Décision

Décision n° 2023-31 ELEC du 29 septembre 2023

Observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 12 et 19 juin 2022

L’article 59 de la Constitution donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs. Sur ce fondement, le Conseil a été saisi, à la suite des élections législatives de juin 2022, de 99 réclamations formées par des candidats ou des électeurs, ainsi que de 430 saisines de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

Bien que la loi ne lui impose aucun délai, le Conseil constitutionnel s’est fixé pour objectif de traiter ce contentieux le plus rapidement possible. Il a procédé à l’examen de ces réclamations et saisines en trois étapes et a ainsi jugé :

  • dès juillet et août 2022, les 57 réclamations (rejetées par 47 décisions portant le cas échéant sur plusieurs requêtes) qui ne nécessitaient pas d’instruction contradictoire, dès lors qu’elles étaient irrecevables ou qu’elles ne contenaient que des griefs ne pouvant manifestement pas avoir d’influence sur les résultats de l’élection(1);

  • de septembre 2022 à février 2023, les 42 réclamations soumises à instruction contradictoire (cinq décisions portant le cas échéant sur plusieurs requêtes). Dans cette série, il a annulé les opérations électorales dans sept circonscriptions(2), ce qui a conduit à l’organisation d’élections partielles ;

  • de mars à juillet 2023, les 430 saisines de la CNCCFP(3).

Le Conseil constitutionnel a procédé à l’audition des parties dans onze affaires.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a mis en œuvre à deux reprises le second alinéa de l’article 16-1 de son règlement applicable à la procédure suivie pour le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs. Il a ainsi rejeté, sans instruction contradictoire préalable, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 33 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 dont il était saisi à l’occasion de la contestation d’une élection(4) et, pour la première fois lors de ces élections, une QPC soulevée à l’occasion d’une saisine par la CNCCFP sur des dispositions prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19(5).

À l’issue de ce contentieux, le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire, comme par le passé, de formuler des observations.

1. - La campagne électorale et les opérations de vote

A. - Dans l’ensemble, les griefs relatifs à la campagne électorale invoqués dans les requêtes étaient assez classiques. Tel a été le cas, par exemple, des contestations relatives aux affiches (problèmes d’apposition en dehors des emplacements spéciaux réservés par l’autorité municipale, de dégradation(6)), aux circulaires (« professions de foi »(7)) ou aux tracts(8).

S’agissant, en particulier, de l’utilisation par certains candidats d’un véhicule comportant un affichage électoral, le Conseil constitutionnel a rappelé dans plusieurs décisions qu’une telle pratique est, en l’état du droit, contraire aux exigences de l’article L. 51 du code électoral(9). Même si, dans chacune des affaires concernées, il a conclu à l’absence d’altération de la sincérité du scrutin compte tenu de l’absence d’éléments susceptibles d’attester du caractère massif, prolongé ou répété de cette pratique et du nombre de voix obtenues par chacun des candidats(10), le Conseil constitutionnel relève qu’un tel affichage donne lieu à des difficultés récurrentes au cours de la campagne électorale. Le législateur pourrait en conséquence s’interroger sur l’opportunité de préciser les dispositions applicables à l’affichage électoral et, le cas échéant, de prévoir un régime particulier pour l’affichage des véhicules.

Par ailleurs, dans le prolongement des scrutins de 2012 et 2017, le Conseil constitutionnel a pu constater que l’usage d’internet, notamment des réseaux sociaux, était de nature à favoriser la diffusion à un large public de messages de propagande à l’approche du scrutin, en méconnaissance de l’article L. 49 du code électoral(11). Le Conseil a, par exemple, jugé dans une affaire que la diffusion, le jour du premier tour de scrutin, de messages sur le réseau social Twitter appelant à voter en faveur d’un des candidats, n’avait pas eu d’influence sur les résultats de l’élection, eu égard à l’absence de caractère massif de la diffusion et du nombre de voix obtenues par chacun des candidats(12). Il a au contraire pris en compte, comme élément justifiant l’annulation de l’élection dans une autre circonscription, au regard de l’écart de voix constaté, la circonstance que des sympathisants du candidat élu avaient diffusé le jour du second tour de scrutin, sur divers réseaux sociaux, des messages appelant à voter pour ce candidat, et ce alors que les auteurs de certains de ces messages se prévalaient de leur qualité d’élu municipal ou se présentaient comme relayant des consignes de vote d’autorités religieuses. Eu égard à leur contenu et au moment de leur diffusion, ces messages ont été regardés comme susceptibles d’avoir influencé le vote d’un nombre significatif d’électeurs(13).

