Décision n° 2017-644 QPC du 21 juillet 2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 15 mai 2017 par le Conseil d'État (décision n° 405355 du 12 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la communauté de communes du pays roussillonnais par la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-644 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 133 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 ;
- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 ;
- la décision du Conseil d'État n° 369736 du 16 juillet 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la communauté de communes requérante par Me Philippe Petit, avocat au barreau de Lyon, enregistrées les 2 et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la commune de Saint-Dié-des-Vosges et autre, par Me Jean Géhin, avocat au barreau d'Épinal, enregistrées le 18 mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes du Vallespir, par Me Édouard Chichet, avocat au barreau des Pyrénées Orientales, enregistrées le 30 mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes Sud Roussillon, pour la communauté de communes Salanque Méditerranée, pour la communauté de communes Agly Fenouilledes, pour la communauté de communes Roussillon Conflent, pour la communauté de communes Pyrénées Cerdagne, pour la communauté de communes Salanque Méditerranée, par Me Chichet, enregistrées le 31 mai 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération Carcassonne Agglo, par Me Jean-Joseph Giudicelli, avocat au barreau de Marseille, enregistrées les 2 et 20 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération de Charleville-Mézières-Sedan, par Me Guillaume Gauch, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 2 et 21 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'établissement public territorial Grand Orly Seine Bièvre, par Me Gauch, enregistrées le 6 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes Haut Val de Sèvre et autres, par Mes Stéphane Austry et François Tenailleau, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 6 et 20 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la métropole européenne de Lille, par Me Florence Rault, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 6 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour Bordeaux Métropole, par la SCP Foussard-Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 6 et 21 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté d'agglomération de Pau-Pyrénées, pour la communauté de communes Médoc Cœur de presqu'île venant aux droits des communautés de communes Centre Médoc et Cœur Médoc, pour la communauté de communes du Cubzaguais, pour la communauté de communes des lacs médocains, pour la communauté de communes Latitude Nord Gironde et pour la communauté de communes Médoc Atlantique venant aux droits de la communauté de communes Pointe du Médoc, par Me Xavier Boissy, avocat au barreau de Bordeaux, enregistrées le 16 juin 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la communauté de communes de Podensac, des Coteaux de Garonne, de Lestiac-sur-Garonne, de Paillet et de Rions venant aux droits de la communauté de communes de Podensac, par Me Boissy, enregistrées le 19 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Petit, pour la communauté de communes requérante, Me Aubéri Gaudron, avocat au barreau de Marseille, pour la communauté d'agglomération Carcassonne Agglo, Me Géhin, pour la commune de Saint-Dié-des-Vosges et autre, Me Régis Froger, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Bordeaux Métropole, Me Gauch, pour la communauté d'agglomération de Charleville-Mézières-Sedan et autre, Me Austry, pour la communauté de communes Haut Val de Sèvre et autres, Me Claire Étienne, avocat au barreau de Paris, pour la métropole européenne de Lille, Me Tiffanie Dubois, avocat au barreau de Bordeaux, pour la communauté de communes Médoc Cœur de presqu'île et autres, parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 juillet 2017 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour Bordeaux Métropole, par la SCP Foussard-Froger, enregistrée le 7 juillet 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. L'article 133 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les arrêtés préfectoraux pris au titre des exercices 2012, 2013 et 2014 constatant le prélèvement opéré sur le montant de la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998) ou de la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales, en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce qu'il aurait été fait application au-delà de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 et de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ».
2. La communauté de communes requérante et les parties intervenantes soutiennent qu'en validant les arrêtés préfectoraux constatant le prélèvement opéré sur la dotation de compensation des communes et des établissements publics de coopération intercommunale au titre des exercices 2012 à 2014, les dispositions contestées méconnaîtraient les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 applicables aux lois de validation.
3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.
