Décision n° 97-2145/2239 AN du 16 décembre 1997
Le Conseil constitutionnel,
Vu 1 °) la requête et le mémoire complémentaire présentés par M. Daniel DELREZ, demeurant à Metz (Moselle), déposés respectivement les 4 et 6 juin 1997 à la préfecture de la Moselle, enregistrés au secrétariat général du Conseil constitutionnel les 6 et 13 juin 1997 et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 25 mai et 1er juin 1997 dans la 3ème circonscription du département de la Moselle pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale ;
Vu 2 °) la requête présentée par Mme Yvette GARDIN-VIRTE, demeurant à Metz (Moselle), déposée le 12 juin 1997 à la préfecture de la Moselle, enregistrée le 18 juin 1997 au secrétariat général du Conseil constitutionnel et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 25 mai et 1er juin 1997 dans la 3ème circonscription du département de la Moselle pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale et à ce que M. Jean-Louis MASSON soit déclaré inéligible pour un an ;
Vu les mémoires en défense présentés par M. Jean-Louis MASSON, député, enregistrés comme ci-dessus le 25 juin 1997 et tendant au rejet des requêtes de M. DELREZ et de Mme GARDIN-VIRTE et à la condamnation de celle-ci au paiement d'une somme de 25 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur, enregistrées comme ci-dessus les 12 et 26 juin, 9 juillet et 29 septembre 1997 ;
Vu les nouveaux mémoires présentés par M. DELREZ, enregistrés comme ci-dessus les 3 juillet et 14 octobre 1997 ;
Vu les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques enregistrées comme ci-dessus le 2 octobre 1997 approuvant le compte de campagne de M. MASSON et celui de M. Gabriel CRIPPA ;
Vu le nouveau mémoire en défense présenté par M. MASSON, enregistré comme ci-dessus le 4 novembre 1997 ;
Vu la décision de la section du Conseil constitutionnel chargée de l'instruction ordonnant un supplément d'instruction en date du 16 octobre 1997 ;
Vu le mémoire en réplique présenté par Mme GARDIN-VIRTE, enregistré comme ci-dessus le 26 novembre 1997 ;
Vu le mémoire en réponse présenté par M. MASSON, enregistré comme ci-dessus le 9 décembre 1997 ;
Vu les observations en réponse au supplément d'instruction demandé par la section du Conseil constitutionnel, enregistrées comme ci-dessus respectivement les 17 et 19 novembre et 5 décembre 1997 ;
Vu l'article 59 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
Vu le code électoral ;
Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requêtes de M. DELREZ et Mme GARDIN-VIRTE tendent à l'annulation des mêmes opérations électorales et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision ;
SUR LES CONCLUSIONS AUX FINS D'ANNULATION :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : « Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 » ; qu'il est spécifié que : « Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien.. » ; que l'article L. 52-4 dispose que : « Pendant l'année précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection a été acquise, un candidat à cette élection ne peut avoir recueilli des fonds en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui, qui est soit une association de financement électorale, soit une personne physique dénommée »le mandataire financier». Un même mandataire ne peut être commun à plusieurs candidats. (...) En cas d'élection anticipée ou partielle, ces dispositions ne sont applicables qu'à compter de l'événement qui rend cette élection nécessaire» ; qu'aux termes de l'article L. 52-5 : « L'association de financement électorale est tenue d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières.. » ;
3. Considérant que les requérants font valoir que la candidature de M. CRIPPA constitue une manoeuvre ayant permis à M. MASSON de contourner les règles du financement des campagnes électorales ; qu'au nombre de ces règles figure l'obligation, pour chaque candidat, de présenter un compte de campagne unique retraçant l'intégralité des dépenses engagées en vue de la campagne ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le compte de campagne de M. CRIPPA ne comprend, au titre des dépenses, que des frais d'impression et de distribution payante de journaux et de tracts exclusivement consacrés à la dénonciation des problèmes soulevés par la gestion de l'office public d'aménagement et de construction dont la présidente est Mme GRIESBECK, candidate dans la circonscription et dont M. MASSON reconnaît s'être donné pour objectif prioritaire l'élimination dès le premier tour du scrutin ; que ces dépenses ont été prises en charge intégralement et directement par le groupement politique « Metz pour tous », dont M. MASSON est le fondateur et le président ; que le délégué général de ce groupement politique exerce les mêmes fonctions dans l'association à caractère politique dont M. MASSON est également le président-fondateur et à laquelle il a confié, par voie d'une « convention d'assistance électorale », l'organisation et la conduite de sa propre campagne ; que les documents électoraux imprimés et distribués par MM. MASSON et CRIPPA comportent des articles et des illustrations de même facture ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la candidature de M. CRIPPA doit être regardée comme constituant une manoeuvre ayant permis à M. MASSON d'avoir recours, pour les besoins de sa campagne, à certains moyens de propagande électorale dont les dépenses ne sont pas retracées dans son propre compte de campagne, mais dans celui de M. CRIPPA ; que M. MASSON et M. CRIPPA ont ainsi méconnu les principes