D’autres griefs ont porté sur l’affiliation politique des candidats. Comme lors du scrutin de 2017, de telles contestations ont été favorisées par les débats autour du rattachement allégué de certains candidats à la majorité présidentielle. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence constante en la matière : « S’il appartient au juge de l’élection de vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l’investiture des candidats par les partis politiques, il ne lui appartient pas de vérifier la régularité de cette investiture au regard des statuts et des règles de fonctionnement des partis politiques ». Pour apprécier l’incidence des faits dénoncés sur la sincérité du scrutin, le Conseil a classiquement tenu compte, pour chaque espèce, de circonstances telles que le comportement du candidat mis en cause, la manière dont avaient été relayées dans la presse les informations relatives à l’investiture et aux soutiens politiques des candidats durant la campagne ainsi que la connaissance qu’avaient les électeurs de la situation électorale(14).

À la différence de ce qu’il avait relevé lors de l’examen du contentieux des élections législatives de 2017, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de nombreux griefs concernant l’acheminement et la réception par les électeurs des documents de propagande électorale (bulletins de vote ; circulaires ou « professions de foi ») pour le scrutin de 2022. Dans un département cependant, le Conseil a eu à connaître du cas d’un candidat, éliminé au premier tour de scrutin, qui faisait valoir qu’aucun bulletin à son nom n’était présent dans les bureaux de vote situés sur le territoire de la commune de Toulouse, alors qu’il avait fourni à la préfecture de la Haute-Garonne 20 000 bulletins destinés à être mis à disposition des électeurs dans ces bureaux de vote. Si, en l’absence de manœuvre et compte tenu du faible pourcentage obtenu par ce candidat dans les bureaux de vote des quinze autres communes de la circonscription, le Conseil constitutionnel a jugé que la sincérité du premier tour de scrutin n’avait pas été altérée, il a souligné qu’une telle situation n’en demeurait pas moins profondément regrettable(15). À cet égard, le Conseil ne peut qu’insister sur la vigilance continue dont doivent faire preuve les services préfectoraux et du ministère de l’intérieur dans la mise en œuvre des opérations de mise sous pli et d’acheminement des documents électoraux.

Dans une autre mesure, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales qui s’étaient déroulées dans la première circonscription de l’Ariège à la suite du mélange, dans les bureaux de vote d’une commune, entre les bulletins de candidats qui s’étaient présentés sous une même étiquette, mais dans des circonscriptions différentes de ce département. Après avoir constaté que la commission de recensement avait, pour cette raison, écarté à bon droit comme nuls 136 bulletins au nom du candidat concerné dans la première circonscription de l’Ariège, le Conseil a jugé qu’en l’absence de doute sur l’intention d’au moins une partie des électeurs qui avaient utilisé ces bulletins de vote pour le candidat soutenu par le parti en cause, et alors qu’il n’était pas établi que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs avait été privé de portée utile. Dès lors, il a considéré que, compte tenu du faible écart de voix entre le candidat concerné et le dernier candidat qualifié pour le second tour, l’absence de prise en compte des bulletins irréguliers avait pu avoir pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin et, ainsi, altéré la sincérité du scrutin(16). Au regard de l’incidence décisive qu’a eu, dans cette circonscription, le mélange des bulletins de vote, le Conseil ne peut qu’appeler l’attention des membres des bureaux de vote sur l’importance qui doit s’attacher, de manière générale, au respect des règles encadrant le fonctionnement des bureaux de vote.

Le Conseil a également annulé l’élection organisée dans la deuxième circonscription de la Marne en raison de l’incidence déterminante qu’avait eue, sur les résultats du premier tour de scrutin, l’absence de prise en compte de près de mille bulletins de vote édités au nom d’une candidate en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-3 du code électoral. Il s’agissait en l’occurrence de bulletins comportant, outre le nom de l’intéressée, celui d’une autre personne et qui, pour ce motif, avaient été écartés comme nuls par la commission de recensement. Le Conseil a jugé que, en l’absence de doute sur l’intention des électeurs qui les avaient utilisés et alors qu’il ne résultait pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux avait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs avait été privé de portée utile. Compte tenu du faible écart de voix entre les trois candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour de scrutin, cette absence de prise en compte des bulletins irréguliers du décompte des voix avait eu pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin, altérant ainsi la sincérité du scrutin(17). Le législateur ayant récemment renforcé les règles de présentation et de contenu des bulletins de vote, comme le lui avait recommandé le Conseil à l’issue du scrutin de 2017, il appartient désormais aux candidats - et, dans le cadre du contrôle qu’elles opèrent sur les bulletins, aux commissions de propagande dont ils sollicitent le concours - de veiller tout particulièrement au respect des prescriptions de l’article L. 52-3 du code électoral.

