Le contrôle des validations législatives (mars 2014)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication.

 

Avec sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel a parachevé l'évolution de sa jurisprudence sur les validations législatives, initiée il y a quinze ans. Désormais, les exigences constitutionnelles et conventionnelles se rejoignent entièrement. Cette identité des contrôles est porteuse de sécurité juridique.

De sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 sur la loi portant validation d'actes administratifs jusqu'à la décision n° 99-425 DC sur la loi de finances rectificative pour 1999, le Conseil constitutionnel avait appliqué, en matière de lois de validation, une jurisprudence qui laissait une liberté importante au législateur pour apprécier les motifs d'intérêt général susceptibles de justifier une telle loi. Après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme par l'arrêt Zielinski c/ France du 28 octobre 1999 (n° 24846/94 et 34165/96 à 34173/96), le Conseil constitutionnel avait, par sa décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999, modifié sa jurisprudence pour assurer un contrôle plus approfondi des lois de validation, équivalent à celui opéré sur le fondement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH).

Le Conseil avait ainsi recours au considérant de principe suivant : « Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ».

La validation par le législateur d'un acte administratif dont une juridiction est saisie ou est susceptible de l'être est donc subordonnée, en vertu de cette jurisprudence, à cinq conditions :

  • la validation doit poursuivre un but d'intérêt général suffisant ;
  • elle doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée (faute de quoi, c'est le principe de la séparation des pouvoirs qui est méconnu) ;
  • elle doit respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
  • l'acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle ;
  • la portée de la validation doit être strictement définie.

Dans le cadre de la procédure de la QPC, le nécessaire respect de ces conditions a été réaffirmé par le Conseil à de multiples reprises (décisions n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010, n° 2010-78 QPC du 10 décembre 2010, n° 2011-224 QPC du 24 février 2012, n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012, n° 2012-287 QPCdu 15 janvier 2013 et n° 2013-327 QPC du 21 juin 2013).

Dans sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, le Conseil constitutionnel a modifié son considérant de principe sur le contrôle des lois de validation, qui reste fondé sur l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « _Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : »Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution"; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-_rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie » (cons. 3).

La modification consiste dans le remplacement de la référence à un « intérêt général suffisant » par la référence à l'exigence que l'atteinte aux droits des personnes résultant de la loi de validation soit justifiée par un « motif impérieux d'intérêt général ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel a entendu expressément souligner l'exigence de son contrôle : le contrôle des lois de validation qu'il assure sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences qui résultent de la CESDH.

Faisant application de ces principes, le Conseil a, en l'espèce, jugé conforme à la Constitution l'article 50 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 qui valide les délibérations des syndicats mixtes instituant le « versement transport » adoptées avant le 1er janvier 2008 en ce que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de l'incompétence de ces syndicats pour établir cette imposition. S'agissant de l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général, le Conseil a ainsi considéré que « le législateur a entendu mettre un terme à des années de contentieux relatives aux délibérations des syndicats mixtes instituant le « versement transport » » et qu'« il a également entendu éviter une multiplication des réclamations fondées sur la malfaçon législative révélée par les arrêts précités de la Cour de cassation et tendant au remboursement d'impositions déjà versées et mettre fin au désordre qui s'en est suivi dans la gestion des organismes en cause » (cons. 6). Le motif impérieux d'intérêt général réside donc essentiellement dans la volonté du législateur de mettre fin à une incertitude juridique, source d'un abondant contentieux, et à éviter les nombreuses réclamations résultant de la reconnaissance par la Cour de cassation de l'incompétence des syndicats mixtes pour ordonner le « versement transport » avant l'adoption de la loi du 24 décembre 2007. Le Conseil a également reconnu que les dispositions contestées réservaient expressément les décisions passées en force de chose jugée. Il a, enfin, veillé à ce que la loi de validation respecte le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789. Il a donc formulé une réserve pour que la validation rétroactive des délibérations instituant le « versement transport » ne puisse donner lieu à des sanctions qui pourraient être prononcées à l'encontre des contribuables ne s'étant pas acquittés de cette imposition.