Décision

Décision n° 2021-826 DC du 21 octobre 2021

Loi relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique
Non conformité partielle

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique, sous le n° 2021-826 DC, le 30 septembre 2021, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Serge BABARY, Jean BACCI, Philippe BAS, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Mmes Nadine BELLUROT, Catherine BELRHITI PASTORE, Martine BERTHET, M. Étienne BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, MM. Bernard BONNE, Michel BONNUS, Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP, M. Gilbert BOUCHET, Mme Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, Laurent BURGOA, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, M. Jean-Noël CARDOUX, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Marta de CIDRAC, M. Pierre CUYPERS, Mmes Laure DARCOS, Annie DELMONT-KOROPOULIS, Catherine DEROCHE, Sabine DREXLER, Catherine DUMAS, Françoise DUMONT, Dominique ESTROSI SASSONE, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, MM. Gilbert FAVREAU, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mmes Laurence GARNIER, Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. Fabien GENET, Mmes Frédérique GERBAUD, Béatrice GOSSELIN, M. Daniel GREMILLET, Mme Pascale GRUNY, M. Jean-François HUSSON, Mmes Corinne IMBERT, Muriel JOURDA, MM. Christian KLINGER, Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Henri LEROY, Stéphane LE RUDULIER, Mme Brigitte LHERBIER, M. Gérard LONGUET, Mmes Viviane MALET, Marie MERCIER, MM. Alain MILON, Philippe NACHBAR, Louis-Jean de NICOLAŸ, Mme Sylviane NOËL, MM. Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Mme Kristina PLUCHET, M. Rémy POINTEREAU, Mmes Catherine PROCACCIA, Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, MM. Bruno ROJOUAN, Stéphane SAUTAREL, Bruno SIDO, Laurent SOMON, Philippe TABAROT, Cédric VIAL et Jean-Pierre VOGEL, sénateurs.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;

Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 11 octobre 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique. Ils contestent son article 25.

- Sur l'article 25 :

2. L'article 25 de la loi déférée insère un deuxième alinéa à l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 mentionnée ci-dessus afin de relever le plafond de la sanction pécuniaire qui peut être infligée à certains des éditeurs de services audiovisuels en cas de manquement à leur obligation de contribution au développement d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

3. Les sénateurs requérants reprochent à ces dispositions d'instaurer une sanction disproportionnée aux motifs que l'assiette de la sanction, constituée par le montant total de la contribution annuelle, n'aurait pas de lien avec le manquement réprimé et que les taux maximaux retenus seraient excessifs. Il en résulterait une méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. Selon l'article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Ce principe s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

5. Les éditeurs de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre, de radio ou de télévision diffusés par d'autres voies, de médias audiovisuels à la demande ainsi que de télévision et de médias audiovisuels à la demande établis hors de France qui visent le territoire français, sont tenus de contribuer annuellement au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

6. Par dérogation à la sanction pécuniaire applicable aux autres manquements commis par ces éditeurs dont les taux ne peuvent excéder 3 % du chiffre d'affaires ou 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation, les dispositions contestées prévoient que le manquement à l'obligation de contribution est puni d'une sanction dont le montant maximal ne peut excéder le double du montant de l'obligation annuelle ou le triple en cas de récidive.

7. En premier lieu, la contribution des éditeurs de services au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles concourt au financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle et à la production de contenus audiovisuels de qualité. La répression du manquement à cette obligation répond ainsi à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la promotion de la création culturelle.

8. En deuxième lieu, en punissant le manquement à cette obligation par une sanction pécuniaire proportionnelle au montant de la contribution annuelle, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction.

9. En dernier lieu, si la sanction peut atteindre le double du montant de la contribution, ce montant ne constitue qu'un plafond et doit, en application du premier alinéa de l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986, être déterminé en fonction de la gravité du manquement commis et des avantages tirés de ce manquement. De plus, cette sanction est prononcée sous le plein contrôle du juge.

10. En revanche, en prévoyant, en cas de récidive, une augmentation du montant de la sanction sans définir les conditions, notamment de délai, dans lesquelles cette récidive peut être constatée, le législateur a retenu une sanction manifestement disproportionnée. Dès lors, les mots « ou le triple en cas de récidive » figurant à l'article 25 de la loi déférée sont contraires à la Constitution.

11. Le reste de l'article 25 de la loi déférée, qui ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

- Sur la place d'autres dispositions dans la loi déférée :

12. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

13. La loi déférée a pour origine le projet de loi déposé le 8 avril 2021 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie, qui comportait vingt-et-un articles répartis en quatre chapitres. Le chapitre Ier visait à fusionner le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet au sein de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, à préciser la portée du droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle, à introduire un référé spécifique contre le piratage sportif, à modifier la composition du collège de cette nouvelle autorité, à préciser le contenu de son bilan annuel et à procéder à diverses coordinations. Le chapitre II prévoyait d'élargir les compétences de cette autorité à l'ensemble de la communication au public par voie électronique et de renforcer en conséquence ses pouvoirs de contrôle et de sanction. Il fixait également les conditions de la lutte contre la retransmission illicite des manifestations sportives et prévoyait que le secret des affaires n'est pas opposable aux échanges entre cette nouvelle autorité et l'Autorité de la concurrence. Le chapitre III prévoyait un mécanisme de déclaration préalable obligatoire protégeant l'exploitation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles en cas de cession et le chapitre IV rassemblait les dispositions diverses, transitoires et portant application outre-mer.

