apporter au fonds les ressources nécessaires à la réalisation de son équilibre pour 2000 compte tenu de l'estimation à ce jour du montant des dépenses. »
Selon l'article LO 111-3-I du code de la sécurité sociale, « Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale (...) prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes cités pour concourir à leur financement (...) ».
Selon le même article, dans son paragraphe II, " La loi de financement de l'année et les lois de financement rectificatives ont le caractère de lois de financement de la sécurité sociale.
Seules des lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1o à 5o du I ".
Il pourrait certes résulter de la combinaison des premier et deuxième alinéas du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale qu'une loi de financement pour l'année n, aussi bien qu'une loi de financement rectificative pour l'année n-1, pourrait, au titre de l'année n-1, « modifier les dispositions prises en vertu des 1o et 5o du I » de cet article.
Il convient toutefois d'observer que la présente loi ne propose en aucune façon de modifier les articles de la loi de financement pour 2000 correspondant aux prévisions de recettes et aux objectifs de dépenses, ni de déterminer, conformément à l'article 34 de la Constitution, les conditions générales d'un nouvel équilibre financier.
L'article 16, paragraphe IV, se contente de disposer que les droits sur les boissons sont affectés au FOREC, de préciser que cette affectation s'applique « aux sommes perçues à compter du 1er janvier 2000 » et de prévoir qu'un arrêté ministériel fixera « la date et le montant du reversement » de ces sommes par le Fonds de solidarité vieillesse.
Cet article, en modifiant de façon rétroactive l'affectation d'une recette entre deux fonds, ne modifie pas, au titre de 2000, les « dispositions prises en vertu des 1o à 5o du I » de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale même si le Gouvernement prétend pallier ainsi l'absence critiquable d'un collectif social pour 2000.
Dès lors que l'article 16, paragraphe IV, ne répond pas aux prescriptions du II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, il convient de s'interroger, au regard du II dudit article LO 111-3, sur la place de cette disposition dans la loi de financement pour 2001.
Force est de constater qu'elle ne fait pas partie des dispositions qui affectent directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base en 2001. Or, le principe de l'annualité des lois de financement a été rappelé par le Conseil dans sa décision no 99-422 DC du 21 décembre 1999 à l'occasion de l'examen de la garantie de ressources au profit de la branche famille.
Aussi, l'article 16, paragraphe IV, doit-il être considéré comme étranger au domaine de la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2001.
L'article 24 porte abrogation de la loi no 97-277 du 25 mars 1997, à l'exception de ses articles 19 et 32.
Une première tentative d'insertion de cette abrogation dans une loi de financement avait eu lieu en octobre 1998. le Gouvernement s'y était alors fermement opposé au motif que cette abrogation constituerait « sur le plan juridique un cavalier sans lien direct avec la loi de financement de la sécurité sociale » (JO, Débats AN, 2e séance du 28 octobre 1998, p. 7527).
Aussi avait-il pris l'engagement, dans le rapport annexé à l'article 1er de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, de proposer « au Parlement en 1999, dès qu'un support législatif le permettra, l'abrogation de cette loi ».
De fait, le projet de loi de modernisation sociale déposé le 24 mai 2000 comporte un article 11 qui va dans ce sens.
Tant devant l'Assemblée nationale que devant le Sénat, le Gouvernement n'a pas tenté de prétendre que l'article 19 A ne constituait pas un cavalier. Au nom d' « un engagement politique réel » (JO, Débats AN, 2e séance du 26 octobre 2000, p. 7591), le Gouvernement s'est, en revanche, rallié « avec beaucoup de plaisir » à l'amendement déposé (JO, Débats Sénat, séance du 15 novembre 2000, p. 6119).
Le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales comme le rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale ont tenu l'un et l'autre, dans une certaine confusion, à affirmer que l'abrogation de la loi du 25 mars 1997 aurait sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale, le premier en évoquant des « non-dépenses » partielles pour la protection sociale, le second des pertes de recettes.
