Décision

Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020

Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières
Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, sous le n° 2020-809 DC, le 10 novembre 2020, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mmes George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Claudia ROUAUX, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Gérard LESEUL, Mmes Isabelle SANTIAGO, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mmes Karine LEBON, Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, MM. Moetai BROTHERSON, Jean-Philippe NILOR, Gabriel SERVILLE, Mmes Delphine BAGARRY, Delphine BATHO, Émilie CARIOU, Annie CHAPELIER, M. Guillaume CHICHE, Mmes Yolaine de COURSON, Paula FORTEZA, Albane GAILLOT, MM. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Matthieu ORPHELIN, Aurélien TACHÉ, Mme Frédérique TUFFNELL, MM. Cédric VILLANI, Olivier FALORNI, François-Michel LAMBERT, Paul MOLAC, Bertrand PANCHER, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Benoît SIMIAN, Mme Jennifer De TEMMERMAN et M. Sébastien NADOT, députés.
Il a également été saisi le 12 novembre 2020, par M. Patrick KANNER, Mme Éliane ASSASSI, MM. Guillaume GONTARD, David ASSOULINE, Mme Florence BLATRIX-CONTAT, M. Hussein BOURGI, Mme Isabelle BRIQUET, M. Rémi CARDON, Mmes Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, M. Thierry COZIC, Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Laurence HARRIBEY, M. Jean-Michel HOULLEGATTE, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Éric KERROUCHE, Mme Annie LE HOUEROU, M. Jean-Yves LECONTE, Mmes Claudine LEPAGE, Monique LUBIN, MM. Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Mmes Michelle MEUNIER, Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mmes Sylvie ROBERT, Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Mickaël VALLET, André VALLINI, Mme Sabine VAN HEGHE, MM. Yannick VAUGRENARD, Fabien GAY, Jérémy BACCHI, Mme Cécile CUKIERMAN, MM. Pierre LAURENT, Gérard LAHELLEC, Pascal SAVOLDELLI, Mme Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Éric BOCQUET, Pierre OUZOULIAS, Mmes Laurence COHEN, Marie-Noëlle LIENEMANN, Marie-Claude VARAILLAS, Michelle GRÉAUME, Céline BRULIN, MM. Jean-Pierre CORBISEZ, Henri CABANEL, Guy BENARROCHE, Mme Esther BENBASSA, MM. Thomas DOSSUS, Joël LABBÉ, Paul Toussaint PARIGI, Daniel SALMON, Mmes Sophie TAILLÉ-POLIAN, Monique de MARCO, Raymonde PONCET MONGE, MM. Ronan DANTEC et Jacques FERNIQUE, sénateurs.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
  • le règlement CE n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ;
  • le code rural et de la pêche maritime ;

Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 27 novembre 2020 ;

Au vu des observations en réplique présentées par Mme Delphine BATHO ainsi que certains des autres députés requérants, enregistrées le 3 décembre 2020 ;

Au vu des observations en réplique présentées par les sénateurs requérants, enregistrées le 4 décembre 2020 ;

Au vu des nouvelles observations du Gouvernement, enregistrées le 8 décembre 2020 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Les députés en contestent la procédure d'adoption. Les députés et les sénateurs requérants critiquent également certaines dispositions de son article 1er.

- Sur la procédure d'adoption de la loi :

2. Les députés requérants font valoir que l'étude d'impact jointe au projet de loi à l'origine de la loi déférée aurait méconnu les prescriptions de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus. Selon eux, d'une part, cette étude comportait des inexactitudes flagrantes dans l'estimation des conséquences du virus de la jaunisse de la betterave sur la perte de son rendement en sucre, sur la situation de la filière industrielle et sur la souveraineté alimentaire de la France. D'autre part, elle ne recensait pas les options alternatives à l'autorisation de l'utilisation de produits contenant des néonicotinoïdes. Enfin, elle n'exposait pas avec précision l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales de l'utilisation de ces produits.

3. Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 39 de la Constitution : « La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. - Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ». Aux termes du premier alinéa de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 : « Les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'État. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent ». Selon le premier alinéa de l'article 9 de la même loi organique, la Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles relatives aux études d'impact sont méconnues.

4. Le projet de loi à l'origine de la loi déférée a été déposé le 3 septembre 2020 sur le bureau de l'Assemblée nationale. La Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a bien été saisie d'une demande tendant à constater que les règles relatives aux études d'impact étaient méconnues. Réunie le 15 septembre 2020, elle a estimé que tel n'était pas le cas. Il y a donc lieu pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur le grief tiré de ce que l'étude d'impact méconnaîtrait l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

5. L'étude d'impact jointe au projet de loi à l'origine de la loi déférée traitait de l'ensemble des questions énumérées par l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Au regard du contenu de cette étude, le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

- Sur certaines dispositions de l'article 1er :

6. L'article 1er de la loi déférée, qui modifie l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, introduit une dérogation à l'interdiction d'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, précisées par décret, et de semences traitées avec ces produits.