14. Le paragraphe II de l'article 12 précise les normes auxquelles doivent répondre certains téléviseurs et adaptateurs permettant la réception de services de télévision numérique terrestre en ultra haute définition. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l'article 4 du projet de loi initial qui prévoyait que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure désormais les missions dévolues à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.

15. L'article 16 modifie les conditions de reprise des décrochages régionaux et locaux sur les réseaux autres que satellitaires. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec les articles 12 et 16 du projet de loi initial qui aménageaient le pouvoir de sanction de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

16. L'article 18 impose aux distributeurs de services en haute définition la reprise, également en haute définition, des services de la télévision numérique terrestre à vocation locale. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, des articles 12 et 16 du projet de loi initial.

17. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.

18. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.

- Sur les autres dispositions :

19. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique :

  • les mots « ou le triple en cas de récidive » figurant à l'article 25 ;
  • le paragraphe II de l'article 12 ;
  • l'article 16 ;
  • l'article 18.

Article 2. - Le reste du deuxième alinéa de l'article 42-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction résultant de l'article 25 de la loi déférée, est conforme à la Constitution.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 octobre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 21 octobre 2021.

JORF n°0250 du 26 octobre 2021, texte n° 3
ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.826.DC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.2. Absence de méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines
  • 4.23.3.2.1. Détermination des infractions et des peines

Les éditeurs de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre, de radio ou de télévision diffusés par d'autres voies, de médias audiovisuels à la demande ainsi que de télévision et de médias audiovisuels à la demande établis hors de France qui visent le territoire français, sont tenus de contribuer annuellement au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Par dérogation à la sanction pécuniaire applicable aux autres manquements commis par ces éditeurs dont les taux ne peuvent excéder 3 % du chiffre d'affaires ou 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation, les dispositions contestées prévoient que le manquement à l'obligation de contribution est puni d'une sanction dont le montant maximal ne peut excéder le double du montant de l'obligation annuelle ou le triple en cas de récidive.
En premier lieu, la contribution des éditeurs de services au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles concourt au financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle et à la production de contenus audiovisuels de qualité. La répression du manquement à cette obligation répond ainsi à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la promotion de la création culturelle. En deuxième lieu, en punissant le manquement à cette obligation par une sanction pécuniaire proportionnelle au montant de la contribution annuelle, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. En dernier lieu, si la sanction peut atteindre le double du montant de la contribution, ce montant ne constitue qu'un plafond et doit, en application du premier alinéa de l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986, être déterminé en fonction de la gravité du manquement commis et des avantages tirés de ce manquement. De plus, cette sanction est prononcée sous le plein contrôle du juge. En revanche, en prévoyant en cas de récidive, une augmentation du montant de la sanction sans définir les conditions, notamment de délai, dans lesquelles cette récidive peut être constatée, le législateur a retenu une sanction manifestement disproportionnée. Par conséquent, déclaration de conformité des dispositions prévoyant que la sanction peut atteindre le double de la contribution et censure des dispositions prévoyant l'application d'une sanction égale au triple de la contribution en cas de récidive.

(2021-826 DC, 21 octobre 2021, cons. 5, 6, 7, 8, 9, JORF n°0250 du 26 octobre 2021, texte n° 3)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.3. Méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines

Les éditeurs de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre, de radio ou de télévision diffusés par d'autres voies, de médias audiovisuels à la demande ainsi que de télévision et de médias audiovisuels à la demande établis hors de France qui visent le territoire français, sont tenus de contribuer annuellement au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Par dérogation à la sanction pécuniaire applicable aux autres manquements commis par ces éditeurs dont les taux ne peuvent excéder 3 % du chiffre d'affaires ou 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation, les dispositions contestées prévoient que le manquement à l'obligation de contribution est puni d'une sanction dont le montant maximal ne peut excéder le double du montant de l'obligation annuelle ou le triple en cas de récidive.
En premier lieu, la contribution des éditeurs de services au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles concourt au financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle et à la production de contenus audiovisuels de qualité. La répression du manquement à cette obligation répond ainsi à l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la promotion de la création culturelle. En deuxième lieu, en punissant le manquement à cette obligation par une sanction pécuniaire proportionnelle au montant de la contribution annuelle, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. En dernier lieu, si la sanction peut atteindre le double du montant de la contribution, ce montant ne constitue qu'un plafond et doit, en application du premier alinéa de l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986, être déterminé en fonction de la gravité du manquement commis et des avantages tirés de ce manquement. De plus, cette sanction est prononcée sous le plein contrôle du juge. En revanche, en prévoyant en cas de récidive, une augmentation du montant de la sanction sans définir les conditions, notamment de délai, dans lesquelles cette récidive peut être constatée, le législateur a retenu une sanction manifestement disproportionnée. Par conséquent, déclaration de conformité des dispositions prévoyant que la sanction peut atteindre le double de la contribution et censure des dispositions prévoyant l'application d'une sanction égale au triple de la contribution en cas de récidive.

(2021-826 DC, 21 octobre 2021, cons. 5, 6, 7, 8, 9, 10, JORF n°0250 du 26 octobre 2021, texte n° 3)
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