Décision

Décision n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019

Société Magenta Discount et autre [Contrôle des prix et des marges en Nouvelle-Calédonie]
Non conformité partielle

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 28 janvier 2019 par le Conseil d'État (décision nos 425813, 425814, 425815, 426254, 426387 du 25 janvier 2019) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Magenta Discount par Me Sylvain Justier, avocat au barreau de Paris, et pour la société Super Auteuil par Me Raphaële Charlier, avocat au barreau de Nouméa. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-774 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles Lp. 411-2 et Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans leur rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution, notamment ses articles 76 et 77 ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
  • le code de commerce applicable à la Nouvelle-Calédonie ;
  • la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix » ;
  • la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour la société Super Auteuil, partie requérante, par Me Charlier, enregistrées le 18 février 2019 ;
  • les observations présentées pour la société Magenta Discount, partie requérante, par Me Justier et Me François Molinié, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
  • les observations présentées pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
  • les observations en intervention présentées pour le syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 février 2019 ;
  • les secondes observations en intervention présentées pour le syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 5 mars 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour la société Super Auteuil, partie requérante, par Me Charlier, enregistrées le 6 mars 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour la société Magenta Discount, partie requérante, par Mes Justier et Molinié, enregistrées le 6 mars 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, enregistrées le 6 mars 2019 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Charlier pour la société Super Auteuil, Me Justier pour la société Magenta Discount, Me Molinié pour la partie intervenante, et Me Guillaume Lécuyer, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, à l'audience publique du 2 avril 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1.  L'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays du 7 septembre 2018 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I.- Par exception aux dispositions de l'article Lp. 410-2, les prix des produits alimentaires et non alimentaires d'origine locale ou importée et des prestations de services peuvent être fixés :
« 1 ° en valeur absolue ;
« 2 ° par application d'un coefficient multiplicateur de marge commerciale ou par une marge commerciale en valeur absolue, au coût de revient licite ou au prix d'achat net ;
« 3 ° par application d'un taux directeur de révision annuel ;
« 4 ° sous forme d'engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix ou de marges approuvé et étendu par le gouvernement ;
« 5 ° par application d'un coefficient maximum appliqué à un prix de vente ou une marge antérieurement pratiqués, et dont la date de référence est fixée par arrêté du gouvernement ;
« 6 ° dans le cadre du régime de liberté surveillée, les prix sont déposés auprès du service compétent du gouvernement au moins quinze jours avant leur entrée en vigueur ;
« 7 ° dans le cadre du régime de la liberté contrôlée, les évolutions de prix sont soumises à l'accord préalable du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
« Pour l'application du 2 °, le coût de revient licite pour les produits importés et le prix d'achat net pour les produits locaux sont calculés selon les modalités définies par délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
« II.- Une délibération du congrès détermine la liste des produits et services ou des familles de produits ou de services susceptibles d'être réglementés selon les modalités visées au premier alinéa, en tenant compte de leur impact sur le budget des ménages, s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation et/ou de la situation de secteurs ou de zones pour lesquels les conditions de concurrence peuvent justifier une réglementation des prix.
« III.- Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie peut décider de régimes de prix dérogatoires pour les commerces dont la surface de vente ou le chiffre d'affaires sont inférieurs aux seuils respectivement fixés par arrêté.
« IV.- Les producteurs, fabricants et distributeurs doivent mentionner les prix maxima de vente au détail sur leurs factures.
« V.- Les modalités de calcul des éléments constitutifs des prix mentionnés au présent article sont fixées par arrêté du gouvernement ».

2. L'article Lp. 412-4 du même code, dans la même rédaction, prévoit :
« Il est créé une application internet »observatoiredesprix.nc" dont l'objet est de diffuser auprès des consommateurs les prix des produits et des prestations pratiqués en Nouvelle-Calédonie.
« Les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m² ont l'obligation de transmettre auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie les prix de leurs produits alimentaires et non alimentaires, conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les commerçants en gros sont tenus de transmettre au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour chaque produit commercialisé, les prix de revient licite, les prix de vente hors taxes, ainsi que les prix maximal de vente licite, conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m², les commerçants en gros sont tenus de transmettre au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018 ainsi que le coût de revient licite ou le prix d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés au 1er mai 2018, conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les producteurs installés en Nouvelle-Calédonie sont tenus de transmettre au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour chaque produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximal de vente licite, ainsi que ces mêmes prix pratiqués au 1er mai 2018, conformément aux modalités et aux délais fixés par arrêté du gouvernement.
« Les informations communiquées en vertu des deux alinéas précédents ne sont pas diffusées auprès des consommateurs ni rendues publiques.
« En cas de non-respect des obligations susmentionnées, les commerçants, les producteurs installés en Nouvelle-Calédonie, personnes physiques ou morales, peuvent faire l'objet d'une amende administrative prononcée par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
« Le montant de l'amende encourue ne peut dépasser 20 000 F CFP et en cas de récidive, 300 000 F CFP, par catégorie de produits. Le montant de cette amende vaut pour chaque défaut de transmission de prix ».

