Les effets dans le temps des décisions QPC (9/2014)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication

 

Lorsque le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), prononce une déclaration d'inconstitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, les dispositions déclarées contraires à la Constitution sont abrogées.

En application du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer les effets dans le temps de cette déclaration d'inconstitutionnalité, d'une part, en fixant la date de l'abrogation et, d'autre part, en déterminant les « conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produit sont susceptibles d'être remis en cause ».

Dans deux décisions du 25 mars 2011 ( n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC ), le Conseil avait posé un « considérant de principe » sur ce point en jugeant que : « si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ». À la suite de ces décisions, le Conseil constitutionnel avait consacré un article d'avril 2011 à la question des effets dans le temps.

Trois ans après ces décisions de principe, un panorama peut être dessiné de cette jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s'est progressivement précisée et affinée.

I. – La date de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution : censure à effet immédiat ou à effet différé

En vertu du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, une abrogation prononcée dans le cadre d'une décision QPC prend effet soit à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, soit à compter d'une date ultérieure fixée par cette décision.

Sur 103 décisions de non-conformité à la Constitution rendues depuis l'entrée en vigueur de la QPC, le Conseil a prononcé 33 abrogations à effet différé et 70 abrogations à effet immédiat.

Plusieurs considérations peuvent justifier le report de l'abrogation. Tel est le cas, notamment, lorsque :

  • l'abrogation immédiate aurait des conséquences manifestement excessives. Ainsi, dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil a relevé que « l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ». Dans sa décision n° 2010-45 QPC du 6 octobre 2010, le Conseil a considéré qu'« eu égard au nombre de noms de domaine qui ont été attribués en application des dispositions de l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques, l'abrogation immédiate de cet article aurait, pour la sécurité juridique, des conséquences manifestement excessives » ;
  • les conséquences à tirer de la disparition de la norme inconstitutionnelle conduiraient le Conseil à se substituer au Parlement. Dans sa décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, le Conseil a jugé que « l'abrogation de l'article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite aura pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, de supprimer les droits reconnus aux orphelins par cet article ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2012 la date de l'abrogation de cet article afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité » ;
  • la seule abrogation à effet immédiat ne permettrait pas de satisfaire aux exigences constitutionnelles qui ont été méconnues. Dans sa décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil a considéré « que l'abrogation de l'article 26 de la loi du 3 août 1981, de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006 a pour effet de replacer l'ensemble des titulaires étrangers, autres qu'algériens, de pensions militaires ou de retraite dans la situation d'inégalité à raison de leur nationalité résultant des dispositions antérieures à l'entrée en vigueur de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ».

Ces différentes justifications du report dans le temps de l'abrogation peuvent parfois se combiner. Ainsi, dans sa décision n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, le Conseil a relevé que « d'une part, la remise en cause des effets produits par les dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait des conséquences manifestement excessives ; que, d'autre part, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ». Il en a déduit qu' « il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au législateur d'apprécier les suites qu'il convient de donner à cette déclaration d'inconstitutionnalité » .

Mais, dans plus des deux tiers des cas, le Conseil constitutionnel décide que les déclarations d'inconstitutionnalité qu'il prononce doivent entraîner l'abrogation immédiate des dispositions en cause. Cette solution trouve à s'appliquer, notamment, lorsque :

  • l'abrogation n'est de nature ni à provoquer des effets manifestement excessifs ni à créer un vide juridique (décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014) ;
  • l'abrogation est sans effet pour l'avenir, les dispositions en cause n'étant plus en vigueur à la date à laquelle se prononce le Conseil. Dans sa décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013, le Conseil a ainsi relevé que « les dispositions déclarées contraires à la Constitution le sont dans leur rédaction antérieure à leur modification par l'article 75 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 » ;
  • il n'est pas possible de laisser subsister l'inconstitutionnalité, même à titre temporaire. Il en a été ainsi lorsque la déclaration d'inconstitutionnalité a porté sur la définition d'une infraction pénale (décisions n° 2011-161 QPC du 9 septembre 2011, nos2011-222 QPC du 17 février 2012, 2012-240 QPC du 4 mai 2012 et n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013).

II. – Les conséquences pour le passé d'une déclaration d'inconstitutionnalité : l'« effet utile »

En vertu du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, le Conseil détermine également les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a déjà produits sont susceptibles d'être remis en cause.

En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question et s'appliquer aux instances en cours à la date de la déclaration d'inconstitutionnalité. Dès sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 sur la loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil s'était montré attentif à la « préservation de l'effet utile de la question prioritaire de constitutionnalité pour le justiciable qui l'a posée », et il a jugé, expressément, à compter de ses décision du 25 mars 2011 précitées, qu'en principe, en cas de déclaration d'inconstitutionnalité, celle-ci doit bénéficier à l'auteur de la question et s'appliquer aux instances en cours.

Afin de préserver l'effet utile de la QPC pour les instances en cours, le Conseil procède différemment selon qu'il prononce une abrogation à effet immédiat ou une abrogation à effet différé.

