Décision n° 2005-531 DC du 29 décembre 2005
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi de finances pour 2006, le 22 décembre 2005, M. Jean-Pierre BEL, Mme Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, Bertrand AUBAN, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mmes Marie-Christine BLANDIN, MM. Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, MM. Jean-Louis CARRÈRE, Bernard CAZEAU, Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Mme Odette HERVIAUX, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Louis LE PENSEC, André LEJEUNE, Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, François MARC, Jean-Pierre MASSERET, Marc MASSION, Pierre MAUROY, Jean-Luc MÉLENCHON, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Roland RIES, Gérard ROUJAS, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jacques SIFFRE, René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, André VANTOMME et Richard YUNG, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution,
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes n° C-276/97 du 12 septembre 2000 ;
Vu la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 268681 du 29 juin 2005 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 27 décembre 2005 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 2005 ; qu'ils en contestent l'article 111 ; qu'ils soutiennent qu'il « contient une rupture d'égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques, de même qu'une atteinte directe, contraire à l'article 16 de la Déclaration de 1789, à des droits qui ont pourtant été formellement reconnus par la Cour de justice des Communautés européennes ainsi que par le Conseil d'Etat » ;
2. Considérant que le I de l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 complète l'article 272 du code général des impôts par un 3 ainsi rédigé : « La taxe sur la valeur ajoutée qui aurait dû grever le prix d'une opération non soumise à la taxe en application de dispositions jugées incompatibles avec les règles communautaires ne peut être déduite que sur présentation d'une facture rectificative attestant que son montant a été payé en sus du prix figurant sur la facture initiale » ; que le II du même article prévoit que les dispositions de ce I s'appliquent aux factures rectificatives émises à compter du 8 décembre 2005 ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
4. Considérant que, par l'arrêt du 12 septembre 2000 susvisé, rendu sur un recours en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé contraires aux dispositions des articles 2 et 4 de la sixième directive du 17 mai 1977 les dispositions du code général des impôts desquelles il résultait que n'étaient pas imposables à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus en contrepartie de l'utilisation d'ouvrages de circulation routière ;
5. Considérant que, par la décision du 29 juin 2005 susvisée, le Conseil d'Etat a annulé pour excès de pouvoir la lettre du 27 février 2001 par laquelle le secrétaire d'Etat au budget a informé le délégué général de la Fédération nationale des transports routiers de ce que les usagers redevables de la taxe sur la valeur ajoutée ne pourront prétendre au remboursement de la taxe afférente aux péages qu'ils ont acquittés avant le 1er janvier 2001 ; qu'il a également annulé la lettre du 15 janvier 2003 par laquelle le directeur de la législation fiscale avait demandé au président du comité des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes de veiller à ce que ces sociétés ne délivrent pas de factures rectificatives faisant apparaître dans le prix du péage une taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les usagers avant le 1er janvier 2001 ; qu'en particulier, il a jugé que les transporteurs routiers assujettis à cette taxe ont « le droit de déduire, sous réserve des conditions relatives à l'exercice du droit à déduction et tenant notamment à la détention de factures, la taxe exigible au titre de ces péages, dont le montant doit être déterminé dans les conditions prévues aux articles 266 et suivants du même code, desquels il résulte que l'assiette imposable est constituée du prix de ces péages, diminué de la taxe exigible » ;
6. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires que l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 a pour principal objet, par la condition qu'il pose, de priver d'effet, pour la période antérieure au 1er janvier 2001, l'arrêt précité de la Cour de justice des Communautés européennes ainsi que la décision précitée du Conseil d'Etat ; qu'il porte dès lors atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la garantie des droits ; que, par suite, il y a lieu de le déclarer contraire à la Constitution, sans qu'il soit besoin ni d'examiner les motifs d'intérêt général qui l'inspirent ni de statuer sur les autres griefs de la saisine ;
7. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article premier.- L'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 décembre 2005, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER, M. Pierre STEINMETZ et Mme Simone VEIL.
Journal officiel du 31 décembre 2005, page 20730, texte n° 6
Recueil, p. 186
ECLI : FR : CC : 2005 : 2005.531.DC
Les abstracts
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.7. EXAMEN DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.7.2. Conditions de prise en compte d'éléments extrinsèques au texte de la loi
- 11.7.2.2. Référence aux travaux préparatoires
11.7.2.2.3. Référence aux travaux préparatoires de la loi déférée
C'est en se fondant sur les travaux parlementaires que le Conseil constitutionnel a considéré que l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 avait pour principal objet, par la condition qu'il posait (calcul de la TVA " en dehors " du prix du péage), de priver d'effet, pour la période antérieure au 1er janvier 2001, un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 septembre 2000 ainsi qu'une décision du Conseil d'État du 29 juin 2005.
- 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
- 12.1. JURIDICTIONS ET SÉPARATION DES POUVOIRS
- 12.1.2. Indépendance de la justice et des juridictions
- 12.1.2.2. Applications
12.1.2.2.3. Validations législatives (voir également Titre 4 Droits et liberté - Sécurité juridique)
Il ressort des travaux parlementaires que l'article 111 de la loi de finances rectificative pour 2005 a pour principal objet, par la condition qu'il pose (calcul de la TVA " en dehors " du prix du péage), de priver d'effet, pour la période antérieure au 1er janvier 2001, un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 septembre 2000 ainsi qu'une décision du Conseil d'État du 29 juin 2005. Il porte dès lors atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Censure.