Effets dans le temps des décisions QPC [II] (avril 2011)

20/12/2022

Note bene : la présente fiche est présentée ici dans l’état de sa publication initiale, sans prise en compte des développements de jurisprudence postérieurs à sa publication.

 

Les effets dans le temps des décisions QPC du Conseil constitutionnel [II] (avril 2011)

Ajoutant l'article 61-1 à la Constitution, la révision du 23 juillet 2008 a également complété l'article 62 qui dispose désormais en son deuxième alinéa :
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Le Conseil constitutionnel a fait usage de ces dispositions dès ses premières décisions (voir notamment n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, n° 2010-14/22 QPC du 30 juin 2010). À l'occasion de deux décisions rendues le 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a précisé, par un considérant de principe, les effets dans le temps de ses décisions et les conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés (n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC). Le Conseil a jugé que : « si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ».

I – Le Conseil constitutionnel a ainsi voulu confirmer le principe selon lequel l'effet abrogatif de la déclaration d'inconstitutionnalité interdit que les juridictions appliquent la loi en cause non seulement dans l'instance ayant donné lieu à la question prioritaire de constitutionnalité mais également dans toutes les instances en cours à la date de cette décision.

D'une part, il en va ainsi tant lorsque le Conseil constitutionnel l'a expressément indiqué dans sa décision qu'en cas d'absence d'une telle mention. Ainsi la déclaration d'inconstitutionnalité produit ces effets même si la décision du Conseil constitutionnel ne le précise pas. La mention selon laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité s'applique dans les instances en cours à la date de la décision du Conseil constitutionnel, ne fait qu'expliciter cet effet « de droit commun » de la déclaration d'inconstitutionnalité.

D'autre part, cette règle est d'ordre public pour le juge administratif ou judiciaire. Celui-ci ne peut, sauf mention expresse contraire dans la décision du Conseil constitutionnel, appliquer à une instance en cours une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil.

II – Toute exception ou dérogation à cette orientation générale, de quelque nature qu'elle soit, ne peut résulter que des dispositions expresses de la décision du Conseil constitutionnel.

En premier lieu, il en va bien sûr ainsi pour la fixation dans le futur de la date de prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Ce report dans le temps doit résulter d'une mention expresse dans la décision du Conseil constitutionnel. Ce fut le cas jusqu'à présent à sept reprises : 2010-1 QPC du 28 mai 2010, n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, n° 2010-45 QPC du 26 octobre 2010, n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, n° 2010-83 QPC du 13 janvier 2011, n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011. Un tel report fait obstacle à la prise en compte de l'inconstitutionnalité dans les instances en cours.

En deuxième lieu, il en va ainsi quant au caractère d'ordre public de la déclaration d'inconstitutionnalité dans les instances en cours. Le Conseil constitutionnel a fait usage de cette possibilité dans la décision n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011. S'agissant des décisions déjà rendues par les commissions départementales d'aide sociale (CDAS) à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée à l'encontre d'une décision qui n'a pas acquis un caractère définitif. Le Conseil n'a ainsi pas rendu applicable de plein droit cette inconstitutionnalité dans les procédures déjà jugées dans lesquelles les parties ne contestent pas la composition de la CDAS. Le Conseil a dérogé au principe de l'applicabilité immédiate et d'ordre public de la déclaration d'inconstitutionnalité aux instances non jugées définitivement en réservant le bénéfice de cet effet aux personnes qui ont invoqué l'inconstitutionnalité de la composition de la CDAS ou qui l'invoqueront, si elles sont encore dans les délais pour le faire.

En troisième lieu, il en va ainsi pour la remise en cause des effets que la disposition législative a déjà produits. Seule une mention expresse dans la décision du Conseil peut conduire à cette remise en cause.

En quatrième lieu, la logique des décisions du 25 mars 2011 est qu'il appartient au Conseil constitutionnel de préciser expressément dans sa décision les effets que la déclaration d'inconstitutionnalité qu'il prononce pourraient avoir sur les situations nées antérieurement à la déclaration d'inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel l'a fait dans ses décisions n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011. En l'absence de mention expresse en ce sens dans la décision du Conseil constitutionnel, l'inconstitutionnalité de la loi ne peut pas être invoquée dans des instances qui seraient introduites postérieurement à cette même décision. Le silence de sa décision du Conseil sur ce point doit s'interpréter comme limitant les effets passés de la déclaration d'inconstitutionnalité aux seuls litiges en cours.