Décision n° 95-93 PDR du 8 décembre 1995
Le Conseil constitutionnel, chargé en application de l'article 58 de la Constitution de veiller à la régularité de l'élection du Président de la République, est amené, consécutivement à la consultation des 23 avril et 7 mai 1995, à faire les observations suivantes.
I. - En ce qui concerne l'élaboration des mesures d'organisation des élections
En vertu des dispositions combinées de l'article 3-III de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 et de l'article 46 de l'ordonnance organique n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le Conseil constitutionnel doit être consulté par le Gouvernement sur l'organisation des opérations de l'élection présidentielle et être avisé sans délai de toute mesure prise à ce sujet. Le Conseil constitutionnel souligne que la référence aux opérations de l'élection présidentielle qui ressort ainsi des textes applicables doit conduire à sa consultation sur toutes les prescriptions de portée générale qui sont relatives à ces opérations, quelle que soit leur forme juridique, y compris celles qui sont élaborées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel en application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication. Il formule le souhait que chaque fois qu'il y a en outre lieu, en vertu du titre II du décret du 14 mars 1964, à consultation de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale, l'avis de celle-ci soit sollicité au préalable afin qu'il soit en mesure de le prendre en compte. En revanche s'agissant de mesures ponctuelles et de dispositions pratiques d'ordre interne prises au sein des services de l'Etat, une simple information est requise par les dispositions ci-dessus rappelées mais celle-ci, prévue sans délai, doit être assurée de telle sorte qu'elle puisse appeler en temps utile des observations du Conseil constitutionnel.
II. - En ce qui concerne la présentation des candidats
-
Prise en compte des présentations
L'article 3-I de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 dispose qu'une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de sa présentation, figurent des élus d'au moins trente départements ou territoires d'outre-mer. L'application de cette disposition ne peut en l'état être assurée s'agissant des membres de l'Assemblée de Corse dont le mode d'élection ne permet pas d'établir un rattachement avec un des deux départements de la collectivité territoriale de Corse. Il apparaît dans ces conditions souhaitable que cet article soit complété pour remédier à une telle lacune. -
Certification des présentations
En vertu de l'article 3-I du décret du 14 mars 1964, lorsqu'elle émane d'un membre d'une assemblée ou d'un conseil énumérés par l'article 3-I de la loi du 6 novembre 1962, la signature de l'auteur de la présentation doit être certifiée par un membre du bureau de l'assemblée ou du conseil. Or, d'une part, l'article 37 de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République a pour effet de substituer dans les dispositions applicables à l'organisation et au fonctionnement des conseils généraux et régionaux et du conseil de Paris le mot « commission permanente » au mot « bureau » ; d'autre part, en vertu des dispositions combinées du II de l'article 38 de la même loi et de l'article 11 de la loi du 5 juillet 1972, est par ailleurs prévue la constitution de bureaux qui ne regroupent que les membres de la commission permanente ayant reçu délégation. Les collectivités à statut spécial sont également dotées à la fois d'une commission permanente et d'un bureau. En revanche les territoires d'outre-mer ne connaissent que l'institution de la commission permanente. Quant à l'assemblée de la collectivité territoriale de Corse, elle ne désigne en son sein qu'un bureau en vertu de la loi n° 91-428 du 13 mai 1991. Pour éviter toute difficulté d'interprétation et faire en sorte de ne pas restreindre les possibilités de certification aux membres de la majorité des conseils ayant obtenu délégation, le Conseil constitutionnel suggère de substituer dans le texte du décret à la mention du bureau celle de la commission permanente, sauf pour le cas où cette dernière n'existe pas. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a constaté qu'en pratique la personne qui présente la candidature énumère fréquemment plusieurs qualités entre lesquelles le choix à opérer pour la publicité à donner à la présentation peut être incertain alors qu'il n'est pas indifférent ; à l'inverse, lorsqu'une seule qualité est déclarée, il arrive parfois que la certification ne corresponde pas à celle-ci mais à une autre non mentionnée quoique réellement détenue. Pour remédier à ces inconvénients, il pourrait être précisé par le même article 3-I du décret du 14 mars 1964 que la certification doit correspondre à la qualité au titre de laquelle la personne concernée déclare effectuer la présentation. Par souci de précision et de vérification, il devrait être également ajouté à cet article que la certification doit inclure le nom, la signature manuscrite ainsi que la qualité de la personne qui certifie. De même une signature manuscrite devrait être exigée des maires qui présentent une candidature.