S'il est fort douteux de prétendre que la loi du 25 mars 1997 aurait pu avoir des effets, au demeurant indirects, sur les équilibres financiers de la sécurité sociale, il est surprenant d'affirmer que l'abrogation de cette loi, qui est restée « virtuelle » faute volontaire de décret d'application, aurait des effets directs sur ces équilibres financiers. Aussi cet article est-il contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
L'article 44, issu d'un amendement du Gouvernement adopté lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, permet, si l'on en croit son objet, « d'encadrer la pratique (des) transmissions de prélèvements (pour analyse) qui doivent être effectuées dans des conditions garantissant la sécurité et la qualité des examens ».
Cet article, qui modifie l'article L. 6211-5 du code de la santé publique, est à l'évidence dépourvu d'effets financiers directs sur l'équilibre des comptes de l'assurance maladie et, comme tel, contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
L'article 45 (
I à V) a pour objet d'inclure les appartements de coordination thérapeutique parmi les institutions régies par la loi no 75-535 du 30 juin 1975 et de transférer leur financement à l'assurance maladie.
Des dispositions similaires (voir notamment les articles 9 et 53) figurent dans le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale déposé le 26 juillet 2000 et actuellement en instance d'examen par le Parlement. L'apport de l'article 45 au regard du projet de loi précité tient principalement au transfert des dépenses correspondantes à l'assurance maladie prévu par son paragraphe III. Le Gouvernement a tenu à chiffrer ces dépenses à 29,41 millions de francs, soit 0,004 % de l'objectif de dépenses de la branche maladie, maternité, invalidité, décès, mentionné à l'article 43 (cf. exposé des motifs de l'article 37 du projet de loi AN no 2606, p. 63), alors que de nombreux articles du projet de loi de financement ne comportent pas une telle précision, ni même l'ébauche d'un chiffrage financier approximatif.
Au regard de ce chiffrage, il est douteux que le paragraphe III de l'article 45 concoure de façon significative aux conditions générales de l'équilibre financier de l'assurance maladie.
Il est en revanche certain que ses paragraphes I, II et V sont étrangers au domaine des lois de financement.
En outre, le fait d'introduire dans les lois de financement une disposition étrangère au domaine de ces lois mais de l'assortir, pour tenter d'échapper à la censure du juge constitutionnel, d'un transfert de charges à l'assurance maladie constitue un détournement de procédure.
S'il n'était pas sanctionné, ce détournement contribuerait progressivement à vider de leurs sens les dispositions de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, tout en aggravant année après année les charges indues de l'assurance maladie.
IV. - Sur l'article 18 de la loi
L'article 18 prévoit pour 2001, en application de l'article LO 111-3 (I, 2o) du code de la sécurité sociale, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement.
Il comporte en conséquence les prévisions de recettes du FOREC et, à ce titre, un produit de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) évalué à 7 milliards de francs contre 2,8 milliards de francs prévus en 2000.
L'écart ainsi constaté résulterait pour partie d'un aménagement de cette taxe figurant à l'article 33 du projet de loi de finances rectificative pour 2000 dont la discussion à l'Assemblée nationale a débuté le lendemain de l'adoption définitive par la même assemblée de la présente loi de financement pour 2001.
L'évaluation du produit de cet « aménagement » n'est toutefois pas chiffrée dans l'exposé des motifs dudit article 33 non plus naturellement que dans les états annexés du projet de loi, la TGAP étant depuis la loi de finances pour 2000 affectée au FOREC.
L'article 52 de ladite loi de finances dispose en effet qu'à compter du 1er janvier 2000, la TGAP « cesse de constituer une ressource de l'Etat ».
De fait, l'article 7 de la loi de financement pour 2000 avait profondément modifié cette taxe.
Aussi est-il particulièrement incohérent de poursuivre cet aménagement pour 2001 dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2000 et de créer, de toutes pièces, un risque considérable, qui ne peut être conjuré du fait du calendrier retenu, quant à la sincérité des prévisions de recettes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
En réalité, l'aménagement de la TGAP, qui a cessé de constituer une ressource de l'Etat à compter du 1er janvier 2000, aurait dû figurer en loi de financement de telle sorte qu'il soit possible de coordonner l'impact de cet aménagement avec l'article 18 relatif aux prévisions de recettes.
