Décision n° 87-228 DC du 26 juin 1987
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 16 juin 1987, par le Premier ministre, conformément aux dispositions des articles 46 et 61 de la Constitution, du texte de la loi organique relative à la situation des magistrats nommés à des fonctions du premier grade, adoptée définitivement par le Parlement le 15 juin 1987 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, ensemble les textes qui l'ont modifiée et complétée ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel fait suite à l'intervention d'une décision du Conseil d'État statuant au contentieux, en date du 27 avril 1987, qui a annulé le décret du 7 juillet 1983 du Président de la République nommant un magistrat Procureur de la République à Nîmes ; que le motif de cette annulation est tiré de la méconnaissance de l'article 20 du décret n° 58-1277 du 22 décembre 1958 pris pour l'application de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, aux termes duquel « les magistrats jugés dignes d'obtenir un avancement sont inscrits par ordre alphabétique.- La commission peut, par une décision mentionnée au procès-verbal, limiter les effets de cette inscription à une ou plusieurs fonctions du premier grade. Cette décision n'est pas publiée. Elle est notifiée à l'intéressé par voie hiérarchique » ; qu'en effet, il a été jugé que, contrairement aux prescriptions de ce texte, le magistrat concerné, dont l'inscription au tableau d'avancement pour le premier grade au titre de l'année 1982 avait été assortie de limitations quant aux fonctions susceptibles de lui être confiées a, dans le cours de sa carrière, été nommé dans une fonction autre que celles initialement énoncées sans que la décision de la commission d'avancement limitant les effets de son inscription au tableau ait été, entre-temps, rapportée ;
2. Considérant que le texte soumis au Conseil constitutionnel comporte un article unique qui est divisé en deux paragraphes qui n'ont ni la même portée, ni la même valeur juridique ;
- SUR LE PARAGRAPHE I DE L'ARTICLE UNIQUE :
3. Considérant que le paragraphe I a pour objet de valider les nominations de magistrats à des fonctions du premier grade intervenues par décret antérieurement à son entrée en vigueur ; que cette validation est subordonnée à la condition que la nomination des intéressés n'ait pas été annulée ; qu'elle n'est prononcée qu'en tant que les nominations en cause ne correspondaient pas aux limitations assortissant l'inscription des magistrats concernés au tableau d'avancement ou que les modalités d'inscription de ces magistrats au tableau d'avancement « n'étaient pas conformes aux dispositions statutaires applicables » ;
4. Considérant que ces diverses dispositions mettent en cause le statut des magistrats et relèvent, par suite, du domaine d'intervention d'une loi organique en vertu de l'article 64, alinéa 3, de la Constitution ;
5. Considérant qu'il résulte des débats parlementaires que les dispositions du paragraphe I ont été motivées par le fait que la décision du Conseil d'État du 27 avril 1987 avait pour conséquence de compromettre le déroulement normal de la carrière de nombreux magistrats inscrits au tableau d'avancement avec une vocation limitée à certaines fonctions et qui ont fait l'objet ultérieurement d'une mutation dans un poste hiérarchiquement comparable mais non prévu par la commission d'avancement, sans que cet organisme ait été appelé à abroger sa précédente décision ; qu'en outre, la situation née de la décision du Conseil d'État était susceptible d'affecter le bon fonctionnement et la continuité du service public de la justice ;
6. Considérant qu'en validant les modalités d'inscription des magistrats au tableau d'avancement qui « n'étaient pas conformes aux dispositions statutaires applicables », le législateur a entendu uniquement viser l'application qui a été faite de l'article 20, alinéa 2, du décret précité du 22 décembre 1958 ;
7. Considérant que, dans ces circonstances, le législateur en adoptant les dispositions du paragraphe I de l'article unique du texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel n'a ni censuré la décision du Conseil d'État, ni méconnu aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle ; qu'il a uniquement pourvu, comme il avait seul pouvoir de le faire, à une situation qui, quelles que soient les erreurs administratives résultant d'une pratique ancienne qui ont été commises dans l'application de l'article 20 du décret n° 58-1277 du 22 décembre 1958, doit être réglée conformément aux exigences du service public et de l'intérêt général ;