III. - En ce qui concerne la campagne électorale
-
Compétence de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale
Le Conseil constitutionnel constate qu'en pratique des événements déterminants dans le débat public ouvert en vue de l'élection présidentielle se déroulent avant le début de la campagne électorale officielle. La Commission nationale de contrôle a d'ailleurs dans son rapport indiqué qu'il lui paraissait irréaliste et inapproprié de limiter ses interventions à la période consécutive à cette ouverture. Le Conseil constitutionnel, qui partage cette appréciation, souhaite que l'article 10 du décret du 14 mars 1964, qui fixe les pouvoirs de la commission, soit modifié en ce sens. Et, pour donner la plus large portée possible à cette modification, il suggère que la commission nationale soit constituée dès après la publication du décret fixant la date d'envoi des formulaires aux citoyens habilités par la loi à présenter un candidat. -
Durée de la campagne officielle radiodiffusée et télévisée
En vertu de l'article 12 du décret du 14 mars 1964, les candidats disposent dans les programmes des sociétés nationales de deux heures d'émission télévisée et de deux heures d'émission radiodiffusée. La faculté n'est donnée au Conseil supérieur de l'audiovisuel de réduire cette durée que pour le premier tour et « compte tenu du nombre de candidats ». Il est apparu en 1995, comme d'ailleurs en 1988, que le Conseil supérieur était conduit pour les deux tours de l'élection à une telle réduction en partie pour des raisons techniques et dans tous les cas avec l'accord de l'ensemble des candidats concernés. Afin d'accorder l'état du droit avec la pratique suivie, il est souhaitable que ne soit fait mention dans le texte de cet article 12 que d'une durée maximale susceptible d'être réduite sans condition particulière, sinon l'accord de tous les candidats concernés. -
Nature des émissions de la campagne officielle radiodiffusée et télévisée
L'article 12 du décret du 14 mars 1964 impose également l'utilisation personnelle par les candidats des heures d'émission sous la seule réserve d'une participation à la demande de ceux-ci des partis ou groupements politiques dont l'action s'étend à la généralité du territoire national, habilités à cette fin par la Commission nationale de contrôle. Eu égard au souhait formulé par certains candidats que des personnes n'intervenant pas au nom de partis ou groupements politiques puissent participer à leurs émissions, cette restriction pourrait être abandonnée.
IV. - Opérations de vote et de dépouillement
Le Conseil constitutionnel a assuré un contrôle sur les opérations électorales des premier et second tours de l'élection avec l'aide de plus de mille magistrats délégués. Il tient d'ailleurs à rappeler qu'il incombe aux maires et de façon générale aux membres des bureaux de vote de prendre toutes les mesures nécessaires au bon accomplissement de la mission qu'il confie à ces magistrats délégués. Le conseil a été conduit à constater plusieurs types d'anomalies récurrentes au vu desquelles il formule les suggestions suivantes :
-
Contrôles d'identité
Les règles concernant le contrôle d'identité des électeurs apparaissent peu cohérentes. Elles résultent à la fois d'un article législatif L. 62 du code électoral lequel prévoit de manière vague dès l'entrée dans la salle de scrutin une constatation de l'identité « suivant les règles et usages établis » et d'un article réglementaire R. 60 qui ne s'applique qu'aux électeurs des communes de plus de 5 000 habitants et leur fait obligation de présenter au moment du vote, en même temps que la carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu, un titre d'identité parmi ceux figurant sur une liste fixée par arrêté. Il conviendrait qu'un seul article de la partie Législative du code incluse l'ensemble des règles applicables en la matière en les précisant et les articulant mieux. A cet égard le Conseil constitutionnel met l'accent sur la nécessité de prévoir au moins un contrôle d'identité au moment du vote. -
Organisation des bureaux de vote
En vertu de l'article R. 40 du code, les électeurs peuvent être répartis par arrêté du préfet en autant de bureaux de vote que l'exigent les circonstances locales et le nombre des électeurs. Or il arrive que, pour des raisons de commodité procédant en particulier du souci d'éviter de trop longues files d'attente, des maires prennent la décision de subdiviser de facto des bureaux en disposant plusieurs urnes en méconnaissance des articles L. 62 et L. 63 du code électoral. Il apparaît dans ces conditions opportun de rappeler, d'une part, aux maires qu'ils ne détiennent pas de compétence en la matière, d'autre part, aux préfets qu'il leur appartient de prévoir le nombre de bureaux de vote nécessaire à un exercice aisé du droit de vote. -
