Décision

Décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973

Loi de finances pour 1974
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 20 décembre 1973 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, du texte de la loi de finances pour 1974, adoptée par le Parlement ;

Vu la lettre du Premier Ministre, en date du 21 décembre 1973, demandant au Conseil constitutionnel de statuer selon la procédure d'urgence prévue à l'article 61, alinéa 3, de la Constitution ;

Vu la Constitution, notamment son préambule et ses articles 61 et 62 ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et, notamment, son article 42 ;

Vu le code général des impôts et, notamment, son article 180 ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que les dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 1974 tendent à ajouter à l'article 180 du code général des impôts des dispositions qui ont pour objet de permettre au contribuable, taxé d'office à l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues audit article, d'obtenir la décharge de la cotisation qui lui est assignée à ce titre s'il établit, sous le contrôle du juge de l'impôt, que les circonstances ne peuvent laisser présumer « l'existence de ressources illégales ou occultes ou de comportement tendant à éluder le paiement normal de l'impôt » ;

2. Considérant, toutefois, que la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office de l'administration les concernant ; qu'ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution ;

3. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conforme à la Constitution la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974 ;

4. Considérant que cette disposition, qui se présente comme une exception à une faculté ouverte par le législateur d'écarter, au moyen d'une preuve contraire, l'application d'une taxation d'office, constitue donc un élément inséparable des autres dispositions contenues dans l'article 62 de la loi de finances ; que, dès lors, c'est l'ensemble dudit article qui doit être regardé comme contraire à la Constitution ;

5. Considérant, au surplus, que l'article 62 de la loi de finances a été introduit dans ce texte sous forme d'article additionnel en méconnaissance évidente des prescriptions de l'article 42, premier alinéa, de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, aux termes duquel : « Aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s'il tend à supprimer ou à réduire une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques » ;

6. Considérant qu'en l'état il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen par le Président du Sénat ;

Décide :

Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 1974.

Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004
Recueil, p. 25
ECLI : FR : CC : 1973 : 73.51.DC

Les abstracts

  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
  • 1.2.1. Admission de la valeur constitutionnelle de la Déclaration de 1789

Première application en 1973.

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 2, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)
  • 1. NORMES CONSTITUTIONNELLES
  • 1.2. DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789
  • 1.2.7. Article 6
  • 1.2.7.2. Égalité devant la loi

Reconnaissance de sa valeur constitutionnelle sur le fondement de la Déclaration de 1789.

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 2, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.2. ÉGALITÉ DEVANT LA JUSTICE
  • 5.2.2. Égalité et droits - Garanties des justiciables
  • 5.2.2.2. Égalité et règles de procédure
  • 5.2.2.2.6. Procédures d'imposition
  • 5.2.2.2.6.4. Taxation d'office

Les dispositions de l'article 62 de la loi de finances pour 1974 tendent à ajouter à l'article 180 du code général des impôts des dispositions qui ont pour objet de permettre au contribuable, taxé d'office à l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues audit article, d'obtenir la décharge de la cotisation qui lui est assignée à ce titre s'il établit, sous le contrôle du juge de l'impôt, que les circonstances ne peuvent laisser présumer l'existence de ressources illégales ou occultes ou de comportement tendant à éluder le paiement normal de l'impôt. Toutefois, la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office de l'administration les concernant. Ainsi, ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration de 1789 et solennellement réaffirmé par le Préambule de la Constitution.

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 1, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)

Est contraire au principe d'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration de 1789, une disposition qui ouvre un recours au profit des seuls contribuables taxés d'office à l'impôt sur le revenu dont les bases d'imposition n'excèdent pas un maximum déterminé.

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 2, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.5. GRIEFS (contrôle a priori des lois - article 61 de la Constitution)
  • 11.5.1. Griefs irrecevables
  • 11.5.1.2. Irrecevabilité tirée de l'article 42 de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959
  • 11.5.1.2.1. Jurisprudence initiale : grief d'ordre public

L'article 62 de la loi de finances a été introduit à l'article 180 du code général des impôts sous forme d'article additionnel en méconnaissance évidente des prescriptions de l'article 42, premier alinéa, de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, aux termes duquel : " Aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être présenté, sauf s'il tend à supprimer ou à réduire une dépense, à créer ou à accroître une recette ou à assurer le contrôle des dépenses publiques ".

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 5, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.4. Caractère séparable ou non des dispositions déclarées inconstitutionnelles
  • 11.8.4.3. Inséparabilité des dispositions non conformes à la Constitution et de tout ou partie du reste de la loi
  • 11.8.4.3.3. Inséparabilité au sein d'un même article (exemples)
  • 11.8.4.3.3.1. Cas d'inséparabilité

L'exclusion de certains contribuables, en fonction du montant de leurs bases d'imposition, de la possibilité de recours contre une taxation d'office se présente comme une exception à la faculté d'écarter, au moyen de la preuve contraire, l'application d'une taxation d'office. Elle constitue donc un élément inséparable des autres dispositions de l'article de la loi.

(73-51 DC, 27 décembre 1973, cons. 4, Journal officiel du 28 décembre 1973, page 14004)
À voir aussi sur le site : Saisine par Président du Sénat, Références doctrinales.
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