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Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains
Non conformité partielle

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 21 novembre 2000. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans la décision no 90-274 DC du 29 mai 1990 relative à la loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement, le législateur est habilité à déterminer la compétence des autorités administratives nationales et locales lorsque des questions relatives au logement posent des problèmes d'intérêt national. Toutefois, le respect des règles et de la jurisprudence constitutionnelles lui impose, dans cette définition d'une politique du logement, d'abord, d'exercer alors la plénitude de ses compétences en préservant leur caractère normatif comme les garanties légales des droits fondamentaux inscrits dans le bloc de constitutionnalité, ensuite d'opérer une conciliation entre les différents objectifs et principes de valeur constitutionnelle, notamment entre l'objectif du droit à un logement décent, d'une part, et le droit de propriété, le principe d'égalité et la liberté individuelle, d'autre part et, enfin, de préserver la libre administration des collectivités locales. Or, à ces trois égards, le texte que les auteurs de la présente saisine soumettent à l'examen du conseil s'avère entaché de graves motifs d'inconstitutionnalité. Les auteurs de la présente saisine entendent ainsi contester, en premier lieu, la constitutionnalité des dispositions relatives au « droit à un logement décent » au regard des exigences posées par la jurisprudence constitutionnelle relative au « droit au logement » (I), puis celle de l'instauration d'un « quota » de 20 % de logements sociaux (II) qui constituent le coeur du dispositif, avant de soulever l'inconstitutionnalité d'autres mesures prévues dans le texte déféré, en tant qu'elles portent atteintes à des principes de valeur constitutionnelle et notamment au principe d'égalité (III).
I. - Sur la non-conformité à la Constitution des dispositions relatives au « droit à un logement décent » Le texte définit dans son article 187 une obligation nouvelle pour le bailleur de délivrer au preneur la chose louée « et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ». Cet objectif est également énoncé au II de l'article 140 du projet de loi (art. L. 301-1 du code de la construction et de l'habitation) à propos de l'aide au logement : « Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir. » La constitutionnalité des références à la « décence » doit être appréciée au regard de la question plus générale du « droit au logement », laquelle a déjà fait l'objet d'une jurisprudence significative de la part du Conseil constitutionnel (décision no 94-359 DC du 10 janvier 1995, Rec. 176, portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, décision no 98-403 DC du 29 juillet 1998, Rec. 276, rendue à propos de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions). Or, les dispositions du texte relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, notamment son article 187, se révèlent non conformes aux exigences fixées par la jurisprudence constitutionnelle, qui a précisé le sens et les limites de la portée de l'objectif de valeur constitutionnel relatif à la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ainsi que la nécessité de sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle. En ne précisant pas suffisamment dans le texte de la loi les critères de la « décence » du logement, le législateur porte au nom de l'objectif des atteintes excessives aux autres principes de valeur constitutionnelle, en méconnaissance de la jurisprudence constitutionnelle (1). Cette carence du dispositif constitue un cas d'incompétence négative du législateur, en méconnaissance de la répartition constitutionnelle entre le domaine de la loi et celui du règlement, du principe d'égalité et du niveau de garantie exigé par la jurisprudence du conseil dans la mise en oeuvre tant des objectifs que des principes à valeur constitutionnelle (2). Par là, il est porté une atteinte excessive et infondée à la fois au droit de propriété et à la liberté individuelle (3).

  1. Sur l'insuffisante conciliation entre l'objectif et les principes à valeur constitutionnelle La décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995 (Rec. 176), portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, a érigé « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent » comme « un objectif de valeur constitutionnelle », fondé sur le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », sur le onzième alinéa de ce préambule, aux termes duquel la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens considérables d'existence » et sur le principe de valeur constitutionnelle de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel à propos des éléments constitutifs essentiels de la personne humaine (décision no 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Lois Bioéthique, Rec. 100), et ainsi étendu à ses conditions d'existence. Aux termes de la jurisprudence constitutionnelle, la « décence » du logement ne peut ainsi correspondre qu'à la mise en oeuvre d'un objectif de valeur constitutionnelle que seul le législateur est compétent pour mettre en oeuvre. L'objectif est assigné au pouvoir législatif en vue de réaliser certains droits fondamentaux constitutionnels, tels que la dignité de la personne humaine, la protection de la santé, la sécurité matérielle. Il n'existe donc pas de droit constitutionnel à un logement décent, énoncé nulle part dans le texte de la Constitution, mais un objectif qui forme une limitation au pouvoir discrétionnaire du législateur. Or, dans la mise en oeuvre de cet objectif de valeur constitutionnelle, il appartient au législateur d'opérer, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, une véritable conciliation entre le contenu de l'objectif et les autres principes de valeur constitutionnelle, sans réduire la portée d'aucun. A cet égard, la mise en application par le législateur de l'objectif constitutionnel de possession d'un logement décent doit certes respecter les principes généraux de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que les dispositions des dixième et onzième alinéas du préambule de 1946, comme l'indique la décision du 19 janvier 1995, mais ne doit en aucun cas négliger de respecter d'autres droits de même valeur constitutionnelle. Cette conciliation doit prendre en compte la consécration par le Conseil constitutionnel non pas d'un « droit au logement » de caractère général et absolu mais d'un objectif potestatif, sur le terrain d'un « droit-liberté » (ne pas se voir interdire...) et non d'un droit-créance (être certain d'obtenir...). En conséquence, c'est en tant que fondement constitutionnel à la compétence du législateur que la possibilité d'obtenir un logement a été consacrée. Elle s'apparente à un objectif à atteindre mais en aucun cas à un droit à réaliser de façon absolue et dans toutes les situations, au détriment d'autres droits de même valeur constitutionnelle. Or, le texte déféré n'opère pas cette nécessaire conciliation, en contrariété avec les exigences posées par la jurisprudence constitutionnelle. En particulier, l'article 85 A porte des atteintes excessives et non justifiées au droit de propriété.
  2. Sur l'incompétence négative du législateur et ses conséquences En effet, les requérants soutiennent que la rédaction de l'article 187, qui se contente d'énoncer le critère de « décence » du logement sans le préciser davantage, ne respecte pas les exigences constitutionnelles quant à la mise en oeuvre d'un objectif de valeur constitutionnelle et à sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. En effet, la compétence constitutionnellement reconnue au législateur pour fixer « les principes fondamentaux (...) du régime de la propriété » (article 34 de la Constitution) lui impose d'inscrire dans la loi les critères de la « décence » du logement, afin de préciser le contenu et l'étendue des obligations du bailleur. A défaut de critères législatifs précisément définis, il est impossible de déterminer les atteintes éventuelles portées au droit de propriété et donc d'apprécier la portée et les termes de la conciliation opérée entre l'objectif constitutionnel du droit au logement et le principe constitutionnel du droit de propriété. L'absence de tels critères législatifs précisément énumérés constitue un cas d'incompétence négative du législateur. Or, dans sa décision précitée no 94-359 DC du 19 janvier 1995 (Rec. 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le conseil avait précisé « qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ». Autrement dit, la mise en oeuvre de cet objectif de valeur constitutionnelle doit respecter les règles constitutionnelles de répartition des compétences, qui distinguent clairement le domaine législatif du domaine réglementaire. De plus, en ne précisant pas davantage les critères de la « décence » du logement, le législateur non seulement méconnaît sa compétence constitutionnelle en contrariété avec les règles de répartition des compétences prévues par les articles 34 et 37 de la Constitution, mais aussi prive de garanties légales un objectif à valeur constitutionnelle, en contrariété avec une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (C. const., no 84-185 DC du 18 janvier 1985, Rec. 36 ; no 94-348 DC du 3 août 1994, Rec. 117). Il en résulte que la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle pourrait être modifiée à l'avenir par voie réglementaire ou jurisprudentielle sans bénéficier de la garantie constitutionnelle que représente l'intervention du législateur. Elle se verrait donc aussi privée du bénéfice de la jurisprudence constitutionnelle à « l'effet cliquet » qui n'accepte les modifications législatives que dans le sens de l'augmentation des garanties constitutionnelles et les refuse lorsqu'elles aboutiraient à une réduction de celles-ci. De plus, on pourrait assister à de grandes disparités d'appréciation de la « décence », génératrices d'atteintes au principe d'égalité, ces atteintes pouvant d'ailleurs toucher autant les locataires que les propriétaires. Il aurait donc fallu non seulement que ces critères de « décence » soient inscrits précisément dans la loi, mais encore qu'ils y soient définis de la façon la plus objective possible, afin d'éviter qu'ils puissent être l'objet d'interprétations tendancieuses de la part du locataire ou du propriétaire, par exemple en se référant à ceux énoncés par le Conseil national de l'habitat, c'est-à-dire, entre autres, la sécurité, un minimum de confort ainsi que le bon usage de l'immeuble fait par les parties. Cette absence de critères législatifs objectifs pour évaluer la « décence » d'un logement laisse de plus planer une grande incertitude sur les critères qui pourraient être utilisés par le juge, éventuellement amené, aux termes de l'article 85 A, à déterminer la nature des travaux à réaliser ainsi que le délai de leur exécution et même à réduire le montant du loyer. Cette absence d'encadrement législatif de l'intervention du juge risque de porter atteinte tant aux éléments du droit de propriété, qu'à la liberté des conventions et au principe d'égalité. En effet, l'appréciation portée par le juge sur la « décence » du logement pourra profiter, ou au contraire nuire, tant au bailleur qu'au locataire, selon la façon dont cette décence sera appréciée par un juge ou par un autre.
