Décision n° 61-3 FNR du 8 septembre 1961
Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 5 septembre 1961 par le Président du Sénat, dans les conditions prévues à l'article 41 de la Constitution, de la proposition de loi déposée par M René Blondelle, sénateur, et plusieurs de ses collègues, tendant à déterminer les conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectif de certains produits agricoles, à laquelle le Premier Ministre a opposé l'irrecevabilité visée audit article ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37, 41 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 27, 28 et 29 ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi d'orientation agricole en date du 5 août 1960 ;
1. Considérant que la proposition de loi susvisée, soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, tend à instituer, pour l'application de certaines des dispositions de la loi d'orientation agricole en date du 5 août 1960, des modalités de fixation des prix d'un certain nombre de produits agricoles ; qu'elle fixe le champ d'application de la taxation, dans le temps et par produit (art 1er, 2, 4 al 2, et 8), les règles de procédure applicables pour la fixation des prix (art 3, 4 al 1 et 3, et 5 al 2 et 3) et prévoit la garantie de ces prix par l'Etat ainsi que l'obligation à lui faite de mettre en oeuvre diverses mesures destinées à assurer le soutien des cours (art 5 al 1, et 7) ;
2. Considérant que l'ensemble de ces dispositions constitue une intervention du législateur dans une matière qui n'est pas au nombre de celles réservées à sa compétence par l'article 34 de la Constitution ;
3. Considérant en effet que, si l'article 34 réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles, ceux de ces principes qui sont ici en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers ; que, s'agissant de la matière des prix, la portée des principes sus-rappelés doit s'analyser compte tenu du pouvoir très général d'établissement des prix reconnu au Gouvernement depuis l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que c'est dans le cadre de cette compétence réglementaire, consacrée par la loi du 17 août 1948, qu'un décret du 18 septembre 1957 avait déjà institué un régime des prix d'objectifs agricoles qui a subi depuis diverses modifications et auquel les dispositions de la proposition de loi présentement examinée ne feraient qu'apporter de nouveaux aménagements ;
4. Considérant en outre que le fait que les dispositions de certains des articles de ladite proposition pourraient comporter une aggravation des charges publiques ne les exclut pas de la compétence du pouvoir réglementaire, à la condition que lesdites charges soient au préalable évaluées et autorisées dans les conditions fixées par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
5. Considérant enfin que, si l'article 31 de la loi d'orientation agricole dispose, dans son second alinéa, que « dans le cas où la politique agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d'exécution suffisant, le Gouvernement déposera un projet de loi déterminant les conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs », cette disposition, dont le Conseil constitutionnel n'a pas eu, avant sa promulgation, à apprécier la conformité à la Constitution, ne saurait prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix ;
Décide :
Article premier :
La proposition déposée par M René Blondelle, sénateur, et plusieurs de ses collègues, tendant à déterminer les conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs de certains produits agricoles, n'entre pas dans le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée au Président du Sénat et au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 9 septembre 1961, page 8427
Recueil, p. 48
ECLI : FR : CC : 1961 : 61.3.FNR
Les abstracts
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.6. CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DES ARTICLES 37, ALINÉA 2 ET 41 DE LA CONSTITUTION
- 3.6.4. Article 41 alinéa 2 (irrecevabilité)
- 3.6.4.3. Délimitation domaine loi / Règlement
- 3.6.4.3.2. Domaine du règlement
3.6.4.3.2.1. Application des règles antérieures
Si l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles, ceux des principes en cause, à savoir la libre disposition de son bien pour tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers. S'agissant de la matière des prix, la portée des principes susrappelés doit s'analyser compte tenu du pouvoir très général d'établissement des prix reconnu au Gouvernement depuis l'ordonnance du 30 juin 1945. C'est dans le cadre de cette compétence réglementaire, consacrée par la loi du 17 août 1948, qu'un décret du 18 septembre 1957 avait déjà institué un régime des prix d'objectifs agricoles qui a subi depuis diverses modifications et auquel les dispositions de la proposition de loi présentement examinée ne feraient qu'apporter de nouveaux aménagements. Le fait que les dispositions de certains des articles de ladite proposition pourraient comporter une aggravation des charges publiques ne les exclut pas de la compétence du pouvoir réglementaire, à la condition que lesdites charges soient au préalable évaluées et autorisées dans les conditions fixées par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Si l'article 31 de la loi d'orientation agricole dispose, dans son second alinéa, que "dans le cas où la politique agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d'exécution suffisant, le Gouvernement déposera un projet de loi déterminant les conditions suivant lesquelles seront fixés par décret les prochains prix d'objectifs", cette disposition, dont le Conseil constitutionnel n'a pas eu, avant sa promulgation, à apprécier la conformité à la Constitution, ne saurait prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.6. CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DES ARTICLES 37, ALINÉA 2 ET 41 DE LA CONSTITUTION
- 3.6.4. Article 41 alinéa 2 (irrecevabilité)
3.6.4.4. Limites du contrôle du Conseil constitutionnel
Cette disposition, dont le Conseil constitutionnel n'a pas eu, avant sa promulgation, à apprécier la conformité à la Constitution, ne saurait prévaloir sur celles des articles 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.7. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES PAR MATIÈRES
- 3.7.14. Régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales
- 3.7.14.1. Principes fondamentaux du régime de la propriété
3.7.14.1.13. Prix
Si l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles, ceux des principes en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure à la Constitution en vue de permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers. S'agissant de la matière des prix, la portée des principes susrappelés doit s'analyser compte tenu du pouvoir très général d'établissement des prix reconnu au Gouvernement depuis l'ordonnance de 1945. C'est dans le cadre de cette compétence réglementaire, consacrée par la loi du 17 août 1948, qu'un décret du 18 septembre 1957 avait déjà institué un régime des prix d'objectifs agricoles auquel les dispositions de la proposition de loi examinée ne feraient qu'apporter de nouveaux aménagements. Le fait que certains des articles de la proposition pourraient comporter une aggravation des charges publiques ne les exclut pas de la compétence du pouvoir réglementaire, à la condition que lesdites charges soient au préalable évaluées et autorisées dans les conditions fixées par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Si l'article 31 de la loi d'orientation agricole dispose que "dans le cas où la politique agricole commune n'aurait pas reçu au 1er juillet 1961 un commencement d'exécution suffisant", cette disposition, dont le Conseil constitutionnel n'a pas eu, avant sa promulgation, l'occasion d'apprécier la conformité à la Constitution, ne saurait prévaloir sur celles des article 34 et 37 de la Constitution et fournir un fondement suffisant à la compétence du législateur en matière de prix.