d'unicité et d'exhaustivité du compte de campagne énoncés à l'article L. 52-12 du code électoral ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L.O. 128 du code électoral : « Est également inéligible pendant un an celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L 52-12.. » ; qu'aux termes de l'article L.O. 186-1 : "... le Conseil, si l'instruction fait apparaître qu'un candidat se trouve dans l'un des cas mentionnés au deuxième alinéa de l'article L.O. 128, prononce son inéligibilité conformément à cet article et, s'il s'agit du candidat élu, annule son élection» ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il y a lieu pour le Conseil constitutionnel de constater l'inéligibilité de M. MASSON et de M. CRIPPA pour une durée d'un an et d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées dans la troisième circonscription du département de la Moselle ;
SUR LES CONCLUSIONS TENDANT AU REMBOURSEMENT DE FRAIS EXPOSÉS DANS L'INSTANCE :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 63 de la Constitution : « Une loi organique détermine les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel, la procédure qui est suivie devant lui.. » ;
8. Considérant que M. MASSON ne saurait utilement se prévaloir, devant le Conseil constitutionnel, au soutien de sa demande tendant au règlement par Mme GARDIN-VIRTÉ de la somme de 25 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, de l'article 75-5 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée dès lors que cette disposition de procédure ne résulte pas, comme l'exige l'article 63 de la Constitution, d'une loi organique ; que, par suite, ses conclusions doivent en tout état de cause être rejetées ;
Décide :
Article premier :
Monsieur Jean-Louis MASSON est déclaré inéligible pour une durée d'un an à compter du 16 décembre 1997, date de la présente décision.
Article 2 :
Monsieur Gabriel CRIPPA est déclaré inéligible pour une durée d'un an à compter du 16 décembre 1997, date de la présente décision.
Article 3 :
Les opérations électorales qui se sont déroulées dans la troisième circonscription du département de la Moselle les 25 mai et 1er juin 1997 sont annulées.
Article 4 :
La présente décision sera notifiée à l'Assemblée nationale, à Monsieur CRIPPA, au Président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et publiée au Journal officiel de la République française.Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 décembre 1997, où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean CABANNES, Maurice FAURE, Yves GUÉNA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR et M. Jacques ROBERT.
Journal officiel du 19 décembre 1997, page 18397
Recueil, p. 300
ECLI : FR : CC : 1997 : 97.2145.AN
Les abstracts
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.5. Financement
- 8.3.5.9. Inéligibilité du candidat élu
8.3.5.9.5. Méconnaissance des principes d'unicité et d'exhaustivité du compte de campagne
Les requérants font valoir que la candidature de M. C. constitue une manœuvre ayant permis au candidat proclamé élu contourner les règles du financement des campagnes électorales. Au nombre de ces règles figure l'obligation, pour chaque candidat, de présenter un compte de campagne unique retraçant l'intégralité des dépenses engagées en vue de la campagne. Il résulte de l'instruction que le compte de campagne de M. C. ne comprend, au titre des dépenses, que des frais d'impression et de distribution payante de journaux et de tracts exclusivement consacrés à la dénonciation des problèmes soulevés par la gestion de l'office public d'aménagement et de construction dont la présidente est candidate dans la circonscription et dont l'élu reconnaît s'être donné pour objectif prioritaire l'élimination dès le premier tour du scrutin. Ces dépenses ont été prises en charge intégralement et directement par le groupement politique " Metz pour tous ", dont l'élu est le fondateur et le président. Le délégué général de ce groupement politique exerce les mêmes fonctions dans l'association à caractère politique dont l'élu est également le président-fondateur et à laquelle il a confié, par voie d'une " convention d'assistance électorale ", l'organisation et la conduite de sa propre campagne. Les documents électoraux imprimés et distribués par le candidat élu et M. C. comportent des articles et des illustrations de même facture. Il résulte de ce qui précède que la candidature de M. C. doit être regardée comme constituant une manœuvre ayant permis à l'élu d'avoir recours, pour les besoins de sa campagne, à certains moyens de propagande électorale dont les dépenses ne sont pas retracées dans son propre compte de campagne, mais dans celui de M. C. Les deux candidats ont ainsi méconnu les principes d'unicité et d'exhaustivité du compte de campagne énoncés à l'article L. 52-12 du code électoral. Inéligibilité de ces deux candidats en application des articles L.O. 128 et L.O. 186-1 du code électoral. Annulation de l'élection.
- 8. ÉLECTIONS
- 8.3. ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
- 8.3.7. Contentieux - Compétence
- 8.3.7.2. Questions n'entrant pas dans la compétence du Conseil constitutionnel
8.3.7.2.9. Frais irrépétibles
Dès lors que les dispositions du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne résultent pas d'une loi organique qui seule, en vertu de l'article 63 de la Constitution, peut régir la procédure devant le Conseil constitutionnel, le requérant ne peut demander devant le Conseil constitutionnel la condamnation de la partie adverse aux frais exposés et non compris dans les dépens.