Décision n° 2024-1103 QPC du 19 septembre 2024
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 19 juin 2024 par le Conseil d’État (décision n° 492849 du 12 juin 2024), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat national de l’enseignement privé CFE-CGC et autres par Me Barbara Bernard, avocate au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2024-1103 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 9 de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’éducation ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ;
- les décisions du Conseil d’État nos 431431 et 433536 du 22 novembre 2021 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat Formation de l’enseignement privé - Confédération française démocratique du travail et autres, parties au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Céline Cotza, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 8 juillet 2024 ;
- les observations présentées pour les syndicats requérants par Me Bernard, enregistrées le 9 juillet 2024 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 juillet 2024 ;
- les observations en intervention présentées pour la confédération de l’enseignement privé non lucratif par la SCP Flichy Grangé avocats, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour les syndicats requérants par Me Bernard, enregistrées le 29 juillet 2024 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bernard, pour les syndicats requérants, Me Cotza, pour les parties au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, Me Jean Marimbert, avocat au barreau de Paris, pour la partie intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 11 septembre 2024 ;
Au vu des pièces suivantes :
- les notes en délibéré présentées pour les syndicats requérants par Me Bernard, enregistrées les 11 et 13 septembre 2024 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 13 septembre 2024 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L’article 9 de la loi du 21 décembre 2022 mentionnée ci-dessus prévoit : « Par dérogation aux articles L. 2121-1 et L. 2122-5 du code du travail, jusqu’à la deuxième mesure de l’audience prévue au 3 ° du même article L. 2122-5 suivant la publication de la présente loi, le ministre chargé du travail arrête la liste et le poids des organisations syndicales reconnues représentatives dans les branches regroupant des établissements mentionnés aux articles L. 442-5 du code de l’éducation et L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime sur le fondement de l’ensemble des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires aux comités sociaux et économiques de ces établissements et au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés lors de la période prise en compte pour la dernière mesure de l’audience prévue au 3 ° de l’article L. 2122-5 du code du travail ».
2. Les organisations syndicales requérantes reprochent à ces dispositions de prévoir que, pour l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales au niveau des branches regroupant les établissements d’enseignement privés et d’enseignement agricole privés, sont pris en compte l’ensemble des suffrages exprimés aux élections professionnelles, y compris ceux des agents publics exerçant leurs fonctions au sein de ces établissements alors que les conventions collectives de branche ne s’appliquent qu’aux salariés. Selon elles, ces agents étant très majoritaires au sein de ces établissements, les salariés seraient ainsi privés de la possibilité de désigner les organisations syndicales représentatives dans leur branche. Elles font également valoir que la durée d’application de ces dispositions serait excessive et que d’autres solutions auraient permis de mieux préserver le droit des salariés de désigner ces organisations. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail.
3. Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Selon le huitième alinéa du même préambule : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
4. L’article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c’est au législateur qu’il revient de déterminer, dans le respect des principes énoncés aux sixième et huitième alinéas du Préambule, les conditions et garanties de leur mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles est assurée la représentation des travailleurs.
5. Selon l’article L. 2121-1 du code du travail, la représentativité des organisations syndicales est déterminée notamment d’après un critère tenant à leur audience. En application de l’article L. 2122-5 du même code, pour satisfaire ce critère au niveau de la branche, les organisations syndicales doivent recueillir au moins 8 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles des entreprises de la branche.
6. Il résulte des articles L. 442-5 du code de l’éducation et L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime que, dans les établissements d’enseignement privés et d’enseignement agricole privés sous contrat, certains agents publics qui exercent leurs fonctions sans être liés par un contrat de travail à leur établissement peuvent participer aux élections professionnelles. Toutefois, dans ses décisions du 22 novembre 2021 mentionnées ci-dessus, le Conseil d’État a jugé que les suffrages de ces agents ne peuvent être pris en compte pour la détermination de la représentativité des organisations syndicales au niveau de la branche.
7. Par dérogation aux articles L. 2121-1 et L. 2122-5 du code du travail, les dispositions contestées prévoient que, pour les deux mesures d’audience suivant la publication de la loi du 21 décembre 2022, afin de déterminer la représentativité des organisations syndicales au niveau des branches regroupant les établissements d’enseignement privés et d’enseignement agricole privés sous contrat, le ministre chargé du travail arrête la liste et le poids de ces organisations sur le fondement de l’ensemble des suffrages exprimés aux élections professionnelles, lors de la période prise en compte pour la dernière mesure de l’audience de ces organisations. Ce faisant, sont pris en compte les suffrages exprimés par les agents publics qui exercent leurs fonctions dans ces établissements.
8. Il ressort des travaux parlementaires que, compte tenu des difficultés rencontrées pour mettre en œuvre un dispositif permettant de distinguer les suffrages des salariés de ceux des agents publics au sein de ces établissements, le législateur a entendu sécuriser, à titre transitoire, la détermination de la représentativité des organisations syndicales au niveau de la branche et permettre ainsi la poursuite du dialogue social.
9. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé. À cet égard, le législateur, qui n’a pas privé les salariés de la possibilité de participer à la détermination de la représentativité des organisations syndicales au niveau de la branche, a pu prévoir que la mesure de l’audience des organisations syndicales serait fondée, jusqu’en 2028, sur l’ensemble des suffrages exprimés aux élections professionnelles de ces établissements.
10. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail. Elles ne méconnaissent pas non plus la liberté syndicale.
11. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L’article 9 de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 septembre 2024, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 19 septembre 2024.
JORF n°0224 du 20 septembre 2024, texte n° 25
ECLI : FR : CC : 2024 : 2024.1103.QPC