Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 1994, par MM Martin Malvy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Henri d'Attilio, Camille Darsières, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Jacques Floch, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Henri Sicre, Roger-Gérard Schwartzenberg, Daniel Vaillant, Bernard Charles, Georges Sarre, Emile Zuccarelli, Régis Fauchoit, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Pierre Michel, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la diversité de l'habitat ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement ;
Vu la loi d'orientation pour la ville n° 91-662 du 13 juillet 1991 modifiée ;
Vu la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés qui défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la diversité de l'habitat n'articulent de griefs qu'à l'encontre du II de son article 7 ; qu'ils affirment que l'ensemble des articles de la loi sont inséparables de cette disposition contestée ;
2. Considérant que l'article 5 de la loi déférée modifie l'article L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation qui dispose que certaines communes sont tenues de prendre des mesures propres à permettre l'acquisition de terrains ou de locaux nécessaires à la réalisation de logements locatifs au sens du 3 ° de l'article L. 351-2 du même code, en visant non plus ces derniers mais les logements sociaux au sens de l'article L. 302-8 dans sa rédaction résultant de l'article 8 de la loi ;
3. Considérant que l'article 7 de cette loi modifie l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation qui fixe le régime d'une contribution due lorsque les communes concernées n'ont pas engagé elles-mêmes la réalisation d'actions foncières à cette fin ; qu'en application du troisième alinéa de l'article L. 302-7, cette contribution doit être versée à un ou plusieurs organismes désignés par le représentant de l'État et habilités à réaliser les acquisitions foncières ou immobilières ou à construire des logements sociaux ; que le II de l'article 7 contesté par les députés, auteurs de la saisine, dispose que ces versements peuvent également être destinés par l'intermédiaire de ces organismes à des locaux d'hébergement réalisés dans le cadre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri prévu par la loi susvisée du 21 juillet 1994, ou à des « terrains d'accueil réalisés dans le cadre du schéma départemental prévu par la loi susvisée du 31 mai 1990 » ; que le III insère dans ce même article L. 302-7 un alinéa additionnel qui énonce que « pour la réalisation des terrains d'accueil et des locaux d'hébergement mentionnés à l'alinéa précédent, le produit de la contribution est utilisé dans le département concerné » ;
4. Considérant que les députés auteurs de la saisine allèguent que les dispositions ci-dessus analysées du II de l'article 7 sont contraires aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu'au droit à mener une vie familiale normale ; qu'ils font valoir notamment à cette fin qu'il est impossible de mener une vie familiale normale sans disposer d'un logement décent ; qu'ils soutiennent qu'en modifiant l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation pour permettre d'allouer la contribution que ce dernier prévoit non seulement à des logements sociaux au sens de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation mais à des locaux d'hébergement d'urgence à des personnes sans abri ou à des terrains d'accueil destinés spécifiquement aux gens du voyage, le législateur a retenu une appréciation manifestement erronée de la notion de logement social ; qu'il a ainsi privé de garanties légales les conditions de mise en oeuvre du droit au logement tel qu'il résulte des prescriptions constitutionnelles invoquées ;
5. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » ;
6. Considérant qu'il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;
7. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;
8. Considérant qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre ;
9. Considérant qu'en apportant les modifications contestées à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, le législateur a pris en compte les dispositions de la loi susvisée du 31 mai 1990 ; qu'en particulier l'article 28 de cette loi impose un schéma départemental prévoyant les conditions spécifiques d'accueil des gens du voyage ; que par ailleurs le législateur a entendu favoriser la mise en oeuvre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri dont l'établissement a été prescrit dans le même but par l'article 21 de la loi susvisée du 21 juillet 1994 ; qu'aux termes de cet article un tel plan « analyse les besoins et prévoit les capacités d'hébergement d'urgence à offrir dans des locaux présentant des conditions d'hygiène et de confort respectant la dignité humaine » ; que, par suite, les modifications introduites par le législateur à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, ne méconnaissent pas les prescriptions constitutionnelles ci-dessus rappelées mais tendent au contraire à en renforcer les conditions de mise en oeuvre ; que dès lors, les griefs invoqués manquent en fait ;
10. Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution s'agissant des autres dispositions de la loi qui lui est déférée ;
Décide :
Article premier :
Le II de l'article 7 de la loi relative à la diversité de l'habitat est conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 janvier 1995.
Le président, Robert BADINTERJournal officiel du 21 janvier 1995, page 1166
Recueil, p. 176
ECLI : FR : CC : 1995 : 94.359.DC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.3. PRINCIPES AFFIRMÉS PAR LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION DE 1946
- 1.3.13. Combinaison des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946
1.3.13.3. Possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.7. OBJECTIFS DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE
- 1.7.1. Retenus
1.7.1.4. Possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.10. AUTRES DROITS ET PRINCIPES SOCIAUX
- 4.10.3. Possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent
4.10.3.1. Fondement et compétence législative de mise en œuvre
Il ressort du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. En outre, le dixième alinéa dispose que la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et le onzième alinéa dispose que... tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. Il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle, dont les modalités relèvent du législateur et du Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives. Le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en œuvre
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.10. AUTRES DROITS ET PRINCIPES SOCIAUX
- 4.10.3. Possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent
4.10.3.2. Absence de violation de l'objectif
Dispositions permettant d'affecter une contribution habituellement utilisée pour des acquisitions foncières ou immobilières ou pour la construction de logements sociaux à la réalisation de terrains d'accueil pour les gens du voyage et de locaux d'hébergement d'urgence. Ce faisant, le législateur a pris en compte les dispositions de la loi du 31 mai 1990, en particulier son article 28 qui impose un schéma départemental prévoyant les conditions spécifiques d'accueil des gens du voyage. Par ailleurs, le législateur a entendu favoriser la mise en œuvre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri dont l'établissement a été prescrit dans le même but par l'article 21 de la loi du 21 juillet 1994, aux termes duquel un tel plan " analyse les besoins et prévoit les capacités d'hébergement d'urgence à offrir dans des locaux présentant des conditions d'hygiène et de confort respectant la dignité humaine ". Par suite, les modifications introduites par le législateur à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent mais tendent au contraire à en renforcer les conditions de mise en œuvre.