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Observations relatives aux élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997

Le Conseil constitutionnel, chargé, en application de l'article 59 de la Constitution, de statuer, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés, est conduit consécutivement au contentieux des dernières élections législatives à faire les observations suivantes :

En premier lieu le Conseil tient à formuler des remarques relatives à la procédure.

Comme à l'accoutumée, le Conseil a été conduit à rejeter rapidement des requêtes à l'évidence irrecevables. Or, dans la méconnaissance des conditions d'ouverture du recours, qui conduit à ce que, pour les deux tiers d'entre elles, les requêtes rejetées le 10 juillet 1997 soient entachées d'une irrecevabilité rédhibitoire, il faut voir en partie la conséquence de l'insuffisance de l'information fournie aux intéressés par les services compétents de l'Etat. Un effort d'information est donc à faire à l'avenir, notamment quant à la computation des délais de recours. Il conviendrait à cet égard de renseigner plus complètement les services préfectoraux et municipaux et de recourir au besoin aux nouvelles technologies de l'information, comme internet. De même, il est indispensable que les préfectures assurent une permanence jusqu'à minuit le jour où expire le délai de dépôt des réclamations ou celui des comptes de campagne, en particulier lorsque ce jour est chômé.

Ayant constaté un allongement des délais d'examen du contentieux des élections législatives depuis une dizaine d'années, découlant tant de la multiplication des écritures des parties que de l'évolution de la législation sur le financement des campagnes électorales, le Conseil constitutionnel pourrait à l'avenir fixer, dans son règlement intérieur, une date à partir de laquelle, en fin de procédure, les mémoires ne seraient plus reçus.

Le Conseil tient, en deuxième lieu, à appeler l'attention sur des difficultés concernant les candidatures.

S'agissant des inéligibilités, le Conseil, qui, dans l'exercice des compétences qu'il tient tant de l'article 59 de la Constitution que de l'article L.O. 136 du code électoral, a rencontré des difficultés analogues, déplore que la notification de l'incapacité d'exercer une fonction publique élective, prévue par l'article 194 de la loi du 25 janvier 1985, soit inégalement réalisée par les parquets. Il en résulte des ruptures d'égalité regrettables entre justiciables et du point de vue du droit au suffrage. Plus fondamentalement, la peine automatique d'inéligibilité prévue par la loi du 25 janvier 1985 appelle de sérieuses réserves au regard des principes de la nécessité des peines, des droits de la défense et du procès équitable. Cette disposition constitue en réalité une survivance sur le maintien de laquelle il est légitime de s'interroger.

Par ailleurs, pour conjurer tout risque d'usurpation d'identité, dans la déclaration de candidature, les exigences déjà posées par les dispositions introduites, à la demande du Conseil constitutionnel, dans l'article L. 157 du code électoral par la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 pourraient être accrues. Obligation pourrait par exemple être faite à la personne se présentant comme le suppléant du candidat d'annexer à la déclaration de candidature déposée par elle à la préfecture un mandat explicite du candidat accompagné de pièces attestant l'identité de celui-ci.

En ce qui concerne, en troisième lieu, la propagande électorale.

Il doit être entendu que les commissions de propagande ne s'exonèrent pas de leurs responsabilités en confiant le soin à des entreprises de rassembler et de répartir le matériel électoral.

En outre, à deux reprises, le Conseil a constaté que des commissions de propagande avaient outrepassé leur rôle en refusant d'assurer l'acheminement du matériel électoral d'un candidat au motif que, par son contenu même, il violerait la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Dans l'hypothèse où le matériel électoral tombe, par son contenu même, sous le coup des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, il n'appartient d'en connaître qu'au juge compétent, qui peut être notamment le juge pénal, à condition de ne pas interférer avec le déroulement des opérations préliminaires aux élections.

Il apparaît en outre nécessaire que soit ouverte une voie de droit permettant, pendant la période préalable aux élections, de trancher des conflits relatifs aux confusions entre dénominations de candidatures ou présentations de bulletins.

Le Conseil constitutionnel préconise à cet effet, comme il l'avait déjà fait en 1994, que le législateur institue une procédure d'urgence de nature juridictionnelle en déterminant précisément les cas dans lesquels celle-ci pourrait être mise en oeuvre par le juge compétent, administratif ou judiciaire.

S'agissant de la couverture audiovisuelle dont les candidats disposant d'une notoriété particulière peuvent bénéficier, l'attention qui leur est portée par les services de communication audiovisuelle ne doit cependant pas fausser les campagnes électorales. Aussi bien le Conseil supérieur de l'audiovisuel a-t-il fait des recommandations en ce sens. Or, le Conseil constitutionnel a relevé qu'il arrivait aux services de communication audiovisuelle, y compris à ceux du service public, de traiter de la candidature locale d'une personnalité, sans avoir le réflexe - pourtant élémentaire - de donner en contrepartie la parole à son ou ses adversaires. Outre qu'elle est contraire au principe d'égalité de traitement des candidats et déontologiquement contestable, une telle attitude pourrait avoir pour effet, en cas d'écart de voix réduit, d'entraîner l'annulation de l'élection de la personnalité élue, faisant de celle-ci sa principale victime.

De façon générale, l'incidence très forte des médias sur l'opinion, surtout à l'approche de l'élection, appelle le juge électoral à la rigueur.