B. - Les requêtes électorales contenaient également des griefs relatifs aux opérations de vote. Si les contestations habituelles relatives à la régularité des procurations ou des procès-verbaux établis n’appellent pas de remarques particulières, le Conseil constitutionnel relève que les règles relatives aux bureaux de vote ont suscité deux principales difficultés.

La première concerne la tenue des bureaux de vote et, en particulier, le rôle des délégués des candidats lors du contrôle des opérations électorales. Dans une affaire, le Conseil a en effet constaté qu’un délégué ne s’était pas borné à contrôler le déroulement des opérations électorales, mais qu’il avait contrôlé à plusieurs reprises les cartes d’électeur ou d’identité des électeurs à leur entrée dans un bureau de vote et accepté de remplacer, provisoirement, un assesseur d’un autre bureau de vote.

Si le Conseil a jugé qu’il n’était cependant pas établi que ce délégué, en excédant ainsi ses fonctions, ait exercé des pressions sur les électeurs des bureaux concernés et ainsi entaché la sincérité du scrutin(18), l’attention des délégués des candidats doit être attirée sur l’impératif du respect des règles encadrant le fonctionnement des bureaux de vote telles qu’elles résultent, notamment, des articles L. 67 et R. 47 du code électoral.

La seconde difficulté a trait à la tenue des listes d’émargement. Dans plusieurs circonscriptions, le Conseil a été saisi de griefs dénonçant soit l’irrégularité de plusieurs émargements, soit des différences de signature sur les listes d’émargement entre les deux tours du scrutin. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel effectue un examen détaillé des pièces, éclairé le cas échéant par les attestations des électeurs concernés, afin de déterminer s’ils ont participé au scrutin ou s’il existe effectivement des différences significatives et non expliquées entre les signatures au premier et au second tours.

Il ressort des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 62-1 du code électoral et du second alinéa de l’article L. 64 du même code, destinées à assurer la sincérité des opérations électorales, que seule la signature personnelle, à l’encre, d’un électeur est de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, sauf cas d’impossibilité dûment mentionnée sur la liste d’émargement. Dès lors, compte tenu de l’incidence que peuvent avoir les irrégularités relevées en la matière lorsque l’écart entre les candidats arrivés en tête est faible, il convient, là encore, d’appeler l’attention des membres des bureaux de vote sur le fait qu’ils ne peuvent accepter l’apposition sur les listes d’émargement de croix ou d’un simple trait ne présentant pas le caractère d’une signature, sans qu’aient été respectées les formalités prévues à l’article L. 64 du code électoral, selon lesquelles les personnes se trouvant dans l’impossibilité de signer désignent un électeur en mesure d’en attester en émargeant à leur place.

2. - Les règles spécifiques à la désignation des députés élus par les Français établis hors de France

Le Conseil a été saisi de griefs mettant en cause les défaillances dans l’organisation des opérations de vote par voie électronique dans plusieurs des circonscriptions des Français établis hors de France, où cette modalité de vote est possible à côté du vote à l’urne, par procuration, ou par correspondance, comme cela avait été le cas à l’occasion du scrutin de 2012.

Cela l’a conduit à prononcer l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées dans les deuxième et neuvième circonscriptions des Français établis hors de France, en raison des dysfonctionnements intervenus lors du vote électronique, et en particulier des problèmes rencontrés par certains opérateurs téléphoniques pour délivrer les messages contenant les mots de passe permettant aux électeurs de s’identifier(19). Tout en relevant que les électeurs concernés conservaient le droit de prendre part au vote à l’urne en se déplaçant physiquement à l’un des bureaux de vote ouverts, le Conseil a considéré que de tels dysfonctionnements, qui n’avaient pas trouvé de résolution avant la clôture de la période de vote électronique, avaient été de nature, eu égard aux caractéristiques de la circonscription, à empêcher plusieurs milliers d’électeurs de prendre part au vote au premier tour. Compte tenu de l’écart des voix entre les candidats, il a jugé que cette circonstance devait être regardée comme ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin, quand bien même elle n’était imputable ni au candidat élu ni aux autres candidats.