3. L'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 mentionnée ci-dessus, dans la même rédaction, prévoit :
« I.- À compter de la date de la suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation (TGC), les entreprises retirent de leur coût de revient licite ou de leur prix d'achat net le montant des taxes supprimées.
« II.- À compter de cette même date pendant une durée de 12 mois, les entreprises ne peuvent appliquer sur leurs coûts de revient licites ou leurs prix d'achat nets une marge en valeur supérieure à celle appliquée au 30 avril 2018.
« Les entreprises des secteurs de l'alimentaire, des fruits et légumes, de l'hygiène, de l'entretien, des pièces de rechange automobile et des matériaux de construction dont les produits ou services sont soumis aux dispositions de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, doivent appliquer la plus favorable au prix de vente finale consommateur entre les dispositions résultant de l'alinéa précédent et celles résultant des mesures prises en application de l'article Lp. 411-2 susvisé.
« III.- En cas de dérives sur les prix manifestement excessives constatées suite à la date de suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est habilité par délibération du congrès, pour une durée maximale de dix-huit mois, à intervenir dans les secteurs d'activités où ces dérives sont constatées afin de mettre en place une réglementation sur les prix visant à maîtriser l'inflation.
« Les mesures prises par le gouvernement en application de l'alinéa précédent sont celles visées au I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
« Une dérive sur les prix manifestement excessive est caractérisée dès lors que, sur un nombre significatif de produits, il est constaté que la marge en valeur ou le prix de vente excède le niveau pratiqué avant la suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation.
« Lorsqu'une dérive sur les prix manifestement excessive est constatée alors que la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018 n'a pas été dépassée, le gouvernement consulte sous quinze jours les organisations professionnelles et les syndicats de salariés afin d'obtenir des engagements permettant de mettre un terme à la dérive constatée. À défaut d'engagements suffisants, ou de respect desdits engagements, une réglementation des prix peut être mise en place.
« Les dispositions du III s'appliquent aux engagements annuels de stabilité ou de baisse des prix ou des marges, mentionnés au 4 ° de l'article Lp. 411-2 du code de commerce, lorsqu'il est constaté une dérive sur les prix manifestement excessive.
« IV.- Le gouvernement informe le congrès des mesures de réglementation des prix prises en application des dispositions du II et du III du présent article, en présentant un bilan de ce dispositif à l'issue des neuf premiers mois d'application et à la fin des douze mois.
« V.- Le non-respect des dispositions du I et II du présent article est sanctionné, comme en matière d'infraction à la réglementation des prix, par une peine d'amende prévue pour les contraventions de 5e classe, conformément à l'article 131-13 du code pénal.
« VI.- En cas de manquement aux dispositions prévues aux I et II du présent article, le contrevenant peut être assujetti au versement d'une amende administrative d'un montant maximal de 1 750 000 F CFP par manquement constaté.
« Le plafond de l'amende est doublé en cas de réitération du manquement au cours de la période de douze mois susvisée.
« Les agents des services compétents de la Nouvelle-Calédonie sont habilités à constater les manquements aux dispositions prévues aux I et II du présent article passibles de sanctions administratives.
« Les sanctions administratives prévues au présent VI sont prononcées par arrêté du gouvernement après que l'intéressé a été mis à même de présenter ses observations.
« VII.- En cas de non-respect des dispositions d'un engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix ou des marges, au sens du 4 ° de l'article Lp. 411-2 du code de commerce, le contrevenant peut être assujetti au versement d'une amende administrative d'un montant maximum de 1 750 000 F CFP par manquement constaté.
« Le plafond de l'amende est doublé en case de réitération du manquement au cours de la période de douze mois susvisée.
« Les manquements prévus au présent VII sont constatés dans les mêmes conditions qu'au VI. Les sanctions prévues au présent VII sont prononcées dans les mêmes conditions qu'au VI.
« VIII.- Les professionnels réalisant une activité de service à la personne et vendant accessoirement des produits ne sont pas soumis aux dispositions du présent article. Il en est de même des commerces spécialisés dont la liste est fixée par arrêté du gouvernement ».