8. Considérant que s'il en résulte que les magistrats dont la nomination a été annulée pour méconnaissance de l'article 20, alinéa 2, du décret du 22 décembre 1958 se trouvent traités différemment quant au déroulement de leur carrière de ceux de leurs collègues dont la nomination est validée par le texte présentement examiné, cette différence tire son origine du fait qu'il n'appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions et d'enfreindre par là même le principe de séparation des pouvoirs ; qu'au demeurant, aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit qu'il soit remédié à cette disparité de traitement et que ceux des magistrats dont la nomination a été annulée fassent, pour l'avenir, l'objet d'une nouvelle nomination aux mêmes fonctions dans des conditions conformes aux lois et règlements ;
- SUR LE PARAGRAPHE II DE L'ARTICLE UNIQUE :
9. Considérant que le paragraphe II du texte déféré valide les actes accomplis par les magistrats installés dans des fonctions du premier grade antérieurement à son entrée en vigueur et dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation, à l'exception des actes dont l'illégalité résulterait d'un autre motif que la nomination des intéressés ;
10. Considérant que ces dispositions, qui intéressent la régularité des actes accomplis par des magistrats et non les règles statutaires qui leur sont applicables, ne ressortissent pas au domaine de la loi organique ;
11. Considérant qu'en vertu de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que le paragraphe II de l'article unique du texte déféré a pour but de préserver le fonctionnement régulier du service public de la justice ; qu'il n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de porter atteinte à ces dispositions ;
- SUR L'ENSEMBLE DU TEXTE :
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le paragraphe I de l'article unique du texte soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, qui a été pris dans le respect des règles de forme et de procédure imposées par les articles 46 et 64, alinéa 3, de la Constitution, n'est contraire à aucune disposition de celle-ci ; que le paragraphe II du même article n'est pas davantage contraire à la Constitution ;
Décide :
Article premier :
La loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel est déclarée conforme à la Constitution en ce qui concerne tant le paragraphe I de son article unique ayant le caractère de loi organique que le paragraphe II du même article ayant le caractère de loi.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 26 juin 1987, page 6998
Recueil, p. 38
ECLI : FR : CC : 1987 : 87.228.DC
Les abstracts
- 2. NORMES ORGANIQUES
- 2.2. CHAMP D'APPLICATION DES LOIS ORGANIQUES
- 2.2.2. Normes organiques et autres normes
- 2.2.2.2. Répartition lois organiques / lois ordinaires
2.2.2.2.1. Dispositions relevant du domaine de la loi organique
Des dispositions qui mettent en cause le statut des magistrats relèvent du domaine d'intervention d'une loi organique en vertu de l'article 64, alinéa 3, de la Constitution. Ainsi en est-il de dispositions ayant pour objet de valider des nominations de magistrats. Ne relèvent pas de ce domaine des dispositions qui intéressent la régularité d'actes accomplis par des magistrats. Ainsi en est-il de dispositions ayant pour objet de valider les actes accomplis par des magistrats dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation.
- 2. NORMES ORGANIQUES
- 2.3. FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DES LOIS ORGANIQUES
2.3.17. Article 64 - Statut des magistrats
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.1. Principes
À la suite d'une décision du Conseil d'État ayant annulé le décret de nomination d'un magistrat au motif que, contrairement au texte applicable, ce magistrat, dont l'inscription au tableau d'avancement avait été assortie de limitations quant aux fonctions susceptibles de lui être confiées, a, dans le cours de sa carrière été nommé dans une fonction autre que celles initialement énoncées sans que la décision de la commission d'avancement limitant les effets de son inscription au tableau ait été rapportée, le législateur a validé les nominations des magistrats nommés dans des conditions identiques en subordonnant cette validation à la condition que leur nomination n'ait pas été annulée et en ne la prononçant qu'en tant que ces nominations ne correspondaient pas aux limitations prévues par la commission d'avancement ou que les modalités de leur inscription au tableau d'avancement n'étaient pas conformes aux dispositions statutaires applicables. Le législateur, prenant en compte le fait que cette décision du Conseil d'État avait pour conséquence de compromettre le déroulement normal de la carrière de nombreux magistrats et que la situation née de cette décision était susceptible d'affecter le bon fonctionnement et la continuité du service public de la justice, pouvait seul, dans ces circonstances, pourvoir à une situation devant être réglée conformément aux exigences du service public et de l'intérêt général, dès lors qu'il ne censurait pas la décision du Conseil d'État.