Si, dans une autre circonscription, le Conseil n’a pas conclu à l’annulation, compte tenu de l’écart de voix entre les candidats et du caractère limité des dysfonctionnements constatés (blocage de l’acheminement de certains courriers électroniques contenant les identifiants nécessaires à la participation au vote par internet, indisponibilité temporaire du portail de vote)(20), il reviendra aux services compétents, pour l’avenir, de sécuriser davantage les opérations de vote par voie électronique et de veiller à informer les électeurs en cas de dysfonctionnement de cette modalité de vote qui peut présenter un intérêt pratique particulier pour les électeurs situés hors de France.

3. - Les règles encadrant le financement de la campagne électorale

Alors même que le nombre total de candidats qui se sont présentés aux élections législatives de 2022 a été significativement inférieur à celui enregistré lors des précédentes élections législatives, le Conseil constitutionnel a enregistré un nombre significativement accru de saisines de la CNCCFP, ce qui apparaît comme le signe d’un fléchissement de la maîtrise par les candidats de la réglementation du financement de la campagne.

A. - Le scrutin de 2022 a donné lieu à un nombre singulièrement important de saisines de la CNCCFP concernant des candidats dont le compte de campagne a été rejeté en raison du non-respect de l’obligation pour le mandataire financier d’ouvrir un compte bancaire ou postal unique. Cette obligation, prévue à l’article L. 52-6 du code électoral, permet de garantir la traçabilité des flux financiers de la campagne. Elle s’impose à tout candidat tenu d’établir un compte de campagne, quand bien même il n’aurait eu ni dépense ni recette(21).

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pu que constater, pour un nombre significatif de candidats, le non-respect de cette règle qui semble parfois mal comprise ou d’application difficile. À cet égard, plusieurs candidats se sont prévalus des difficultés qu’ils auraient rencontrées auprès d’établissements bancaires pour obtenir l’ouverture d’un compte bancaire, conformément au droit reconnu à cet effet à tout mandataire financier par l’article L. 52-6-1 du code électoral(22). Si, pour chacun des candidats dont il a été saisi, le Conseil a constaté que les affirmations et pièces éventuellement produites au soutien de leur argumentation n’étaient pas de nature à justifier la méconnaissance de cette obligation(23), il serait nécessaire, compte tenu des difficultés rencontrées par certains d’entre eux pour obtenir l’ouverture d’un compte en temps utile, qu’une réflexion soit engagée sur les conditions auxquelles les établissements bancaires soumettent cette formalité et les solutions à apporter pour qu’un tel droit soit effectivement garanti. L’ouverture d’un compte bancaire constitue en effet l’une des obligations faites à tout candidat aux élections législatives.

B. - Dans dix-huit affaires, le Conseil constitutionnel a été saisi de la situation de candidats qui avaient été investis par le même parti politique et avaient omis de mentionner dans leur compte de campagne la quote-part d’une dépense globale directement payée à leur profit par ce dernier pour une prestation de communication. Si, eu égard au faible montant de la somme en cause, le Conseil a jugé qu’une telle irrégularité n’était pas de nature à entraîner le prononcé d’une inéligibilité à l’encontre de ces candidats(24), cette pratique de financement global de plusieurs candidats soutenus par un même parti n’est pas sans poser difficulté au regard de la nécessité pour les candidats de retracer individuellement les dépenses figurant dans leur compte de campagne.

C. - Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, été saisi à plusieurs reprises par la CNCCFP à la suite du rejet des comptes de campagne de candidats intégrant des dons ou avantages d’organismes qui ne pouvaient recevoir la qualification de « partis ou groupements politiques » faute de répondre aux critères de la législation sur le financement des campagnes électorales. Conformément à sa jurisprudence bien établie, il a rappelé qu’« _ une personne morale de droit privé qui s’est assigné un but politique ne peut être regardée comme un »parti ou groupement politique« au sens de l’article L. 52-8 du code électoral que si elle relève des articles 8 et 9 de la loi du 11 mars 1988 [relative à la transparence financière de la vie politique], ou s’est soumise aux règles fixées par les articles 11 à 11-7 de la même loi qui imposent notamment aux partis et groupements politiques de ne recueillir des fonds que par l’intermédiaire d’un mandataire financier désigné par eux  »_(25).