4. Les deux sociétés requérantes, rejointes par la partie intervenante, soutiennent tout d'abord que le mécanisme pérenne de réglementation des prix et des marges commerciales prévu par l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, conduirait à supprimer toute forme de concurrence et mettrait en péril la pérennité financière des entreprises. Il en résulterait une atteinte à la liberté d'entreprendre, qui ne pourrait être justifiée par les circonstances locales en Nouvelle-Calédonie et qui, en tout état de cause, serait disproportionnée au regard de l'objectif de lutte contre l'éventuelle hausse des prix consécutive à l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. Le législateur du pays aurait, en outre, méconnu l'étendue de sa compétence, dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre, en ne déterminant ni le champ d'application ni les critères devant guider l'élaboration par le congrès de la Nouvelle-Calédonie de la liste des produits et services soumis à cette réglementation des marges.

5. Elles critiquent ensuite les obligations déclaratives incombant aux commerçants et producteurs depuis la loi du pays du 7 septembre 2018, prévues à l'article Lp. 412-4 du même code, aux motifs que leur durée d'application ne serait pas limitée, que le périmètre des informations à fournir serait très large, créant ainsi une lourde charge pour les entreprises, et qu'aucune garantie ne permettrait d'assurer l'effectivité du secret des affaires protégeant les informations commerciales ainsi collectées. Il en résulterait une violation de la liberté d'entreprendre. L'une des sociétés requérantes, rejointe par la partie intervenante, ajoute que, faute d'avoir fait l'objet de mesures transitoires permettant aux entreprises de se préparer à leur mise en œuvre, ces obligations déclaratives auraient été édictées en méconnaissance des principes de « sécurité juridique » et de protection des attentes légitimes.

6. Les deux sociétés requérantes contestent, par ailleurs, le mécanisme général de plafonnement temporaire des marges en valeur absolue, à leur niveau constaté le 30 avril 2018, prévu par le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016. En particulier, ce mécanisme ne tiendrait pas compte des conditions normales de rentabilité de chaque entreprise et méconnaîtrait ainsi la liberté d'entreprendre.

7. Enfin, elles soutiennent que le mécanisme prévu en cas de dérive excessive sur les prix, instauré par le paragraphe III du même article 19, contreviendrait, lui aussi, à la liberté d'entreprendre, en ce qu'il pourrait être déclenché à tout moment, sur le fondement de critères insuffisamment définis et en visant potentiellement tout secteur d'activité.

8. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 2 ° du paragraphe I et le paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, sur les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du même code et sur les paragraphes II et III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016.

- Sur l'intervention du syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie :

9. Selon le deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 mentionné ci-dessus, seules les personnes justifiant d'un « intérêt spécial » sont admises à présenter une intervention.

10. Le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie concluent à l'irrecevabilité de l'intervention du syndicat des importateurs et distributeurs de Nouvelle-Calédonie au motif que le bureau de ce syndicat n'aurait pas autorisé son président à agir à cette fin, comme l'exigent pourtant ses statuts.

11. Toutefois, l'intervenant a produit une pièce attestant l'existence de cette autorisation. Par conséquent, les conclusions aux fins d'irrecevabilité de cette intervention sont rejetées.

- Sur le fond :

. En ce qui concerne le 2 ° du paragraphe I et le paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :

12. Le 2 ° du paragraphe I de l'article Lp. 411-2 permet au pouvoir réglementaire de fixer les prix de certains produits d'origine locale ou importés et de certaines prestations de services en encadrant les marges commerciales des entreprises, soit en fonction d'un taux, soit en valeur absolue. Le paragraphe II du même article prévoit qu'une délibération du congrès de la Nouvelle-Calédonie détermine la liste des produits et services ou des familles de produits ou de services susceptibles d'être ainsi soumis à réglementation, « en tenant compte de leur impact sur le budget des ménages, s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation et/ou de la situation de secteurs ou de zones pour lesquels les conditions de concurrence peuvent justifier une réglementation des prix ».

13. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

14. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

15. En application du 10 ° de l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 mentionnée ci-dessus, il appartient au législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de déterminer les principes fondamentaux concernant le régime des obligations civiles et commerciales.