Une loi qui valide les actes accomplis par des magistrats dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation, à l'exception des actes dont l'illégalité résulterait d'un autre motif que la nomination des intéressés, et qui a pour but de préserver le fonctionnement régulier du service public de la justice n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de porter atteinte aux dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789 selon lesquelles " nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.6. Absence de méconnaissance d'un principe de valeur constitutionnelle
La différence de traitement, quant au déroulement de leur carrière, de magistrats dont la nomination a été annulée avec ceux de leurs collègues dont la nomination est validée par la loi tire son origine du fait qu'il n'appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions et d'enfreindre par là-même le principe de séparation des pouvoirs.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
- 4.2.2. Garantie des droits
- 4.2.2.4. Sécurité juridique
- 4.2.2.4.2. Autre mesure rétroactive
- 4.2.2.4.2.2. Validation législative
4.2.2.4.2.2.7. Portée de la validation
Une loi qui valide les actes accomplis par des magistrats dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation, à l'exception des actes dont l'illégalité résulterait d'un autre motif que la nomination des intéressés et qui a pour but de préserver le fonctionnement régulier du service public de la justice n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de porter atteinte aux dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789 selon lesquelles " nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.4. Principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère
4.23.4.2. Applications du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère
Une loi qui valide les actes accomplis par des magistrats dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation, à l'exception des actes dont l'illégalité résulterait d'un autre motif que la nomination des intéressés et qui a pour but de préserver le fonctionnement régulier du service public de la justice, n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de porter atteinte aux dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789 selon lesquelles " nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".
- 5. ÉGALITÉ
- 5.5. ÉGALITÉ DANS LES EMPLOIS PUBLICS
- 5.5.4. Égalité de traitement dans le déroulement de carrière des fonctionnaires
- 5.5.4.1. Respect du principe
5.5.4.1.6. Validations législatives
La différence de traitement, quant au déroulement de leur carrière, de magistrats dont la nomination a été annulée avec ceux de leurs collègues dont la nomination est validée par la loi tire son origine du fait qu'il n'appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions et d'enfreindre par là-même le principe de séparation des pouvoirs.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.3. CHAMP D'APPLICATION DU CONTRÔLE DE CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION
- 11.3.2. Étendue de la compétence du Conseil constitutionnel
- 11.3.2.1. Lois adoptées par le Parlement
11.3.2.1.1. Lois organiques
Saisi par le Premier ministre, en application de l'article 61 de la Constitution, d'une loi organique comportant à la fois des dispositions ayant le caractère de loi organique et des dispositions ayant le caractère de loi, le Conseil constitutionnel examine la conformité à la Constitution de l'ensemble du texte.
- 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
- 12.1. JURIDICTIONS ET SÉPARATION DES POUVOIRS
- 12.1.2. Indépendance de la justice et des juridictions
- 12.1.2.2. Applications
12.1.2.2.3. Validations législatives (voir également Titre 4 Droits et liberté - Sécurité juridique)
Il n'appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions en validant la nomination de magistrats qui a été annulée par une décision de Conseil d'État, ce qui reviendrait à enfreindre le principe de la séparation des pouvoirs.
- 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
- 12.2. STATUTS DES JUGES ET DES MAGISTRATS
- 12.2.1. Principes constitutionnels relatifs aux statuts
- 12.2.1.3. Principes propres à l'autorité judiciaire
12.2.1.3.2. Compétence de la loi organique
Des dispositions qui mettent en cause le statut des magistrats relèvent du domaine d'intervention d'une loi organique en vertu de l'article 64, alinéa 3, de la Constitution. Ainsi en est-il de dispositions ayant pour objet de valider des nominations de magistrats. Ne relèvent pas de ce domaine des dispositions qui intéressent la régularité d'actes accomplis par des magistrats dont les nominations ont fait l'objet d'une décision d'annulation.