  3. Sur les atteintes au droit de propriété et à la liberté individuelle Sur la méconnaissance du droit de propriété La décision no 98-403 DC du 29 juillet 1998, rendue par le conseil à propos de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, illustre bien le mode de conciliation que le législateur doit respecter entre l'objectif constitutionnel que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent et le droit de propriété, protégé par la Constitution. Il en ressort que le législateur ne peut pas justifier par l'objectif toutes les atteintes portées au droit. Entre l'objectif à valeur constitutionnelle (logement) et le principe constitutionnel (propriété), la conciliation n'est pas « mise en balance » mais fixation d'une « limite à ne pas franchir » (au profit du principe). Le législateur doit, à raison de l'objectif de valeur constitutionnelle, assigner une finalité précise à la recherche de l'intérêt général dans le domaine du logement. Mais cette recherche ne doit pas conduire à dénaturer le droit de propriété. Le fait que la possibilité d'obtenir un logement décent soit seulement un objectif de valeur constitutionnelle prend ici toute son importance. En effet, s'il s'était agi d'un droit fondamental, le Conseil constitutionnel aurait contrôlé la conciliation opérée entre deux droits fondamentaux, à savoir le droit de propriété et le droit à un logement décent. Par contre, étant en présence d'un simple fondement constitutionnel à la compétence du législateur, il s'assure que l'exercice de celle-ci ne porte pas atteinte de façon trop importante au droit fondamental de propriété. Ainsi, la décision du 29 juillet 1998 a posé une véritable limite à l'extension de cet objectif de valeur constitutionnelle, en rappelant que le droit de propriété et le régime de la propriété, définis par le législateur, sont des droits fondamentaux qui ne peuvent supporter certaines atteintes graves, sous peine de dénaturation de ce droit de propriété. En se fondant tant sur les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et sur le seizième alinéa de l'article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », elle précise que « s'il appartient au législateur de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, et s'il lui est loisible, à cette fin, d'apporter au droit de propriété les limitations qu'il estime nécessaires, c'est à la condition que celles-ci n'aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle ». Or, au regard de cette jurisprudence, il apparaît que l'article 187 du texte déféré porte gravement atteinte au droit de propriété, alors que la seule référence au critère pour le moins imprécis de décence ne saurait tenir lieu de motif d'intérêt général défini avec une précision suffisante, constamment exigé par la jurisprudence constitutionnelle dans ce cas (voir notamment C. const., no 85-189 DC du 17 juillet 1985, Rec. 49).
    Sur les atteintes à la liberté individuelle Enfin, l'ensemble du dispositif prévu par l'article 187 porte atteinte au principe général de liberté énoncé par l'article 4 de la Déclaration de 1789 à travers deux de ses modalités essentielles, puisque le bailleur se voit à la fois privé de la libre disposition de son bien et de la plénitude de sa liberté contractuelle, alors que le motif d'intérêt général invoqué est insuffisamment précisé par la loi pour justifier la méconnaissance de principes constitutionnels aussi fondamentaux que la liberté et la propriété. Il ressort en effet de la décision du Conseil constitutionnel de 1998, rendue à propos de la loi relative à la lutte contre les exclusions, que la défense du droit de propriété s'inscrit dans le prolongement et en tant que complément de la liberté individuelle du bailleur. En l'espèce, l'insuffisante définition législative des critères de la « décence » porte donc non seulement atteinte au droit de propriété, mais aussi par là au principe de liberté individuelle. Or, le bloc de constitutionnalité mis en oeuvre par la jurisprudence constitutionnelle impose de faire prévaloir des droits aussi essentiels que le droit de propriété et la liberté individuelle sur l'objectif du logement décent, même de valeur constitutionnelle, dès lors que le législateur, en méconnaissant sa compétence, ne précise pas suffisamment les modalités de mise en oeuvre de cet objectif, franchissant ainsi la limite des atteintes admises à ces droits essentiels. Par ailleurs, l'article 187 du texte de loi porte atteinte à la liberté des conventions entre bailleur et locataire et donc plus généralement à la liberté contractuelle et à la sécurité juridique des conventions. En effet, la possible remise en cause des conditions admises par le bail, en particulier la possible réduction de loyer, touche le coeur de la relation contractuelle entre propriétaire et locataire. Or, la jurisprudence constitutionnelle considère que « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (C. const., no 98-401 DC, 10 juin 1998, Première loi sur les 35 heures, Rec. 258). Cette position a été reprise dans la décision relative à la loi portant création d'une couverture maladie universelle (C. const., no 99-416 DC, 23 juillet 1999, Rec. 100), le Conseil précisant que seul un motif d'intérêt général peut permettre au législateur d'apporter des modifications aux contrats en cours. Ce raisonnement se fonde sur un principe général sous-jacent qui est celui de la sécurité juridique et qui conduit le Conseil constitutionnel à vérifier l'existence de motifs d'intérêt général suffisamment pertinents pour remettre en cause des situations acquises. Il a dernièrement conduit le Conseil à censurer une disposition de la seconde loi sur les 35 heures qui remettait en cause les conventions passées sous le régime de la première loi sur les 35 heures sans motif d'intérêt général suffisant (C. const., no 99-423 DC, 13 janvier 2000, JO, 20 janvier 2000, p. 992 et s.). Or, l'article 187 du présent texte, à travers la possibilité qu'il institue de remettre en cause a posteriori le bail pour le motif de non-respect de l'exigence de « décence », dont on a vu qu'il n'était pas plus précisément défini par la loi, porte une atteinte excessive et non justifiée à la stabilité des conventions et donc au principe de sécurité juridique. Au vu de tous ces éléments, il apparaît que la question du « logement décent » doit s'apprécier comme un objectif à atteindre qui nécessite une définition précise et objective de ses critères par le législateur, sous peine de porter atteinte, au travers de cette incompétence négative, au droit de propriété et à la stabilité des conventions et par là à la liberté individuelle. De plus, les différences prévisibles d'appréciation de la « décence » par l'administration et le juge portent également atteinte au principe d'égalité, tant en ce qui concerne les bailleurs que les locataires. La nécessaire conciliation entre l'objectif et ces différents principes de valeur constitutionnelle n'est ainsi pas assurée, au détriment de ces derniers comme du niveau de protection garantie au premier. En conséquence, l'article 187 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution.