16. Les dispositions contestées, qui permettent de fixer les prix de certains produits et services, définis par le pouvoir réglementaire, en encadrant les marges commerciales des entreprises, portent atteinte à la liberté d'entreprendre.

17. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu, eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et aux insuffisances de la concurrence sur de nombreux marchés, lutter contre la hausse des prix touchant certains produits et services afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.

18. En second lieu, d'une part, dans la mesure où elles visent uniquement les marges commerciales, les dispositions contestées n'interdisent pas aux entreprises de répercuter sur le prix de vente de leurs produits et services l'éventuelle augmentation de leur coût de revient.

19. D'autre part, le champ d'application des mesures en cause est limité à certains produits et services. Si leur liste est déterminée par le pouvoir réglementaire, il incombe à ce dernier de respecter les deux critères alternatifs définis au paragraphe II de l'article Lp. 411-2. L'un repose sur l'état de la concurrence dans certains secteurs ou certaines zones. L'autre réside dans l'impact des produits et services sur le budget des ménages, « s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation ».

20. Cependant, en retenant les termes « en particulier », le législateur du pays a permis qu'un nombre indéterminé de produits ou services, autres que de première nécessité ou de grande consommation, puissent faire l'objet d'une réglementation, au seul motif de leur impact sur le budget des ménages. Il a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre. Les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.

21. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du champ d'application des mesures en cause tel qu'il résulte de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe précédent et des particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le reste des dispositions contestées de l'article Lp. 411-2 ne revêt pas un caractère disproportionné. Les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de l'incompétence négative doivent ainsi être écartés.

22. Le 2 ° du paragraphe I et le reste du paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :

23. Les dispositions contestées de l'article Lp. 412-4 soumettent certaines entreprises à l'obligation de déclarer auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie plusieurs informations commerciales.

24. En application du troisième alinéa de cet article, les commerçants en gros sont tenus de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de revient licites, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites. En vertu du quatrième alinéa, les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m2 et les commerçants en gros transmettent la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018, ainsi que le coût de revient licite ou le prix d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés à la même date. Le cinquième alinéa impose aux producteurs locaux de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites, y compris au 1er mai 2018. Les modalités et les délais de déclaration sont fixés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

25. D'une part, les informations collectées en application de chacun des alinéas contestés sont transmises « au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ». Ce dernier est ainsi l'unique destinataire de ces informations, qui ne peuvent être rendues publiques. D'autre part, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, de veiller à ce que la périodicité et la durée de la collecte des informations n'excèdent pas les besoins liés à la mise en œuvre de la politique de réglementation des prix et des marges. Ainsi, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre.

26. Par ailleurs, le fait que les obligations déclaratives contestées, instituées par la loi du 7 septembre 2018, soient entrées en vigueur dès le 1er octobre 2018 n'a entraîné aucune remise en cause des effets pouvant légitimement être attendus d'une situation légalement acquise. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

27. Par conséquent, les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 :

28. En application du premier alinéa du paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016, à compter du 1er octobre 2018, date de la suppression des taxes à l'importation et de leur remplacement par la taxe générale sur la consommation, les entreprises ne peuvent, pendant douze mois, appliquer sur leurs coûts de revient licites ou leurs prix d'achat nets, une marge en valeur supérieure à celle qu'elles appliquaient au 30 avril 2018. Le second alinéa du même paragraphe ajoute une disposition propre aux entreprises des secteurs de l'alimentaire, des fruits et légumes, de l'hygiène, de l'entretien et des pièces de rechange automobile et des matériaux de construction dont les produits ou services sont soumis à la réglementation des marges prévue au 2 ° du paragraphe I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Pendant cette période de douze mois, ces entreprises doivent, pour déterminer leurs prix de vente, retenir la plus faible des marges entre celle résultant de l'application du 2 ° précité et celle constatée au 30 avril 2018.

29. En plafonnant ainsi les marges commerciales, constatées à une date donnée, de l'ensemble des entreprises et en permettant d'imposer à certaines d'entre elles une réduction supplémentaire de leur marge, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d'entreprendre.

30. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu parer aux risques inflationnistes liés à l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, qui se substitue aux anciennes taxes à l'importation. En particulier, il a entendu veiller à ce que l'allègement de fiscalité en résultant soit répercuté dans les prix de vente des biens et services plutôt que dans les marges des entreprises. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.

