Décision n° 2015-499 QPC du 20 novembre 2015
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 septembre 2015 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4382 du 9 septembre 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Hassan B., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-499 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 7 et 22 octobre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 octobre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Patrice Spinosi pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 novembre 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 308 du code de procédure pénale est relatif à l'enregistrement des débats de la cour d'assises ; que son premier alinéa réprime pénalement l'usage d'appareils d'enregistrement ou de diffusion des images ou des sons dès l'ouverture de l'audience ; que le deuxième alinéa de ce même article prévoit toutefois que, sous le contrôle du président de la cour d'assises, les débats font l'objet d'un enregistrement sonore ; que les troisième à septième alinéas sont relatifs aux modalités de conservation et d'utilisation de cet enregistrement ; qu'aux termes du dernier alinéa de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 1981 susvisée : « Les dispositions ci-dessus ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en prévoyant que les dispositions de l'article 308 du code de procédure pénale imposant l'enregistrement sonore des débats de la cour d'assises ne sont pas prescrites à peine de nullité, les dispositions du dernier alinéa de ce même article méconnaissent les garanties découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et portent atteinte au principe d'égalité devant la justice ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense qui implique le droit à une procédure juste et équitable ;
4. Considérant que, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale, les débats de la cour d'assises font l'objet d'un enregistrement sonore sous le contrôle du président de cette cour ; qu'en vertu du troisième alinéa de ce même article, cet enregistrement peut être utilisé jusqu'au prononcé de l'arrêt, devant la cour d'assises statuant en appel, devant la cour de révision et de réexamen saisie d'une demande en révision, ou, après cassation ou annulation sur demande en révision, devant la juridiction de renvoi ; que, devant la cour d'assises, cette utilisation peut être ordonnée d'office, sur réquisition du ministère public, à la demande de l'accusé ou de la partie civile dans les conditions fixées par les articles 310 et suivants du code de procédure pénale ; qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a conféré aux parties un droit à l'enregistrement sonore des débats de la cour d'assises ; qu'en interdisant toute forme de recours en annulation en cas d'inobservation de cette formalité, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions du dernier alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
5. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
6. Considérant, que l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution, d'une part, serait susceptible d'entraîner la nullité ou d'empêcher la tenue d'un nombre important de procès d'assises et, d'autre part, remettrait en cause l'absence de sanction par une nullité procédurale de la méconnaissance des dispositions de l'article 308 du code de procédure pénale autres que celles de son second alinéa ; qu'elle aurait ainsi des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2016 la date de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au législateur de remédier à cette déclaration d'inconstitutionnalité ; que les arrêts de cours d'assises rendus jusqu'à cette date du 1er septembre 2016 ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
D É C I D E :
Article 1er.- Le dernier alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet au 1er septembre 2016 dans les conditions fixées au considérant 6.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 novembre 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 20 novembre 2015.
JORF n° 0271 du 22 novembre 2015 page 21748 texte n° 38
ECLI : FR : CC : 2015 : 2015.499.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.3. Droit au recours
4.2.2.3.5. Procédure pénale
L'article 308 du code de procédure pénale est relatif à l'enregistrement des débats de la cour d'assises. Son premier alinéa réprime pénalement l'usage d'appareils d'enregistrement ou de diffusion des images ou des sons dès l'ouverture de l'audience. Le deuxième alinéa de ce même article prévoit toutefois que, sous le contrôle du président de la cour d'assises, les débats font l'objet d'un enregistrement sonore. Les troisième à septième alinéas sont relatifs aux modalités de conservation et d'utilisation de cet enregistrement. Aux termes du dernier alinéa de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 1981 susvisée : « Les dispositions ci-dessus ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure »
En vertu du troisième alinéa de cet article 308, l'enregistrement sonore prévu par le deuxième alinéa peut être utilisé jusqu'au prononcé de l'arrêt, devant la cour d'assises statuant en appel, devant la cour de révision et de réexamen saisie d'une demande en révision, ou, après cassation ou annulation sur demande en révision, devant la juridiction de renvoi. Devant la cour d'assises, cette utilisation peut être ordonnée d'office, sur réquisition du ministère public, à la demande de l'accusé ou de la partie civile dans les conditions fixées par les articles 310 et suivants du code de procédure pénale. Il résulte de ces dispositions que le législateur a conféré aux parties un droit à l'enregistrement sonore des débats de la cour d'assises. En interdisant toute forme de recours en annulation en cas d'inobservation de cette formalité, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Censure du dernier alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.2. Abrogation reportée dans le temps
L'abrogation immédiate des dispositions du dernier alinéa de l'article 308 du code de procédure pénale déclarées contraires à la Constitution, d'une part, serait susceptible d'entraîner la nullité ou d'empêcher la tenue d'un nombre important de procès d'assises et, d'autre part, remettrait en cause l'absence de sanction par une nullité procédurale de la méconnaissance des dispositions de l'article 308 du code de procédure pénale autres que celles de son second alinéa relatives à l'obligation de procéder à un enregistrement des débats devant les cours d'assises. Cette abrogation immédiate aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Dès lors, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2016 la date de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au législateur de remédier à cette déclaration d'inconstitutionnalité. Les arrêts de cours d'assises rendus jusqu'à cette date du 1er septembre 2016 ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.