Normes constitutionnelles non invocables en QPC (5/2015)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication.

 

Si l'article 61 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel se prononce, dans le cadre de son contrôle a priori, sur la « conformité à la Constitution » des lois, son article 61-1, dont les termes sont repris par l'article 23-1 de la loi organique, limite la portée du contrôle a posteriori à la question de l' « atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Depuis l'entrée en vigueur de la QPC, le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé que cette formulation, destinée à circonscrire le périmètre des moyens de constitutionnalité invocables, exclut du contrôle a posteriori différentes normes constitutionnelles qui sont opérantes dans le contrôle a priori.

On sait ainsi que les termes adoptés par le Constituant ont pour objet de ne pas faire entrer les règles de procédure d'adoption de la loi dans le champ des normes invocables en QPC. Le Conseil constitutionnel l'a jugé pour le respect du domaine des lois de finances (décision n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010), du domaine de la loi organique (décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012), ou encore le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires (décision n° 2013-370 QPC). Dans toutes ces hypothèses, le Conseil constitutionnel a énoncé que « le grief tiré de la méconnaissance de la procédure d'adoption d'une loi ne peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ».

Le sort des incompétences négatives a, quant à lui, déjà été évoqué précédemment : Juillet-Août 2014 : Le contrôle des incompétences négatives

Outre ces deux aspects des différences entre le contrôle a priori et la QPC, le Conseil constitutionnel a dénié la qualité de « droits et libertés garantis par la Constitution » à plusieurs normes figurant dans les différentes composantes du bloc de constitutionnalité.

S'agissant de la Déclaration de 1789, n'est ainsi pas invocable à l'appui d'une QPC le principe du consentement à l'impôt prévu par son article 14 qui permet à tous les citoyens de « constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d‘en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l‘assiette, le recouvrement et la durée » (décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010).

En ce qui concerne le Préambule de la Constitution de 1946, n'est pas invocable à l'appui d'une QPC l'obligation de nationalisation prévue par les dispositions du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lesquelles « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d‘un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité » (décision n° 2015-459 QPC du 26 mars 2015).

En ce qui concerne la Charte de l'environnement, ne sont pas invocables les sept alinéas précédant les dix articles de la Charte (décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014), et l'article 6 selon lequel « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social » (décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012).

S'agissant du texte même de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel a successivement jugé non invocables à l'appui d'une QPC :

  • l'exigence constitutionnelle de transposition des directives découlant de l'article 88-1 de la Constitution (décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010) ;
  • l'habilitation donnée au législateur sur le fondement de la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution aux termes de laquelle : « La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi » (décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010) ;
  • le dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution qui dispose que « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales » (décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010) ;
  • l'article 75-1 de la Constitution aux termes duquel « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (décision n° 2011-130 QPC du 20 mai 2011) ;
  • les deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 13 de la Constitution relatifs aux pouvoirs de nomination du Président de la République (décision n° 2012-281 QPC du 12 octobre 2012) ;
  • le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution selon lequel « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l‘ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » (décision n° 2013-304 QPC du 26 avril 2013) ;
  • l'autonomie dont sont dotées certaines collectivités d'outre-mer régies par l‘article 74 de la Constitution en vertu du septième alinéa de cet article (décision 2014-386 QPC, 28 mars 2014) ;
  • le second alinéa de l'article 1er de la Constitution aux termes duquel « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu‘aux responsabilités professionnelles et sociales » (décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015).

Enfin, le Conseil constitutionnel a décidé que certains objectifs de valeur constitutionnelle (OVC) ne sont pas des « droits et libertés » au sens de l'article 61-1 de la Constitution. On peut citer à cet égard :

  • l'OVC d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 (décision n° 2010-4/17 QPC) ;
  • l'OVC de bonne administration de la justice, qui découle des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration de 1789 (décision 2010-77 QPC du 10 décembre 2010) ;
  • l'OVC de sauvegarde de l'ordre public (décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014) ;
  • l'OVC de bon usage des deniers publics (décision n° 2014-434 QPC du 5 décembre 2014).

Ces éléments de jurisprudence témoignent du souci constant du Conseil constitutionnel de respecter la volonté du constituant : le champ de la protection des « droits et libertés que la Constitution garantit » de l'article 61-1 ne se superpose pas exactement à celui de la vérification de la « conformité à la Constitution » de l'article 61.