Urnes électorales
L'article L. 63 comporte des prescriptions très précises relatives à la transparence et au dispositif de fermeture de l'urne électorale. Il est apparu que, dans quelques communes, les dispositions n'étaient pas prises pour assurer la stricte conformité de l'urne à ces dispositions. Le Conseil constitutionnel est ainsi conduit à souligner l'importance de la maintenance du matériel électoral. -
Bulletins irréguliers
Les dispositions de l'article L. 66 du code selon lesquelles les bulletins non pris en compte doivent être annexés au procès-verbal et porter mention des causes de l'annexion ne sont pas toujours respectées. En raison de l'importance de ces règles pour l'exercice par le juge électoral de sa fonction de contrôle, celles-ci mériteraient de faire l'objet d'un rappel insistant. -
Il conviendrait enfin de rappeler aux commissions départementales de recensement prévues par l'article 23 du décret du 14 mars 1964 qu'elles ne doivent faire parvenir des états établis par voie informatique des résultats de leurs travaux qu'authentifiés par la signature de leurs membres.
V. - Contrôle des comptes de campagne
Le Conseil constitutionnel a été conduit à effectuer pour la première fois le contrôle des comptes de campagne établis par les candidats à une élection présidentielle. En effet en 1988, il s'était borné à en assurer la publication en application de la loi organique n° 88-226 du 11 mars 1988. Le Conseil souligne la nature spécifique de l'élection présidentielle et les caractéristiques particulières du déroulement de la campagne. Ainsi des difficultés nouvelles sont apparues en dépit des acquis de la jurisprudence dégagée à l'occasion d'élections législatives générales ou partielles. Il convient aussi d'observer que les dispositions applicables ont été substantiellement modifiées peu avant l'élection des 23 avril et 7 mai derniers par l'intervention des lois organiques n° 95-62 du 19 janvier 1995 et n° 95-72 du 20 janvier 1995.
- Prise en compte des dépenses
a) Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a relevé à plusieurs reprises dans ses décisions du 11 octobre 1995, le législateur a appporté un changement significatif aux dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral relatives aux dépenses devant figurer dans les comptes. Jusque-là devaient être prises en compte les dépenses exposées directement au profit du candidat dès lors qu'elles avaient été engagées avec son accord même tacite. En supprimant ces deux derniers mots, le législateur a conduit de Conseil constitutionnel à n'ajouter des dépenses au compte que s'il ressortait des pièces du dossier éclairées par l'instruction que le candidat soit avait décidé ou approuvé l'engagement de telles dépenses, soit apparaissait, dans les conditions particulières où se déroule une élection présidentielle, comme ayant manifesté la volonté d'en tirer parti. Le Conseil constitutionnel souligne qu'une telle restriction des pouvoirs de contrôle confiés au juge de l'élection ne lui permet pas de s'assurer réellement de l'exhaustivité en dépenses du compte qui lui est soumis. En effet, le déroulement à l'échelle nationale d'une campagne présidentielle donne lieu à des initiatives multiples plus ou moins spontanées qui sont susceptibles d'apporter au candidat des concours substantiels même si celui-ci ne les a pour autant ni décidées ni approuvées explicitement et n'a pas non plus marqué par un fait objectif qu'il entendait en tirer personnellement parti dans le cadre de sa campagne. En particulier, de nombreuses manifestations publiques sont organisées au niveau national ou local par des personnalités désirant soutenir une candidature sans que soient sollicitées ni une décision préalable du candidat ni son approbation expresse et sans qu'une référence directe à celles-ci dans le cadre de sa campagne puisse tenir lieu d'accord. En l'espèce, l'appréciation du conseil a été rendue d'autant plus malaisée que la préparation simultanée des élections municipales a certainement contribué à ce que soient engagées des dépenses aux finalités ambivalentes. De manière générale, il est à craindre pour l'avenir que l'organisation des campagnes électorales soit précisément conçue de telle sorte que des initiatives politiques prises en l'absence d'instruction ou de coordination de la part du candidat ou de son équipe de campagne se développent sans avoir à être retracées dans les comptes de campagne. Dès lors, les dispositions imposant un plafond de dépenses seraient privées de leur effectivité. Aussi le Conseil constitutionnel souhaite-t-il que la législation fasse l'objet d'une modification qui assure les moyens d'un examen complet et réaliste de l'effort financier véritablement consenti par toutes les parties intéressées en vue de l'élection des candidats.
