Décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 novembre 1993 par MM Claude Estier, René Régnault, Mme Monique Ben Guiga, M Jacques Carat, Mme Josette Durrieu, MM Léon Fatous, Marcel Bony, Jean Peyrafitte, Germain Authié, Claude Cornac, Gérard Miquel, Jean-Pierre Demerliat, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Philibert, Fernand Tardy, Marcel Charmant, Guy Penne, Philippe Labeyrie, Michel Manet, Francis Cavalier-Benezet, Albert Pen, Michel Charasse, Jean-Louis Carrère, Paul Loridant, Roland Bernard, William Chervy, Michel Moreigne, Bernard Dussaut, Claude Saunier, André Rouvière, Raymond Courrière, Robert Laucournet, Jacques Bialski, Gérard Gaud, Marcel Vidal, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM François Autain, Charles Metzinger, Roland Huguet, Michel Sergent, René-Pierre Signe, Franck Sérusclat, Aubert Garcia, Roger Quilliot, Guy Allouche, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM Paul Raoult, Jean Besson, André Vezinhet, Louis Perrein, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Roland Courteau, Robert Castaing, François Louisy, Jacques Bellanger, Mme Françoise Seligmann, MM Jean-Pierre Masseret, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code général des impôts ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine ont déféré au Conseil constitutionnel la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle en soutenant que les articles 29 et 30 de cette loi sont contraires à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 29 :
2. Considérant que l'article 29 de la loi ouvre au chef d'entreprise dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à deux cents salariés, la faculté de décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise ; que les auteurs de la saisine font valoir qu'en prévoyant une telle possibilité, le législateur a méconnu le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'en particulier le législateur ne pouvait, s'agissant de la composition des institutions représentatives du personnel, renvoyer la mise en oeuvre du principe de participation que le Préambule énonce à l'initiative unilatérale de l'employeur ;
3. Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre ;
4. Considérant que si cette disposition implique que la détermination des modalités concrètes de cette mise en oeuvre fasse l'objet d'une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives, elle n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d'accords collectifs ;
5. Considérant que le législateur a fixé la condition relative à l'effectif des salariés de l'entreprise à laquelle est subordonnée la faculté qu'il a ouverte ; qu'il a indiqué que cette dernière ne pouvait être exercée qu'à l'occasion de la constitution du comité d'entreprise ou lors du renouvellement de l'institution après consultation des délégués du personnel et, s'il existe, du comité d'entreprise ; qu'il a déterminé les limites dans lesquelles le mandat des délégués du personnel pouvait être soit prorogé soit réduit dans la stricte mesure nécessaire à la mise en oeuvre de ladite faculté ; qu'il a prescrit que les délégués du personnel et le comité d'entreprise devaient conserver l'ensemble de leurs attributions ; qu'il a, en vue d'assurer la capacité de représentation collective des salariés, renvoyé à un décret en Conseil d'État la détermination du nombre des délégués du personnel qui devraient dans une telle hypothèse être désignés ;
6. Considérant qu'eu égard aux précisions et garanties susmentionnées, le législateur n'a pas méconnu les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
- SUR L'ARTICLE 30 :
7. Considérant que l'article 30 de la loi substitue pour les entreprises de moins de trois cents salariés aux informations et documents à caractère économique, social et financier, quelle que soit leur périodicité, que doit remettre le chef d'entreprise au comité d'entreprise en application des articles L. 212-4-5, L. 432-1-1, L. 432-3-1, L. 432-4 (sixième, septième, huitième alinéas et dernière phrase du dernier alinéa) et L. 432-4-1 du code du travail, la remise une fois par an d'un rapport unique portant sur :
1 l'activité de la situation financière de l'entreprise ;
2 le bilan du travail à temps partiel dans l'entreprise ;
3 l'évaluation de l'emploi, des qualifications, de la formation et des salaires ;
4 la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes ;
5 les actions en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés dans l'entreprise ;
que cet article dispose que ses modalités d'application doivent être précisées par décret en Conseil d'État ;
8. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir en premier lieu que cet article méconnaît le huitième alinéa précité du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors que les informations ainsi visées du fait de leur périodicité annuelle et de leur caractère rétrospectif ne permettraient pas au comité d'entreprise d'assurer par une expression collective des salariés la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la vie de l'entreprise ; qu'ils soutiennent en second lieu qu'eu égard au caractère très général des indications que cet article comporte quant au contenu du rapport prescrit, le législateur a méconnu sa compétence en renvoyant la détermination de ses modalités d'application à un décret en Conseil d'État ;
