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Généralités sur le contentieux des élections sénatoriales

Jusqu'en 1958, les assemblées elles-mêmes vérifiaient la régularité de l'élection de leurs membres. Rompant avec cette tradition, peu conforme à notre conception moderne de la séparation des pouvoirs, le constituant de 1958 a institué un contrôle juridictionnel de l'élection. L'article 59 de la Constitution dispose en effet que « le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs ». Ainsi, en devenant juridictionnel, ce contrôle apparaît comme exceptionnel, l'élection étant présumée régulière. La vérification n'est opérée que si un recours est introduit, la charge de la preuve incombant, dès lors, au requérant.

A. Contentieux de l'élection des délégués sénatoriaux

S'agissant d'une élection à deux degrés, les contestations peuvent tout d'abord viser l'élection du premier degré, celle des délégués sénatoriaux.

Ces contestations sont portées devant le tribunal administratif qui rend une décision dont il ne peut être fait appel que devant le Conseil constitutionnel. Les délais impartis pour engager ces instances sont très brefs : dans les trois jours suivant l'élection pour la contestation des opérations de vote ou sa publication pour le tableau des électeurs sénatoriaux. Le tribunal administratif rend son jugement dans les trois jours qui suivent l'enregistrement de la réclamation. Ont qualité pour agir tout électeur de la commune pour l'élection des délégués, mais les seuls électeurs sénatoriaux pour l'établissement par le préfet de la liste desdits électeurs.

L'annulation de l'élection d'un délégué ou d'un suppléant entraîne son remplacement (selon le mode de scrutin propre à l'élection contestée, le remplaçant est soit le suivant de liste, soit le suppléant).

L'annulation de l'élection dans son ensemble entraîne la convocation du conseil municipal, en vue de procéder de nouveau à l'élection des délégués sénatoriaux.

Contrairement au droit commun en matière de justice administrative, c'est le Conseil constitutionnel, en application de l'article L. 292 du code électoral, qui est le juge d'appel des décisions prises par les tribunaux administratifs et non le Conseil d'État ou les cours administratives d'appel.

L'appel ne peut être formé que concomitamment à la contestation d'une élection (28 mai 1959, commune de Quillan, Rec. p. 238). Faute de saisine du tribunal administratif, sont irrecevables les griefs tirés de l'irrégularité de l'élection des délégués ou de la liste des électeurs sénatoriaux (9 juillet 1959, 5, Guadeloupe, Rec. p. 247).

B. Contentieux de l'élection des sénateurs proprement dite

Le préfet peut également saisir le tribunal administratif (dans les 24 heures de son dépôt) de la régularité d'une candidature. Le tribunal administratif se prononce, là encore, dans les trois jours. Appel peut être formé devant le Conseil constitutionnel, concomitamment à une réclamation contre l'élection.

Quant à l'élection des sénateurs proprement dite, c'est au Conseil constitutionnel que la Constitution de 1958 en confie le contrôle, en premier et dernier ressort, dans les conditions fixées par l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

1 ° Saisine du Conseil constitutionnel

L'élection d'un sénateur peut être contestée devant le Conseil constitutionnel par toute personne inscrite sur les listes électorales de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l'élection, ainsi que par les personnes qui ont fait acte de candidature.

La contestation doit être adressée au Conseil constitutionnel dans les dix jours qui suivent la proclamation de l'élection (en pratique, pour le prochain scrutin, avant le 3 octobre 2001 à minuit). Le Conseil constitutionnel a fait une application stricte de ces prescriptions : ainsi sont écartées des réclamations tardives ou des réclamations adressées avant la proclamation officielle du résultat de l'élection.

La requête doit être formulée par écrit. Elle est dispensée du ministère d'avocat, ainsi que de tous frais de timbre ou d'enregistrement. Elle peut être rédigée sur papier libre. Elle est adressée exclusivement au secrétariat général du Conseil constitutionnel, ou bien au préfet ou au haut-commissaire, qui la transmet alors immédiatement au Conseil. Une requête déposée au tribunal administratif n'est pas valable.

Les requêtes doivent contenir le nom, les prénoms et la qualité du requérant (ainsi que sa qualité d'électeur ou de candidat) de même que le nom des élus dont l'élection est contestée. Cette exigence est strictement entendue par le Conseil qui a rejeté comme irrecevables des requêtes qui ne mentionnaient pas expressément le nom des élus.