En ce qui concerne, en quatrième lieu, les opérations électorales elles-mêmes, le Conseil a confirmé son interprétation de l'article 162 du code électoral. Si plusieurs candidats dépassent le seuil de 12,5 % des inscrits au premier tour et qu'un seul maintient sa candidature au second tour, celui-ci reste seul en lice. Il est vrai que la loi électorale prive ainsi l'électeur d'une possibilité de choix mais une telle situation résulte de la volonté du législateur qui, en 1976, lors de la discussion de la loi d'où est issu l'article en cause, a écarté une disposition qui aurait eu précisément pour objet d'éviter qu'un seul candidat ne soit présent au second tour, dans l'hypothèse où le seuil de 12,5 % serait atteint par deux candidats dont l'un déciderait de se désister. Il n'appartient donc qu'au législateur de revenir, s'il le souhaite, sur l'option arrêtée délibérément par lui en 1976.

Le Conseil constate par ailleurs l'inadaptation des textes électoraux outre-mer, qu'il s'agisse, à Wallis et Futuna, des règles d'émargement ou, à Mayotte, des dispositions réglementaires relatives à la reconnaissance de l'identité des électeurs. Il paraît ainsi réaliste, tant que l'état civil mahorais n'aura pas atteint un degré suffisant de fiabilité, d'adapter la réglementation électorale applicable à Mayotte en consolidant la base légale des arrêtés et circulaires préfectorales.

S'agissant, en dernier lieu, de la législation sur les comptes de campagne et les financements politiques, le Conseil observe tout d'abord qu'aucun cas de dépassement du plafond n'a été relevé, en bonne partie sans doute du fait de la dissolution qui a entraîné un raccourcissement de la durée de prise en compte des dépenses de campagne.

Comme l'a observé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ces dépenses semblent, dans certains cas, avoir été au contraire artificiellement majorées. Il y a là un détournement des dispositions relatives au financement public de la vie politique.

Le Conseil constitutionnel tient ensuite à appeler l'attention du législateur sur les problèmes posés par l'aide apportée à un candidat par une section locale d'un parti politique qui ne peut être regardée elle-même comme un parti ou groupement politique, au sens de l'article L. 52-8 du code électoral. Le Conseil a admis que cette section locale pouvait, dès lors qu'elle constitue la simple émanation d'un parti politique relevant des articles 8, 9 et 9-1 de la loi du 11 mars 1988, apporter une aide au candidat, sans contrevenir à l'article L. 52-8. Toutefois, pour ne pas ouvrir une « brèche » dans la législation, brèche dans laquelle pourraient s'engouffrer des aides illicites, il serait souhaitable que le législateur intervienne à nouveau : soit en imposant explicitement, y compris dans le cas des sections locales, une formalité permettant à la Commission d'exercer sa surveillance, soit en plafonnant les dons des structures locales des partis aux candidats. D'autres formules, sans doute plus complexes, sont également envisageables, qui supposeraient une stricte consolidation des comptes des différentes composantes d'une formation politique.

Par ailleurs, le Conseil s'est interrogé sur les modalités de recours au crédit pour financer les frais de campagne. S'il est loisible au candidat, eu égard aux garanties présentées, de contracter directement ou par l'intermédiaire de son mandataire, un emprunt auprès d'un établissement bancaire, le recours à des procédés de crédit, comme la lettre de change, dont le dénouement est postérieur à la date limite de dépôt du compte, ne met ni la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ni le juge de l'élection en mesure de vérifier que les sommes correspondantes seront acquittées par le candidat et non par une personne morale. Une clarification des dispositions actuelles serait en tout cas opportune.

De même, si le Conseil admet que soient produites pour la première fois devant lui les pièces justificatives concernant son compte de campagne, dont l'absence dans le dossier de la Commission a conduit cette dernière à saisir le juge de l'élection, cette jurisprudence compréhensive ne doit cependant pas être exploitée par les candidats de façon laxiste. Si ce risque se réalisait, le Conseil serait sans doute amené à interpréter de façon plus rigoureuse les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral.

La complexité et les exigences que fait peser la législation sur le financement des campagnes électorales peuvent gêner beaucoup de candidats indépendants_._ S'agissant de la nécessité de recourir à un expert comptable ou à un comptable agréé, qui oppose un sérieux obstacle financier et quelquefois matériel (outre-mer par exemple) à certaines candidatures, le législateur pourrait prévoir une formule moins pénalisante pour certifier la sincérité du compte de campagne.

En sens inverse, le financement public assuré par la législation de 1990 et 1995, tant aux formations politiques présentant des candidats dans au moins cinquante circonscriptions, qu'aux candidats ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, pousse indéniablement à une multiplication de candidatures, et notamment de candidatures intéressées, à une augmentation des saisines du juge de l'élection par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ainsi qu'à des abus dans les pratiques d'imputation des dépenses. Non dépourvue d'effets pervers, cette législation appelle à l'expérience des tempéraments. Aussi la décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990 du Conseil constitutionnel appelle-t-elle le législateur à fixer, à un niveau certes inférieur à 5 % des suffrages exprimés, le seuil en-dessous duquel il ne serait plus tenu compte des suffrages exprimés dans une circonscription donnée, pour la répartition de la première fraction de l'aide publique aux partis prévue par l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

Le Conseil constitutionnel tient enfin à souligner que ses décisions rectifiant le nombre de suffrages obtenus par un candidat, même si elles ne se traduisent pas par une annulation de l'élection ou le prononcé d'une inéligibilité, ne doivent pas rester sans effet, en vertu de l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, sur le financement de la formation politique à laquelle se rattache ce candidat.