9. Considérant que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'il revient ainsi au législateur de déterminer, dans le respect du huitième alinéa précité du Préambule de la Constitution de 1946, les conditions de mise en oeuvre de cette disposition ;
10. Considérant d'une part que le respect du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 implique que les représentants des salariés bénéficient des informations nécessaires pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l'entreprise ; que l'article contesté ne les prive pas de telles informations ;
11. Considérant d'autre part, que la détermination des dispositions réglementaires d'application dudit article ne peut avoir pour seul objet que de préciser la nature des données qui sont fournies au titre de chacun des éléments du rapport énumérés par cet article et d'organiser la procédure de transmission de ce rapport à l'inspecteur du travail ;
12. Considérant que dès lors, le législateur n'a pas porté atteinte à la disposition invoquée du Préambule de la Constitution de 1946 et n'a pas méconnu sa propre compétence en renvoyant à un décret en Conseil d'État la fixation des modalités d'application de l'article contesté ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens des auteurs de la saisine doivent être écartés ;
- SUR L'ARTICLE 11 :
14. Considérant que l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose dans son premier alinéa qu'« Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général » ; qu'en dehors des mécanismes d'affectation spéciale qu'il prévoit, il dispose, en outre, dans son troisième alinéa, que « Dans tous les autres cas, l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de la loi de finances, d'initiative gouvernementale » ;
15. Considérant que les règles de procédure ainsi fixées constituent l'application du principe de l'universalité budgétaire ; que ce principe a notamment pour conséquence que les recettes doivent figurer au budget pour leur montant brut et qu'est interdite l'affectation de tout ou partie d'une recette déterminée de l'État à la couverture d'une dépense déterminée, sous réserve des exceptions prévues par cet article ;
16. Considérant que les droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts constituent une recette de l'État inscrite au budget général ; qu'en prévoyant d'en affecter une partie pour compenser une charge supportée par des caisses de sécurité sociale, sans que cette affectation entre dans le cadre d'une des exceptions visées par l'article 18, le législateur a méconnu le principe de l'universalité budgétaire ;
17. Considérant qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les dispositions du III de l'article 11 ainsi que les dispositions du I et du II du même article, qui en sont indissociables ;
18. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
L'article 11 de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle est contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 21 décembre 1993 page 17814
Recueil, p. 547
ECLI : FR : CC : 1993 : 93.328.DC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.3. PRINCIPES AFFIRMÉS PAR LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION DE 1946
1.3.9. Alinéa 8 - Principe de participation des travailleurs
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.7. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES PAR MATIÈRES
- 3.7.15. Droit du travail et droit de la sécurité sociale
- 3.7.15.1. Droit du travail
- 3.7.15.1.2. Droits des travailleurs
3.7.15.1.2.2. Droit à la participation
Si le Préambule de la Constitution de 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises", l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en œuvre.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
- 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
- 4.9.1.2. Liberté de négociation collective (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
4.9.1.2.1. Détermination des modalités concrètes de mise en œuvre de la loi
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
- 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
- 4.9.1.2. Liberté de négociation collective (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
- 4.9.1.2.2. Consécration de la liberté de négociation collective
4.9.1.2.2.3. Rôle des autres acteurs sociaux