Il résulte du choix inverse fait par le Gouvernement qu'au moment où la loi de financement est adoptée définitivement par le Parlement, aucun élément ne permet de fonder une prévision de recettes de 7 milliards de francs au titre de la TGAP, ni a fortiori une prévision d'équilibre du FOREC dont il est prévu (art. 2 de la loi de financement pour 2000) que « les recettes et les dépenses doivent être équilibrées dans les conditions prévues par la loi de financement de la sécurité sociale ».
L'article 18, dans ce contexte de confusion volontairement créé, n'est pas conforme à la sincérité qui permettrait au Parlement de déterminer, conformément à l'article 34 de la Constitution, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour 2001.
V. - Sur l'article 21 de la loi
L'article 21 porte transfert à la Caisse nationale d'allocations familiales de la charge des majorations de pension pour enfant, précédemment assurées par le Fonds de solidarité vieillesse.
Créées par l'article 68 de l'ordonnance du 19 octobre 1945, les majorations de pension pour enfant ont constitué, à la Libération, un élément déterminant de la promotion d'un régime de retraite par répartition. Elles constituaient une prime à ceux qui, par leurs choix familiaux, faits bien souvent aux dépens de la constitution d'un patrimoine, assuraient la pérennité du système par répartition. Il ne fut jamais contesté que cette prestation, qui est un complément de la retraite de base, ressortissait de l'assurance vieillesse.
Ce caractère de prestation d'assurance s'exprime par essence dans les modalités de son versement. Ce complément est attaché à la pension des deux parents, et non à celle du père ou de la mère, selon le principe retenu par les prestations familiales du choix du parent allocataire. Ce complément est par ailleurs proportionnel à la pension et n'est donc pas, contrairement aux prestations familiales dans leur ensemble, forfaitaire ou dégressif.
Ce caractère de prestation d'assurance vieillesse a d'ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994. Par cette décision, le Conseil a considéré que le financement des majorations de pensions accordées en fonction du nombre d'enfants constituait des prestations sociales légales dues par l'Etat à ses agents retraités et, à ce titre, par nature, une charge permanente qui ne pouvait être débudgétisée. Il en aurait été différemment pour les prestations familiales des fonctionnaires qui, en raison de l'universalité de la branche famille, sont retracées dans les comptes de la Caisse nationale d'allocations familiales.
L'exposé des motifs du présent article 21, tel qu'il figure dans le projet de loi AN no 2606, est particulièrement succinct. Tout au plus a-t-il été avancé, au cours des débats, que l'objectif poursuivi était une « clarification des comptes de la branche famille » au motif que la majoration pour pension était « un avantage familial différé » (cf. notamment JO, Débats AN, 1re séance du 21 octobre 2000, p. 7579, et JO, Débats Sénat, séance du 15 novembre 2000, p. 6112).
C'est donc à tort que le législateur a procédé à ce qu'il croyait être une clarification utile des comptes respectifs des différentes branches de la sécurité sociale. En réalité, le présent article n'a pour effet que d'accroître la confusion existant dans les comptes sociaux, et, en définitive, obère lourdement, de 3 milliards de francs en 2001, mais de plus de 20 milliards de francs à terme, les moyens de la branche famille.
Or, le Conseil constitutionnel a constaté, dans sa décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997, qu'il existe « une exigence constitutionnelle résultant des dispositions des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (qui) implique la mise en oeuvre d'une politique de solidarité en faveur des familles ».
En grevant les moyens de la branche famille d'une charge qui lui est étrangère et qui, à terme, détournerait plus de 10 % de ses ressources qui ne seraient dès lors pas affectées à l'exercice de cette solidarité à l'égard des familles, l'article 21 méconnaît l'exigence constitutionnelle résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.