    II. - Sur la non-conformité à la Constitution de l'institution d'un quota de 20 % de logements sociaux Le texte relatif à la solidarité et au renouvellement urbains comporte un titre II intitulé « Conforter la politique de la ville ». La première section de ce titre concerne les « Dispositions relatives à la solidarité entre les communes en matière d'habitat » (art. 55 à 71), en se fondant, selon les propres termes de l'exposé des motifs, sur le principe de « mixité sociale », déjà inscrit dans la loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991. Les dispositions de la loi de 1991 étant jugées « d'application délicate », le texte déféré précise, aux articles 55 et suivants, les obligations imposées aux collectivités territoriales pour réaliser des logements sociaux dans les communes où ces logements représentent moins de 20 % des résidences principales, en privilégiant le caractère intercommunal de ce dispositif et en permettant à l'Etat de se substituer aux communes en cas de carence de celles-ci. A cet effet, l'article 55 du texte modifie les articles L. 302-5 à L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation. Il est ainsi procédé à une simplification du critère définissant les communes soumises à l'obligation de réalisation de logements sociaux et à son extension à l'ensemble des agglomérations de plus de 50 000 habitants, seuil retenu par la loi sur la simplification de la coopération intercommunale pour les communautés d'agglomération. Il est également institué un prélèvement sur les recettes des communes ayant moins de 20 % de logements sociaux, égal à 1 000 F par logement manquant par rapport à ce seuil, dont les communes concernées pourront déduire les dépenses ayant réellement contribué à la réalisation de logements sociaux. Ce prélèvement sera versé à la communauté urbaine ou à la communauté d'agglomération, si celle-ci a approuvé un programme local de l'habitat (PLH), ou, à défaut, à un établissement public foncier local, s'il en existe un, ou à un fonds d'aménagement urbain affecté aux communes pour des actions en faveur du logement social. Il est précisé que les communes concernées devront prendre les dispositions pour que soient réalisés les logements sociaux nécessaires pour rattraper le retard en vingt ans (soit 15 % du nombre de logements sociaux manquant par période de trois ans). Il est enfin conféré à l'Etat la possibilité de se substituer à la commune en cas de carence certaine de cette dernière. Or, ce dispositif, particulièrement contraignant, se révèle contraire à la Constitution au regard de l'imprécision de l'objectif de « mixité sociale » (1), de la définition problématique du périmètre des logements sociaux (2) et enfin de l'atteinte portée au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales (3).
  4. Sur l'imprécision et le caractère non normatif de l'objectif de « mixité sociale » L'objectif de « mixité sociale » est apparu dans la loi d'orientation pour la ville no 91-662 du 13 juillet 1991. Il est inscrit dans le code de la construction et de l'habitation (CCH), dans le chapitre consacré au « programme local de l'habitat », en particulier à l'article L. 302-1, lequel dans son deuxième alinéa, issu partiellement de la loi no 96-987 du 14 novembre 1996 (pacte de relance pour la ville), énonce que « le programme local de l'habitat définit, pour une durée au moins égale à cinq ans, les objectifs et les principes d'une politique visant à répondre aux besoins en logements et à favoriser la mixité sociale en assurant entre les communes et entre les quartiers d'une même commune une répartition équilibrée et diversifiée de l'offre de logements ». On peut voir dans cet énoncé un élément de définition de la mixité sociale. Toutefois, ce concept demeure très flou et mériterait de faire l'objet d'une définition précise, compte tenu de ses conséquences pratiques et juridiques. Dans le texte déféré, la notion de « mixité sociale » est employée à plusieurs reprises pour répondre à une « exigence de solidarité ». Ainsi, l'exposé des motifs énonce, dans un paragraphe intitulé « réussir la mixité urbaine », qu'« il n'y aura pas de mixité sociale et urbaine et d'équilibre social de l'habitat sans réalisation de logements sociaux là où il y en a peu ou pas du tout. Il faut revenir à la logique initiale affirmée par la loi no 91-662 du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville et sortir d'un système dans lequel certaines communes peuvent continuer à refuser la construction de logements sociaux ». Les concepts de « mixité urbaine » et de « mixité sociale dans l'habitat » se retrouvent dans le corps même du dispositif législatif. Ainsi, l'article 1er du texte intègre ces deux notions au sein de l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme. Les articles 55 et suivants, sans il est vrai employer explicitement les termes de « mixité sociale » ou de « mixité urbaine », mettent concrètement en oeuvre ces notions. Le seul emploi du terme « mixité sociale » concerne la nouvelle rédaction proposée de l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation, dont la première phrase énonce que « la collectivité ou l'établissement public de coopération intercommunale ayant approuvé le programme local de l'habitat établit, au terme de chaque période triennale, un bilan d'exécution du contrat d'objectifs portant en particulier sur le respect des engagements en matière de mixité sociale ». Cependant, pour l'analyse de la constitutionnalité de ces dispositions, il n'importe guère que le terme de « mixité sociale » soit inscrit explicitement dans le texte même de l'article 55, dès lors que le contenu de cet article procède bien à la réalisation de cet objectif. Dès lors, l'inconstitutionnalité de l'article 55 procède de l'impossibilité de définir précisément ce que le terme de « mixité sociale » recouvre au sens juridique du terme. La décision du Conseil constitutionnel no 98-403 DC du 29 juillet 1998, rendue à propos de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, a certes fait référence à « la mise en oeuvre de politiques spécifiques, liées notamment à des opérations d'urbanisme ou à la recherche de la mixité sociale des villes et des quartiers » à propos des motifs légitimes d'inoccupation temporaire. Toutefois, cette référence à la « mixité sociale » ne vaut pas pour autant reconnaissance de la constitutionnalité de ce concept. En jugeant que l'exonération des logements détenus par les organismes du secteur social est justifiée notamment par « la recherche de la mixité sociale des villes et des quartiers », le Conseil a seulement jugé que cet objectif, dans le cas d'espèce, compte tenu des modalités d'encadrement et de contrôle précisément définies par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, n'était en lui-même contraire à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle. Or, alors que l'appréciation à laquelle s'est livré le Conseil dans cette décision du 29 juillet 1998 a pu se fonder sur l'analyse de faits objectifs, à savoir les motifs d'inhabitation dans les logements de certains organismes publics, il en va tout autrement dans le texte qui est aujourd'hui soumis à son examen. L'objectif de « mixité sociale » y constitue bien le fondement d'un véritable arsenal juridique avec des effets normatifs précis qui pèsent sur les collectivités territoriales. Et la différence est ici majeure. En 1998, la référence à la « mixité sociale » pour justifier l'inhabitation était très indirecte et ne constituait qu'un critère parmi beaucoup d'autres. Dans le texte déféré, au contraire, la mixité sociale est énoncée, tant dans l'exposé des motifs que dans le contenu du dispositif législatif, comme le fondement exclusif de dispositions normatives et impératives. Cet objectif doit ainsi fonder des appréciations, des décisions administratives et même des sanctions en cas d'inobservation. Or, si l'on cherche à cerner la signification de la « mixité sociale », laquelle n'est pas précisément définie dans le dispositif même du texte déféré, il s'avère qu'elle relève d'une pétition de principe politique ou idéologique, fruit d'une observation sociologique des classes sociales, c'est-à-dire fondée sur une construction non juridique et sujette à des interprétations fort diverses et à des analyses très subjectives. Autrement dit, le dispositif très contraignant élaboré à l'article 55 du texte repose entièrement sur une notion qui ne peut faire, par essence, l'objet d'aucune définition juridique précise pour en tirer pourtant des conséquences extrêmement précises en termes de développement de l'habitat, de contrôle de ce développement ainsi qu'en termes de mesures financières et fiscales imposées aux collectivités territoriales concernées. Autrement dit, les dispositions de l'article 55 fondent des règles juridiques impératives et contraignantes sur un concept dépourvu de toute valeur normative et d'ordre purement déclaratoire. En quelque sorte, le dispositif prévu par l'article 55 se révèle ainsi dépourvu de base légale et de fondement normatif. Concrètement, sa mise en oeuvre pratique se heurterait d'ailleurs inévitablement à des problèmes insolubles en droit. Elle reviendrait, en effet, à imposer aux collectivités territoriales le respect des règles fondées sur un concept indéfinissable. Dès lors, on ne voit pas comment, et selon quels critères, les autorités administratives chargées éventuellement de se substituer aux communes en cas de « mixité sociale » insuffisante pourraient apprécier cette insuffisance. C'est pourquoi, les requérants demandent au Conseil constitutionnel de constater le caractère non normatif des dispositions inscrites à l'article 55 et de déclarer également dépourvues d'effet juridique contraignant toutes les dispositions du texte déféré fondées sur la notion de « mixité sociale » en recourant à la technique de l'interprétation neutralisante.
  5. Sur l'inconstitutionnalité de la définition du périmètre des logements sociaux La définition du périmètre des logements sociaux s'avère doublement inconstitutionnelle, dans la mesure où elle porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité et où elle se réfère à un « quota » de 20 % dépourvu de tout fondement objectif.
