Décision n° 59-1 FNR du 27 novembre 1959
Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 19 novembre 1959 par le Président du Sénat, dans les conditions prévues à l'article 41 de la Constitution, de la proposition de loi déposée par MM Bajeux et Boulanger, sénateurs, tendant à la stabilisation des fermages, à laquelle le Premier Ministre a opposé l'irrecevabilité visée audit article ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 34, 37, 41 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 27, 28, 29 ;
Vu le Code civil ;
Vu le Code rural, et notamment son article 812 ;
Vu le décret du 7 janvier 1959 ;
1. Considérant que les dispositions de l'article 34, 4 ° alinéa, de la Constitution réservent à la loi la détermination des principes fondamentaux concernant les matières énumérées par ce texte, qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions et du rapprochement qui doit en être fait avec ceux des alinéas 2 et 3 du même article que la Constitution n'a pas inclus dans le domaine de la loi la fixation des règles nécessaires à la mise en oeuvre de ces principes fondamentaux dans les matières dont il s'agit, qu'en vertu des dispositions de l'article 37 il appartient à la seule autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter ces règles dans le respect desdits principes fondamentaux ;
2. Considérant que le décret du 7 janvier 1959 relatif au prix des baux à ferme, que la proposition dont la recevabilité est présentement en discussion tend à abroger par le motif qu'il excéderait la compétence réglementaire, a eu essentiellement pour objet, lorsque le montant du fermage, stipulé payable en argent, est fixé en totalité par référence à la valeur du blé, d'ouvrir à l'une ou l'autre des parties la faculté de demander, à l'expiration de chacune des deux premières périodes triennales du bail, la substitution partielle à la valeur du blé de la valeur d'une ou de plusieurs des autres denrées mentionnées à l'alinéa 1er de l'article 812 du Code rural ;
3. Considérant que pour s'opposer à l'irrecevabilité de ladite proposition de loi soulevée par le Premier Ministre excipant de la seule compétence du pouvoir réglementaire en matière de prix des baux à ferme, le Président du Sénat invoque les atteintes qui seraient portées par le décret du 7 janvier 1959 aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles ;
4. Considérant que ceux de ces principes qui sont ici en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers ;
5. Considérant que, s'agissant plus spécialement de la matière des baux à ferme, les pouvoirs publics ont pu ainsi, sans mettre en cause l'existence des principes susrappelés, limiter le champ de la libre expression des volontés des bailleurs et des preneurs en imposant certaines conditions d'exécution de leurs conventions, notamment en ce qui concerne les modalités de calcul et de révision du montant des fermages ; Que les dispositions du décret du 7 janvier 1959, qui se bornent à modifier ces prescriptions statutaires antérieures, ne sauraient, dès lors, être regardées comme comportant une altération des principes fondamentaux applicables en la matière ; Qu'il suit de là que ces dispositions ont un caractère réglementaire et que le Premier Ministre a pu, à bon droit, opposer à la proposition de loi susvisée qui tend à leur abrogation l'irrecevabilité prévue par l'article 41 de la Constitution ;
Décide :
Article premier :
La proposition déposée par MM Bajeux et Boulanger, sénateurs, tendant à la stabilisation des fermages n'entre pas dans le domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée au Président du Sénat et au Premier Ministre et publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 14 janvier 1960, page 441
Recueil, p. 71
ECLI : FR : CC : 1959 : 59.1.FNR
Les abstracts
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.6. CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DES ARTICLES 37, ALINÉA 2 ET 41 DE LA CONSTITUTION
- 3.6.4. Article 41 alinéa 2 (irrecevabilité)
3.6.4.3. Délimitation domaine loi / Règlement
La Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux dans les matières énumérées au quatrième alinéa de l'article 34. Il appartient au pouvoir réglementaire de fixer les règles nécessaires à la mise en œuvre de ces principes fondamentaux, dans le respect de ces principes.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.6. CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DES ARTICLES 37, ALINÉA 2 ET 41 DE LA CONSTITUTION
- 3.6.4. Article 41 alinéa 2 (irrecevabilité)
- 3.6.4.3. Délimitation domaine loi / Règlement
3.6.4.3.2. Domaine du règlement
Ceux des principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles qui sont en cause, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers. S'agissant plus spécialement de la matière des baux à ferme, les pouvoirs publics ont pu ainsi, sans mettre en cause l'existence des principes susrappelés, limiter le champ de la libre expression des volontés des bailleurs et des preneurs en imposant certaines conditions d'exécution de leurs conventions, notamment en ce qui concerne les modalités de calcul et de révision du montant des fermages. Les dispositions du décret du 7 janvier 1959, qui se bornent à modifier ces prescriptions statutaires antérieures, ne sauraient, dès lors, être regardées comme comportant une altération des principes fondamentaux applicables en la matière. Il suit de là que ces dispositions ont un caractère réglementaire et que le Premier ministre a pu, à bon droit, opposer à la proposition de loi qui tend à leur abrogation l'irrecevabilité prévue par l'article 41 de la Constitution.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.6. CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DES ARTICLES 37, ALINÉA 2 ET 41 DE LA CONSTITUTION
- 3.6.4. Article 41 alinéa 2 (irrecevabilité)
- 3.6.4.3. Délimitation domaine loi / Règlement
- 3.6.4.3.2. Domaine du règlement
3.6.4.3.2.1. Application des règles antérieures
Les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles qui sont en cause en matière de fixation du prix des baux à ferme, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers spécialement dans la matière des baux à ferme, les pouvoirs publics ont pu ainsi, sans mettre en cause l'existence des principes sus-rappelés, limiter le champ de la libre expression des volontés des bailleurs et des preneurs en imposant certaines conditions d'exécution de leurs conventions, notamment en ce qui concerne les modalités de calcul et de révision du montant des fermages. En conséquence, les dispositions du décret du 7 janvier 1959, qui se bornent à modifier ces prescriptions statutaires antérieures, ne sauraient être regardées comme comportant une altération des principes fondamentaux applicables en la matière.
- 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
- 3.7. RÉPARTITION DES COMPÉTENCES PAR MATIÈRES
- 3.7.14. Régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales
- 3.7.14.1. Principes fondamentaux du régime de la propriété
3.7.14.1.4. Baux à ferme
Les principes fondamentaux du régime de la propriété et des obligations civiles qui sont en cause en matière de fixation du prix des baux à ferme, à savoir la libre disposition de son bien par tout propriétaire, l'autonomie de la volonté des contractants et l'immutabilité des conventions, doivent être appréciés dans le cadre des limitations de portée générale qui y ont été introduites par la législation antérieure pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations contractuelles entre particuliers. Spécialement dans la matière des baux à ferme, les pouvoirs publics ont pu ainsi, sans mettre en cause l'existence des principes susrappelés, limiter le champ de la libre expression des volontés des bailleurs et des preneurs en imposant certaines conditions d'exécution de leurs conventions, notamment en ce qui concerne les modalités de calcul et de révision du montant des fermages. En conséquence, les dispositions du décret du 7 janvier 1959, qui se bornent à modifier ces prescriptions statutaires antérieures, ne sauraient être regardées comme comportant une altération des principes fondamentaux applicables en la matière.