Cette méconnaissance ne trouve par ailleurs aucune justification dans le souci de concilier cette exigence avec d'autres objectifs de nature constitutionnelle.
De surcroît, le présent article porte atteinte au principe fondamental reconnu par la législation républicaine d'autonomie organique et financière de la branche famille de la sécurité sociale, autonomie qui ressort des ordonnances du 4 octobre 1945 et du 19 octobre 1945, à son article 1er, et notamment confirmée depuis par le législateur aux articles L. 223-1, L. 202-1, L. 241-6 et 311-1 du code de la sécurité sociale.
VI. - Sur l'article 29 de la loi
L'article 29 met à la charge du Fonds de solidarité vieillesse la prise en charge d'un engagement pluriannuel de l'Etat à l'égard des régimes de retraite complémentaire ARRCO/ AGIRC.
L'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale dispose, dans son I, que la loi de financement de la sécurité sociale « prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement » et qu'elle « fixe, par branche, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base (....) ».
Le Fonds de solidarité vieillesse appartient à la catégorie des organismes créés pour concourir au financement des régimes obligatoires de base.
Ses recettes figurent dans les prévisions de recettes prévues à l'article 18 du projet de loi, les dépenses qu'il finance sont inscrites dans les objectifs de dépenses de l'article 54. Ses comptes sont analysés dans l'annexe f du projet de loi prévue par l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale.
L'article 29 apparaît ainsi étranger au domaine des lois de financement en tant qu'il concerne la prise en charge de dépenses relatives aux régimes complémentaires. Quand bien même ces régimes seraient rendus obligatoires par la loi, ils ne constituent pas des régimes de base au sens de la loi organique.
En outre, soit les dépenses résultant pour le FSV de cet article figurent dans l'objectif de dépenses par branche de l'article 54 et dans ce cas cet objectif est erroné car ne correspondant pas aux prescriptions de l'article LO 111-3 (II, 3o).
Soit ces dépenses ne figurent pas dans ledit objectif alors même que les recettes permettant de les financer sont inscrites en prévisions de recettes de l'article 18.
Dans ce cas, le présent article 29 entraîne, d'une part, une incompatibilité entre le dispositif du projet de loi et ses annexes prévues par la loi organique, notamment l'annexe f.
Il introduit, d'autre part, une incohérence dans la notion d'équilibre des lois de financement de la sécurité sociale, contraire à l'article 34, antépénultième alinéa, de la Constitution.
En effet, si le champ des prévisions de recettes et celui des objectifs de dépenses ne sont pas identiques, ils restent cohérents en tant qu'ils visent les régimes de base de la sécurité sociale et permettent d'apprécier les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Aussi, le présent article 29 est-il contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution.
VII. - Sur l'article 49 de la loi
L'article 49 modifie l'article 31-II de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, tel qu'inséré à l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale. Il tend à augmenter le taux de la contribution due par les entreprises pharmaceutiques en cas de dépassement de l'objectif de progression du chiffre d'affaires.
Pour le seuil de déclenchement de la contribution, le paragraphe I de l'article substitue au taux de progression de l'ONDAM un taux de progression fixé à 3 % pour 2001. S'agissant du calcul de la contribution dite « clause de sauvegarde », le paragraphe II abandonne un mécanisme de taxation variant en fonction de l'importance du dépassement, au profit d'un système de récupération linéaire, permettant de récupérer jusqu'à 70 % du dépassement. Le prélèvement prévu est, en effet, de 50 % du montant du dépassement entre 3 et 3,5 % de progression du chiffre d'affaires, de 60 % entre 3,5 % et 4 % et de 70 % au-delà de 4 %. Dans sa décision no 98-404 DC du 18 décembre 1999 (Rec. p. 316), le Conseil constitutionnel considère que la contribution concernée ne revêt pas le caractère d'une sanction mais celui d'une imposition de toute nature aux termes de l'article 34 de la Constitution.
Il apparaît aujourd'hui avéré que l'article 49, dans son paragraphe I, ne repose pas sur des critères rationnels et objectifs. Par ailleurs, dans son deuxième paragraphe, le même article crée une rupture d'égalité des charges publiques.