    Sur les atteintes au principe d'égalité Le périmètre des logements sociaux, défini par l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, exclut de fait le parc privé du dispositif de la loi. Il s'ensuit une atteinte au principe d'égalité entre bailleurs sociaux, selon que ceux-ci sont inclus dans le parc « public » ou dans le parc « privé ». Cette question est plus largement celle de la définition qui doit être donnée à la notion de « parc social » et à celle de « logement à vocation sociale ». Dès lors que les bailleurs privés possèdent des logements dont la vocation peut être en partie sociale, sans avoir ce seul objet, il apparaît que le dispositif de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains porte atteinte au principe d'égalité, dans la mesure où le texte ne justifie pas de différence fondamentale de situation entre le parc « public » et le parc « privé ». Se rattache par ailleurs à cet argument la distinction faite entre les différents types de communes concernées ainsi que les types de logements, énoncés aux 1o à 4o de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation. De ce point de vue, les différences de soumission à la règle des 20 % de logements sociaux ne sont pas davantage justifiées par des différences de situation clairement identifiables. A cet égard, le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs émis en 1998 de très nombreuses réserves d'interprétation à propos de l'article 51 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, instaurant la « taxe d'inhabitation ». Sa décision du 29 juillet 1998 (no 98-403 DC, précitée) avait certes rejeté le moyen soulevant la rupture d'égalité entre bailleurs publics et privés mais avait reconnu des ruptures d'égalité entre bailleurs privés, qui avaient été palliées en recourant à des réserves d'interprétation constructives. En l'espèce, le même type de raisonnement est appelé à jouer. Le dispositif mis en place par l'article 55 du texte déféré conduit à instituer une rupture d'égalité entre les différents types de bailleurs, publics et privés, comme entre les collectivités territoriales, sans que les critères soient clairement énoncés dans la loi. Le manque de contenu du critère de « mixité sociale » a déjà été souligné. Par ailleurs, le critère de population dans la commune ainsi que les autres critères retenus pour exclure certaines communes (inconstructibilité, parc naturel régional, types de logements conventionnés, etc.) ne sont, à l'évidence, pas en rapport direct avec l'objet de la loi, pour reprendre les termes de la décision du Conseil constitutionnel de 1998, qui est d'assurer, selon la section 1 du titre II de la loi, « la solidarité entre les communes en matière d'habitat ». De même, les discriminations entre les communes introduites dans l'article 55 selon le seuil de population ou la localisation de ces communes constituent une atteinte au principe d'égalité entre personnes publiques placées dans une même situation. Enfin, la recherche de la solidarité entre citoyens ou entre personnes publiques trouve sa limite dans le respect du principe d'égalité devant les charges publiques énoncé par l'article 13 de la Déclaration de 1789. Le Conseil rappelle à cet égard « qu'il incombe au législateur, lorsqu'il met en oeuvre le principe de solidarité nationale, de veiller à ce que la diversité des régimes d'indemnisation institués par lui n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité de tous devant les charges publiques » (C. const., no 87-237 DC, 30 décembre 1987, Loi de finances pour 1988, Rec. 63).
    Sur l'absence de fondement objectif du principe de 20 % de logements sociaux Le principe de 20 % de logements sociaux en dessous duquel trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article 55 n'est justifié par aucun critère réellement objectif. Il faudrait ainsi considérer que l'objectif de « mixité sociale » sera réalisé au-dessus de ce seuil et non réalisé en dessous, alors même qu'il est impossible de saisir objectivement ce qui conduit à poser ce principe de 20 % de logements sociaux. Dès lors, ce seuil de 20 % ne saurait constituer un critère objectif et suffisant pour justifier les mesures impératives prévues à l'article 55 du texte. En d'autres termes, le pouvoir discrétionnaire du législateur ne peut s'exercer que dans les limites de critères d'application objectivement identifiables dès lors qu'il prive de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle. En l'espèce, les atteintes portées au principe d'égalité, sous toutes ses formes, telles qu'énoncées ci-dessus ne peuvent être suffisamment justifiées par le recours à ce seuil de 20 %. Or, lorsque le Conseil constitutionnel recourt au critère subsidiaire de l'intérêt général pour justifier une atteinte au principe d'égalité, il exerce un contrôle poussé des motifs qui pourraient justifier, à ce titre, une différence de traitement non fondée sur une différence de situation. Au terme d'une jurisprudence constante, l'intérêt général invoqué doit être en rapport avec l'objet de la mesure qui déroge au principe d'égalité et cette dérogation doit être proportionnée à l'objectif à atteindre et à l'intérêt général en cours. Or, le seul objectif de mixité sociale, dont le caractère imprécis et le manque de caractère normatif ont été soulignés, s'avère très loin de répondre à ces exigences.
  6. Sur l'atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales Dans la décision no 90-274 DC du 29 mai 1990 relative à la loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement (Rec. 61), le Conseil, en se fondant sur les dispositions de la Constitution de 1958 qui déterminent les principes de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales (art. 34 et 72), a énoncé que « il revient au législateur de définir les compétences respectives de l'Etat et des collectivités territoriales en ce qui concerne les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées qui répond à une exigence d'intérêt national ». Il appartient donc à l'Etat de définir et de mettre en oeuvre la promotion du logement des personnes défavorisées. Toutefois, si cette définition d'une politique nationale du logement peut le conduire à poser des limites à la liberté d'action des collectivités territoriales, elle ne saurait pour autant le faire dans une mesure telle qu'il serait porté atteinte au principe de leur libre administration, garanti par la Constitution et la jurisprudence du Conseil. Or, l'article 55 du texte déféré prévoit l'instauration d'un prélèvement sur les ressources des communes afin d'obliger celles-ci à réaliser des logements sociaux, selon un objectif qui ne peut être inférieur à 20 % du total des résidences principales. Ce mécanisme de prélèvement est détaillé aux articles L. 302-6 à L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation. Sans reprendre la présentation détaillée de ces dispositions, les requérants soutiennent qu'elles se révèlent inconstitutionnelles au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales, garanti par les articles 72 (« Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ») et 34 (« la loi détermine les principes fondamentaux (...) de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources. ») de la Constitution et la jurisprudence du Conseil. L'atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales provient d'abord du fait que l'application de ce prélèvement priverait les collectivités territoriales concernées de leur capacité à exercer des attributions effectives. D'autre part, elle résulte ensuite de l'étendue des pouvoirs conférés au préfet à l'égard de ces collectivités territoriales.