Lorsque le Conseil prononce une abrogation à effet immédiat, il précise le plus souvent que le bénéfice de cette décision est applicable aux instances en cours à la date de sa décision. Ainsi, dans sa décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011, le Conseil a considéré qu' « il y a lieu de déclarer que l'abrogation de l'article L. 3213-8, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 précitée, est applicable à toutes les instances non définitivement jugées à la date de la publication de la présente décision » .

Afin de limiter les conséquences de l'inconstitutionnalité sur l'ordre juridique, le Conseil constitutionnel juge parfois non pas que l'inconstitutionnalité « est applicable » aux instances en cours, mais qu'elle « peut être invoquée » (décisions n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 et n° 2011-181 QPC du 13 octobre 2011) dans ces instances : seules les personnes qui se prévalent de l'inconstitutionnalité peuvent alors en bénéficier et il n'appartient pas au juge de la relever d'office.

Dans la même logique, le Conseil peut également limiter les « effets d'aubaine » qui résulteraient de la déclaration d'inconstitutionnalité. Il peut ainsi réserver le bénéfice de l'inconstitutionnalité, s'agissant d'une disposition ancienne de droit de la nationalité qui n'est plus en vigueur depuis 1973, aux seules personnes à qui la disposition déclarée inconstitutionnelle a été appliquée (décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014).

Toutefois, le Conseil constitutionnel déroge au principe de l'effet utile de la QPC dans tous les cas où il estime que cet effet aurait des conséquences manifestement excessives. Il adopte cette solution dans des domaines variés, et notamment en matière de règles de procédure, pénale ou douanière, afin d'éviter d'annuler des procédures (décisions n° 2010-14/22 QPC susmentionnée, n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010), en matière d'hospitalisation sans consentement (décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, n° 2011-135/140 du 9 juin 2011, et n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010), en matière d'admission en qualité de pupille de l'État (décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012), en matière financière (décision n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014) ou encore en matière d'incompétence négative (décisions n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 ou n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014). En pareille hypothèse, le Conseil constitutionnel précise généralement que les actes ou les mesures qui ont été pris avant l'abrogation des dispositions contestées ne peuvent être remis en cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Les mêmes motifs qui peuvent justifier qu'une déclaration d'inconstitutionnalité ne vaudra que pour l'avenir, sans remise en cause des effets passés, ont pu conduire le Conseil constitutionnel à juger qu'une réserve d'interprétation ne vaudrait que pour les actes accomplis en application des dispositions législatives en cause accomplis postérieurement à la publication de la décision du Conseil constitutionnel (décisions n° 2010-62 QPC du 17 décembre 2010 et n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011).

III. – En cas d'abrogation à effet différé, le Conseil s'efforce de concilier la préservation de l'effet utile de la déclaration d'inconstitutionnalité et la poursuite des objectifs qui justifient le report de la déclaration d'inconstitutionnalité

Lorsque le Conseil prononce une abrogation à effet différé, se pose la question de la règle applicable pendant la période transitoire, entre la décision du Conseil et la date d'effet de l'abrogation. Dans les hypothèses où le report de l'effet de l'abrogation est justifié par les conséquences manifestement excessives ou contraires aux exigences constitutionnelles qu'aurait une abrogation immédiate, le Conseil a généralement choisi de maintenir en application la disposition législative inconstitutionnelle (décision n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014).

Toutefois, afin de limiter les conséquences du report dans le temps de la censure et de concilier ce report avec l'objectif de préservation de l'effet utile de la déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a recours à deux pratiques :

  • La première option, qui a été mise en œuvre dès la QPC n° 1, consiste, d'une part, à ce qu'il appartienne aux juridictions saisies d'instances relatives à l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de la loi remédiant à cette inconstitutionnalité et, d'autre part, à prévoir que le législateur devra rendre cette loi applicable aux instances en cours à la date de la publication de la décision. Le Conseil constitutionnel a eu recours à cette solution à trois reprises : décisions n° 2010-1 QPC susmentionnée, n° 2010-83 QPC du 13 janvier 2011 et n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013. Cette option suppose, pour être compatible avec le principe de bonne administration de la justice, que le nombre des affaires dont le jugement est ainsi suspendu soit limité. Cette solution est, toutefois, susceptible de poser une difficulté d'application aux juridictions administratives ou judiciaires si la loi remédiant à l'inconstitutionnalité n'intervient que postérieurement à la date fixée par le Conseil constitutionnel (cas qui s'est rencontré dans la QPC n° 2013-343).
  • La seconde option, plus récemment mise en œuvre, consiste à combiner une abrogation reportée dans le temps et une réserve d'interprétation transitoire neutralisant les effets inconstitutionnels de la disposition en cause jusqu'à son remplacement par une loi nouvelle. Elle a été mise en œuvre à ce jour à deux reprises en matière d'égalité devant l'impôt et la loi fiscale : décisions n° 2014-400 QPC du 06 juin 2014 et n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014.