Décision

Décision n° 2012-260 QPC du 29 juin 2012

M. Roger D. [Mariage d'une personne en curatelle]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 avril 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 584 du 12 avril 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Roger D., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 460 du code civil.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 4 et 21 mai 2012 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 mai 2012 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Spinosi, pour le requérant, Me Françoise Thouin-Palat, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Mme Monique D. et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 19 juin 2012 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 460 du code civil : « Le mariage d'une personne en curatelle n'est permis qu'avec l'autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge » ;

« Le mariage d'une personne en tutelle n'est permis qu'avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué et après audition des futurs conjoints et recueil, le cas échéant, de l'avis des parents et de l'entourage » ;

2. Considérant que, selon le requérant, le mariage est un acte strictement personnel ; qu'en subordonnant le mariage d'une personne en curatelle à l'autorisation du curateur, l'article 460 du code civil porterait atteinte à la liberté du mariage ;

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 460 du code civil ;

4. Considérant que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que cette liberté ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; qu'il est en outre loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

5. Considérant que, selon l'article 415 du code civil, les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire ; que cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne ; qu'elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée et favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci ; que l'article 428 du même code dispose que la mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future ; qu'elle doit en outre être proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé ;

6. Considérant que la curatelle est l'une des mesures judiciaires de protection juridique qui, selon l'article 425 du code civil, peut être ordonnée à l'égard d'une personne atteinte d'une « altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté » ; que l'article 440 du même code dispose que le juge peut placer en curatelle « la personne qui, sans être hors d'état d'agir elle-même, a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425, d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile » ;

7. Considérant que l'article 460 du code civil n'interdit pas le mariage de la personne en curatelle ; qu'il le permet avec l'autorisation du curateur ; que le refus du curateur peut être suppléé par l'autorisation du juge des tutelles dont la décision prononcée après un débat contradictoire doit être motivée en fonction de l'aptitude de l'intéressé à consentir au mariage ; que cette décision judiciaire est susceptible de recours ; que la personne en curatelle jouit des garanties nécessaires à l'exercice effectif de ces recours ;

8. Considérant qu'eu égard aux obligations personnelles et patrimoniales qui en résultent, le mariage est « un acte important de la vie civile » ; qu'en subordonnant le mariage d'une personne en curatelle à l'autorisation du curateur ou à défaut à celle du juge, le législateur n'a pas privé la liberté du mariage de garanties légales ; que les restrictions dont il a accompagné son exercice, afin de protéger les intérêts de la personne, n'ont pas porté à cette liberté une atteinte disproportionnée ;

9. Considérant que le premier alinéa de l'article 460 du code civil n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, par suite, il doit être déclaré conforme à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Le premier alinéa de l'article 460 du code civil est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 juin 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL, Nicolas SARKOZY et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 29 juin 2012.

Journal officiel du 30 juin 2012, page 10804, texte n° 121
Recueil, p. 323
ECLI : FR : CC : 2012 : 2012.260.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.19. LIBERTÉ PERSONNELLE
  • 4.19.1. Liberté personnelle et liberté de se marier et de mettre fin au mariage
  • 4.19.1.1. Liberté de se marier

La liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette liberté ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Il est en outre loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

(2012-260 QPC, 29 juin 2012, cons. 4, Journal officiel du 30 juin 2012, page 10804, texte n° 121)

Selon l'article 415 du code civil, les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire. Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée et favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci. L'article 428 du même code dispose que la mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future. Elle doit en outre être proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé. La curatelle est l'une des mesures judiciaires de protection juridique qui, selon l'article 425 du code civil, peut être ordonnée à l'égard d'une personne atteinte d'une " altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté ". L'article 440 du même code dispose que le juge peut placer en curatelle " la personne qui, sans être hors d'état d'agir elle-même, a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425, d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile ".

L'article 460 du code civil, qui fait l'objet de la QPC, n'interdit pas le mariage de la personne en curatelle. Il le permet avec l'autorisation du curateur. Le refus du curateur peut être suppléé par l'autorisation du juge des tutelles dont la décision prononcée après un débat contradictoire doit être motivée en fonction de l'aptitude de l'intéressé à consentir au mariage. Cette décision judiciaire est susceptible de recours. La personne en curatelle jouit des garanties nécessaires à l'exercice effectif de ces recours.

Eu égard aux obligations personnelles et patrimoniales qui en résultent, le mariage est " un acte important de la vie civile ". En subordonnant le mariage d'une personne en curatelle à l'autorisation du curateur ou à défaut à celle du juge, le législateur n'a pas privé la liberté du mariage de garanties légales. Les restrictions dont il a accompagné son exercice, afin de protéger les intérêts de la personne, n'ont pas porté à cette liberté une atteinte disproportionnée.

(2012-260 QPC, 29 juin 2012, cons. 5, 6, 7, 8, Journal officiel du 30 juin 2012, page 10804, texte n° 121)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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