7. Les députés requérants soutiennent tout d'abord qu'en renvoyant à un décret la détermination de ces substances, le législateur aurait restreint la portée de l'interdiction qu'il avait préalablement édictée et méconnu le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé protégé par l'article 1er de la Charte de l'environnement.

8. Les députés requérants soutiennent ensuite qu'en permettant l'utilisation à titre dérogatoire de semences traitées avec des substances de la famille des néonicotinoïdes, le législateur aurait autorisé qu'il soit porté à l'environnement des atteintes certaines, irréversibles et massives. Ce faisant, d'une part, il aurait opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre la liberté d'entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement et de la santé. D'autre part, il aurait également violé les articles 1er, 2, 3, 5 et 6 de la Charte de l'environnement, desquels il résulterait respectivement le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, le devoir de prévention des atteintes à l'environnement, le principe de précaution et le principe selon lequel les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. Enfin, il aurait méconnu le droit de propriété des apiculteurs et des personnes vivant à proximité des lieux où seront utilisés les produits autorisés. Ils soutiennent par ailleurs que les dispositions contestées sont également entachées d'incompétence négative dans la mesure où elles ne définiraient pas suffisamment précisément les conditions dans lesquelles une dérogation peut être autorisée.

9. Les sénateurs requérants rejoignent les députés dans la critique de la dérogation apportée par le législateur à l'interdiction d'utilisation des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Avec eux, ils estiment que cette dérogation méconnaîtrait un principe de non-régression en matière environnementale, qui se déduirait, notamment, de l'article 2 de la Charte de l'environnement et qu'ils demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître. Ce principe interdirait au législateur de diminuer, sans justification suffisante, le niveau de protection légale dont bénéficie l'environnement.

10. Par ailleurs, les sénateurs requérants font valoir que cette dérogation priverait de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement, en se référant aux six premiers articles de la Charte de l'environnement. Compte tenu de la dangerosité de ces substances pour la santé humaine, le législateur aurait également méconnu l'exigence constitutionnelle de protection de la santé.

11. Les sénateurs requérants soutiennent enfin que ce même article procéderait à une adaptation incomplète du droit interne au règlement du 21 octobre 2009 mentionné ci-dessus, en méconnaissance de l'obligation résultant de l'article 88-1 de la Constitution.

. En ce qui concerne les normes de référence :

12. L'article 1er de la Charte de l'environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Aux termes de son article 2, « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». Aux termes de son article 6, « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

13. S'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement.

14. Les limitations portées par le législateur à l'exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement :

- S'agissant de la détermination des substances dont l'utilisation est interdite :

15. Le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime prévoit qu'est interdite l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances ainsi que l'utilisation des semences traitées avec ces produits. La liste de ces substances doit être précisée par décret.

16. Sauf à dénaturer le principe posé par le législateur d'une interdiction générale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques, ce renvoi à un décret ne saurait s'interpréter comme conférant au pouvoir réglementaire la faculté de décider de ne pas soumettre à l'interdiction certaines des substances en cause. Il vise seulement à imposer au pouvoir réglementaire d'en établir la liste, en faisant le cas échéant usage de la possibilité que lui confère le règlement du 21 octobre 2009 d'interdire des substances dont il estime que, bien qu'approuvées par la Commission européenne, elles présentent un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l'environnement.

17. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement par les mots « précisées par décret » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.

- S'agissant des dérogations à l'interdiction d'utilisation des produits contenant des néonicotinoïdes ou d'autres substances assimilées :

18. Le deuxième alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime permet, par dérogation au premier alinéa de ce paragraphe, d'autoriser l'usage de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances.

19. Ces produits ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux ainsi que des conséquences sur la qualité de l'eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine.

20. Toutefois, en premier lieu, le législateur a cantonné l'application de ces dispositions au traitement des betteraves sucrières, ainsi que le prévoit l'article L. 253-8-3 du code rural et de la pêche maritime introduit par l'article 2 de la loi déférée. Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a, ainsi, entendu faire face aux graves dangers qui menacent la culture de ces plantes, en raison d'infestations massives de pucerons vecteurs de maladies virales, et préserver en conséquence les entreprises agricoles et industrielles de ce secteur et leurs capacités de production. Il a, ce faisant, poursuivi un motif d'intérêt général.

21. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne permettent de déroger à l'interdiction d'utilisation des produits en cause qu'à titre transitoire, le temps que puissent être mises au point des solutions alternatives. Cette possibilité est ouverte exclusivement jusqu'au 1er juillet 2023.

22. En troisième lieu, cette dérogation ne peut être mise en œuvre que par arrêté conjoint des ministres de l'agriculture et de l'environnement, pris après avis d'un conseil de surveillance spécialement créé, au paragraphe II bis de l'article L. 253-8, et dans les conditions prévues à l'article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009, applicable aux situations d'urgence en matière de protection phytosanitaire. Cet article 53 ne permet qu'un « usage limité et contrôlé » des produits en cause, dans le cadre d'une autorisation délivrée pour une période n'excédant pas cent-vingt jours, à condition que cet usage soit justifié par « des circonstances particulières » et qu'il s'impose « en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ».

23. En dernier lieu, d'une part, en visant « l'emploi de semences traitées avec des produits » contenant les substances en cause, les dispositions contestées n'autorisent que les traitements directement appliqués sur les semences, à l'exclusion de toute pulvérisation, ce qui est de nature à limiter les risques de dispersion de ces substances. D'autre part, en application du dernier alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8, lorsqu'un tel traitement est appliqué, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d'insectes pollinisateurs sont temporairement interdits, afin de réduire l'exposition de ces insectes aux résidus de produits employés.

24. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu en particulier de ce qu'elles sont applicables exclusivement jusqu'au 1er juillet 2023, les dispositions du deuxième alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime ne privent pas de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement et que la limitation apportée à l'exercice de ce droit est justifiée par un motif d'intérêt général et proportionnée à l'objectif poursuivi.

25. Par ailleurs, loin de contrevenir aux dispositions du règlement européen du 21 octobre 2009, le renvoi aux conditions prévues à l'article 53 dudit règlement pour prévoir les dérogations mentionnées ci-dessus à l'interdiction d'emploi de certains produits phytopharmaceutiques vise à en assurer le respect. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit donc être écarté.

26. Les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus les articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la Charte de l'environnement, le droit de propriété ainsi que l'exigence de protection de la santé et ne sont pas entachées d'incompétence négative.

27. Il résulte de tout ce qui précède que les mots « précisées par décret » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime et le deuxième alinéa du même paragraphe, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

- Sur les autres dispositions :

28. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Les mots « précisées par décret » figurant au premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Le deuxième alinéa du même paragraphe II, qui est applicable exclusivement jusqu'au 1er juillet 2023, est conforme à la Constitution.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 décembre 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 10 décembre 2020.

JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4
ECLI : FR : CC : 2020 : 2020.809.DC

Les abstracts

  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.6. CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT
  • 1.6.3. Article 1er - Droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé

S'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement.
Les limitations portées par le législateur à l'exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 12, 13, 14, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.6. CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT
  • 1.6.4. Article 2 - Devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement

S'il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 12, 13, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.9. NORMES DE RÉFÉRENCE NON RETENUES ET ÉLÉMENTS NON PRIS EN CONSIDÉRATION
  • 1.9.2. Principes non retenus pour le contrôle de conformité à la Constitution
  • 1.9.2.10. Principe de non-régression en matière environnementale

Il ne résulte pas des dispositions de la Charte de l'environnement de 2004 un principe de non-régression en matière environnementale s'imposant au législateur. Sol. imp.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 13, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.11. ENVIRONNEMENT
  • 4.11.1. Droit à vivre dans un environnement sain et vigilance environnementale

