Décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980
Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 12 décembre 1979, par MM Raymond Forni, Bernard Derosier, Alain Hautecoeur, Claude Evin, Pierre Joxe, Henri Lavielle, Pierre Jagoret, Jean Auroux, Jean Laborde, Christian Laurissergues, François Autain, Roger Duroure, André Saint-Paul, Lucien Pignion, Louis le Pensec, Claude Michel, René Gaillard, François Abadie, Jacques Lavédrine, Mme Marie Jacq, MM Paul Duraffour, François Massot, Marcel Garrouste, Guy Bêche, Daniel Benoist, Jacques-Antoine Gau, Yvon Tondon, Laurent Fabius, Jean-Pierre Cot, Jacques Mellick, Jacques Santrot, Philippe Marchand, Alain Richard, Alain Vivien, Joseph Franceschi, Pierre Mauroy, André Billardon, Jacques Huyghues des Etages, Gilbert Faure, Jean Laurain, Hubert Dubedout, Mme Edwige Avice, MM André Laurent, Alex Raymond, Jean-Michel Boucheron, Pierre Lagorce, Martin Malvy, Jean-Pierre Chevènement, Maurice Andrieu, Charles Pistre, Alain Chénard, Louis Darinot, Maurice Pourchon, Maurice Brugnon, Charles Hernu, Robert Aumont, Raoul Bayou, Edmond Vacant, Christian Pierret, Dominique Taddei, Henri Deschamps, Bernard Madrelle, Henri Emmanuelli, Raymond Julien, Dominique Dupilet, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa second, de la Constitution, du texte de la loi relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national d'immigration, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement et, notamment, des articles 3, 4, 6 et 9 de ladite loi ;
Saisi le 14 décembre 1979, par MM Maurice Andrieux, Gustave Ansart, Robert Ballanger, Paul Balmigère, Mme Myriam Barbera, MM Jean Bardol, Jean-Jacques Barthe, Alain Bocquet, Gérard Bordu, Daniel Boulay, Irénée Bourgois, Jacques Brunhes, Georges Bustin, Henry Canacos, Jacques Chaminade, Mmes Angèle Chavatte, Jacqueline Chonavel, M Roger Combrisson, Mme Hélène Constans, MM Michel Couillet, César Depiétri, Bernard Deschamps, Guy Ducoloné, André Duroméa, Lucien Dutard, Charles Fiterman, Mmes Paulette Fost, Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM Dominique Frelaut, Edmond Garcin, Marceau Gauthier, Pierre Girardot, Mme Colette Goeuriot, MM Pierre Goldberg, Georges Gosnat, Roger Gouhier, Mme Marie-Thérèse Goutmann, MM Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mme Adrienne Horvath, MM Marcel Houël, Parfait Jans, Jeans Jarosz, Emile Jourdan, Jacques Jouve, Pierre Juquin, Maxime Kalinsky, André Lajoinie, Paul Laurent, Georges Lazzarino, Mme Chantal Leblanc, MM Joseph Legrand, Alain Léger, François Leizour, Daniel Le Meur, Roland Leroy, Raymond Maillet, Louis Maisonnat, Georges Marchais, Fernand Marin, Albert Maton, Gilbert Millet, Robert Montdargent, Mme Gisèle Moreau, MM Maurice Nilès, Louis Odru, Antoine Porcu, Vincent Porelli, Mmes Jeanine Porte, Colette Privat, MM Jack Ralite, Roland Renard, René Rieubon, Marcel Rigout, Emile Roger, Hubert Ruffe, André Soury, Marcel Tassy, André Tourné, Théo Vial-Massat, Lucien Villa, René Visse, Robert Vizet, Claude Wargnies, Pierre Zarka, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa second, de la Constitution, du texte de la même loi et, notamment, de ses articles 3 et 6 ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport ;
Sur le grief tiré de ce que la loi soumise au Conseil constitutionnel serait contraire au droit d'asile reconnu par le préambule de la Constitution de 1946, repris par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 :
1. Considérant que cette loi n'apporte aucune modification aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour en France des étrangers, lesquelles réservent expressément l'application des conventions internationales ; que, parmi ces conventions, figure notamment la convention de Genève du 28 juillet 1961 sur le statut des réfugiés ; qu'il ne saurait, dans ces conditions, résulter de la loi dont il s'agit aucune atteinte au droit d'asile ;
Sur le grief tiré de ce que la loi créerait des mesures d'internement arbitraire en méconnaissance de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 66 de la Constitution :
2. Considérant que la loi, dans son article 3, dispose que : « l'étranger qui n'est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l'autorisation d'entrer sur le territoire français peut, s'il y a nécessité, être maintenu par décision écrite motivée dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ » ; qu'aux termes du sixième alinéa de l'article 23 de la même ordonnance, tel qu'il résulte de l'article 6 de la loi : « la personne expulsée en application des 1 à 4 ci-dessus peut, s'il y a nécessité, être détenue jusqu'à l'exécution effective de l'expulsion dans les conditions prévues à l'article 120 du code pénal » ;
3. Considérant que ces mesures, qui ne peuvent être prises, comme il vient d'être dit, qu'en cas de nécessité, sont prononcées initialement par l'autorité administrative, mais ne peuvent être prolongées qu'en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance ou du magistrat délégué par lui ; que l'intéressé peut, dès le début de l'application de ces mesures, demander l'assistance d'un interprète, d'un médecin et d'un conseil ; qu'ainsi l'intervention du juge, statuant, dans l'un comme dans l'autre cas, sous le contrôle de la Cour de cassation et devant lequel l'intéressé est à même de présenter ses moyens de défense, est de nature à éviter que l'un ou l'autre de ces régimes ne présente le caractère d'un internement arbitraire ; qu'au surplus la loi ne fait pas obstacle à ce que, dans le cas où la situation dans laquelle est placé l'étranger se poursuivrait sans nécessité, l'intéressé fasse constater par la juridiction pénale le caractère arbitraire de la privation de liberté dont il est l'objet ;
