Décision

Décision n° 2021-958 QPC du 17 décembre 2021

M. Théo S. [Maintien de la compétence des juridictions spécialisées en matière d'infractions terroristes en cas de requalification des faits]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 octobre 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1339 du 6 octobre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Théo S. par Me Xantiana Cachenaut, avocate au barreau de Bayonne. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-958 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 706-19 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procédure pénale ;
  • la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par Me Cachenaut, enregistrées le 2 novembre 2021 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Cachenaut, pour le requérant, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 7 décembre 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 706-19 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 décembre 2020 mentionnée ci-dessus, prévoit : « La juridiction saisie en application de la présente section reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l'affaire, sous réserve de l'application des articles 181 et 469. Si les faits constituent une contravention, le juge d'instruction prononce le renvoi de l'affaire devant le tribunal de police compétent en application de l'article 522 ».

2. Le requérant reproche à ces dispositions de maintenir la compétence des juridictions parisiennes pour connaître des infractions terroristes alors même que la qualification terroriste des faits a été écartée en cours de procédure. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les personnes mises en cause, selon que les faits qui leur sont reprochés ont ou non reçu initialement une telle qualification, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et la justice. Il soutient également qu'en raison de la distance qui peut exister entre ces juridictions et le domicile du prévenu ou le lieu de commission de l'infraction, ces dispositions seraient susceptibles de faire peser des contraintes sur l'organisation de la défense, de nature à porter atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase de l'article 706-19 du code de procédure pénale.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

5. L'article 706-17 du code de procédure pénale prévoit que, pour la poursuite, l'instruction et le jugement des actes de terrorisme et des infractions en lien avec de tels actes, le procureur de la République antiterroriste, le juge d'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des règles de compétence territoriale de droit commun.

6. En application des dispositions contestées, ces juridictions d'instruction et de jugement demeurent compétentes pour connaître des faits de nature délictuelle dont elles ont été saisies sous une qualification terroriste, même dans le cas où cette qualification n'est pas retenue lors du règlement ou du jugement de l'affaire.

7. D'une part, les dispositions contestées ont pour objet d'éviter que l'abandon en cours de procédure de la qualification terroriste des faits conduise au dessaisissement de la juridiction initialement saisie et au renvoi de l'affaire vers une autre juridiction.

8. D'autre part, ces dispositions se bornent à prévoir une règle spéciale de compétence territoriale. La juridiction parisienne compétente est formée et composée dans les conditions de droit commun et fait application des mêmes règles de procédure et de fond que celles applicables devant les autres juridictions. Sont ainsi assurées aux justiciables des garanties égales.

9. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.

10. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable ou les droits de la défense, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - La première phrase de l'article 706-19 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 décembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 17 décembre 2021.

JORF n°0294 du 18 décembre 2021, texte n° 170
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.958.QPC

Les abstracts

  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.2. ÉGALITÉ DEVANT LA JUSTICE
  • 5.2.2. Égalité et droits - Garanties des justiciables
  • 5.2.2.2. Égalité et règles de procédure
  • 5.2.2.2.1. Règles de compétence

L'article 706-17 du code de procédure pénale prévoit que, pour la poursuite, l'instruction et le jugement des actes de terrorisme et des infractions en lien avec de tels actes, le procureur de la République antiterroriste, le juge d'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des règles de compétence territoriale de droit commun. En application des dispositions contestées, ces juridictions d'instruction et de jugement demeurent compétentes pour connaître des faits de nature délictuelle dont elles ont été saisies sous une qualification terroriste, même dans le cas où cette qualification n'est pas retenue lors du règlement ou du jugement de l'affaire. D'une part, les dispositions contestées ont pour objet d'éviter que l'abandon en cours de procédure de la qualification terroriste des faits conduise au dessaisissement de la juridiction initialement saisie et au renvoi de l'affaire vers une autre juridiction. D'autre part, ces dispositions se bornent à prévoir une règle spéciale de compétence territoriale. La juridiction parisienne compétente est formée et composée dans les conditions de droit commun et fait application des mêmes règles de procédure et de fond que celles applicables devant les autres juridictions. Sont ainsi assurées aux justiciables des garanties égales. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.

(2021-958 QPC, 17 décembre 2021, cons. 5, 6, 7, 8, 9, JORF n°0294 du 18 décembre 2021, texte n° 170)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

(2021-958 QPC, 17 décembre 2021, cons. 3, JORF n°0294 du 18 décembre 2021, texte n° 170)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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