Décision n° 86-220 DC du 22 décembre 1986
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 décembre 1986 par MM. Pierre Joxe, Lionel Jospin, Michel Sapin, Jack Lang, Henri Nallet, Roland Dumas, Christian Goux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Claude Cassaing, Alain Bonnet, Mme Yvette Roudy, MM. Guy Vadepied, Alain Billon, Louis Mermaz, René Drouin, Michel Coffineau, Charles Hernu, Gérard Bapt, Alain Calmat, Jean Auroux, Louis Mexandeau, Mme Marie Jacq, M Laurent Fabius, Mme Ginette Leroux, MM. Jean Laurain, Pierre Bernard, Mme Edwige Avice, MM. Claude Bartolone, Georges Frêche, Henri Fiszbin, Mme Huguette Bouchardeau, MM. Pierre Ortet, Rodolphe Pesce, Jean Giovannelli, Jean-Claude Chupin, Jacques Mahéas, Jean Proveux, Jean-Pierre Sueur, Olivier Stirn, Jean Beaufils, Maurice Louis-Joseph-Dogué, Roland Chapuis, Michel Cartelet, Jean-Louis Dumont, Georges Colin, Jean-Pierre Worms, Jean-Yves Le Déaut, Gérard Welzer, Bernard Bardin, François Loncle, Mme Ghislaine Toutain, MM. Jean-Michel Belorgey, Joseph Menga, Gilbert Bonnemaison, Pierre Forgues, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Chevènement, Mmes Paulette Nevoux, Véronique Neiertz, MM. Maurice Adevah-P uf, Michel Margnes, Jean-Pierre Fourré, Guy Malandain, Mme Marie-France Lecuir, MM. Joseph Gourmelon, Jean Oehler, Philippe Bassinet, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l'Etat,
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution la fin de l'article premier et l'article 6 de la loi ;
- SUR L'ARTICLE PREMIER :
2. Considérant qu'aux termes de l'article premier de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel : « Les membres du Conseil d'État, les magistrats de la Cour des comptes et les membres de l'Inspection générale des finances, lorsqu'ils atteignent l'âge limite résultant de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, sont, sur leur demande, maintenus en activité, en surnombre, jusqu'à ce qu'ils atteignent la limite d'âge qui était en vigueur avant l'intervention de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 précitée pour exercer respectivement les fonctions de conseiller d'État, de conseiller maître à la Cour des comptes ou, s'ils n'ont pas atteint ce dernier grade, celles de conseiller référendaire et d'inspecteur général des finances » ;
3. Considérant que, sans contester le principe du maintien en activité des personnes visées par cet article, les auteurs de la saisine critiquent ses modalités d'application qui seraient contraires tant au principe d'égalité qu'au principe de l'indépendance des juridictions ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité :
4. Considérant qu'il est soutenu, à titre principal, que le principe d'égalité serait méconnu en ce que, au sein du Conseil d'État et de la Cour des comptes, les membres de ces deux corps peuvent poursuivre leur activité dans la même fonction jusqu'à la limite d'âge antérieure à la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984, à la seule exception des présidents de section ou de chambre ; qu'à titre subsidiaire, les auteurs de la saisine estiment que ces derniers se trouvent privés, à la différence de leurs collègues, du bénéfice du régime des positions prévu par le statut du corps auquel ils appartiennent et notamment de la position de détachement ;
5. Considérant que la disposition critiquée maintient en vigueur les limites d'âge fixées par la loi du 13 septembre 1984, ce qui permet la nomination de nouveaux titulaires aux fonctions rendues vacantes par la survenance du terme prévu par celle-ci ; que les dispositions nouvelles ont pour objet d'instituer des modalités complémentaires permettant à toutes les personnes qui atteignent la limite d'âge résultant de la loi du 13 septembre 1984 qui en feraient la demande, d'exercer, temporairement et en surnombre, leur activité dans le corps dont elles relevaient ; que c'est au regard de cet objet que doit être appréciée la portée des critiques de la saisine ;
6. Considérant qu'il résulte de l'article premier de la loi déférée que la même limite d'âge s'applique indistinctement aux conseillers d'État et aux présidents de section, d'une part, aux magistrats de la Cour des comptes et aux présidents de chambre, d'autre part ; que si la loi édicte des règles permettant le maintien en activité, en surnombre, des intéressés pour exercer des fonctions selon le cas, de conseiller d'État, de conseiller maître à la Cour des comptes ou, s'ils n'ont pas atteint ce dernier grade, celles de conseiller référendaire, tous se voient reconnaître le même droit à obtenir ce maintien ; que l'on ne saurait assimiler la situation des présidents de section ou des présidents de chambre telle qu'elle résulte de la loi présentement examinée, à celle dont ils bénéficiaient avant l'arrivée du terme fixé par la loi du 13 septembre 1984, dès lors que pour la mise en oeuvre des droits institués par la loi nouvelle, toutes les personnes concernées sont soumises aux mêmes règles ;
7. Considérant que, même si la loi devait être interprétée par les autorités et les juridictions compétentes comme mettant l'ensemble des fonctionnaires ainsi maintenus en activité dans une situation particulière au regard du régime des positions qui leur est applicable, cette différence de traitement par rapport aux autres membres des corps auxquels ils appartiennent pourrait trouver son fondement dans les considérations d'intérêt général qui sont en rapport avec l'objet de la loi ;
8. Considérant, dans ces conditions, que le moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité doit être écarté ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au principe de l'indépendance des juridictions :
9. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, l'article premier in fine de la loi méconnaît le principe de l'indépendance des juridictions en ce que ses dispositions aboutissent à contraindre ceux des présidents de section ou des présidents de chambre qui souhaitent être maintenus en activité à « devoir accepter une rétrogradation dans l'exercice de leurs fonctions » ;
10. Considérant qu'en ouvrant aux personnes soumises à la loi du 13 septembre 1984 le droit d'être, sur leur demande, maintenues en activité au-delà de la limite d'âge légale pour exercer les fonctions de conseiller d'État, ou de conseiller maître à la Cour des comptes, l'article premier de la loi déférée ne procède à aucune rétrogradation des présidents de section et des présidents de chambre, dès lors que les intéressés conservent leur grade, bien qu'ils exercent d'autres fonctions ; qu'en outre, l'autorité compétente ne dispose d'aucun moyen de contrainte à leur égard puisqu'elle est tenue de faire droit à leur demande de maintien en activité ; qu'ainsi il n'est porté aucune atteinte à l'indépendance des juridictions ; que le moyen invoqué doit, en conséquence, être écarté ;
- SUR L'ARTICLE 6 :
11. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que l'article 6 de la loi a été adopté selon une procédure non conforme à la Constitution ; qu'en effet, les dispositions de cet article, qui suppriment une voie d'accès à l'Ecole Nationale d'Administration, sont issues d'un amendement déposé lors de la première lecture à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi relative à la sortie du service de certains agents publics et ont, par suite, un objet différent de celui de cette proposition de loi ;
12. Considérant que l'article 6, abrogeant les dispositions qui ont institué une voie d'accès particulière à l'Ecole Nationale d'Administration, se rattache au recrutement de la fonction publique et n'est pas sans lien avec la proposition de loi dont est issue la loi présentement examinée ; qu'en effet, celle-ci visait, non seulement à modifier le régime des limites d'âge de certains corps de fonctionnaires, mais également à supprimer un mode de recrutement particulier applicable à des corps d'inspection et de contrôle ; que, dès lors, les dispositions contenues dans l'article 6 pouvaient être introduites par voie d'amendement dans la proposition de loi sans que soient méconnues les règles posées par les articles 39 et 44 de la Constitution ;
13. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
La loi relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l'Etat n'est pas contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 23 décembre 1986, page 15500
Recueil, p. 174
ECLI : FR : CC : 1986 : 86.220.DC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.5. ÉGALITÉ DANS LES EMPLOIS PUBLICS
- 5.5.4. Égalité de traitement dans le déroulement de carrière des fonctionnaires
- 5.5.4.1. Respect du principe
5.5.4.1.5. Maintien en activité en surnombre
Une loi qui permet à toutes les personnes qui atteignent la limite d'âge et qui en font la demande d'exercer, temporairement et en surnombre, leur activité dans le corps dont elles relevaient ne porte pas atteinte au principe d'égalité dès lors que pour la mise en œuvre des droits institués par cette loi toutes les personnes concernées sont soumises aux mêmes règles (la même limite d'âge s'applique à tous les membres du corps ; le même droit d'obtenir le maintien en activité est reconnu à tous, la situation des intéressés ainsi maintenus en activité ne peut être assimilée à celle dont ils bénéficiaient avant qu'ils aient atteint la limite d'âge.
L'interprétation d'une loi par les autorités et les juridictions compétentes, qui conduirait à mettre des fonctionnaires maintenus en activité au-delà de la limite d'âge dans une situation particulière au regard du régime des positions qui leur est applicable, pourrait trouver son fondement dans les considérations d'intérêt général qui sont en rapport avec l'objet de la loi.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.7. EXAMEN DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.7.2. Conditions de prise en compte d'éléments extrinsèques au texte de la loi
11.7.2.1. Approche exégétique
- 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
- 12.1. JURIDICTIONS ET SÉPARATION DES POUVOIRS
- 12.1.2. Indépendance de la justice et des juridictions
- 12.1.2.1. Principe
12.1.2.1.1. Juridiction judiciaire
Une loi qui ouvre aux personnes atteintes par la limite d'âge le droit d'être, sur leur demande, maintenues en activité au-delà de cette limite d'âge pour exercer certaines fonctions ne porte aucune atteinte à l'indépendance des juridictions dès lors qu'elle ne procède à aucune rétrogradation puisque si les intéressés exercent certaines fonctions ils conservent leur grade et que l'autorité compétente ne dispose d'aucun moyen de contrainte à leur égard puisqu'elle est tenue de faire droit à leur demande de maintien en activité.
- 12. JURIDICTIONS ET AUTORITÉ JUDICIAIRE
- 12.2. STATUTS DES JUGES ET DES MAGISTRATS
- 12.2.3. Déroulement de la carrière
- 12.2.3.5. Positions administratives
12.2.3.5.3. Prolongation des fonctions
Une loi qui ouvre aux personnes atteintes par la limite d'âge le droit d'être, sur leur demande, maintenues en activité au-delà de cette limite d'âge pour exercer certaines fonctions ne porte aucune atteinte à l'indépendance des juridictions dès lors qu'elle ne procède à aucune rétrogradation puisque si les intéressés exercent certaines fonctions ils conservent leur grade et que l'autorité compétente ne dispose d'aucun moyen de contrainte à leur égard puisqu'elle est tenue de faire droit à leur demande de maintien en activité.