1. Le paragraphe I de l'article 49 :
Dans sa décision du 18 décembre 1998 (no 98-404 DC), le Conseil constitutionnel a considéré qu'en se fondant sur l'ONDAM comme facteur déclenchant de la contribution des industries pharmaceutiques, le législateur s'était fondé sur un facteur rationnel et objectif en conformité avec les exigences de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Or, le paragraphe I de l'article 49 substitue au taux de progression de l'ONDAM un taux de 3 %. Ce taux de progression, totalement indépendant de l'ONDAM, n'est fondé sur aucun élément objectif. Cette disposition contrevient donc à l'article 13 de la Déclaration de 1789 susnommée.
2. Sur le paragraphe II :
Les nouveaux taux de contribution tels que prévus à l'article 49, paragraphe II, doivent se substituer aux cinq taux actuellement en vigueur, tels que définis à l'article L. 138-10, alinéa 2, du code de la sécurité sociale.
Une telle substitution a pour effet de porter atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques au détriment des entreprises hors convention, au regard des entreprises conventionnées, dont le régime reste inchangé.
Dans le système actuellement en vigueur, les entreprises hors convention acquittent une contribution pouvant aller jusqu'à 65 % du dépassement de l'ONDAM.
L'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale prévoit que le « taux de la contribution globale exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires déclaré de l'ensemble des entreprises redevables » est fonction de la différence entre le « taux d'accroissement du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises redevables » et le taux de progression de l'ONDAM.
Une telle relation entre les taux signifie que le taux de reversement est faible lorsque le taux de dépassement de l'ONDAM est lui-même faible. Inversement, un dépassement beaucoup plus important emporte un reversement beaucoup plus lourd (jusqu'à 65 %).
En tout état de cause, quelle que soit l'ampleur du reversement, les entreprises qui ont conclu une convention avec le Comité économique des produits de santé ne peuvent être assujetties à une cotisation supérieure à celle dont ils auraient été redevables en cas d'application de l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'il est indiqué dans l'accord sectoriel conclu entre le Comité économique des produits de santé et le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique le 19 juillet 1999 (voir l'article 14 dudit accord relatif aux « remises quantitatives de fin d'année »). Les termes du rapport entre la charge qu'acquittent les entreprises qui ont conclu une convention et celle des entreprises hors convention restent donc comparables.
Dans le système tel que prévu par l'article 49, les entreprises qui n'ont pas conclu une convention avec le Comité économique des produits de santé seront soumises à une contribution s'élevant de 50 % à 70 % du dépassement du chiffre d'affaires.
Même si le taux de dépassement est faible, les entreprises hors convention seront appelées, avec la modification votée, à reverser quoi qu'il arrive de 50 % à 70 % de ce dépassement.
En revanche, les entreprises qui ont conclu une convention ne verraient pas leur contribution évoluer.
Une telle différence de traitement entre la charge qu'acquittent les entreprises qui ont conclu une convention et celle des entreprises hors convention apparaît bel et bien injustifiée.
Par son caractère brutal, permanent et sans la moindre possibilité d'adoucissement, elle constitue une rupture « caractérisée » de l'égalité devant les charges publiques au détriment des entreprises appelées à acquitter la clause de sauvegarde.
VIII. - Sur l'article 50 de la loi
L'article 50, qui résulte d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, augmente considérablement les taux de la contribution à la charge des établissements de vente en gros de spécialités pharmaceutiques (ou grossistes-répartiteurs). Cette disposition s'applique au chiffre d'affaires réalisé à compter du 1er octobre 2000 et revêt donc un caractère rétroactif.
Dans sa décision du 29 décembre 1986 (no 86-223 DC, Rec. p. 184), le Conseil constitutionnel, par exception aux dispositions de l'article 2 du code civil, considère que le législateur peut « pour des raisons d'intérêt général, modifier rétroactivement les règles que l'administration fiscale et le juge de l'impôt ont pour mission d'appliquer ». Une autre décision du Conseil du 18 décembre 1998 (no 98-404), concernant l'article 10 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, stipule que, si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ".