    Sur les atteintes à l'effectivité des attributions des collectivités territoriales Le prélèvement opéré par l'article 55 sur les ressources fiscales des communes porte tout d'abord atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce sens qu'il empêche ces collectivités d'exercer effectivement leurs attributions. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les règles énoncées par le législateur, certes compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, ne doivent pas avoir pour effet de réduire les attributions effectives des organes délibérants des collectivités territoriales et plus particulièrement de diminuer les ressources fiscales de ces collectivités au point de méconnaître la compétence propre des collectivités locales et d'entraver leur libre administration. Sur le plan financier, le Conseil a clairement posé les limites des charges financières que le législateur peut imposer aux collectivités territoriales. Il juge ainsi que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 90-277 DC, 25 juillet 1990, Rec. 70 ; repris à l'identique dans C. const., no 91-298 DC, 24 juillet 1991, Rec. 82). La décision rendue par le Conseil concernant la suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle a précisé que la constitutionnalité d'une atteinte aux ressources fiscales des collectivités locales est subordonnée à l'institution d'une contrepartie fondée précisément sur des critères d'indexation et de durée pour garantir le maintien d'un volume global de ressources pour les collectivités territoriales considérées (C. const., no 98-405 DC du 29 décembre 1998, Rec. 326). La suppression de la part régionale de la taxe d'habitation vient de donner l'occasion au Conseil de préciser encore sa jurisprudence, en énonçant que les règles posées par la loi sur le fondement des articles 34 et 72 « ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part de leurs recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration » (C. const., no 2000-432 DC, 12 juillet 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, JO, 14 juillet 2000, p. 10808). A cet égard, si les recettes fiscales propres d'une collectivité territoriale disparaissaient ou devenaient insuffisantes, elle ne pourrait faire face à des dépenses imprévues, ce qui pourrait compromettre la continuité de services publics locaux ou l'ordre public, portant atteinte à des principes de valeur constitutionnelle. Plus généralement, une dépendance excessive par rapport à l'Etat viderait de sa substance l'autonomie locale, contrevenant ainsi à l'article 72 de la Constitution. Ainsi, lorsque le législateur décide de supprimer ou de réduire une ressource des collectivités territoriales, le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et de la jurisprudence du Conseil lui imposent de ne le faire que dans une mesure limitée, en appliquant des critères de durée et de limitation des montants, tout en précisant clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs. Or, à ces différents égards, l'atteinte aux ressources fiscales des collectivités territoriales contenue dans l'article 55 du présent texte dépasse le seuil admis par la jurisprudence constitutionnelle et les limites qu'elle a fixées en vertu du principe de libre administration des collectivités locales. En effet, le mécanisme prévu à l'article 55 touche le coeur des ressources fiscales des collectivités territoriales en opérant un prélèvement sur les quatre impôts directs locaux parmi les plus anciens et les plus essentiels perçus par les communes, à savoir la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la taxe d'habitation et la taxe professionnelle (cf. art. L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation). En faisant supporter aux collectivités locales une charge nouvelle dont elles ne peuvent par essence fixer précisément à l'avance le montant, il ne permet pas de garantir l'effectivité des attributions des collectivités territoriales, parce qu'il risque d'empêcher les communes de pouvoir exercer effectivement et librement leurs compétences, voire de ne plus pouvoir faire face à des dépenses pourtant obligatoires. Autrement dit, ce dispositif législatif conduirait ainsi à vider de sa substance la notion même d'autonomie des collectivités communales. Cette augmentation est confortée par l'absence de toute limitation de durée du dispositif, qui est donc destiné à continuer à s'appliquer, même si le seuil de 20 % de logements sociaux est atteint ou dépassé, ce qui enlève d'ailleurs toute logique à ce seuil de 20 % et à la mesure elle-même. Le texte ne prévoit aucun plafond au-delà duquel le prélèvement ne serait plus effectué, par exemple, une fois le seuil de logements sociaux atteint (cf. C. const., no 91-291 DC, 6 mai 1991). De plus, le prélèvement opéré ne s'accompagne d'aucune mesure de compensation de la part de l'Etat. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette compensation par le budget de l'Etat est une nécessité pour que la part fiscale des ressources des communes soit assurée et qu'ainsi le principe de leur libre administration soit respecté. Cette compensation, qui répond donc à une exigence constitutionnelle, relève du domaine, constitutionnellement défini, des lois de finances. Autrement dit, les mesures inscrites dans l'article 55 du texte déféré doivent être considérées comme contraires à la Constitution, soit parce qu'elles ne comportent aucune mesure de compensation, alors qu'il s'agit d'une exigence constitutionnelle, soit parce qu'elles anticipent un dispositif qui devrait être inscrit dans une loi de finances future, ce qui revient à lier donc à l'avenir le législateur financier, ce qui est contraire à la Constitution et à l'ordonnance du 2 janvier 1959, relative aux lois de finances (décision no 82-142 DC, 27 juillet 1982, Rec. 52). Enfin, le prélèvement prévu par l'article 55, fondé sur la seule référence à la « mixité sociale », se révèle dépourvu d'une justification clairement définie en droit, alors que la jurisprudence du Conseil exige que le dispositif législatif portant atteinte aux ressources des collectivités locales précise clairement la finalité de la mesure qui doit être fondée sur des critères objectifs.
    Sur les pouvoirs excessifs conférés au préfet L'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation prévoit un véritable mécanisme de sanction automatique, lorsque le préfet constate, par un arrêté motivé, la « carence » de la commune dans l'absence ou l'insuffisance de réalisation de logements sociaux. Dans ce cas, le prélèvement « est doublé, sans pouvoir excéder 10 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune constatées dans le compte administratif afférent au pénultième exercice ». Or, le caractère automatique de la sanction est critiquable, à un double titre. D'une part, la commune ne peut être en mesure de se justifier et d'expliquer les raisons qui conduisent à ne pas avoir atteint le seuil fixé par la loi. D'autre part, la sanction n'applique pas un principe de proportionnalité de la mesure, qui doit être adaptée aux faits reprochés. A cet égard, la jurisprudence du Conseil constitutionnel condamne tant l'absence de possibilité de respecter les droits de la défense, dont on ne voit pas pourquoi ils ne seraient pas applicables aux personnes publiques, que le non-respect du principe de proportionnalité, par exemple en matière de lois délimitant les circonscriptions électorales (C. const., no 85-196 DC, 8 août 1985, Rec. 63 ; no 86-208 DC, 1er et 2 juillet 1986, Rec. 78). Fondamentalement, la notion de « carence manifeste » utilisée par le texte de loi ne permet de s'assurer que la décision du préfet ne fera pas une part à l'arbitraire. A tout le moins, il faudrait que le dispositif prévoit explicitement une possibilité de recours ouverte à la commune devant le juge administratif.
    Sur l'atteinte aux principes de consentement à et d'égalité devant l'impôt D'une part, le mécanisme prévu à l'article 55 porte atteinte au principe du consentement à l'impôt inscrit à l'article 14 de la Déclaration de 1789. A aucun stade, les autorités locales ne peuvent, en effet, appliquer ce principe. D'autre part, le mode de calcul du prélèvement sur les ressources fiscales des communes, institué par l'article L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation, porte atteinte au principe d'égalité. En effet, un dispositif de majoration dudit prélèvement est mis en place pour les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à 5 000 F, sans que parallèlement les communes dont le potentiel fiscal est inférieur à 5 000 F voient leur prélèvement minoré. Or, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que les mesures de reprise de fiscalité par l'Etat doivent être proportionnées en fonction du potentiel fiscal des communes concernées (DC no 91-291 du 6 mai 1991). Les requérants considèrent donc que la disposition précitée doit être déclarée contraire à la Constitution.
    Sur l'incompétence négative du législateur Enfin, les dispositions de l'article 55 du texte déféré sont entachées d'une incompétence négative, dans la mesure où le législateur impose aux communes la construction d'un « quota » de 20 % de logements sociaux sans préciser les dispositions qui doivent être prises pour les communes qui ne comprennent plus de zones constructibles ou qui recouvrent de nombreuses zones inconstructibles pour des raisons historiques, militaires... Seules sont prises en compte les communes dont plus de la moitié du territoire urbanisé est soumis à une inconstructibilité résultant d'un plan d'exposition au bruit ou d'une servitude de protection instituée en application des articles L. 515-8 à L. 515-11 du code de l'environnement. Aucune autre dérogation n'est envisagée par le texte déféré. Dans la mesure où il est de la compétence du législateur de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources (art. 34 de la Constitution), l'article 55 est entaché d'une incompétence négative. Pour toutes ces raisons, il est demandé au Conseil de déclarer non conforme à la Constitution l'article 55 du texte déféré.
    III. - Sur diverses atteintes au principe d'égalité et à d'autres principes constitutionnels Les requérants entendent enfin souligner diverses atteintes au principe d'égalité, comme à d'autres principes constitutionnels, contenues dans d'autres dispositions du texte de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.