31. En second lieu, les dispositions contestées ne sont applicables que pour une durée de douze mois. En outre, en retenant une date déjà passée, celle du 30 avril 2018, comme point de référence pour le plafonnement des marges, le législateur a entendu éviter les effets d'aubaine que le choix d'une date postérieure à l'entrée en vigueur de la loi aurait pu provoquer. Enfin, les dispositions contestées ne privent pas les entreprises, selon l'état de la concurrence dans leur secteur, de la possibilité d'ajuster leurs prix en fonction de l'évolution de leurs coûts de revient ni de celle de gagner des parts de marché en diminuant leurs marges.

32. Dès lors, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du caractère exceptionnel et transitoire des dispositions contestées, qui constituent des mesures d'accompagnement d'une réforme fiscale d'ampleur, et eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 ne revêt pas un caractère disproportionné. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté. Ces dispositions, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent ainsi être déclarées conformes à la Constitution.

. En ce qui concerne le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 :

33. Le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 prévoit un dispositif renforcé de réglementation des prix « en cas de dérives sur les prix manifestement excessives constatées suite à la date de suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation ». Il permet alors au congrès d'habiliter le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour une durée maximale de dix-huit mois, à intervenir dans les secteurs d'activités où de telles dérives sont constatées, afin de mettre en place une réglementation sur les prix visant à maîtriser l'inflation. Les mesures susceptibles d'être prises par le gouvernement sont celles prévues au paragraphe I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.

34. En adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu prévoir un mécanisme de sauvegarde temporaire afin de faire face à des situations d'inflation qui surviendraient à la suite de l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, en dépit des autres dispositifs de réglementation des prix et des marges déjà mis en œuvre. Il a ainsi poursuivi l'objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.

35. Toutefois, en premier lieu, alors qu'il vise à lutter contre des dérives sur les prix manifestement excessives, le mécanisme contesté peut être mis en œuvre pour le seul motif que, sur un nombre significatif de produits, la marge en valeur ou le prix de vente constaté « excède » le niveau pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. Il suffit donc, pour que la hausse des prix soit qualifiée de manifestement excessive, que la marge en valeur ou le prix de vente pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation soit dépassé dans des proportions minimes, quelles que soient la justification ou la durée de ce dépassement. Dès lors, le fait générateur du déclenchement du mécanisme contesté, laissé à l'appréciation du congrès, est défini de manière large et peu précise.

36. En deuxième lieu, les dispositions contestées permettent au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de fixer les prix des produits et services, dans les secteurs d'activités où les dérives sont constatées, au moyen de plusieurs mesures : la fixation d'un prix en valeur absolue ; l'encadrement des marges commerciales ; l'application d'un taux directeur de révision annuel ; un engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix et des marges ; l'application d'un coefficient maximum appliqué à un prix de vente ou une marge antérieurement pratiqués ; la mise en œuvre du régime de « liberté surveillée », dans lequel les prix doivent être déclarés auprès du gouvernement ; l'application du régime de « liberté contrôlée », qui soumet les évolutions de prix à l'accord de ce dernier. Le législateur du pays a ainsi accordé au gouvernement de larges prérogatives, applicables dans tout secteur d'activité gagné par l'inflation, qui sont susceptibles d'affecter les conditions d'exercice de la liberté d'entreprendre.

37. En dernier lieu, le mécanisme de sauvegarde contesté peut être mis en œuvre à tout moment, quel que soit le temps écoulé depuis l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. En outre, si les dispositions contestées prévoient que l'habilitation donnée au gouvernement ne peut excéder dix-huit mois, aucune disposition n'interdit au congrès de renouveler cette habilitation, le cas échéant à plusieurs reprises.

38.  Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Le paragraphe III de l'article 19 doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

39. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

40. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet des déclarations d'inconstitutionnalité mentionnées aux paragraphes 20 et 38. Celles-ci interviennent donc à compter de la date de publication de la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
 
Article 1er. - Sont contraires à la Constitution :

  • les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
  • le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans sa rédaction résultant de la même loi du 7 septembre 2018.
     
    Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 40 de cette décision.
     
    Article 3. - Sont conformes à la Constitution :
  • le 2 ° du paragraphe I et le reste du paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2018-10 du 7 septembre 2018 modifiant les dispositions du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 et adoptant d'autres dispositions ;
  • les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 du même code, dans la même rédaction ;
  • le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », dans la même rédaction.
     
    Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
     

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 avril 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
 
 
Rendu public le 12 avril 2019.

JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58
ECLI : FR : CC : 2019 : 2019.774.QPC

Les abstracts

  • 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
  • 3.3. ÉTENDUE ET LIMITES DE LA COMPÉTENCE LÉGISLATIVE
  • 3.3.4. Incompétence négative
  • 3.3.4.4. Lois du pays de la Nouvelle-Calédonie

La méconnaissance par le législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. En application du 10° de l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, il appartient au législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de déterminer les principes fondamentaux concernant le régime des obligations civiles et commerciales. Les dispositions contestées, qui permettent de fixer les prix de certains produits et services, définis par le pouvoir réglementaire, en encadrant les marges commerciales des entreprises, portent atteinte à la liberté d'entreprendre. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu, eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et aux insuffisances de la concurrence sur de nombreux marchés, lutter contre la hausse des prix touchant certains produits et services afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs. En second lieu, d'une part, dans la mesure où elles visent uniquement les marges commerciales, les dispositions contestées n'interdisent pas aux entreprises de répercuter sur le prix de vente de leurs produits et services l'éventuelle augmentation de leur coût de revient. D'autre part, le champ d'application des mesures en cause est limité à certains produits et services. Si leur liste est déterminée par le pouvoir réglementaire, il incombe à ce dernier de respecter les deux critères alternatifs définis au paragraphe II de l'article Lp. 411-2. L'un repose sur l'état de la concurrence dans certains secteurs ou certaines zones. L'autre réside dans l'impact des produits et services sur le budget des ménages, « s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation ». Cependant, en retenant les termes « en particulier », le législateur du pays a permis qu'un nombre indéterminé de produits ou services, autres que de première nécessité ou de grande consommation, puissent faire l'objet d'une réglementation, au seul motif de leur impact sur le budget des ménages. Il a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre. Les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie doivent donc être déclarés contraires à la Constitution.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.4. Sécurité juridique
  • 4.2.2.4.1. Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise
  • 4.2.2.4.1.1. Remise en cause des effets qui peuvent légitimement être attendus

Les dispositions contestées de l'article Lp. 412-4 soumettent certaines entreprises à l'obligation de déclarer auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie plusieurs informations commerciales. En application du troisième alinéa de cet article, les commerçants en gros sont tenus de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de revient licites, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites. En vertu du quatrième alinéa, les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m² et les commerçants en gros transmettent la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018, ainsi que le coût de revient licite ou le prix d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés à la même date. Le cinquième alinéa impose aux producteurs locaux de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites, y compris au 1er mai 2018. Les modalités et les délais de déclaration sont fixés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Le fait que les obligations déclaratives contestées, instituées par la loi du 7 septembre 2018, soient entrées en vigueur dès le 1er octobre 2018 n'a entraîné aucune remise en cause des effets pouvant légitimement être attendus d'une situation légalement acquise. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 23, 24, 26, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
  • 4.21.2. Liberté d'entreprendre
  • 4.21.2.4. Champ d'application du principe

Les dispositions contestées de l'article Lp. 412-4 soumettent certaines entreprises à l'obligation de déclarer auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie plusieurs informations commerciales. En application du troisième alinéa de cet article, les commerçants en gros sont tenus de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de revient licites, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites. En vertu du quatrième alinéa, les commerçants détaillants dont la surface de vente est supérieure ou égale à 350 m2 et les commerçants en gros transmettent la marge en valeur pratiquée au 1er mai 2018, ainsi que le coût de revient licite ou le prix d'achat net et le prix de vente des produits commercialisés à la même date. Le cinquième alinéa impose aux producteurs locaux de transmettre, pour chaque produit commercialisé, les prix de vente hors taxes et les prix maximaux de vente licites, y compris au 1er mai 2018. Les modalités et les délais de déclaration sont fixés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. D'une part, les informations collectées en application de chacun des alinéas contestés sont transmises « au service compétent du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ». Ce dernier est ainsi l'unique destinataire de ces informations, qui ne peuvent être rendues publiques. D'autre part, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, de veiller à ce que la périodicité et la durée de la collecte des informations n'excèdent pas les besoins liés à la mise en œuvre de la politique de réglementation des prix et des marges. Ainsi, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 23, 24, 25, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
  • 4.21.2. Liberté d'entreprendre
  • 4.21.2.5. Conciliation du principe
  • 4.21.2.5.2. Avec l'intérêt général

