Décision n° 2014-4909 SEN du 23 janvier 2015
Le Conseil constitutionnel a été saisi par M. André VILLIERS d'une requête enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 8 octobre 2014 et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé le 28 septembre 2014, dans le département de l'Yonne pour la désignation de deux sénateurs.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution, notamment son article 59 ;
Vu la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution ;
Vu la loi organique n° 85-688 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relative à l'élection des députés et la décision du Conseil constitutionnel n° 85-195 DC du même jour ;
Vu la loi organique n° 2009-38 du 13 janvier 2009 portant application de l'article 25 de la Constitution ;
Vu le décret n° 64-1086 du 27 octobre 1964 portant révision du code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu le mémoire distinct portant question prioritaire de constitutionnalité présenté par M. André VILLIERS devant le tribunal administratif de Dijon, transmise au Conseil d'Etat par une ordonnance du président du tribunal administratif de Dijon du 18 septembre 2014, transmise par le Conseil d'Etat par décision du 7 novembre 2014 n° 384721, enregistré le 7 novembre 2014, et relatif à la conformité de l'article L.O. 135 du code électoral aux droits et libertés que la Constitution garantit ;
Vu les observations du ministre de l'intérieur, enregistrées le 10 novembre 2014 ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Me Bernard de Froment, avocat au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 janvier 2015 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'à l'appui de sa requête dirigée contre l'élection organisée le 28 septembre 2014 dans le département de l'Yonne en vue de la désignation de deux sénateurs, M. VILLIERS conteste uniquement la régularité du refus de sa candidature à ces élections ;
- SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L.O. 135 du code électoral : « Ainsi qu'il est dit à l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution, quiconque a été appelé à remplacer dans les conditions prévues à l'article L.O. 176 un député nommé membre du gouvernement ne peut, lors de l'élection suivante, faire acte de candidature contre lui » ; qu'aux termes de l'article L.O. 296 du même code : « Nul ne peut être élu au Sénat s'il n'est âgé de vingt-quatre ans révolus.
« Les autres conditions d'éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l'élection à l'Assemblée nationale.
« Toutefois, pour l'application de l'alinéa précédent, n'est pas réputée faire acte de candidature contre un sénateur devenu membre du gouvernement la personne qui a été appelée à le remplacer dans les conditions prévues à l'article L.O. 319 lorsqu'elle se présente sur la même liste que lui » ;
3. Considérant que, selon M. VILLIERS, les dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et portent une atteinte inconstitutionnelle au principe d'égalité et au droit d'éligibilité ;
En ce qui concerne la recevabilité :
4. Considérant que les dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral reprennent celles de l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; que ces dispositions ont été codifiées par le décret du 27 octobre 1964 susvisé ; qu'elles ont été modifiées par la loi organique du 10 juillet 1985 susvisée ; que le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L.O. 135 dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 juillet 1985 conforme à la Constitution aux considérants 12 et 14 et à l'article premier de sa décision du 10 juillet 1985 susvisée ;
5. Considérant, toutefois, que l'article 25 de la Constitution a été modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 susvisée ; qu'il résulte de cette modification qu'en cas d'acceptation par les députés ou les sénateurs de fonctions gouvernementales, leur remplacement par les personnes élues à cet effet n'est plus définitif mais temporaire ; qu'en application de cette rédaction ainsi modifiée, la loi organique du 13 janvier 2009 susvisée a fixé les conditions dans lesquelles expire ce remplacement temporaire ; que ces dispositions nouvelles constituent un changement des circonstances de droit justifiant le réexamen des dispositions contestées ;
En ce qui concerne le fond :
6. Considérant que, si le législateur organique est compétent, en vertu du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution, pour fixer les conditions d'éligibilité aux assemblées parlementaires, il ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité dont il jouit en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur ;
7. Considérant que l'article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958 a rendu incompatibles les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire ; qu'en complément, a été créée l'interdiction, mentionnée à l'article L.O. 135 du code électoral, pour la personne élue à cet effet en même temps qu'un député, de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l'élection suivante si elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu'il avait accepté des fonctions gouvernementales ; que cette interdiction, a pour objet, eu égard à l'intérêt qui s'attache à ce que les députés puissent être nommés membres du Gouvernement, d'opérer une conciliation entre, d'une part, l'incompatibilité entre l'acceptation de ces fonctions et la poursuite de leur mandat, résultant de l'article 23 de la Constitution, qui rend nécessaire, en vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article 25, leur remplacement dans l'exercice de leur mandat par la personne élue en même temps qu'eux à cet effet et, d'autre part, l'intérêt qui s'attache à ce que cette incompatibilité et le remplacement qu'elle rend nécessaire ne produisent pas des effets manifestement excessifs après la cessation de leurs fonctions gouvernementales ;
8. Considérant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; qu'en interdisant à la personne élue à cet effet en même temps qu'un député, de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l'élection suivante lorsqu'elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu'il avait accepté des fonctions gouvernementales, le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée entre les objectifs précités ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral, qui ne sont en tout état de cause pas inintelligibles, ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
- SUR LA REQUÊTE TENDANT À L'ANNULATION DES ÉLECTIONS :
10. Considérant que le préfet de l'Yonne a, par décision du 15 septembre 2014, refusé l'enregistrement de la déclaration de candidature de M. VILLIERS aux élections sénatoriales du 28 septembre 2014 dans le département de l'Yonne au motif que l'inéligibilité résultant de l'article L.O. 135 lui était opposable en vertu des dispositions de l'article L.O. 296 ; qu'il résulte de ce qui précède que M. VILLIERS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que sa candidature n'a pas été enregistrée ; que sa requête doit être rejetée,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L.O. 135 du code électoral est conforme à la Constitution.