Les requêtes doivent préciser les moyens d'annulation invoqués. La jurisprudence du Conseil constitutionnel comporte les exigences habituelles en matière de motivation des requêtes.

La requête peut être rejetée sans ou avec instruction :

  • Le Conseil peut, sans instruction préalable, rejeter les requêtes quand elles lui apparaissent d'emblée irrecevables ou fondées sur des griefs évidemment sans influence sur le résultat de l'élection. Ces décisions de rejet sont cependant motivées ;
  • En cas d'instruction, le parlementaire visé par la contestation reçoit notification de la réclamation. Il présente ses observations. Le Conseil peut, en outre, ordonner une enquête ou la communication de toute pièce utile. La procédure obéit au principe du contradictoire.

Dans les deux cas (avec ou sans instruction), l'examen de l'affaire est confié à l'un des dix rapporteurs adjoints du Conseil (membres du Conseil d'Etat ou de la Cour des Comptes).

Le rapporteur adjoint rapporte d'abord devant l'une des trois sections d'instruction, chacune composée de trois membres du Conseil (l'un nommé par le Président de la République, le deuxième par le Président du Sénat, le troisième par le Président de l'Assemblée nationale), puis devant le collège des neuf membres. A ce stade, le projet de décision n'est plus celui du rapporteur adjoint, mais celui de sa section d'instruction.

Les sections d'instruction sont tirées au sort après chaque renouvellement (par tiers) du Conseil constitutionnel, c'est à dire tous les trois ans.

Les décisions prises, après audition du rapporteur et délibération du Conseil, sont notifiées au Sénat et publiées au Journal Officiel. Elles sont également diffusées sur le site internet du Conseil, publiées et analysées au recueil annuel de jurisprudence et résumées dans les Cahiers semestriels du Conseil constitutionnel.

Une fois traités tous les recours, les décisions rendues font l'objet d'un bilan de la part du Conseil constitutionnel (Cf. 1995 et 1998) et donnent lieu, le cas échéant, à des propositions de réformes. Il en a été ainsi par exemple, en 1998, pour la clarification des règles de vote au second tour de l'élection des sénateurs, dans les départements où le scrutin est majoritaire. La préoccupation du Conseil a été prise en compte par la loi du 10 juillet 2000 : toutes les candidatures pour le second tour (qu'elles émanent de candidats déjà en lice au premier tour ou de nouveaux candidats) devront avoir été déposées auprès du préfet.

Le dépôt d'une requête n'a pas d'effet suspensif. Tant qu'une décision d'annulation de l'élection n'est pas rendue, la personne proclamée élue peut exercer son mandat. En outre, la décision du Conseil constitutionnel rejetant une contestation valide l'élection. La découverte ultérieure d'une inéligibilité antérieure ou concomitante à l'élection entraînerait non pas l'invalidation mais la déchéance de la personne proclamée élue si le Conseil était saisi en ce sens dans le cadre de la procédure prévue à cet effet.

2 ° Portée de la décision du Conseil constitutionnel

En cas de contestation d'une irrégularité, le Conseil constitutionnel peut soit rejeter la requête, soit prononcer l'annulation de l'élection, soit réformer les résultats et proclamer élu un autre candidat.

Le Conseil constitutionnel rend des décisions souveraines qui ont pour effet de couvrir tous les vices dont l'élection peut être entachée, y compris les erreurs matérielles.

Ces décisions (qui ont un caractère juridictionnel) sont revêtues de l'autorité absolue qui s'attache à la chose jugée. L'article 62 de la Constitution de 1958 prévoit expressément que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Aucun pourvoi en cassation n'est possible, même devant le Conseil constitutionnel.

Depuis 1958, sur une centaine de décisions rendues en matière d'élections sénatoriales, seules trois annulations ont été prononcées (état au 1er septembre 2001).

Au cours des dix dernières années, le taux de saisine a été approximativement d'un recours pour dix sièges à pourvoir (en 1998 : dix recours pour 102 sièges).


Source : d'après le document établi par le Sénat pour le scrutin du 23 septembre 2001 complété par les services du Conseil constitutionnel le 5 septembre 2001.