  7. Sur l'inconstitutionnalité des plans locaux d'urbanisme L'article 4 du texte met en place des plans locaux d'urbanisme qui conduisent à imposer aux propriétaires des contraintes particulièrement sévères en matière de constructions (constructibilité, aspect extérieur et dimensions), d'aménagement de leurs abords, et plus généralement à imposer des règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées (art. L. 123-1 du code de l'urbanisme). De telles dispositions conduisent à des ruptures d'égalité entre propriétaires fonciers, selon que les terrains sont régis par un plan local d'urbanisme limitant ou réglementant plus ou moins restrictivement l'exercice du droit de propriété. A cet égard, la rupture d'égalité s'accompagne d'une atteinte au libre exercice du droit de propriété, c'est-à-dire à la libre disposition de son bien par le propriétaire. Enfin, là encore, le texte de loi ne prévoit pas l'application d'un principe de proportionnalité de la mesure instituée par le plan local d'urbanisme, en fonction des objectifs énoncés dans les premiers alinéas de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme. Or, le Conseil constitutionnel sanctionne les atteintes au droit de propriété qui pourraient être, en elles-mêmes, acceptables au regard de sa jurisprudence, mais qui sont portées sans qu'une procédure adéquate ait permis au propriétaire d'être informé et de se défendre, c'est-à-dire sans que soient présentes dans la loi « des garanties de fond et de procédure en rapport avec le degré d'atteinte portée au droit de propriété » (C. const., no 84-172 DC et no 98-403 DC). Ici, ce sont d'autres principes qui s'ajoutent à ceux directement protecteurs du droit de propriété : droits de la défense, principe d'égalité devant la loi, etc. De plus, l'article L. 123-2 (a et b) du code de l'urbanisme, tel qu'il résulte de l'artice 3 du texte déféré, prévoit l'institution de servitudes permettant d'interdire « pour une durée au plus de cinq ans... les constructions ou installations d'une superficie supérieure à un seuil défini par le règlement ». Or, si le Conseil constitutionnel reconnaît la possibilité pour le législateur d'instituer des servitudes administratives (C. const., no 82-141 DC, 27 juillet 1982, Rec. 48), il rappelle dans le même temps que ces servitudes ne doivent pas « vider de son contenu le droit de propriété en affectant non seulement l'immeuble mais la personne de ses occupants (ni) constituer une entrave à l'exercice de droits et libertés constitutionnellement garantis » (C. const., no 85-198 DC, 13 décembre 1985, Rec. 78 ; cf. plus largement no 94-352 DC, 18 janvier 1995, Rec. 170). Le Conseil constitutionnel impose ensuite que l'institution de telles servitudes soit accompagnée de garanties fixées dans la loi elle-même : « il revient au législateur de déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires ; en tout état de cause, il doit poser la règle que la servitude doit être établie par une autorité de l'Etat et prévoir le principe d'une procédure destinée à permettre aux intéressés, d'une part, d'être informés des motifs rendant nécessaire l'établissement de la servitude, d'autre part, de faire connaître leurs observations » (C. const., no 85-198 DC, précitée). Force est de constater qu'aucune garantie évitant l'arbitraire de la décision instituant la servitude n'est présente dans le texte de loi. Il faut d'ailleurs ajouter qu'aucun principe d'indemnisation n'est prévu dans le texte instituant la servitude, ce qui renforce l'inconstitutionnalité de l'article 4 du texte. Compte tenu des graves atteintes portées tant au principe d'égalité qu'au droit de propriété, on peut soutenir que ces dispositions sont inséparables de l'ensemble des dispositions de l'article 4. Pour toutes ces raisons, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l'ensemble de l'article 4 contraire à la Constitution.
  8. Sur l'inconstitutionnalité des modalités de mise en œuvre du droit de préemption Le II de l'article 19 du texte modifie l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme en réduisant de dix à cinq ans le délai pour mettre en oeuvre le droit de préemption : la nouvelle rédaction mentionne l'hypothèse où « le titulaire du droit de préemption décide d'utiliser ou d'aliéner à d'autres fins un bien acquis depuis moins de cinq ans par exercice de ces droits... ». Cette réduction du délai pour faire jouer le droit de préemption n'est accompagnée d'aucune réelle justification, alors même qu'elle porte atteinte tant au droit de propriété qu'à la liberté contractuelle, c'est-à-dire à deux principes de valeur constitutionnelle qui constituent deux modalités d'exercice de la liberté individuelle. Or, la jurisprudence constitutionnelle subordonne la constitutionnalité de telles atteintes à la nécessité d'un motif d'intérêt public précisément défini dans la loi. Par ailleurs, le II de l'article 19 ne respecte pas davantage le principe de proportionnalité de la mesure au but poursuivi par l'exercice du droit de préemption. En tout état de cause, un recours devant une instance juridictionnelle devrait être prévu dans le texte, permettant l'exercice du droit fondamental au recours. Pour toutes ces raisons, il est demandé au Conseil constitutionnel d'annuler le II de l'article 19 du texte déféré.
  9. Sur l'inconstitutionnalité de la possibilité de majoration de la taxe foncière L'article 54 du texte prévoit l'éventualité d'une majoration de la taxe foncière par une délibération du conseil municipal. Cette majoration forfaitaire peut porter sur les terrains constructibles situés dans les zones urbaines délimitées par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé conformément au code de l'urbanisme (disposition inscrite à l'article 1396 du code général des impôts). Or, cette disposition introduit une véritable discrimination entre propriétaires et rompt « forfaitairement » l'égalité devant l'impôt. Aucun critère objectif et rationnel, pour employer l'expression utilisée par le Conseil constitutionnel, n'est énoncé pour justifier cette mesure discriminatoire. Or, la jurisprudence du Conseil constitutionnel condamne toute différence d'imposition quand celle-ci n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels (C. const., no 83-164 DC, 29 décembre 1983, Rec. 67 ; no 91-298 DC, 24 juillet 1991, Rec. 82 ; no 97-390 DC, du 19 novembre 1997, Rec. 254). Par ailleurs, le principe de proportionnalité n'est là non plus pas respecté, alors que la mesure devrait être adaptée au but recherché, lequel n'est pas énoncé dans le texte de loi. C'est pourquoi il est demandé au Conseil de déclarer l'article 54 du texte contraire à la Constitution.
  10. Sur l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 411-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant de l'article 145 de la loi déférée Le nouvel article L. 411-5 du code de la construction et de l'habitation tend à soumettre les logements des filiales immobilières de la Caisse des dépôts et consignations au principe de pérennité applicable au logement social. En d'autres termes, la disposition déférée à la censure du Conseil consiste à imposer autoritairement que le régime des HLM s'applique, même après expiration des conventions qui fixaient, pour la durée de leur application, des conditions de ressources et de loyers, à ceux des logements de la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations dont la liste sera dressée par arrêté, en tenant compte de l'occupation sociale, appréciée notamment à proportion du nombre de bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement. Cet article doit être déclaré contraire à la Constitution au motif qu'il porte atteinte : - au principe d'égalité devant la loi. La SCIC est dans une situation juridique strictement identique à celle de nombreux autres opérateurs intervenant dans le domaine du logement social ou du logement intermédiaire et rien, dans ces conditions, ne pourrait justifier qu'un sort particulier soit réservé à ses filiales, cependant que les autres intervenants échapperaient à celui-ci. D'une part, le fait d'être filiales ou, à plus forte raison, sous-filiales d'un établissement public, ne suffit pas à placer ces sociétés dans une situation spécifique au regard de l'objet de la loi, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision no 92-316 DC (Décision du 20 janvier 1993, Rec 14 ). D'autre part, aucune exigence d'intérêt général n'existe ici, qui imposerait cette discrimination au point de permettre qu'il soit dérogé au principe constitutionnel ; - au principe d'égalité devant les charges publiques. Les dispositions contestées feraient en effet peser des sujétions discriminatoires, non seulement sur la société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi sur la totalité des actionnaires, minoritaires le plus souvent, mais parfois même majoritaires de ses filiales. Ces actionnaires sont des personnes totalement privées qui verraient ainsi leur patrimoine amputé d'une part substantielle de sa valeur. Il en irait de même des filiales concernées qui, par ailleurs, acquittent l'impôt sur les sociétés au taux normal ; - au principe de liberté, dès lors que la disposition aurait pour effet, en réalité, de proroger les conventions en cours au-delà de leur date d'expiration. Ceci, qui aurait en quelque sorte pour conséquence d'emprisonner définitivement les bailleurs dans les conventions qu'ils n'avaient signées que pour une durée déterminée, équivaudrait à une modification unilatérale de ces contrats, portant atteinte, sur un élément fondamental, à la liberté contractuelle à un point tel qu'il dénaturerait la liberté elle-même consacrée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; - au droit de propriété de l'ensemble des propriétaires des logements concernés qui, pour les mêmes motifs et du même coup, serait méconnu en violation des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; - au respect des compétences du législateur, dans la mesure où celui-ci n'aurait pas exercé les pouvoirs qui n'appartiennent qu'à lui. Il s'agit là d'un cas d'incompétence négative du législateur qui apparaît d'abord en ce que n'est même pas précisée l'autorité compétente pour prendre l'arrêté : Premier ministre, ministre, préfet, maire ? Elle apparaît ensuite dans l'énoncé de critères spécialement flous, dont l'imprécision s'aggrave de l'emploi de l'adverbe « notamment », qui, de ce fait, livrerait les bailleurs aux appréciations quasi discrétionnaires de l'autorité administrative. Cette incompétence négative se manifeste de manière d'autant plus grave et inacceptable que les décisions ainsi prises par l'administration auraient des effets considérables, y compris sur les droits constitutionnellement protégés des locataires et des bailleurs. Par ailleurs, il n'est pas indifférent de souligner que ces dispositions ne figuraient pas dans le projet de loi du Gouvernement et que celui-ci a lui-même reconnu, au cours des débats, qu'elles se heurtaient à des obstacles constitutionnels. Enfin, aux différents motifs invoqués vient s'ajouter le caractère rétroactif, à la date du 30 juin 2000, des dispositions incriminées, ce qui en aggrave l'inconstitutionnalité. En effet, dans sa décision no 98-404 DC (décision du 18 décembre 1998, Rec. 315) la Haute Juridiction a estimé que la rétroactivité ne peut intervenir que « en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Or, aucun intérêt général déterminé, encore moins impératif, n'a été invoqué à l'appui d'une rétroactivité qui, pourtant, porte une atteinte grave au droit de propriété. En outre, l'expiration des conventions, à leur date normale, a donné naissance à des situations nouvelles légalement acquises qui ne sauraient être remises en cause sans qu'un objectif constitutionnel l'impose nécessairement, comme le souligne le Conseil dans sa décision no 84-181 DC du 10 octobre 1984 (Rec. 78). Il convient enfin de préciser que l'expiration des conventions a contraint les propriétaires, qui ne pouvaient se soustraire à cette obligation légale, à signer de nouveaux baux. La remise en cause rétroactive de ces baux légalement conclus, d'une part, porterait atteinte au droit de propriété, dont la libre disposition du patrimoine est « un attribut essentiel », selon la jurisprudence du Conseil (C. const., no 98-403 DC du 29 juillet 1998, Rec. 276), d'autre part, porterait « à l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle (méconnaîtrait) manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » (C. const., no 98-401 DC du 10 juin 1998, Rec. 258). Ces considérations s'aggravent dans des proportions considérables, dans la mesure où certains des logements concernés ont pu être non pas loués, mais vendus, à ceux qui ont souhaité les acquérir et l'ont fait légalement, lesquels, par l'effet explicite de l'article L. 411-4 auquel renvoie l'article L. 411-5 contesté, ne pourraient même plus les occuper eux-mêmes, ou y loger leurs enfants, s'il advenait qu'ils ne répondaient pas aux conditions de ressources fixées par l'autorité administrative. A tous ces titres, l'ensemble de l'article L. 411-5 doit être déclaré contraire à la Constitution.
