Décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 octobre 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1292 du 17 octobre 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Société française du radiotéléphone (SFR), relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée ;
Vu la décision du Conseil d'État n° 324816, 325439, 325463, 325468, 325469 du 17 juin 2011 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et le cabinet Allen et Overy LLP, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 7 et 21 novembre 2012 ;
Vu les observations produites pour la Société pour la perception de la rémunération de la copie privée sonore et audiovisuelle (Copie France), par la SCP Bernard Hémery et Carole Thomas-Raquin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 novembre 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 8 novembre 2012 ;
Vu les observations en intervention produites pour les sociétés Nokia France SA, Motorola Mobility France SAS et Sony Mobile Communications AB, par Me Sophie Soubelet-Caroit, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 8 et 22 novembre 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Emmanuel Piwnica et Me Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris, pour la société requérante, Me Thomas-Raquin, pour la société Copie France, Me Soubelet-Caroit pour les sociétés intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 janvier 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée : « II - Les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, qui ont fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011 et n'ont pas donné lieu, à la date de promulgation de la présente loi, à une décision de justice passée en force de chose jugée sont validées en tant qu'elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d'État a, par sa décision du 17 juin 2011, annulé cette décision de la commission ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en tant qu'elles s'appliquent aux instances en cours à la date de la décision du Conseil d'État, les dispositions contestées procèdent à une validation en méconnaissance des principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel effectif ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
4. Considérant que, par la décision susvisée du 17 juin 2011, le Conseil d'État a annulé la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, aux motifs « qu'en décidant que l'ensemble des supports, à l'exception de ceux acquis par les personnes légalement exonérées de la rémunération pour copie privée par les dispositions de l'article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d'exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, la décision attaquée a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne » ; que l'effet de l'annulation prononcée a été reporté à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication sous réserve des instances en cours ; que le paragraphe I de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 susvisée a procédé à un nouveau report de l'effet de l'annulation prononcée tout en modifiant les règles applicables ;
5. Considérant que, par la validation prévue par le paragraphe II de l'article 6, le législateur a limité la portée, pour les instances en cours, de l'annulation prononcée par le Conseil d'État, afin d'éviter que cette annulation prive les titulaires de droits d'auteur et de droits voisins de la compensation attribuée au titre de supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée ;
6. Considérant que le législateur pouvait rendre applicables aux situations juridiques nées antérieurement à la date de la décision d'annulation du Conseil d'État susvisée de nouvelles règles mettant fin au motif qui avait justifié cette annulation ; que, toutefois, les motifs financiers invoqués à l'appui de la validation des rémunérations faisant l'objet d'une instance en cours le 18 juin 2011, qui portent sur des sommes dont l'importance du montant n'est pas établie, ne peuvent être regardés comme suffisants pour justifier une telle atteinte aux droits des personnes qui avaient engagé une procédure contentieuse avant cette date ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le paragraphe II de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 susvisée doit être déclaré contraire à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Le paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée est contraire à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 janvier 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 15 janvier 2013.
JORF du 17 janvier 2013 page 1109, texte n° 83
Recueil, p. 91
ECLI : FR : CC : 2013 : 2012.287.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.5. Absence de motif d'intérêt général suffisant
Par une décision du 17 juin 2011, le Conseil d'État a annulé la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, aux motifs " qu'en décidant que l'ensemble des supports, à l'exception de ceux acquis par les personnes légalement exonérées de la rémunération pour copie privée par les dispositions de l'article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle, seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d'exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, la décision attaquée a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne ". L'effet de l'annulation prononcée a été reporté à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de sa notification au ministre de la culture et de la communication sous réserve des instances en cours.
Par la validation prévue par le paragraphe II de l'article 6 de la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011, le législateur a limité la portée, pour les instances en cours, de l'annulation prononcée par le Conseil d'État, afin d'éviter que cette annulation prive les titulaires de droits d'auteur et de droits voisins de la compensation attribuée au titre de supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée.
Le législateur pouvait rendre applicables aux situations juridiques nées antérieurement à la date de la décision d'annulation du Conseil d'État de nouvelles règles mettant fin au motif qui avait justifié cette annulation. Toutefois, les motifs financiers invoqués à l'appui de la validation des rémunérations faisant l'objet d'une instance en cours le 18 juin 2011, qui portent sur des sommes dont l'importance du montant n'est pas établie, ne peuvent être regardés comme suffisants pour justifier une telle atteinte aux droits des personnes qui avaient engagé une procédure contentieuse avant cette date. Par suite, le paragraphe II de l'article 6 de la loi du 20 décembre 2011 doit être déclaré contraire à la Constitution.