b) Le Conseil constitutionnel entend en outre mettre l'accent sur les problèmes particuliers soulevés par l'activité des comités de soutien. La loi ordinaire no 95-65 du 19 janvier 1995 rendue applicable à l'élection présidentielle par la loi organique n° 95-72 du 20 janvier 1995 a assimilé les comités de soutien pour la campagne d'un candidat à des formations politiques. Le Conseil constitutionnel observe tout d'abord que l'application des dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, lesquelles prévoient la prise en compte des dépenses faites par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue d'apporter leur soutien au candidat ou qui lui apportent leur soutien, illustre tout particulièrement les difficultés ci-dessus analysées. Il paraît a priori difficile d'admettre que les dépenses engagées par un comité de soutien à un candidat à l'élection présidentielle n'aient pas à être retracées dans le compte de celui-ci. Pourtant lorsque de tels comités se présentent comme résultant d'initiatives locales, leur création et leur activité peuvent ne pas avoir fait l'objet de la part du candidat d'actes impliquant son aval, faute desquels la loi ne peut trouver à s'appliquer. Aussi pour éviter que les comités de soutien, dont la justification est précisément de prendre part à la campagne, ne soient affranchis des contraintes légales, le Conseil constitutionnel estime que les avantages qui leur sont désormais reconnus devraient être subordonnés à leur déclaration auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques assortie de l'accord explicite du candidat. Le rattachement de leurs dépenses au compte de campagne ne pourrait ainsi souffrir d'aucune incertitude. De manière plus générale, le Conseil constitutionnel devrait être destinataire, dans le même délai que celui du dépôt des comptes de campagne, des comptes des comités de soutien constitués en vue de l'élection des candidats. En effet, en l'état actuel du droit, le contrôle des comptes des comités ne peut s'effectuer qu'après leur remise à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, soit après le 30 juin de l'année suivant l'élection. Ce contrôle est au surplus privé d'objet ou du moins de sanction dans la mesure où les comités se seront dissous entre-temps. En tout état de cause, il est impossible d'en inférer quelque conséquence que ce soit à l'égard du candidat dont le compte de campagne aura depuis longtemps fait l'objet d'une décision définitive. Ainsi les contraintes de la législation, notamment celles qui sont relatives au plafonnement des dons des personnes physiques, peuvent-elles être éludées.
c) Le Conseil constitutionnel observe enfin que la mention par l'article L. 52-12 des seules « dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection » l'a conduit à écarter des dépenses exposées ultérieurement, au moment où les opérations électorales sont closes, qui pourtant sont indissociables de la tenue d'une campagne électorale. Il en va ainsi notamment des frais d'expertise comptable nécessités par l'établissement des comptes ou des réceptions que les candidats sont amenés à offrir au soir des élections. Il apparaît opportun dans ces conditions que le législateur vise, outre les dépenses engagées directement en vue de l'élection, celles qui ont été rendues nécessaires par la campagne électorale.
-
Prise en compte des recettes
a) Le Conseil constitutionnel observe que le montant maximal des dons en espèces susceptibles d'être consentis au candidat, prévu par l'article L. 52-8 du code électoral, s'élève dans le cadre de l'élection présidentielle à des sommes considérables. En effet il est fixé à 20 p. 100 du montant des dépenses autorisées, soit 18 millions de francs et même 24 millions de francs s'agissant des candidats présents au second tour. Or il convient de s'assurer le plus précisément possible que ce mode de financement ne permette pas d'échapper aux contraintes légales, notamment celles qui proscrivent tout apport financier des personnes morales. En pratique, des recettes en espèces ne peuvent provenir que de collectes auprès de personnes physiques dans la limite de 1 000 F par donateur ou de recettes commerciales liées à la campagne. Le Conseil constitutionnel souhaite donc que soit précisée la nature des justificatifs de recettes exigibles en vertu de l'article L. 52-12 du code électoral. Une répartition par réunion publique du montant des collectes et s'agissant des recettes commerciales une justification des tarifs pratiqués au regard des coûts de revient apparaissent en particulier nécessaires pour que d'éventuelles anomalies puissent être décelées.