Or, d'autre part, s'agissant de l'article 50 de la présente loi, la simple recherche d'une ressource financière supplémentaire ne peut pas constituer un motif d'intérêt général. De plus, l'alourdissement de la contribution, en l'espèce, est en contradiction avec l'objectif légitime de promouvoir le développement des spécialités génériques à travers la substitution par les pharmaciens. La contribution est acquittée en effet tant par les grossistes-répartiteurs que par les entreprises pharmaceutiques qui font de la vente directe auprès des officines. Les entreprises concernées sont essentiellement celles qui produisent et distribuent des spécialités génériques dont les avantages pour notre système de santé sont reconnus par tous (un coût moindre pour le patient et la sécurité sociale, à qualité thérapeutique égale par rapport à d'autres médicaments).
Pour ces raisons, l'article concerné doit être considéré comme non conforme à la Constitution.
IX. - Sur l'article 53 (
IV et V) de la loi
L'article 53 crée un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, afin de permettre l'exercice de la solidarité nationale à l'égard de ces victimes, fonds qui dispose de pouvoir d'investigation et d'évaluation des préjudices en vue de déterminer et proposer des indemnités.
Cet article dispose également que l'acceptation des indemnités de ce fonds vaut renonciation de toutes actions juridictionnelles en indemnisation ou en réparation.
Or, les délais de jugement définitif, les frais d'accès à la justice peuvent se révéler longs et coûteux. Les malades de l'amiante présentent des pathologies sérieuses pouvant entraîner un décès rapide. L'ensemble de ces éléments constitue autant de facteurs dissuasifs à la saisine de l'autorité judiciaire et pouvant inciter ces malades à l'acceptation d'une indemnisation plus rapide au préjudice de leurs droits.
En conséquence, il est manifeste que le dernier alinéa du IV et le V de cet article portent une atteinte substantielle au droit au recours juridictionnel effectif tel qu'il découle de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et entravent les compétences générales que l'autorité judiciaire détient de l'article 66 de la Constitution et du principe général de la séparation des pouvoirs.
Or, dans sa décision no 96-373 DC, le Conseil constitutionnel affirme avec force ce principe du droit au recours qui, s'il peut et doit être encadré, ne saurait demeurer formel.
Depuis lors le Conseil constitutionnel a renforcé la protection de ce droit constitutionnel comme en témoigne, en dernier lieu, sa décision no 99-422 DC. Ainsi, le Conseil a rapproché sa jurisprudence de celle de la Cour européenne des droits de l'homme et, ce faisant, a conforté la sécurité juridique du droit français.
Or, les dispositions contestées du présent article 53 n'apparaissent pas compatibles avec l'article 6-I de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
En l'espèce, la victime de l'amiante indemnisée par le fonds ne peut être « entendue équitablement », c'est-à-dire dans les mêmes conditions que celles ouvertes à tous les citoyens en cas de contestation sur les droits et obligations de caractère civil.
S'agissant de la réparation d'un préjudice, toute victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle se voit ouverte la possibilité d'engager des recours dans le cadre du contentieux général de la sécurité sociale prévu aux articles L. 142-1 et suivants du code de la sécurité sociale, soit dans le cadre de la procédure particulière en cas de faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-4 dudit code, soit encore en mettant en jeu la responsabilité civile de la personne responsable du dommage, directement ou à l'occasion d'une instance pénale.
Or, en l'espèce, le dernier alinéa du IV et le V de cet article s'analysent comme une « transaction » extinctive des recours judiciaires de droit commun.
Cette « transaction » apparaît incompatible avec l'article 6-I de la Convention européenne précitée au regard de l'interprétation qu'en donne la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975 dont la portée a été ultérieurement précisée par la Cour dans les termes suivants :
« Le droit d'accès aux tribunaux (...) se prête à des limitations » mais ces limitations ne doivent pas restreindre « l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même » ; pareille limitation « ne se concilie avec l'article 6-I que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».