  11. Sur l'inconstitutionnalité de certaines dispositions tendant à la concertation dans le parc social (art. 44 bis et 44 ter de la loi no 86-1290 du 23 décembre 1986 tels qu'ils résultent de l'adoption du 3o de l'article 193) L'article 193 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains modifie et complète la loi no 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière. Plus précisément, le 3o de l'article 193 insère après l'article 44 de la loi du 23 décembre 1986 les articles 44 bis et 44 ter dont les requérants contestent la conformité à la Constitution. Le nouvel article 44 bis de la loi du 23 décembre 1986 prévoit que les bailleurs des secteurs locatifs sont tenus d'élaborer un plan de concertation locative (ci-après dénommé plan de concertation), couvrant l'ensemble de leur patrimoine et validé par le conseil d'administration ou de surveillance de l'organisme bailleur. Il élargit donc à l'ensemble des propriétaires bailleurs une disposition initialement prévue pour le seul parc social, élargissement pouvant faire l'objet d'une première critique sur le plan de la cohérence de l'objet de la loi. Il n'est en effet pas indifférent de souligner que l'article 193 s'insère dans une sous-section 2 intitulée « la concertation dans le parc social » et dont les dispositions, en conséquence, ne devraient concerner que le parc social et non s'appliquer à l'ensemble des bailleurs, quel que soit leur statut. Ces dispositions portent une première atteinte à la Constitution en ce qu'elles constituent une violation du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre. En imposant à l'ensemble des bailleurs locatifs d'élaborer avec les représentants des associations de locataires un « plan de concertation locative couvrant l'ensemble de leur patrimoine », l'article 44 bis exige des bailleurs dits « institutionnels » de se concerter avec ces associations dans le but de déterminer l'affectation locative de leurs biens immobiliers. Cette disposition conduit les bailleurs concernés à ne plus pouvoir librement disposer de leurs biens, sans un processus de consultation préalable avec des représentants d'associations qui ne font pas partie du patrimoine du bailleur, à titre de propriétaires. Or, cette limitation de la libre disposition de son bien a été appréciée par le Conseil constitutionnel comme une atteinte au droit de propriété (C. const., no 84-172 DC, 26 juillet 1984, Rec. 58 ; no 85-189 DC, 17 juillet 1985, Rec. 49), le Conseil considérant en outre que « le droit de disposer est un attribut essentiel du droit de propriété » (C. const. no 96-373 DC, 9 avril 1996, Rec. 43). De surcroît, dans le dispositif mis en place par l'article 44 bis, les propriétaires bailleurs ne bénéficient d'aucune garantie de procédure ni de fond permettant de s'assurer de la confidentialité des informations délivrées, ce qui constitue une atteinte grave à la liberté professionnelle et au secret des affaires, corollaire nécessaire de la liberté d'entreprendre. La liberté d'entreprendre a été solennellement définie par le Conseil constitutionnel dans la décision no 81-132 DC du 16 janvier 1982 relative aux nationalisations (Rec. 18), qui a permis de dégager cette notion, en liant l'exercice du droit de propriété à l'exercice de la liberté. La reconnaissance de cette conception de la liberté d'entreprendre a par la suite été confirmée à de multiples reprises (C. const., no 82-141 DC, du 27 juillet 1982, Rec. 48 ; no 97-388 DC, 20 mars 1997, Rec. 31 ; no 98-401 DC, 10 juin 1998, Rec. 258). La liberté d'entreprendre prend un relief tout particulier en ce sens qu'elle doit être appréciée non seulement au regard des principes classiques de l'exercice libre du droit de propriété, mais aussi être combinée avec ses corollaires que sont la liberté professionnelle et la liberté d'exploitation de l'entreprise. En outre, s'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, ces limitations ne sauraient cependant avoir pour conséquence d'en dénaturer la portée (C. const., no 89-254 DC, 4 juillet 1989, Rec. 41 ; no 90-283 DC, 8 janvier 1991, Rec. 11 ; no 92-316 DC, 20 janvier 1993, Rec. 14 ; no 99-423 DC, 13 janvier 2000 ; no 2000-433 DC, 27 juillet 2000). En conséquence, si le système inscrit dans l'article 44 bis était mis en place, les propriétaires bailleurs se verraient dans l'obligation de délivrer aux représentants des associations de locataires des informations relatives à « l'ensemble de leur patrimoine », concernant les différentes affectations de ce patrimoine ainsi que les projets d'investissements immobiliers. La liberté d'exercice de l'activité des entreprises concernées, élément de la liberté d'entreprendre, serait alors gravement atteinte par la loi. Or, l'objectif d'information des locataires et de leurs représentants ne semble pas suffisant pour justifier qu'une telle atteinte à la liberté d'entreprendre soit ainsi portée. De plus, l'intérêt des locataires à connaître ces éléments n'est pas légitime, à la différence de ce qui pourrait se concevoir pour des salariés d'une entreprise, directement concernés par l'activité de l'entreprise. Enfin, l'objet des associations de locataires, défini au b du 2o de l'article 44 de la loi du 23 décembre 1986 n'est pas de connaître le patrimoine de leurs bailleurs ni de « poursuivre des intérêts collectifs qui seraient en contradiction avec les objectifs du logement social fixés par le code de la construction et de l'habitation ». Les restrictions à la libre disposition de leurs biens par les propriétaires bailleurs apparaissent donc particulièrement abusives en ce qu'elles ne sont aucunement justifiées par un intérêt général fondé sur un droit constitutionnellement garanti. Autrement dit, les nécessités de la concertation dans le parc locatif social, si tant est qu'elles soient reconnues comme se rattachant à un intérêt général, ne justifient pas qu'une telle atteinte soit portée à des droits aussi fondamentaux que le droit de propriété, dans la libre disposition de son bien, et à la liberté d'entreprendre. Le second motif d'inconstitutionnalité porte sur l'atteinte au principe d'égalité, au regard de l'objet de la loi. Comme il a déjà été souligné, la sous-section 2 dans laquelle s'insère l'article 193 a pour objet d'améliorer la concertation dans le parc social. Le plan de concertation locative est donc normalement destiné au parc social et seulement à celui-ci. Or, le champ d'application de l'article 44 bis concerne tous les propriétaires bailleurs, qu'ils aient, ou non, un but social. Les bailleurs institutionnels se trouvent donc soumis à un dispositif qui ne leur est pas destiné, la loi leur imposant les mêmes obligations qu'aux bailleurs sociaux, alors que leur fonction locative et les buts qu'ils poursuivent ne sont évidemment pas les mêmes. Cette situation introduit un traitement identique pour des bailleurs placés dans des situations différentes et est donc manifestement contraire au principe d'égalité, au sens où l'entend la jurisprudence traditionnelle du Conseil (C. const., no 81-132 DC, 16 janvier 1982). Cette conception de l'égalité est aujourd'hui énoncée sous la forme d'un considérant de principe : « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (C. const., no 99-423 DC, 13 janvier 2000). Or, si l'on s'en tient à l'objectif de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et, plus précisément, à l'intitulé de la sous-section 2 précitée (« la concertation dans le parc social »), il apparaît clairement que cette concertation ne devrait concerner que les seuls logements reconnus comme partie intégrante de ce parc. L'intégration d'autres types de bailleurs sort de l'objet de la loi et ne justifie donc pas qu'une atteinte au principe d'égalité soit