b) Le Conseil constitutionnel relève également que dans certains cas des versements de fonds ont été déclarés comme provenant de prêts consentis par des personnes physiques. De tels prêts, qui peuvent en partie correspondre à de véritables dons en l'absence de stipulation d'intérêt ou lorsque les intérêts prévus sont d'un montant inférieur aux taux pratiqués sur le marché monétaire, rendent aléatoire tout contrôle ; le conseil n'est d'ailleurs pas en mesure de s'assurer, une fois le compte arrêté, que les remboursements prévus sont réellement opérés. Or, à défaut, les versements dus par l'Etat peuvent être générateurs d'un enrichissement sans cause du candidat. Il apparaît donc souhaitable que les personnes physiques ne puissent consentir que des dons dans les limites fixées par la loi, à l'exclusion de tout prêt.
c) Le Conseil constitutionnel observe enfin que les rédactions de l'article 3-III de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article 9-2 du décret du 14 mars 1964 devraient être modifiées pour supprimer toute référence à des dons de personnes morales désormais proscrits par la loi. -
Procédure de contrôle
Le Conseil constitutionnel a été conduit à statuer dans un délai bref d'environ trois mois pour ne pas alourdir la charge financière des candidats souvent grevée d'intérêts et, de manière générale, pour permettre à chacun de déterminer rapidement les conditions dans lesquelles devait être soldé le compte de sa campagne.
Les méthodes d'instruction employées ont permis d'assurer un strict respect du contradictoire pour la mise en œuvre du contrôle. Toutes les incertitudes et interrogations apparues à l'analyse des comptes ont fait l'objet de questionnaires adressés aux candidats ou à leur mandataires. Et les échanges d'observations en demande et en réponse ont été renouvelés jusqu'au moment où le conseil fut assuré que les candidats avaient pu faire valoir tous leurs arguments et été en mesure de communiquer toutes les informations complémentaires sollicitées. Cette démarche a été appliquée pour chaque candidat par une équipe de rapporteurs adjoints qui a rendu compte périodiquement au conseil statuant en qualité de juridiction d'instruction en formation plénière. Au terme de la procédure, un avis préalable a été adressé à chaque candidat récapitulant les points sur lesquels des redressements pouvaient être opérés ou des méconnaissances de la législation constatées. Toutefois le conseil émet le vœu que la procédure de contrôle soit facilitée par deux modifications législatives.
a) En premier lieu, la durée de vie des associations comme celle des mandataires financiers, limitée par les articles L. 52-5 et L. 52-6 du code électoral à un délai de trois mois après le dépôt du compte de campagne, devrait être prolongée. En effet, d'une part, il arrive que l'association ait consenti concurremment avec le candidat des emprunts et il importe qu'elle puisse s'acquitter de ses dettes, une fois versé le remboursement dû par l'Etat, avant qu'il soit mis fin à son existence ; d'autre part et surtout, le législateur prescrit que l'association se prononce avant sa dissolution sur son actif net et que le mandataire financier, personne physique, remette au candidat avant le terme de ses fonctions un bilan comptable de son activité, le solde positif devant être dans les deux cas versé à la Fondation de France. Or ce solde ne peut être déterminé que sur la base des éléments du compte arrêté par la décision du Conseil constitutionnel et le versement pouvant en résulter suppose que l'Etat se soit acquitté préalablement du remboursement qui lui est prescrit. Un délai de trois mois pour la réalisation de l'ensemble de ces opérations n'apparaît pas réaliste, sauf à compromettre les conditions du contrôle qui incombe au Conseil constitutionnel.
