Décision

Décision n° 2013-354 QPC du 22 novembre 2013

Mme Charly K. [Imprescriptibilité de l'action du ministère public en négation de la nationalité française]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 septembre 2013 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1140 du 25 septembre 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Charly K., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure Christine K., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 29-3 du code civil.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu les arrêts de la Cour de cassation (première chambre civile) n° 01-02242 du 1er juillet 2003, n° 02-10105 du 22 juin 2004 et n° 09-15792 du 6 octobre 2010 ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la requérante par Me Bruno Poulain, avocat au barreau de Paris, et Me Roxane Regaud, avocat au barreau de Bordeaux, enregistrées le 7 octobre 2013 ;

Vu les observations en intervention produites pour l'association SOS Soutien ô sans papiers par Me Henri Braun, avocat au barreau de Paris, et Me Nawel Gafsia, avocat au barreau du Val-de-Marne, enregistrées le 10 octobre 2013 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 17 octobre 2013 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Poulain pour la requérante, Me Braun pour l'association intervenante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 novembre 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 29-3 du code civil : « Toute personne a le droit d'agir pour faire décider qu'elle a ou qu'elle n'a point la qualité de Français.
« Le procureur de la République a le même droit à l'égard de toute personne. Il est défendeur nécessaire à toute action déclaratoire de nationalité. Il doit être mis en cause toutes les fois qu'une question de nationalité est posée à titre incident devant un tribunal habile à en connaître » ;

2. Considérant que, selon la requérante, en ne soumettant l'action en négation de nationalité du ministère public à aucune prescription, les dispositions contestées méconnaissent le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée ; que serait également méconnu le principe d'égalité, dès lors que l'action en contestation de la déclaration de nationalité et la déchéance de nationalité sont quant à elles soumises à des règles de prescription ; qu'en outre, l'association intervenante soutient que l'absence de délai de prescription porte atteinte au principe de sécurité juridique ;

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, d'une part, est garanti par ces dispositions le principe du respect des droits de la défense qui implique, en particulier, l'existence d'une procédure juste et équitable ; que, d'autre part, le législateur méconnaîtrait la garantie des droits s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

5. Considérant que les dispositions contestées permettent au ministère public d'assigner une personne devant les juridictions judiciaires afin de faire juger qu'elle a ou n'a pas la nationalité française ; qu'il s'agit d'une action objective relative à des règles qui ont un caractère d'ordre public ; qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que cette action est imprescriptible ;

6. Considérant que si le premier alinéa de l'article 30 du code civil fait peser la charge de la preuve de la nationalité sur celui dont la nationalité est en cause, les articles 31 et suivants permettent toutefois à toute personne de demander la délivrance d'un certificat de nationalité française, lequel a pour effet, selon le deuxième alinéa de l'article 30, de renverser la charge de la preuve ; que, par suite, manque en fait le grief tiré de ce que l'absence de prescription de l'action du ministère public pour contester la nationalité française aurait pour effet d'imposer aux personnes intéressées d'être en mesure de prouver, leur vie durant, les éléments leur ayant permis d'acquérir la nationalité française ; qu'aucun principe, ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'impose que l'action en négation de nationalité soit soumise à une règle de prescription ; qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

8. Considérant que l'article 26-4 du code civil prévoit que l'action en contestation de la déclaration de nationalité ne peut être intentée par le ministère public que dans un délai de deux ans à compter de la date de l'enregistrement de la déclaration ou, en cas de mensonge ou de fraude, de la date de leur découverte ; que l'article 25-1 du même code prévoit que la déchéance de nationalité n'est encourue que pour des faits qui « se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition » et qu'elle « ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits » ;

9. Considérant que l'action en négation de nationalité a pour objet de faire reconnaître qu'une personne n'a pas la qualité de Français ; qu'elle a donc un objet différent tant de l'action en contestation de la déclaration de nationalité, qui vise à contester l'acte ayant conféré à une personne la nationalité française, que de la déchéance de nationalité, qui vise à priver une personne, en raison des faits qu'elle a commis, de la nationalité française qu'elle avait régulièrement acquise ; qu'en instaurant des règles de prescription différentes pour des actions ayant un objet différent, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité ;

10. Considérant, en troisième lieu, que la contestation de la nationalité d'une personne ne met pas en cause son droit au respect de la vie privée ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au respect de la vie privée est inopérant ;

11. Considérant que la première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- La première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 21 novembre 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 22 novembre 2013.

JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43
Recueil, p. 1040
ECLI : FR : CC : 2013 : 2013.354.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.3. Droit au recours
  • 4.2.2.3.3. Procédure civile

La première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil permet au ministère public d'assigner une personne devant les juridictions judiciaires afin de faire juger qu'elle a ou n'a pas la nationalité française. Il s'agit d'une action objective relative à des règles qui ont un caractère d'ordre public. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que cette action est imprescriptible.
Si le premier alinéa de l'article 30 du code civil fait peser la charge de la preuve de la nationalité sur celui dont la nationalité est en cause, les articles 31 et suivants permettent toutefois à toute personne de demander la délivrance d'un certificat de nationalité française, lequel a pour effet, selon le deuxième alinéa de l'article 30, de renverser la charge de la preuve. Par suite, manque en fait le grief tiré de ce que l'absence de prescription de l'action du ministère public pour contester la nationalité française aurait pour effet d'imposer aux personnes intéressées d'être en mesure de prouver, leur vie durant, les éléments leur ayant permis d'acquérir la nationalité française. Les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

(2013-354 QPC, 22 novembre 2013, cons. 5, 6, JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.4. Sécurité juridique
  • 4.2.2.4.1. Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise

La première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil permet au ministère public d'assigner une personne devant les juridictions judiciaires afin de faire juger qu'elle a ou n'a pas la nationalité française. Il s'agit d'une action objective relative à des règles qui ont un caractère d'ordre public. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que cette action est imprescriptible.
Aucun principe, ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'impose que l'action en négation de nationalité soit soumise à une règle de prescription. Les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.

(2013-354 QPC, 22 novembre 2013, cons. 5, 6, JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.5. DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE (voir également ci-dessous Droits des étrangers et droit d'asile, Liberté individuelle et Liberté personnelle)
  • 4.5.8. Situation des étrangers (voir également ci-dessous Droit des étrangers et droit d'asile)

La contestation de la nationalité d'une personne ne met pas en cause son droit au respect de la vie privée.

(2013-354 QPC, 22 novembre 2013, cons. 10, JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43)
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
  • 5.1.3.4. Droit civil
  • 5.1.3.4.1. Droit de la nationalité

L'article 26-4 du code civil prévoit que l'action en contestation de la déclaration de nationalité ne peut être intentée par le ministère public que dans un délai de deux ans à compter de la date de l'enregistrement de la déclaration ou, en cas de mensonge ou de fraude, de la date de leur découverte. L'article 25-1 du même code prévoit que la déchéance de nationalité n'est encourue que pour des faits qui " se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition " et qu'elle " ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits ".
L'action en négation de nationalité prévue par la première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil a pour objet de faire reconnaître qu'une personne n'a pas la qualité de Français. Elle a donc un objet différent tant de l'action en contestation de la déclaration de nationalité, qui vise à contester l'acte ayant conféré à une personne la nationalité française, que de la déchéance de nationalité, qui vise à priver une personne, en raison des faits qu'elle a commis, de la nationalité française qu'elle avait régulièrement acquise. En instaurant des règles de prescription différentes pour des actions ayant un objet différent, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité.

(2013-354 QPC, 22 novembre 2013, cons. 8, 9, JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • 11.6.2. Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel
  • 11.6.2.1. Notion de disposition législative et interprétation
  • 11.6.2.1.1. Examen des dispositions telles qu'interprétées par une jurisprudence constante
  • 11.6.2.1.1.2. Applications

La première phrase du second alinéa de l'article 29-3 du code civil permet au ministère public d'assigner une personne devant les juridictions judiciaires afin de faire juger qu'elle a ou n'a pas la nationalité française. Il s'agit d'une action objective relative à des règles qui ont un caractère d'ordre public. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que cette action est imprescriptible.

(2013-354 QPC, 22 novembre 2013, cons. 5, JORF du 24 novembre 2013 page 19107, texte n° 43)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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