Article 2.- La requête de M. André VILLIERS est rejetée.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 janvier 2015, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 23 janvier 2013.
JORF n°0021 du 25 janvier 2015 page 1154, texte n° 31
ECLI : FR : CC : 2015 : 2014.4909.SEN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.1. PRINCIPES DU DROIT ÉLECTORAL
- 8.1.2. Droits et libertés du candidat
8.1.2.1. Droit d'éligibilité (voir également : Titre 1er Normes de référence - Article 88-3 de la Constitution ; Titre 10 Parlement - Conditions d'éligibilité - Déchéance )
Si le législateur organique est compétent, en vertu du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution, pour fixer les conditions d'éligibilité aux assemblées parlementaires, il ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité dont il jouit en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur.
L'article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958 a rendu incompatibles les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire. En complément, a été créée l'interdiction, mentionnée à l'article L.O. 135 du code électoral, pour la personne élue à cet effet en même temps qu'un député, de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l'élection suivante si elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu'il avait accepté des fonctions gouvernementales. Cette interdiction, a pour objet, eu égard à l'intérêt qui s'attache à ce que les députés puissent être nommés membres du Gouvernement, d'opérer une conciliation entre, d'une part, l'incompatibilité entre l'acceptation de ces fonctions et la poursuite de leur mandat, résultant de l'article 23 de la Constitution, qui rend nécessaire, en vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article 25, leur remplacement dans l'exercice de leur mandat par la personne élue en même temps qu'eux à cet effet et, d'autre part, l'intérêt qui s'attache à ce que cette incompatibilité et le remplacement qu'elle rend nécessaire ne produisent pas des effets manifestement excessifs après la cessation de leurs fonctions gouvernementales.
Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. En interdisant à la personne élue à cet effet en même temps qu'un député, de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l'élection suivante lorsqu'elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu'il avait accepté des fonctions gouvernementales, le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée entre les objectifs précités. Conformité à la Constitution des dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.4. ÉLECTIONS SÉNATORIALES
- 8.4.2. Candidatures
- 8.4.2.2. Déclaration de candidature
- 8.4.2.2.2. Recevabilité de la déclaration de candidature
8.4.2.2.2.1. Refus
Le préfet de l'Yonne a, par décision du 15 septembre 2014, refusé l'enregistrement de la déclaration de candidature de M. VILLIERS aux élections sénatoriales du 28 septembre 2014 dans le département de l'Yonne au motif que l'inéligibilité résultant de l'article L.O. 135 du code électoral lui était opposable en vertu des dispositions de l'article L.O. 296. L'article L.O.135 ayant été déclaré conforme à la Constitution, M. VILLIERS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que sa candidature n'a pas été enregistrée.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.4. ÉLECTIONS SÉNATORIALES
- 8.4.7. Contentieux - Compétence
- 8.4.7.1. Étendue de la compétence du Conseil constitutionnel
8.4.7.1.5. Question prioritaire de constitutionnalité
Le Conseil constitutionnel est compétent pour examiner, à l'occasion d'une requête tendant à l'annulation d'élections sénatoriales, une question prioritaire de constitutionnalité présentée par le requérant, dans un mémoire distinct, devant le tribunal administratif, à l'occasion de la contestation du refus d'enregistrement d'une candidature. Le fait que cette question prioritaire de constitutionnalité a d'abord été transmise par le tribunal administratif au Conseil d'Etat, lequel l'a transmise au Conseil constitutionnel, est sans incidence.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.2. Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel
11.6.2.3. Absence de décision antérieure du Conseil constitutionnel (1° de l'article 23-2 Ord. 7/11/1958)
Les dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral reprennent celles de l'alinéa 2 de l'article 2 de l'ordonnance n°58-1099 du 17 novembre 1958, codifiées par le décret du 27 octobre 1964 puis modifiées par la loi organique n° 85-688 du 10 juillet 1985. Le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L.O. 135 dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 juillet 1985 conforme à la Constitution aux considérants 12 et 14 et à l'article premier de sa décision n°85-195 DC du 10 juillet 1985.
Toutefois, l'article 25 de la Constitution a été modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il résulte de cette modification qu'en cas d'acceptation par les députés ou les sénateurs de fonctions gouvernementales, leur remplacement par les personnes élues à cet effet n'est plus définitif mais temporaire. En application de cette rédaction ainsi modifiée, la loi organique n°2009-38 du 13 janvier 2009 a fixé les conditions dans lesquelles expire ce remplacement temporaire. Ces dispositions nouvelles constituent un changement des circonstances de droit justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.7. EXAMEN DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.7.3. Étendue du contrôle
- 11.7.3.3. Intensité du contrôle du juge
- 11.7.3.3.1. Contrôle restreint
11.7.3.3.1.1. Contrôle de l'erreur manifeste
Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. En interdisant à la personne élue à cet effet en même temps qu'un député, de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l'élection suivante lorsqu'elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu'il avait accepté des fonctions gouvernementales, le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement disproportionnée entre les objectifs précités. Conformité à la Constitution des dispositions de l'article L.O. 135 du code électoral.