portée à ce titre. Les bailleurs institutionnels sont placés dans une situation différente qui nécessite qu'un traitement différent leur soit appliqué sur le plan des principes de concertation. En dernier lieu, il convient de souligner l'incohérence générale de la loi qui, à l'article 193, inclut l'ensemble des bailleurs dans la catégorie du parc social, mais les exclut de cette définition dans l'article central du texte, à savoir l'article 55. Pour toutes ces raisons, l'article 44 bis de la loi du 23 décembre 1986 dans sa rédaction issue de l'article 193 de la loi doit être jugé inconstitutionnel. Enfin, l'article 44 ter (nouveau) de la loi du 23 décembre 1986 comporte également des motifs d'inconstitutionnalité. Cet article confère au conseil de concertation locative, dont le plan de concertation a pu décider la création, une compétence très large qui concerne l'ensemble des activités de gestion de l'immeuble, que cet immeuble soit inclus dans la notion de parc social ou ne le soit pas. En l'espèce, la référence à une consultation du conseil sur « toutes mesures touchant aux conditions d'habitat et au cadre de vie » paraît trop générale pour pouvoir être admise sur le plan constitutionnel. En présence de notions aussi vagues et au contenu non juridique, le Conseil constitutionnel a toujours statué en déclarant la disposition « inopérante », et en lui retirant tout effet normatif (C. const., no 82-142 DC, 27 juillet 1982, Rec. 52 ; no 86-208 DC, 1er et 2 juillet 1986, Rec. 78 ; no 83-164 DC, 29 décembre 1983, Rec. 67 ; no 91-302 DC, 30 décembre 1991, Rec. 197), jurisprudence que les requérants demandent au Conseil d'appliquer à l'article contesté.
  12. Sur l'inconstitutionnalité des dispositions relatives à la composition du comité syndical des syndicats mixtes des parcs naturels régionaux Les articles 205 et 206 ont été introduits dans le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains par voie d'amendement en première lecture au Sénat. L'article 205 vient compléter l'article L. 224-2 du code rural en précisant que le nombre de sièges détenus au sein du comité syndical par chaque collectivité territoriale ou établissement public membre du syndicat mixte est fixé par les statuts, par dérogation aux dispositions de l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales. Ce dernier prévoit en effet que ce nombre de sièges doit être proportionnel à la contribution de chaque collectivité ou établissement au budget du syndicat. Par coordination, l'article 206 modifie en conséquence l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales. Sur le fond, ces dispositions, de par leur caractère totalement dérogatoire au droit commun des syndicats mixtes, tiré de la loi du 12 juillet 1999, constituent, quant à l'organisation juridique de ces structures, une violation manifeste du principe d'égalité, affirmé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par les articles 1er et 2 de la Constitution. Elles tendent ainsi à affecter de manière durable et profonde toute la cohérence des dispositions antérieurement adoptées lors de la loi relative à l'intercommunalité. Les articles 205 et 206 instituent ainsi une véritable dérogation entre les structures au départ identiques et basées sur une même norme juridique que sont les syndicats mixtes. Cette atteinte au principe d'égalité a été soulignée au cours des débats. Le ministre a en effet estimé, d'une part, que les amendements en cause entraînaient une rupture de l'égalité entre ces structures de par leur caractère dérogatoire aux règles de droit régissant l'ensemble des syndicats mixtes, d'autre part, que la remise en cause du principe selon lequel l'ensemble de ces structures sont constituées et régies en fonction de la loi des parties pouvait ouvrir la voie à de nombreuses autres dérogations (JO Débats, Sénat, séance du 18 mai 2000, p. 2932). En outre, la trop grande spécificité d'application de cet article, puisque censé s'appliquer aux seuls syndicats mixtes ayant à gérer des parcs naturels régionaux, paraît, au regard de sa particularité, relever davantage d'une décision réglementaire que législative et constitue à ce titre une violation de l'article 34 de la Constitution qui dispose que, s'agissant des collectivités territoriales, la loi ne fixe que des dispositions générales, dispositions qui, au cas particulier, sont susceptibles d'être complétées par le biais d'actes réglementaires ayant justement pour but d'introduire de tels particularismes. Or, le Gouvernement lui-même, dans un but de simplification et rationalisation, et comme l'indique le ministre dans son intervention (JO Débats, Sénat, séance du 18 mai 2000, p. 2932), n'a, à ce jour, ni jugé opportun, ni jugé nécessaire de modifier les modalités de fonctionnement des syndicats mixtes ayant à gérer des parcs naturels régionaux, souhaitant en cela maintenir une certaine cohérence avec les principes instaurés par la loi du 12 juillet 1999. Ces dispositions constituent également une violation du principe de la libre administration de ces syndicats mixtes, tiré de l'article 72, alinéa 2, de la Constitution, d'une part, parce qu'elles isolent totalement cette catégorie de syndicats mixtes de l'ensemble de ces structures dont le fonctionnement avait été auparavant clairement défini par la loi du 12 juillet 1999, d'autre part, parce qu'en imposant des modalités particulières de fonctionnement à certaines d'entre elles, ces dernières se trouvent désormais dénaturées puisque ne constituant plus juridiquement des syndicats mixtes. Enfin, les dispositions contenues dans les articles 205 et 206 portent atteinte au principe constitutionnel de liberté, en ce qu'elles ne permettent pas à une collectivité territoriale, membre de ces syndicats, d'avoir la possibilité de ne plus en être membre. La collectivité ainsi engagée définitivement est obligatoirement liée à cette structure, y compris contre son gré, et n'a plus par la suite la possibilité juridique de s'en séparer. Sur la forme, la procédure ayant conduit à l'adoption des articles 205 et 206 se révèle manifestement contraire aux dispositions combinées des articles 39, 42, 44 et 45 de la Constitution, et ce à travers une violation manifeste des limites inhérentes au droit d'amendement, violation similaire précédemment sanctionnée par la Haute Cour dans sa décision no 88-251 DC du 12 janvier 1989. Comme le souligne le Conseil constitutionnel, si « le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative (...), les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ». En l'espèce, les articles 205 et 206 ne présentent aucun lien direct, ni avec le projet de loi dans lequel ils s'insèrent qui a trait à l'urbanisme et aux transports, ni avec l'article 204 qui, quant à lui, tend à réaménager le principe de réciprocité en matière de construction en milieu rural. L'article 207, relatif à la construction consécutive à un sinistre, qui succède aux articles 205 et 206, dispose lui à nouveau d'un lien direct avec l'article 204 de la loi. En outre, à l'occasion des débats ayant donné lieu à leur adoption, l'assimilation de ces deux articles à des cavaliers législatifs fut clairement exprimée à la fois par le rapporteur du texte, qui eut le « sentiment d'être en présence d'un cavalier législatif » mais également par le président de séance qui, quant à lui, précisa que le sentiment exprimé par le rapporteur « correspond(ait) à la réalité » (JO Débats, Sénat, séance du 18 mai 2000, p. 2932). Pour toutes ces raisons, les articles 205 et 206 doivent être déclarés contraires à la Constitution. Pour ces motifs et pour tout autre qu'il plairait au Conseil constitutionnel de soulever d'office, les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.