4. Considérant, toutefois, que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que, s'il en est ainsi dans le cas prévu à l'article 3 de la loi qui subordonne à la décision du juge le maintien, au-delà de quarante-huit heures, de l'intéressé dans les locaux où il est retenu, il n'en va pas de même dans le cas prévu à l'article 6 de la loi dès lors que, dans cette dernière éventualité, l'intervention du juge n'est déclarée nécessaire que pour prolonger, au-delà de sept jours, le régime de détention auquel l'étranger est soumis ; qu'ainsi, du fait qu'il prévoit que la personne expulsée, en application des dispositions du 1 au 4 dudit article 23, peut être maintenue en détention pendant sept jours sans qu'un juge ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l'intéressé, le sixième alinéa de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, tel qu'il résulte de l'article 6 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, n'est pas conforme à la constitution ;
5. Considérant enfin que, sauf le cas indiqué ci-dessus, les mesures d'exécution forcée prévues par la loi, qui ne peuvent être mises en oeuvre qu'en cas de nécessité, ne sont pas contraires à la Constitution ;
Sur le grief tiré de ce qu'en prenant des mesures fondées sur des faits constitutifs de délits l'autorité administrative se substituerait à l'autorité judiciaire :
6. Considérant que les mesures d'expulsion sont des mesures de police auxquelles sont assignés des objectifs différents de ceux de la répression pénale ; qu'aucune disposition de la Constitution, non plus qu'aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la loi confère à l'autorité administrative le pouvoir de prendre un arrêté d'expulsion fondé sur des faits de nature à justifier une condamnation pénale, alors même qu'aucune condamnation définitive n'aurait été prononcée par l'autorité judiciaire ;
Sur le grief tiré de la rétroactivité :
7. Considérant que les dispositions des articles 4 et 9 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, qui se bornent à assurer un avantage nouveau ou une garantie particulière de procédure à certaines catégories d'étrangers, ne sont pas relatives à des mesures pénales et ne contreviennent donc pas à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions du sixième alinéa du nouvel article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, tel qu'il résulte de l'article 6 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel.
ART 2 : Sont déclarées non contraires à la Constitution les autres dispositions de la loi relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national d'immigration.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 11 janvier 1980, page 84
Recueil, p. 29
ECLI : FR : CC : 1980 : 79.109.DC
Les abstracts
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
- 1.2.9. Article 8
1.2.9.4. Non-rétroactivité des peines et des sanctions ayant le caractère d'une punition
- 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
- 1.3. PRINCIPES AFFIRMÉS PAR LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION DE 1946
1.3.5. Alinéa 4 - Droit d'asile
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.12. DROIT DES ÉTRANGERS ET DROIT D'ASILE
- 4.12.4. Droit d'asile
- 4.12.4.2. Mise en œuvre
- 4.12.4.2.1. Application des conventions internationales
4.12.4.2.1.1. Convention de Genève du 28 juillet 1961 sur le statut des réfugiés
La loi relative à la prévention de l'immigration clandestine n'apporte aucune modification aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour en France des étrangers, lesquelles réservent expressément l'application des conventions internationales ; parmi ces conventions figure notamment la convention de Genève du 28 juillet 1961 sur le statut des réfugiés ; il ne saurait, dans ces conditions, résulter de la loi, aucune atteinte au droit d'asile.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.12. DROIT DES ÉTRANGERS ET DROIT D'ASILE
- 4.12.6. Mesures privatives
- 4.12.6.3. Rétention administrative
4.12.6.3.2. Procédure et voie de recours
Article 3 de la loi qui dispose que : " l'étranger qui n'est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l'autorisation d'entrer sur le territoire français peut, s'il y a nécessité, être maintenu par décision écrite motivée dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ " et article 6 de la même loi qui dispose que : " la personne expulsée en application des 1° à 4° ci-dessus, peut, s'il y a nécessité, être détenue jusqu'à l'exécution effective de l'expulsion dans les conditions prévues par l'article 120 du code pénal " ; ces mesures, qui ne peuvent être prises qu'en cas de nécessité, sont prononcées initialement par l'autorité administrative, mais ne peuvent être prolongées qu'en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de Grande instance ou du magistrat délégué par lui ; l'intéressé peut, dès le début de l'application de ces mesures, demander l'assistance d'un interprète, d'un médecin et d'un conseil ; ainsi l'intervention du juge statuant sous le contrôle de la Cour de cassation et devant lequel l'intéressé est à même de présenter ses moyens de défense, est de nature à éviter que l'un ou l'autre de ces régimes ne présente le caractère d'un internement arbitraire ; au surplus dans le cas où la situation se poursuivrait sans nécessité, la loi ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé fasse constater par la juridiction pénale le caractère arbitraire de la privation de liberté. Toutefois la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; s'il en est ainsi dans le cas prévu par l'article 3 de la loi qui subordonne à la décision du juge le maintien, au-delà de quarante-huit heures, de l'intéressé dans les locaux où il est retenu, il n'en va pas de même dans le cas prévu à l'article 6 de la loi dès lors que, dans cette dernière éventualité, l'intervention du juge n'est déclarée nécessaire que pour prolonger au-delà de sept jours, le régime de détention auquel l'étranger est soumis ; sauf dans ce cas, les mesures d'exécution forcée prévues par la loi, qui ne peuvent être mises en œuvre qu'en cas de nécessité, ne sont pas contraires à la Constitution.