b) En second lieu, le Conseil constitutionnel suggère que la liste des autorités à l'égard desquelles les agents des impôts sont déliés du secret professionnel en vertu de l'article L. 140 du livre des procédures fiscales soit étendue aux rapporteurs adjoints auprès du Conseil constitutionnel sur demande expresse de celui-ci. -
Pouvoirs d'appréciation du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel souhaite pouvoir apprécier la nature et la portée d'éventuelles méconnaissances de la législation applicable afin d'éviter qu'elles entraînent des effets disproportionnés, contraires à l'équité.
a) En vertu du dernier alinéa de l'article 3-V de la loi du 6 novembre 1962 précitée, le remboursement forfaitaire à la charge de l'Etat n'est pas effectué aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions du troisième alinéa du II du même article ou à ceux dont le compte de campagne a été rejeté. Cette disposition, qui dote le Conseil constitutionnel des pouvoirs dévolus pour les autres élections à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, implique que même lorsque le compte de campagne n'a pas fait l'objet de la part du conseil d'une décision de rejet, la méconnaissance de dispositions du code électoral fait obstacle au remboursement. Or l'examen des comptes de campagne de l'élection présidentielle est, compte tenu du grand nombre et de la diversité des opérations qui concourent à la campagne électorale, de nature à faire apparaître des irrégularités qui, non intentionnelles ou de portée très réduite, ne justifient pas les graves conséquences pécuniaires que comporte le non-remboursement des sommes très importantes auxquelles un candidat pourrait prétendre. A titre d'illustration, en application de l'article L. 52-17 du code électoral, le Conseil constitutionnel est conduit à réévaluer le montant des dépenses déclarées lorsque les prix correspondants apparaissent inférieurs à ceux du marché, même lorsque la marge est faible ou porte sur des sommes peu importantes. En conséquence lorsque des personnes morales sont en cause, se trouvent méconnues les prescriptions de l'article L. 52-8 qui leur interdit de fournir des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. D'une manière générale, le Conseil constitutionnel estime donc que le refus du remboursement dû par l'Etat ne doit résulter que d'un rejet global du compte reposant sur une appréciation d'ensemble de son exhaustivité et de sa sincérité.
b) Une autre difficulté de même nature peut résulter du dernier alinéa de l'article 3-V de la loi du 6 novembre 1962 qui interdit aussi le remboursement forfaitaire dans le cas de méconnaissance du deuxième alinéa du II, à savoir lorsque le plafond des dépenses électorales a été dépassé. Or s'agissant des autres élections, le code électoral ménage au juge un pouvoir d'appréciation des conséquences que doit comporter un tel dépassement. Le Conseil constitutionnel souhaite qu'un tel pouvoir d'appréciation lui soit reconnu en ce qui concerne l'élection présidentielle. En effet, il est particulièrement difficile pour ce type d'élection de maîtriser à la marge des dépenses engagées en fonction d'une multiplicité d'initiatives locales sur l'ensemble du territoire national ; en outre certaines d'entre elles tels que les frais de communication par téléphone ou télécopie ne peuvent être chiffrées que postérieurement à l'élection. Il paraît dès lors anormal qu'un dépassement minime entraîne dans tous les cas l'absence par l'Etat de tout remboursement forfaitaire.
c) Au surplus, il ne s'agit pas là de la seule conséquence attachée à un tel constat. La loi organique n° 95-62 du 19 janvier 1995 a en effet rendu applicable à l'élection présidentielle le dernier alinéa de l'article L. 52-15 du code électoral. Dès lors, le Conseil constitutionnel est tenu d'imposer au candidat le versement au Trésor public d'une somme égale au montant du dépassement constaté. Un tel versement forfaitaire et automatique peut porter sur des sommes considérables. Aussi le Conseil constitutionnel estime-t-il qu'un tel versement devrait résulter de son appréciation compte tenu de la nature et de l'importance du manquement. En définitive, le bilan du contrôle des comptes de campagne opéré pour la première fois par le Conseil constitutionnel apparaît largement positif quant à son principe, sa mise en œuvre dans le respect des droits des candidats et sa portée dissuasive à la lumière des principes et des règles dégagées en jurisprudence. Les modifications souhaitées par le Conseil constitutionnel devraient pour l'avenir rendre un tel contrôle encore plus efficace par l'aménagement de ses règles, l'ajustement de sa procédure et l'adaptation de ses sanctions
Journal officiel du 15 décembre 1995, page 18248
Recueil, p. 139
ECLI : FR : CC : 1995 : 95.93.PDR