Effets dans le temps des décisions QPC (juillet-août 2010)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication.

 

Les effets dans le temps des décisions QPC du Conseil constitutionnel (juillet-août 2010)

Dans ses premières décisions rendues dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a été amené, en cas d'inconstitutionnalité, à préciser les effets dans le temps de l'effet abrogatif de ses décisions. Il a fait usage des dispositions de l'article 62 de la Constitution qui dispose en son deuxième alinéa :

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

– Dès sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, rendue sur la loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel s'est montré attentif à la préservation de « l'effet utile de la question prioritaire de constitutionnalité pour le justiciable qui l'a posée » (cons. 17). Il a ainsi jugé qu'en principe, en cas de déclaration d'inconstitutionnalité, celle-ci devait bénéficier aux procédures en cours.

– Dans la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, le Conseil a fixé au 1er janvier 2011 la date de la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Pour préserver l'effet utile de sa décision, le Conseil a précisé « qu'il appartient, d'une part aux juridictions de surseoir à statuer jusqu'à cette date dans les instances dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d'autre part, au législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à ces instances en cours à la date de (sa) décision ».

– Dans la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, il a censuré le 2 du II de l'article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le Conseil n'a pas précisé de date particulière d'effet de cette abrogation. En conséquence, celle-ci a, en application du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, pris effet à compter de la publication de la décision du Conseil au Journal officiel.

– Dans la décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, il a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 7 du code électoral. De même, cette abrogation a pris effet le jour de la publication de la décision. Le Conseil a précisé qu'à cette date, tous les condamnés soumis à cet article recouvraient la capacité de s'inscrire sur les listes électorales dans les conditions déterminées par la loi.

– Dans la décision n° 2010-10 QPC du 2 juillet 2010, il a déclaré contraire à la Constitution l'article 90 du code disciplinaire et pénal de la marine marchande. Cette abrogation prend effet le jour de la publication de la décision. Bien sûr, les affaires définitivement jugées ne sont pas remises en cause par l'effet de cette abrogation. En revanche, le Conseil a précisé que cette abrogation « est applicable à toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la présente décision ». Le Conseil a même ajouté, pour éviter toute ambiguïté et fournir le « mode d'emploi » de sa décision : « Par suite, à compter de cette date, pour exercer la compétence que leur reconnaît le code disciplinaire et pénal de la marine marchande, les tribunaux maritimes commerciaux siègeront dans la composition des juridictions pénales de droit commun » (c'est-à-dire le tribunal de police ou le tribunal correctionnel). Il en ira ainsi, le cas échéant, pour les consorts C. et autres qui avaient introduit cette QPC.

De ces premières décisions du Conseil, on peut dégager trois idées :

– La première est qu'en cas d'inconstitutionnalité, la décision rendue par le Conseil doit logiquement bénéficier au requérant à la QPC et à tous ceux qui avaient également un contentieux en cours. C'est le sens des décisions nos°2010 1 QPC, 2010-6/7 QPC et 2010-10 QPC. Par exemple, dans cette dernière affaire, le Conseil a veillé à rappeler le caractère rétroactif de sa décision au bénéfice des consorts C. : la disparition de la composition inconstitutionnelle des tribunaux maritimes commerciaux (TMC) « est applicable à touts les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de la décision ». Ainsi, à cette date, les personnes non encore jugées par un TMC et les personnes dont la condamnation par un TMC n'a pas acquis un caractère définitif, soit parce qu'elles sont encore dans le délai pour former un pourvoi en cassation, soit parce que ce dernier n'a pas été rejeté par la Cour de cassation, se sont vu reconnaître, par le Conseil constitutionnel, le droit d'être, selon le cas, jugées ou rejugées par le tribunal maritime commercial siégeant dans une composition des juridictions pénales de droit commun. À la suite de la décision n° 2010-6/7 QPC, relative à l'article L. 7 du code électoral, la Cour de cassation ne s'y est pas trompé et a, au visa de l'article 62 de la Constitution, tiré immédiatement les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel (Cass. crim. 16 juin 2010, n° 3920, M. Gaston Flosse).

– La deuxième est qu'en cas d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel ne peut se substituer au Parlement sur les différentes options susceptibles d'être retenues pour y remédier. Il est des cas où la décision de non-conformité se suffit à elle-même. Ainsi, à la suite de la décision 2010-6/7 QPC, disparaît l'article L.7 du code électoral et la peine automatique qu'il instituait d'interdiction d'inscription sur les listes électorales. Pour autant, demeure l'article 131-26 du code pénal qui permet déjà au juge de prononcer cette sanction. Dès lors, le Parlement n'avait pas à reprendre la main. Il en allait très différemment à la suite de la décision n° 2010-1 QPC. Il revient en effet au Parlement de faire des choix à la suite de la décision du Conseil sur la « décristallisation » des pensions, notamment sur le niveau de cette décristallisation et sur l'application dans le temps. Le Conseil constitutionnel a donc reporté dans le temps les effets de l'inconstitutionnalité prononcée pour donner le temps au Parlement de voter une nouvelle loi.

– La troisième est l'avantage du contrôle de constitutionnalité par rapport le contrôle de conventionnalité au regard de la sécurité juridique. D'une part, la QPC a, en cas de non-conformité à la Constitution, un effet erga omnes. La norme disparaît et ce au bénéfice de tous. Il n'y a pas de distinction entre le traitement de la procédure dans laquelle la QPC a été posée et les autres procédures. D'autre part, grâce à l'article 62 de la Constitution, le Conseil est investi, lorsqu'il constate cette inconstitutionnalité, du pouvoir de déterminer des règles transitoires dans l'attente de l'adoption d'une éventuelle réforme destinée à remédier à l'inconstitutionnalité. Par exemple, il ne s'est pas contenté d'abroger la composition des TMC, il a indiqué que ceux-ci siègeront, dans l'attente d'une éventuelle loi, dans la composition des juridictions pénales de droit commune. Il n'y a ainsi pas de vide juridique.