En application du 10° de l'article 99 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, il appartient au législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de déterminer les principes fondamentaux concernant le régime des obligations civiles et commerciales. Les dispositions contestées, qui permettent de fixer les prix de certains produits et services, définis par le pouvoir réglementaire, en encadrant les marges commerciales des entreprises, portent atteinte à la liberté d'entreprendre. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu, eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et aux insuffisances de la concurrence sur de nombreux marchés, lutter contre la hausse des prix touchant certains produits et services afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs. En second lieu, d'une part, dans la mesure où elles visent uniquement les marges commerciales, les dispositions contestées n'interdisent pas aux entreprises de répercuter sur le prix de vente de leurs produits et services l'éventuelle augmentation de leur coût de revient. D'autre part, le champ d'application des mesures en cause est limité à certains produits et services. Si leur liste est déterminée par le pouvoir réglementaire, il incombe à ce dernier de respecter les deux critères alternatifs définis au paragraphe II de l'article Lp. 411-2. L'un repose sur l'état de la concurrence dans certains secteurs ou certaines zones. L'autre réside dans l'impact des produits et services sur le budget des ménages, « s'agissant en particulier de produits et services de première nécessité ou de grande consommation ». Cependant, en retenant les termes « en particulier », le législateur du pays a permis qu'un nombre indéterminé de produits ou services, autres que de première nécessité ou de grande consommation, puissent faire l'objet d'une réglementation, au seul motif de leur impact sur le budget des ménages. Il a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre. Les mots « en particulier » figurant au paragraphe II de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie doivent donc être déclarés contraires à la Constitution. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du champ d'application des mesures en cause tel qu'il résulte de la déclaration d'inconstitutionnalité mentionnée au paragraphe précédent et des particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le reste des dispositions contestées de l'article Lp. 411-2 ne revêt pas un caractère disproportionné. Les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de l'incompétence négative doivent ainsi être écartés.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)

En application du premier alinéa du paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016, à compter du 1er octobre 2018, date de la suppression des taxes à l'importation et de leur remplacement par la taxe générale sur la consommation, les entreprises ne peuvent, pendant douze mois, appliquer sur leurs coûts de revient licites ou leurs prix d'achat nets, une marge en valeur supérieure à celle qu'elles appliquaient au 30 avril 2018. Le second alinéa du même paragraphe ajoute une disposition propre aux entreprises des secteurs de l'alimentaire, des fruits et légumes, de l'hygiène, de l'entretien et des pièces de rechange automobile et des matériaux de construction dont les produits ou services sont soumis à la réglementation des marges prévue au 2° du paragraphe I de l'article Lp. 411–2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Pendant cette période de douze mois, ces entreprises doivent, pour déterminer leurs prix de vente, retenir la plus faible des marges entre celle résultant de l'application du 2° précité et celle constatée au 30 avril 2018.
En plafonnant ainsi les marges commerciales, constatées à une date donnée, de l'ensemble des entreprises et en permettant d'imposer à certaines d'entre elles une réduction supplémentaire de leur marge, les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d'entreprendre. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu parer aux risques inflationnistes liés à l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, qui se substitue aux anciennes taxes à l'importation. En particulier, il a entendu veiller à ce que l'allègement de fiscalité en résultant soit répercuté dans les prix de vente des biens et services plutôt que dans les marges des entreprises. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général de protection des consommateurs. En second lieu, les dispositions contestées ne sont applicables que pour une durée de douze mois. En outre, en retenant une date déjà passée, celle du 30 avril 2018, comme point de référence pour le plafonnement des marges, le législateur a entendu éviter les effets d'aubaine que le choix d'une date postérieure à l'entrée en vigueur de la loi aurait pu provoquer. Enfin, les dispositions contestées ne privent pas les entreprises, selon l'état de la concurrence dans leur secteur, de la possibilité d'ajuster leurs prix en fonction de l'évolution de leurs coûts de revient ni de celle de gagner des parts de marché en diminuant leurs marges. Dès lors, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, du caractère exceptionnel et transitoire des dispositions contestées, qui constituent des mesures d'accompagnement d'une réforme fiscale d'ampleur, et eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le paragraphe II de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 ne revêt pas un caractère disproportionné. Le grief est écarté.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 28, 29, 30, 31, 32, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)