4. L'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 mentionnée ci-dessus a transféré le produit de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Parallèlement, afin d'assurer la neutralité financière de ce transfert pour l'État, ce même article 77 a compensé le transfert de cette ressource fiscale par un prélèvement opéré sur la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi du 30 décembre 1998 mentionnée ci-dessus ou sur la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, alors que le paragraphe 1.2.4.1 de l'article 77 prévoit que le transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales s'applique « à compter du 1er janvier 2011 », le paragraphe 1.2.4.2 de ce même article 77 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que la compensation de ce transfert s'appliquait « en 2011 ». De 2012 à 2014, ce prélèvement a été reconduit sur la base de circulaires. Dans une décision du 16 juillet 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil d'État a jugé que la compensation de ce transfert n'était applicable « qu'au titre de la seule année 2011 ».
5. Or, l'intention du législateur, lors de l'adoption de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009, était d'assurer de manière pérenne la neutralité financière du transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales. Les dispositions contestées visent donc à remédier, pour les années 2012 à 2014, au défaut de base légale de la compensation de ce transfert révélé par la décision du Conseil d'État.
6. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu mettre un terme à l'important contentieux fondé sur la malfaçon législative révélée par la décision précitée du Conseil d'État. Il a également entendu prévenir les importantes conséquences financières qui en auraient résulté pour l'État. Dans ces conditions, l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant fait l'objet de ce mécanisme de compensation au titre des années 2012 à 2014 est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général.
7. En deuxième lieu, les arrêtés préfectoraux ne sont validés qu'en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce qu'il aurait été fait application au-delà de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 et de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi du 29 décembre 2014 de finances. Par conséquent, le législateur a précisément défini et limité la portée de la validation.
8. En troisième lieu, le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée.
9. En dernier lieu, les arrêtés préfectoraux validés, qui avaient pour objet d'appliquer la règle de compensation financière du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne méconnaissent ni les principes constitutionnels de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle.
10. L'article 133 de la loi du 29 décembre 2016, qui ne méconnaît ni l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article 133 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 21 juillet 2017.
JORF n°0171 du 23 juillet 2017 texte n° 13
ECLI : FR : CC : 2017 : 2017.644.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.4. Motif impérieux d'intérêt général
L'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 a transféré le produit de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Parallèlement, afin d'assurer la neutralité financière de ce transfert pour l'État, ce même article 77 a compensé le transfert de cette ressource fiscale par un prélèvement opéré sur la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi du 30 décembre 1998 ou sur la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, alors que le paragraphe 1.2.4.1 de l'article 77 prévoit que le transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales s'applique « à compter du 1er janvier 2011 », le paragraphe 1.2.4.2 de ce même article 77 prévoyait, dans sa rédaction initiale, que la compensation de ce transfert s'appliquait « en 2011 ». De 2012 à 2014, ce prélèvement a été reconduit sur la base de circulaires.
Dans une décision du 16 juillet 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil d'État a jugé que la compensation de ce transfert n'était applicable « qu'au titre de la seule année 2011 ». Or, l'intention du législateur, lors de l'adoption de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009, était d'assurer de manière pérenne la neutralité financière du transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales. Les dispositions contestées visent donc à remédier, pour les années 2012 à 2014, au défaut de base légale de la compensation de ce transfert révélé par la décision du Conseil d'État.
En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu mettre un terme à l'important contentieux fondé sur la malfaçon législative révélée par la décision précitée du Conseil d'État. Il a également entendu prévenir les importantes conséquences financières qui en auraient résulté pour l'État. Dans ces conditions, l'atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant fait l'objet de ce mécanisme de compensation au titre des années 2012 à 2014 est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.6. Absence de méconnaissance d'un principe de valeur constitutionnelle
Les arrêtés préfectoraux validés, qui avaient pour objet d'appliquer la règle de compensation financière du transfert de la taxe sur les surfaces commerciales aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne méconnaissent ni les principes constitutionnels de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.7. Portée de la validation
Les arrêtés préfectoraux ne sont validés qu'en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce qu'il aurait été fait application au-delà de 2011 des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 et de l'article L. 2334–7 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction antérieure à la loi du 29 décembre 2014 de finances. Par conséquent, le législateur a précisément défini et limité la portée de la validation.