D. - Sur le plan procédural, le Conseil constitutionnel a été confronté à des griefs de candidats reprochant à la CNCCFP de ne pas leur avoir fait parvenir les courriers qui leur étaient destinés dans le cadre de la procédure contradictoire à l’adresse qu’ils avaient indiquée, selon les cas, dans leur déclaration de candidature ou dans leur compte de campagne(26). Pour prévenir ce type de difficulté, et dans la mesure où l’adresse indiquée lors de la déclaration de candidature est ensuite directement transmise à la CNCCFP par la préfecture, il pourrait être précisé, dans les dispositions réglementaires applicables au dépôt des comptes de campagne, que, sauf changement survenu entretemps qu’il appartient au candidat de signaler à la CNCCFP, c’est à cette même adresse que cette dernière pourra le joindre après la clôture des opérations électorales.

4. - La sanction de la méconnaissance des règles relatives au financement de la campagne électorale

A. - Depuis sa modification par la loi organique n° 2019-1268 du 2 décembre 2019, l’article L.O. 136-1 du code électoral ne distingue plus, en fonction des catégories de manquements aux règles relatives au financement de la campagne électorale, les conditions selon lesquelles l’inéligibilité est prononcée par le Conseil constitutionnel. L’inéligibilité s’applique ainsi, quelle que soit la nature du manquement, « En cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales »(27). Ce changement rédactionnel, destiné à « mettre en accord le code électoral et la jurisprudence »(28) du Conseil après que ce dernier a invité le législateur à harmoniser la rédaction de cet article, afin de laisser au juge de l’élection la faculté de prononcer une inéligibilité en fonction des circonstances de l’espèce, n’a pas conduit le Conseil constitutionnel à modifier son appréciation en la matière.

Dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure, le Conseil a ainsi continué à considérer, s’agissant plus particulièrement du non-dépôt du compte de campagne, du dépôt tardif, du défaut de communication des pièces justificatives ou encore du défaut de présentation du compte par un expert-comptable, que ces manquements étaient, hors circonstances particulières, d’une gravité suffisante pour justifier, selon les cas, une inéligibilité d’une durée d’un an ou de trois ans. Le Conseil a prononcé une inéligibilité d’une durée de trois ans dans deux séries de cas : d’une part, les non-dépôts de compte de campagne et, d’autre part, les situations de cumul d’irrégularités d’une particulière gravité. Dans tous les autres cas justifiant le prononcé d’une inéligibilité, celle-ci a été fixée à un an. Le Conseil a prononcé, au total, des sanctions d’inéligibilité d’un an ou de trois ans, en fonction de la gravité des manquements commis, à l’égard de 345 candidats (dans 186 cas, cette inéligibilité a été fixée à un an ; dans les 159 autres cas, elle a été fixée à trois ans).

S’agissant de la faculté, pour le Conseil constitutionnel, de ne pas prononcer d’inéligibilité, elle a été mise en œuvre à 82 reprises, soit parce que le Conseil constitutionnel a estimé que le candidat avait pu régulariser sa situation en apportant les justificatifs au cours de la procédure, soit parce que l’irrégularité constatée ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une déclaration d’inéligibilité.

B. - Comme il l’avait déjà relevé dans ses observations sur les précédentes élections législatives, le Conseil constitutionnel constate que, lors de son instruction contradictoire des 430 saisines de la CNCCFP, dans plus de la moitié des cas, le candidat à qui la décision de la CNCCFP avait été communiquée, n’a pas pris la peine de formuler des observations. En outre, certains candidats n’avaient pas non plus souhaité répondre à la CNCCFP dans le cadre de la procédure contradictoire devant elle. Par ailleurs, parmi les personnes qui ont présenté des observations devant le Conseil constitutionnel, une part significative ne contestait pas l’irrégularité constatée. Ainsi, la part des décisions dans lesquelles le Conseil constitutionnel a été appelé à statuer sur une contestation quant au respect des règles de financement électoral ou quant au prononcé de l’inéligibilité est assez réduite.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 septembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 29 septembre 2023.

