Décision

Décision n° 2023-1037 QPC du 17 mars 2023

M. Sylvain K. [Communication des pièces du dossier de la procédure d’instruction à un tiers]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 janvier 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 154 du 11 janvier 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Sylvain K. par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1037 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procédure pénale ;
  • la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, enregistrées le 1er février 2023 ;
  • les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées pour le syndicat des avocats de France par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, enregistrées le même jour ;
  • les observations en intervention présentées pour l’association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
  • les secondes observations présentées pour l’association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, enregistrées le 15 février 2023 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant et le syndicat des avocats de France, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association des avocats pénalistes, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 7 mars 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015 mentionnée ci-dessus.

2. Le sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit : « Seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense ».
 

3. Le requérant, rejoint par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne permettre aux parties et à leurs avocats de communiquer à un tiers que les copies des rapports d’expertise. Or, selon lui, la communication d’autres pièces du dossier de la procédure d’instruction à un tiers, afin notamment de solliciter son avis technique, pourrait être nécessaire à l’exercice des droits de la défense. Il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense.

4. Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par ces dispositions les droits de la défense.

5. En application de l’article 114 du code de procédure pénale, dans le cadre de l’instruction, les avocats des parties ou, si elles n’ont pas d’avocat, les parties elles-mêmes peuvent, après la première comparution ou la première audition, se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier de la procédure.

6. Les dispositions contestées prévoient que les parties ou leurs avocats ne peuvent communiquer à des tiers, pour les besoins de la défense, que les copies des rapports d’expertise. Il s’ensuit qu’aucune autre pièce du dossier ne peut leur être communiquée.

7. En interdisant la communication à des tiers des copies des pièces du dossier autres que les rapports d’expertise, le législateur a entendu préserver le secret de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celle-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.

8. En premier lieu, au cours de l’information judiciaire, les parties ont la faculté de saisir le juge d’instruction, auquel il revient de conduire l’instruction à charge et à décharge, d’une demande afin qu’il soit procédé à tous actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. En particulier, elles peuvent lui demander d’ordonner une expertise et, lorsqu’une telle mesure a été ordonnée, qu’il soit prescrit à l’expert d’effectuer certaines recherches ou d’entendre certaines personnes. En outre, une fois déposé, le rapport d’expertise est soumis à la discussion contradictoire des parties et celles-ci peuvent formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.

9. En second lieu, les parties et leurs avocats conservent la possibilité de communiquer aux tiers, dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, des informations sur le déroulement de l’instruction.

10. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Le sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, est conforme à la Constitution.
 
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mars 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
 
Rendu public le 17 mars 2023.
 

JORF n°0066 du 18 mars 2023, texte n° 58
ECLI : FR : CC : 2023 : 2023.1037.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
  • 4.23.9.6. Dispositions relevant de la procédure d'enquête et d'instruction
  • 4.23.9.6.3. Instruction

Les dispositions contestées prévoient que les parties ou leurs avocats ne peuvent communiquer à des tiers, pour les besoins de la défense, que les copies des rapports d’expertise. Il s’ensuit qu’aucune autre pièce du dossier d'instruction ne peut leur être communiquée. En interdisant la communication à des tiers des copies des pièces du dossier autres que les rapports d’expertise, le législateur a entendu préserver le secret de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées par celle-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789.
En premier lieu, au cours de l’information judiciaire, les parties ont la faculté de saisir le juge d’instruction, auquel il revient de conduire l’instruction à charge et à décharge, d’une demande afin qu’il soit procédé à tous actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. En particulier, elles peuvent lui demander d’ordonner une expertise et, lorsqu’une telle mesure a été ordonnée, qu’il soit prescrit à l’expert d’effectuer certaines recherches ou d’entendre certaines personnes. En outre, une fois déposé, le rapport d’expertise est soumis à la discussion contradictoire des parties et celles-ci peuvent formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise. En second lieu, les parties et leurs avocats conservent la possibilité de communiquer aux tiers, dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, des informations sur le déroulement de l’instruction. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

(2023-1037 QPC, 17 mars 2023, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0066 du 18 mars 2023, texte n° 58)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du sixième alinéa de l’article 114 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 17 août 2015.

(2023-1037 QPC, 17 mars 2023, cons. 1, JORF n°0066 du 18 mars 2023, texte n° 58)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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