Si la disposition du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 implique que la détermination des modalités concrètes de sa mise en œuvre fasse l'objet d'une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives, elle n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d'accords collectifs. Le législateur a fixé la condition relative à l'effectif des salariés de l'entreprise à laquelle est subordonnée la faculté qu'il a ouverte. Il a indiqué que cette dernière ne pouvait être exercée qu'à l'occasion de la constitution du comité d'entreprise ou lors du renouvellement de l'institution après consultation des délégués du personnel et, s'il existe, du comité d'entreprise. Il a déterminé les limites dans lesquelles le mandat des délégués du personnel pouvait être soit prorogé, soit réduit dans la stricte mesure nécessaire à la mise en œuvre de ladite faculté. Il a prescrit que les délégués du personnel et le comité d'entreprise devaient conserver l'ensemble de leurs attributions. Il a, en vue d'assurer la capacité de représentation collective des salariés, renvoyé à un décret en Conseil d'État la détermination du nombre des délégués du personnel qui devraient dans une telle hypothèse être désignés. Dès lors, il n'a pas méconnu les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
- 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
- 4.9.1.2. Liberté de négociation collective (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
- 4.9.1.2.2. Consécration de la liberté de négociation collective
4.9.1.2.2.4. Seuils d'effectifs
Le législateur a fixé la condition relative à l'effectif des salariés de l'entreprise à laquelle est subordonnée la faculté qu'il a ouverte. Il a indiqué que cette dernière ne pouvait être exercée qu'à l'occasion de la constitution du comité d'entreprise ou lors du renouvellement de l'institution après consultation des délégués du personnel et, s'il existe, du comité d'entreprise. Il a déterminé les limites dans lesquelles le mandat des délégués du personnel pouvait être soit prorogé, soit réduit dans la stricte mesure nécessaire à la mise en œuvre de ladite faculté. Il a prescrit que les délégués du personnel et le comité d'entreprise devaient conserver l'ensemble de leurs attributions. Il a, en vue d'assurer la capacité de représentation collective des salariés, renvoyé à un décret en Conseil d'État la détermination du nombre des délégués du personnel qui devraient dans une telle hypothèse être désignés. Dès lors, il n'a pas méconnu les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
- 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
- 4.9.1.4. Principe de participation des travailleurs à la gestion des entreprises (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
4.9.1.4.1. Consultation et information des institutions représentatives du personnel
L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Il revient ainsi au législateur de déterminer, dans le respect du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, les conditions de mise en œuvre de cette disposition. Le respect du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 implique que les représentants des salariés bénéficient des informations nécessaires pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l'entreprise. L'article de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ne les prive pas de telles informations. Par ailleurs, la détermination des dispositions réglementaires d'application de cet article ne peut avoir pour seul objet que de préciser la nature des données qui sont fournies au titre de chacun des éléments du rapport énumérés par cet article et d'organiser la procédure de transmission de ce rapport à l'inspecteur du travail. Dès lors, le législateur n'a méconnu ni la disposition du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ni sa propre compétence.
- 6. FINANCES PUBLIQUES
- 6.1. PRINCIPES BUDGÉTAIRES ET FISCAUX
- 6.1.4. Principe d'universalité
6.1.4.1. Contenu
L'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose dans son premier alinéa qu'" il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ". En dehors des mécanismes d'affectation spéciale qu'il prévoit, il dispose, en outre, dans son troisième alinéa, que " dans tous les autres cas, l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de la loi de finances, d'initiative gouvernementale ". Les règles de procédure ainsi fixées constituent l'application du principe de l'universalité budgétaire. Ce principe a notamment pour conséquence que les recettes doivent figurer au budget pour leur montant brut et qu'est interdite l'affectation de tout ou partie d'une recette déterminée de l'État à la couverture d'une dépense déterminée, sous réserve des exceptions prévues par cet article.
- 6. FINANCES PUBLIQUES
- 6.1. PRINCIPES BUDGÉTAIRES ET FISCAUX
- 6.1.4. Principe d'universalité
- 6.1.4.1. Contenu
6.1.4.1.2. Principe de non-affectation
Les droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts constituent une recette de l'État inscrite au budget général. En prévoyant d'en affecter une partie pour compenser une charge supportée par des caisses de sécurité sociale, sans que cette affectation entre dans le cadre d'une des exceptions visées par l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, le législateur a méconnu le principe de l'universalité budgétaire.