JORF n°0229 du 3 octobre 2023, texte n° 41
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.31.ELEC

(1) Comme le prévoient les dispositions du deuxième alinéa de l’article 38 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, reprises à l’article L.O. 183 du code électoral.
(2) Décisions n° 2022-5784 AN du 2 décembre 2022, Charente (1re circ.), M. René PILATO ; n° 2022-5794/5796 AN du 2 décembre 2022, Pas-de-Calais (8e circ.), M. Benoit POTTERIE et autre ; n° 2022-5768 AN du 2 décembre 2022, Marne (2e circ.), Mme Laure MILLER ; n° 2022-5760 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (9e circ.), Mme Thiaba BRUNI ; n° 2022-5813/5814 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (2e circ.), M. Christian RODRIGUEZ et autre ; n° 2022-5751 AN du 27 janvier 2023, Ariège (1re circ.), M. Jean-Marc GARNIER ; n° 2022-5773 AN du 3 février 2023, Français établis hors de France (8e circ.), Mme Deborah ABISROR DE LIEME.
(3) À cette occasion, le Conseil était notamment saisi du rejet du compte de campagne d’un député qu’il a confirmé, tout en jugeant qu’il n’y avait pas lieu, dans les circonstances particulières de l’espèce, de prononcer l’inéligibilité de l’intéressé (décision n° 2022-5865 AN du 19 mai 2023, Gard [6e circ.]).
(4) Décision n° 2022-5813 AN / QPC du 29 juillet 2022, Français établis hors de France (2e circ.), M. Christian RODRIGUEZ. Cette QPC, qui contestait la brièveté du délai de dix jours prévu par le premier alinéa de l'article 33 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, a été rejetée au motif que le Conseil avait spécialement examiné ces dispositions, dans la même rédaction, dans une précédente décision et les avait déclarées conformes à la Constitution.
(5) Décision n° 2023-5998 AN/QPC du 7 juillet 2023, Lot (2e circ.). Le Conseil constitutionnel a rejeté cette QPC, qui était dirigée contre les articles 12, 13 et 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 et l’article 4 de la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 relatifs au régime de vaccination obligatoire applicable à certains professionnels, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, en raison de l’inapplicabilité de ces dispositions au litige dont il était saisi, de telles dispositions étant dénuées de lien avec les règles de financement des campagnes électorales et celles fixant les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut prononcer l’inéligibilité d’un candidat.
(6) Décision n° 2022-5770 AN du 2 décembre 2022, Seine-et-Marne (10e circ.), Mme Stéphanie DO, paragr. 2 et 3.
(7) Par exemple : décision n° 2022-5795 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (1re circ.), M. Alain OUELHADJ, paragr. 1 et 2.
(8) Décision n° 2022-5822 AN du 9 décembre 2022, Hauts-de-Seine (2e circ.), M. Laurent TRUPIN, paragr. 1 et 2.
(9) Dont le dernier alinéa précise que « Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe ».
(10) Décisions n° 2022-5758 AN du 2 décembre 2022, Oise (7e circ.), M. Tristan SZYSZKA, paragr. 2 ; n° 2022-5770 AN du 2 décembre 2022, Seine-et-Marne (10e circ.), Mme Stéphanie DO, paragr. 1 ; n° 2022-5782 AN du 27 janvier 2023, Vaucluse (5e circ.), Mme Céline LEMOINE, paragr. 2 ; n° 2022-5775 AN du 27 janvier 2023, Pas-de-Calais (3e circ.), M. Bruno CLAVET, paragr. 2.
(11) Cet article dispose que : « À partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : 1 ° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ; / 2 ° Diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ; / 3 ° Procéder, par un système automatisé ou non, à l’appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour un candidat ; / 4 ° Tenir une réunion électorale ».
(12) Décision n° 2022-5836 AN du 21 décembre 2022, Yvelines (2e circ.), M. Pascal CASIMIR-PERRIER, paragr. 2.
(13) Décision n° 2022-5773 AN du 3 février 2023, Français établis hors de France (8e circ.), Mme Deborah ABISROR DE LIEME, paragr 2 à 4.
(14) Voir notamment les décisions n° 2022-5789/5804 AN du 9 décembre 2022, Paris (15e circ.), M. Nicolas BINOIS et autre, paragr. 4, et n° 2022-5801 AN du 9 décembre 2022, Gironde (5e circ.), Mme Karine NOUETTE-GAULAIN, paragr. 4.
