Décision

Décision n° 2021-926 QPC du 9 septembre 2021

M. Gaston F. [Exclusion de l'application immédiate de dispositions relatives à la prescription de l'action publique]
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 juin 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 850 du 2 juin 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gaston F. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-926 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procédure pénale ;
  • la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 15 juin 2021 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 16 juin 2021 ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 30 juin 2021 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 20 juillet 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La loi du 27 février 2017 mentionnée ci-dessus modifie notamment le régime de la prescription de l'action publique. Son article 4 prévoit : « La présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise ».

2. Le requérant reproche, tout d'abord, à ces dispositions de faire obstacle à l'application immédiate de l'article 9-1 du code de procédure pénale, issu de la même loi, qui limite le report du point de départ de la prescription de l'action publique des infractions occultes ou dissimulées. Il en résulterait une méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce protégé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

3. Il fait valoir, ensuite, qu'en excluant l'application de l'article 9-1 du code de procédure pénale pour les infractions occultes ou dissimulées ayant fait l'objet de poursuites avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, le législateur aurait permis que de telles poursuites perdurent pour des infractions anciennes et dont ni la nature ni la gravité ne le justifie. Il en résulterait une méconnaissance des exigences relatives à la prescription de l'action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789.

4. Le requérant reproche par ailleurs au législateur d'avoir méconnu l'étendue de sa compétence, dans des conditions affectant les exigences découlant des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789, en renvoyant à l'« interprétation jurisprudentielle » des dispositions applicables sous l'empire du régime antérieur.

5. En outre, il soutient qu'en prévoyant de telles dispositions transitoires pour les infractions occultes ou dissimulées, alors que cette loi avait pour but de remédier à leur « imprescriptibilité de fait », le législateur aurait méconnu les principes de précision, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

6. Le requérant estime, enfin, que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles permettraient que de mêmes faits, commis à la même date, soient soumis à des règles de prescription différentes selon qu'ils ont déjà fait l'objet ou non de poursuites avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

7. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l'appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires.

8. En application du deuxième alinéa de l'article 9-1 du code de procédure pénale, depuis le 1er mars 2017, le délai de prescription de l'action publique d'une infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise.

9. Il résulte des dispositions contestées que ce nouveau régime de prescription ne s'applique pas aux infractions commises avant le 1er mars 2017, lorsqu'elles avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise.

10. Ces dispositions, qui portent sur des règles relatives à la prescription de l'action publique, n'instituent ni une infraction ni une peine. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce à l'encontre des dispositions contestées ne peut qu'être écarté.

11. En second lieu, il résulte du principe de nécessité des peines, protégé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l'article 16 de la même déclaration, un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions.

12. Les dispositions contestées ont pour seul objet d'organiser les conditions d'application dans le temps de la loi du 27 février 2017, et non de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique.

13. Par suite, elles ne contreviennent pas aux exigences relatives à la prescription de l'action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789. Pour les mêmes motifs, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence doit donc être écarté.

14. Par conséquent, l'article 4 de la loi du 27 février 2017, qui ne méconnaît pas non plus le principe d'égalité devant la loi ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - L'article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 septembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 9 septembre 2021.

JORF n°0212 du 11 septembre 2021 texte n° 34
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.926.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.7. Rétroactivité de la loi pénale plus douce

En application du deuxième alinéa de l'article 9-1 du code de procédure pénale, depuis le 1er mars 2017, le délai de prescription de l'action publique d'une infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise. Il résulte des dispositions contestées (article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale) que ce nouveau régime de prescription ne s'applique pas aux infractions commises avant le 1er mars 2017, lorsqu'elles avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise. Ces dispositions, qui portent sur des règles relatives à la prescription de l'action publique, n'instituent ni une infraction ni une peine. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce à l'encontre des dispositions contestées ne peut qu'être écarté.

(2021-926 QPC, 09 septembre 2021, cons. 8, 9, 10, JORF n°0212 du 11 septembre 2021 texte n° 34)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.12. Prescription

Les dispositions contestées (article 4 de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale) ont pour seul objet d'organiser les conditions d'application dans le temps de la loi du 27 février 2017, et non de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique. Par suite, elles ne contreviennent pas aux exigences relatives à la prescription de l'action publique qui découlent des articles 8 et 16 de la Déclaration de 1789.

(2021-926 QPC, 09 septembre 2021, cons. 12, 13, JORF n°0212 du 11 septembre 2021 texte n° 34)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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