Or, en cas d'acceptation de l'offre du fonds, la restriction en matière de droits d'accès aux tribunaux de droit commun apparaît excessive par rapport à l'objectif recherché à travers la création du fonds.
Ce mécanisme de « transaction » juridique, s'il était concevable pour faciliter le règlement définitif de litiges relatifs à des dommages matériels, contrevient gravement aux droits des victimes dès lors qu'il s'agit de dommages corporels pouvant entraîner un décès prématuré.
S'il est vrai que le requérant conserve le droit de refuser une offre du fonds, l'avantage qu'il retire toutefois d'une indemnisation rapide en moins de six mois apparaît hors de proportion avec les inconvénients qui résulteraient pour lui de la poursuite des actions judiciaires compte tenu des aléas de la procédure, des lenteurs de l'appareil judiciaire et du risque d'une réduction sensible de son espérance de vie.
La victime, n'ayant que peu d'éléments d'information sur les conséquences de l'acceptation de l'offre du fonds, par rapport à l'indemnisation à laquelle elle pourrait prétendre en suivant les procédures d'indemnisation de droit commun, n'aura raisonnablement pas d'autre choix que celui d'accepter l'offre du fonds et renoncer à ses droits juridictionnels.
La création à l'article V d'une voie de recours « devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur » est une procédure spécifique exorbitante du droit commun, qui ne présente pas les mêmes garanties et les mêmes caractéristiques que les procédures d'indemnisation traditionnelles.
La disposition prévue par cet article doit donc s'interpréter comme une « transaction juridique forcée » contraire au principe de libre accès à la justice, tel qu'il a été appliqué aux victimes indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions, créé par la loi du 6 juillet 1990, et par le Fonds d'indemnisation des victimes d'une contamination par le virus du sida causée par une transfusion sanguine (FIVC), créé par la loi no 91-406 du 31 décembre 1991.
S'agissant du FIVC, la circonstance que la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'arrêt « M. Daniel Bellet c. France » du 14 décembre 1995, ait condamné la France pour violation de l'article 6-I de la convention précitée ne saurait justifier par elle-même le maintien des dispositions en cause.
En effet, l'arrêt précité précise seulement que « le système (d'indemnisation des victimes du sida par voie de transfusion sanguine) ne présentait pas une clarté et des garanties suffisantes pour éviter un malentendu quant aux modalités d'exercice des recours offerts et aux limitations découlant de leur exercice simultané ».
Pour tenir compte de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, le Gouvernement n'était nullement dans l'obligation d'interdire l'introduction ou la poursuite d'actions juridictionnelles en réparation en cas d'acceptation de l'offre du fonds, mais il pouvait également autoriser, de manière expresse dans la loi, la possibilité d'une indemnisation parallèle par les instances judiciaires, étant entendu que, lorsque le juge est informé par l'une des parties au litige de ce que la victime ou ses ayants droit ont déjà été indemnisés du préjudice dont il demande réparation, il doit déduire d'office la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable.
Enfin, les dispositions du dernier alinéa de l'article IV et du V doivent être disjointes de l'article 53 car elles peuvent léser gravement les ayants droit de la victime de l'amiante indemnisée par le fonds.
En effet, le I de l'article 53 dispose que le bénéfice du fonds est ouvert non seulement aux victimes elles-mêmes, mais également à leurs ayants droit, sans préciser quelles catégories d'ayant droit sont visées.
Dans l'hypothèse où un ayant droit n'aurait pas obtenu d'indemnisation devant le fonds en même temps que la victime, l'acceptation préalable de l'offre du fonds par la victime rend « irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice » : un ayant droit peut donc définitivement être lésé de son droit à réparation par la voie juridictionnelle à la suite d'une décision qu'il n'aurait pas prise.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, et notamment les articles 3, 4, 7, 14, 16, paragraphe IV, 18, 21, 24, 29, 44, 45, 45, paragraphe I à V, 49, 50 et 53, paragraphes IV à V.