Décision

Décision n° 2024-1106 QPC du 11 octobre 2024

Commune d’Istres [Protection fonctionnelle du maire ou de l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation en cas de poursuites pénales]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 juillet 2024 par le Conseil d’État (décision n° 490227 du 15 juillet 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune d’Istres par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1106 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code général des collectivités territoriales ;
  • le code général de la fonction publique ;
  • la loi n° 46-2294 du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires ;
  • la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels ;
  • la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ;
  • la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 août 2024 ;
  • les observations présentées pour la commune requérante par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, enregistrées le 7 août 2024 ;
  • les observations en intervention présentées pour l’association des maires de Guyane et l’association des communes et collectivités d’outre-mer par Me Patrick Lingibé, avocat au barreau de Guyane, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 1er octobre 2024 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 4 octobre 2024 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 décembre 2019 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l’exercice de ses fonctions que s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.
« La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.
« La commune est tenue de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection à l’égard du maire et des élus mentionnés au deuxième alinéa du présent article. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’État en fonction d’un barème fixé par décret.
« Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation agit en qualité d’agent de l’État, il bénéficie, de la part de l’État, de la protection prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ». 

2. La commune requérante reproche à ces dispositions de n’accorder la protection fonctionnelle de la commune à certains élus municipaux que lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales, sans étendre le bénéfice de cette protection aux actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire. Il en résulterait, selon elle, une méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’elle demande au Conseil constitutionnel de reconnaître, selon lequel les collectivités publiques seraient tenues d’accorder leur protection aux agents publics mis en cause à raison de faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, dès lors qu’il ne s’agit pas de fautes qui en sont détachables.

3. La commune requérante, rejointe par les parties intervenantes, fait en outre valoir que ces dispositions instaureraient une différence de traitement injustifiée entre ces élus municipaux et les agents publics au motif que seuls ces derniers bénéficient d’une protection fonctionnelle lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « poursuites pénales » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales.

- Sur la reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République :

5. Une tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu’un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu’autant qu’elle aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

6. Si les articles 14 et 15 de la loi du 19 octobre 1946 mentionnée ci-dessus prévoyaient que l’administration est tenue de couvrir les fonctionnaires des condamnations civiles prononcées contre eux lorsqu’ils sont poursuivis par un tiers pour faute de service et de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent faire l’objet à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, ces dispositions n’ont toutefois eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe selon lequel la protection fonctionnelle devrait bénéficier à tout agent public mis en cause à raison de faits commis dans l’exercice de ses fonctions, dès lors qu’il ne s’agit pas de fautes détachables, ni, en tout état de cause, à un élu local. Ces dispositions ne sauraient donc avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

7. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance d’un tel principe ne peut qu’être écarté.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :

8. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

9. L’article L. 134-4 du code général de la fonction publique prévoit que les agents publics bénéficient d’une protection fonctionnelle lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales ainsi que lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale.

10. En application des dispositions contestées de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, la commune est tenue d’accorder sa protection au maire ou à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions, uniquement lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.

11. Il en résulte une différence de traitement entre ces élus et les agents publics pour l’octroi de la protection fonctionnelle.

12. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 10 juillet 2000 mentionnée ci-dessus, qui est à l’origine des dispositions contestées, que, en les adoptant, le législateur a entendu permettre notamment au maire ou à l’élu le suppléant ou ayant reçu une délégation, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions, de bénéficier de la même protection fonctionnelle que celle accordée aux agents publics en cas de poursuites pénales.

13. Si, depuis la loi du 20 avril 2016 mentionnée ci-dessus, les agents publics bénéficient en outre d’une telle protection lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale, ils ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions. Compte tenu de cette différence de situation, le législateur n’était donc pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle.

14. Dès lors, s’il serait loisible au législateur d’étendre la protection fonctionnelle bénéficiant aux élus municipaux à d’autres actes de la procédure pénale, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.

15. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

16. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Les mots « poursuites pénales » figurant au deuxième alinéa de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, sont conformes à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 11 octobre 2024.
 

JORF n°0243 du 12 octobre 2024, texte n° 70
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.1106.QPC

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