Les dispositions contestées permettent, par dérogation à une interdiction de principe, d'autoriser l'usage de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances. Ces produits ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux ainsi que des conséquences sur la qualité de l'eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine.
Toutefois, en premier lieu, le législateur a cantonné l'application de ces dispositions au traitement des betteraves sucrières. Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a, ainsi, entendu faire face aux graves dangers qui menacent la culture de ces plantes, en raison d'infestations massives de pucerons vecteurs de maladies virales, et préserver en conséquence les entreprises agricoles et industrielles de ce secteur et leurs capacités de production. Il a, ce faisant, poursuivi un motif d'intérêt général. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne permettent de déroger à l'interdiction d'utilisation des produits en cause qu'à titre transitoire, le temps que puissent être mises au point des solutions alternatives. Cette possibilité est ouverte exclusivement jusqu'au 1er juillet 2023. En troisième lieu, cette dérogation ne peut être mise en œuvre que par arrêté conjoint des ministres de l'agriculture et de l'environnement, pris après avis d'un conseil de surveillance spécialement créé et dans les conditions prévues à l'article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009, applicable aux situations d'urgence en matière de protection phytosanitaire. Cet article 53 ne permet qu'un « usage limité et contrôlé » des produits en cause, dans le cadre d'une autorisation délivrée pour une période n'excédant pas cent-vingt jours, à condition que cet usage soit justifié par « des circonstances particulières » et qu'il s'impose « en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ». En dernier lieu, d'une part, en visant « l'emploi de semences traitées avec des produits » contenant les substances en cause, les dispositions contestées n'autorisent que les traitements directement appliqués sur les semences, à l'exclusion de toute pulvérisation, ce qui est de nature à limiter les risques de dispersion de ces substances. D'autre part, lorsqu'un tel traitement est appliqué, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d'insectes pollinisateurs sont temporairement interdits, afin de réduire l'exposition de ces insectes aux résidus de produits employés.
Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu en particulier de ce qu'elles sont applicables exclusivement jusqu'au 1er juillet 2023, les dispositions contestées ne privent pas de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement et que la limitation apportée à l'exercice de ce droit est justifiée par un motif d'intérêt général et proportionnée à l'objectif poursuivi.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 12, 13, 14, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)

La disposition contestée prévoit qu'est interdite l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances ainsi que l'utilisation des semences traitées avec ces produits. La liste de ces substances doit être précisée par décret.
Sauf à dénaturer le principe posé par le législateur d'une interdiction générale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques, ce renvoi à un décret ne saurait s'interpréter comme conférant au pouvoir réglementaire la faculté de décider de ne pas soumettre à l'interdiction certaines des substances en cause. Il vise seulement à imposer au pouvoir réglementaire d'en établir la liste, en faisant le cas échéant usage de la possibilité que lui confère le règlement du 21 octobre 2009 d'interdire des substances dont il estime que, bien qu'approuvées par la Commission européenne, elles présentent un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l'environnement.
Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 1er de la Charte de l'environnement doit être écarté.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 15, 16, 17, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 7. DROIT INTERNATIONAL ET DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4. QUESTIONS PROPRES AU DROIT COMMUNAUTAIRE OU DE L'UNION EUROPÉENNE
  • 7.4.4. Lois de transposition des directives communautaires ou de l'Union européenne ou d'adaptation du droit interne aux règlements européens
  • 7.4.4.3. Contrôle de l'exigence de bonne transposition ou de correcte adaptation du droit interne au texte européen
  • 7.4.4.3.2. Applications
  • 7.4.4.3.2.2. Absence d'incompatibilité manifeste

Loin de contrevenir aux dispositions du règlement CE n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, le renvoi opéré par les dispositions contestées aux conditions prévues à l'article 53 dudit règlement, applicable aux situations d'urgence en matière de protection phytosanitaire, pour prévoir les dérogations à l'interdiction d'emploi de certains produits phytopharmaceutiques vise à en assurer le respect. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution doit donc être écarté.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 25, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 10. PARLEMENT
  • 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
  • 10.3.1. Initiative
  • 10.3.1.1. Projets de loi
  • 10.3.1.1.2. Conditions d'inscription : exposé des motifs, études d'impact

Le projet de loi à l'origine de la loi déférée a été déposé le 3 septembre 2020 sur le bureau de l'Assemblée nationale. La Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a bien été saisie d'une demande tendant à constater que les règles relatives aux études d'impact étaient méconnues. Réunie le 15 septembre 2020, elle a estimé que tel n'était pas le cas. Il y a donc lieu pour le Conseil constitutionnel de se prononcer sur le grief tiré de ce que l'étude d'impact méconnaîtrait l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. L'étude d'impact jointe au projet de loi à l'origine de la loi déférée traitait de l'ensemble des questions énumérées par l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Au regard du contenu de cette étude, le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 4, 5, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.7. EXAMEN DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.7.2. Conditions de prise en compte d'éléments extrinsèques au texte de la loi
  • 11.7.2.2. Référence aux travaux préparatoires
  • 11.7.2.2.3. Référence aux travaux préparatoires de la loi déférée

Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a, ainsi, entendu faire face aux graves dangers qui menacent la culture des betteraves sucrières, en raison d'infestations massives de pucerons vecteurs de maladies virales, et préserver en conséquence les entreprises agricoles et industrielles de ce secteur et leurs capacités de production.

(2020-809 DC, 10 décembre 2020, cons. 20, JORF n°0302 du 15 décembre 2020, texte n° 4)
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