Le paragraphe III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016 prévoit un dispositif renforcé de réglementation des prix « en cas de dérives sur les prix manifestement excessives constatées suite à la date de suppression des taxes à l'importation remplacées par la taxe générale sur la consommation ». Il permet alors au congrès d'habiliter le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour une durée maximale de dix-huit mois, à intervenir dans les secteurs d'activités où de telles dérives sont constatées, afin de mettre en place une réglementation sur les prix visant à maîtriser l'inflation. Les mesures susceptibles d'être prises par le gouvernement sont celles prévues au paragraphe I de l'article Lp. 411-2 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. En adoptant ces dispositions, le législateur du pays a entendu prévoir un mécanisme de sauvegarde temporaire afin de faire face à des situations d'inflation qui surviendraient à la suite de l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation, en dépit des autres dispositifs de réglementation des prix et des marges déjà mis en œuvre. Il a ainsi poursuivi l'objectif d'intérêt général de protection des consommateurs.
Toutefois, en premier lieu, alors qu'il vise à lutter contre des dérives sur les prix manifestement excessives, le mécanisme contesté peut être mis en œuvre pour le seul motif que, sur un nombre significatif de produits, la marge en valeur ou le prix de vente constaté « excède » le niveau pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. Il suffit donc, pour que la hausse des prix soit qualifiée de manifestement excessive, que la marge en valeur ou le prix de vente pratiqué avant l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation soit dépassé dans des proportions minimes, quelles que soient la justification ou la durée de ce dépassement. Dès lors, le fait générateur du déclenchement du mécanisme contesté, laissé à l'appréciation du congrès, est défini de manière large et peu précise. En deuxième lieu, les dispositions contestées permettent au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de fixer les prix des produits et services, dans les secteurs d'activités où les dérives sont constatées, au moyen de plusieurs mesures : la fixation d'un prix en valeur absolue ; l'encadrement des marges commerciales ; l'application d'un taux directeur de révision annuel ; un engagement annuel de stabilité ou de baisse des prix et des marges ; l'application d'un coefficient maximum appliqué à un prix de vente ou une marge antérieurement pratiqués ; la mise en œuvre du régime de « liberté surveillée », dans lequel les prix doivent être déclarés auprès du gouvernement ; l'application du régime de « liberté contrôlée », qui soumet les évolutions de prix à l'accord de ce dernier. Le législateur du pays a ainsi accordé au gouvernement de larges prérogatives, applicables dans tout secteur d'activité gagné par l'inflation, qui sont susceptibles d'affecter les conditions d'exercice de la liberté d'entreprendre. En dernier lieu, le mécanisme de sauvegarde contesté peut être mis en œuvre à tout moment, quel que soit le temps écoulé depuis l'entrée en vigueur de la taxe générale sur la consommation. En outre, si les dispositions contestées prévoient que l'habilitation donnée au gouvernement ne peut excéder dix-huit mois, aucune disposition n'interdit au congrès de renouveler cette habilitation, le cas échéant à plusieurs reprises. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Censure.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 33, 34, 35, 36, 37, 38, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.1. Observations en intervention

Saisi de conclusions aux fins de voir une intervention jugée irrecevable, le Conseil constitutionnel y répond et les rejette.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 9, 10, 11, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
  • 11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles Lp. 411-2 et Lp. 412-4 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie et sur l'article 19 de la loi du pays n° 2016-15 du 30 septembre 2016 « Concurrence, Compétitivité et Prix », le Conseil constitutionnel juge que cette question porte uniquement sur le 2° du paragraphe I et le paragraphe II de l'article Lp. 411-2, sur les troisième, quatrième et cinquième alinéas de l'article Lp. 412-4 et sur les paragraphes II et III de l'article 19 de la loi du pays du 30 septembre 2016.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 8, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.2. Abrogation
  • 11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision

Aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet des déclarations d'inconstitutionnalité de certaines dispositions de lois du pays de la Nouvelle-Calédonie, qui interviennent donc à compter de la date de publication de la décision.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 40, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
  • 14.5.2. Institutions de la Nouvelle-Calédonie
  • 14.5.2.2. Congrès - Lois du pays

La méconnaissance par le législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Censure de dispositions méconnaissant l'étendue de cette compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.5. DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES À LA NOUVELLE-CALÉDONIE (article 77)
  • 14.5.7. Question prioritaire de constitutionnalité

La méconnaissance par le législateur du pays de la Nouvelle-Calédonie de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Censure de dispositions méconnaissant l'étendue de cette compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre.

(2019-774 QPC, 12 avril 2019, cons. 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, JORF n°0088 du 13 avril 2019 texte n° 58)
À voir aussi sur le site : Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi CE, Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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