(15) Décision n° 2022-5754/5766 AN du 2 décembre 2022, Haute-Garonne (3e circ.), M. Olivier de GUYENRO, Mme Emmanuelle Laure DESSART, paragr. 3.
(16) Décision n° 2022-5751 AN du 27 janvier 2023, Ariège (1re circ.), M. Jean-Marc GARNIER.
(17) Décision n° 2022-5768 AN du 2 décembre 2022, Marne (2ème circ.), Mme Laure MILLER.
(18) Décision n° 2022-5791 AN du 3 février 2023, Yvelines (11e circ.), Mme Aurélie PIACENZA, paragr. 7.
(19) Décisions n° 2022-5760 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (9e circ.), Mme Thiaba BRUNI, et n°2022-5813/5814 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (2e circ.), M. Christian RODRIGUEZ et autre. Le Conseil a par ailleurs annulé les opérations électorales qui se sont déroulées dans la huitième circonscription des Français établis hors de France après avoir notamment relevé que, dans le cadre des permanences téléphoniques mises en place par le candidat élu, il avait pu être irrégulièrement proposé aux électeurs de voter par internet à leur place en utilisant leurs identifiants et mots de passe (décision n° 2022-5773 AN du 3 février 2023 précitée).
(20) Décision n° 2022-5795 AN du 20 janvier 2023, Français établis hors de France (1ère circ.), M. Alain OUELHADJ, paragr. 3 à 8.
(21) En application du 2 ° du paragraphe III de l’article L. 52-12 du code électoral, le candidat qui a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et dont les recettes et les dépenses du compte de campagne n’excèdent pas 4 000 euros doit transmettre à la CNCCFP les relevés du compte bancaire.
(22) L’article L. 52-6-1 du code électoral prévoit que le mandataire a droit à l’ouverture d’un compte de dépôt dans l’établissement de crédit de son choix ainsi qu’à la mise à disposition des moyens de paiement et services bancaires nécessaires à son fonctionnement. En cas de refus de la part de l’établissement choisi, auquel la loi impose de remettre systématiquement, gratuitement et sans délai au demandeur une attestation de refus d’ouverture de compte, le mandataire peut saisir la Banque de France afin qu’elle lui désigne un établissement de crédit situé dans la circonscription dans laquelle se déroule l’élection ou à proximité d’un autre lieu de son choix, dans un délai d’un jour ouvré à compter de la réception de la demande du mandataire et des pièces requises.
(23) Il en a été ainsi, par exemple, de candidats qui invoquaient le refus qui aurait été opposé par un établissement bancaire à leur demande d’ouverture de compte, mais dont il apparaissait qu’ils n’avaient tenté d’ouvrir un compte bancaire que postérieurement à l’élection (décision n° 2022-5941 AN du 24 mars 2023, Pyrénées-Orientales, 3e circ.), ou dont les démarches auprès de la Banque de France étaient tardives et postérieures à l’élection (décision n° 2023-6062 AN du 19 mai 2023, Nord, 10e circ.).
(24) Par exemple, décisions nos 2022-5883 AN du 24 mars 2023, Vendée (5e circ.) ; 2022-5901 AN du 24 mars 2023, Tarn-et-Garonne (2e circ.) ; 2022-5934 AN du 24 mars 2023, Maine-et-Loire (4e circ.) ; 2022-5944 AN du 24 mars 2023, Vendée (3e circ.).
(25) Par exemple, décision n° 2023-5987 AN du 21 avril 2023, Charente-Maritime (4e circ.), paragr. 2.
(26) Décisions nos 2023-6078 AN du 9 juin 2023, Seine-Saint-Denis (5e circ.), et 2023-6131 AN du 22 juin 2023, Savoie (3e circ.).
(27) Auparavant, l’inéligibilité était présentée comme une faculté en cas de méconnaissance des exigences de l’article L. 52-12 du code électoral (le Conseil « peut déclarer inéligible ») alors qu’elle apparaissait obligatoire en cas de rejet au titre des autres règles de financement (le Conseil « prononce » l’inéligibilité), mais réservée aux cas dans lesquels le Conseil estimait qu’il y avait eu « volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
(28) Rapport n° 443 (Sénat - 2018-2019) fait par M. Arnaud de Belenet au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, et sur la proposition de loi organique visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, déposé le 10 avril 2019.

À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Dossier Élections législatives 2022, Version PDF de la décision.
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