Décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel juge contraire à la Constitution l’article 1er de la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers
Par sa décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel s’est prononcé, en application du quatrième alinéa de l’article 11 et du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution, sur la proposition de loi visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, dont il avait été saisi le 14 mars 2024 et qui avait été signée par 190 députés et sénateurs.
* Cette proposition de loi est la sixième à avoir été soumise au Conseil constitutionnel et à avoir atteint ce premier stade de la procédure dite du « référendum d’initiative partagée », instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cette procédure est régie par les troisième à sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution et précisée par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution.
Ainsi que le Conseil constitutionnel l’avait jugé par la décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 relative à cette loi organique, le constituant a entendu, par cette procédure, rendre possible, à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, l’organisation d’un référendum sur une proposition de loi déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et soutenue par un dixième des électeurs. Il a ainsi réservé aux membres du Parlement le pouvoir d’initiative d’une telle proposition de loi et reconnu à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales le droit d’apporter ensuite leur soutien à cette proposition.
Dans le cas où cette proposition de loi recueille le soutien d’un dixième de ces électeurs, le constituant a entendu que le Président de la République soumette au référendum la proposition de loi si elle n’a pas été examinée par l’Assemblée nationale et le Sénat dans un délai fixé à six mois par la loi organique.
Enfin, le constituant a entendu, d’une part, que le Conseil constitutionnel contrôle la conformité à la Constitution de la proposition de loi et, d’autre part, qu’il veille au respect des conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution pour l’organisation d’un tel référendum.
Il appartenait ainsi au Conseil constitutionnel, suivant les termes de l’article 45-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de vérifier, en premier lieu, que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, en deuxième lieu, que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution et, en dernier lieu, qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution.
* Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a vérifié le respect de ces exigences constitutionnelles et organiques.
En premier lieu, il a constaté que la proposition de loi a été présentée par plus d’un cinquième des membres du Parlement à la date d’enregistrement de la saisine du Conseil constitutionnel.
En deuxième lieu, il a jugé que, au regard des modifications que cette proposition de loi apporte à certains dispositifs de prestations sociales, d’aide à la mobilité et d’hébergement susceptibles de bénéficier à des étrangers, elle porte, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale de la nation.
Par ailleurs, il a constaté que, à la date d’enregistrement de la saisine, cette proposition de loi n’avait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an et qu’aucune proposition de loi portant sur le même sujet n’avait été soumise au référendum depuis deux ans.
En dernier lieu, le Conseil constitutionnel a vérifié le respect de la condition tenant à la conformité à la Constitution des dispositions de la proposition de loi.
Il rappelle que les exigences constitutionnelles résultant des dispositions des dixième et onzièmes alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées.
Si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Ils doivent cependant être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. En outre, les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français.
Si les exigences constitutionnelles précitées ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, cette durée ne saurait être telle qu’elle prive de garanties légales ces exigences.
C’est à cette aune que le Conseil constitutionnel a contrôlé l’article 1er de la proposition de loi. Modifiant plusieurs dispositions du code de la construction et de l’habitation, du code de la sécurité sociale et du code de l’action sociale et des familles, cet article prévoit que les étrangers en situation régulière non ressortissants de l’Union européenne ne bénéficient du droit au logement, de l’aide personnelle au logement, des prestations familiales et de l’allocation personnalisée d’autonomie que s’ils justifient d’une durée minimale de résidence stable et régulière en France ou d’affiliation à un régime obligatoire de sécurité sociale au titre d’une activité professionnelle en France.
Le Conseil constitutionnel juge que, en subordonnant le bénéfice de prestations sociales, dont certaines sont au demeurant susceptibles de présenter un caractère contributif, pour l’étranger en situation régulière non ressortissant de l’Union européenne, à une condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’affiliation au titre d’une activité professionnelle d’une durée d’au moins trente mois, les dispositions de l’article 1er portent une atteinte disproportionnée à ces exigences. Elles sont donc contraires à la Constitution.
Par conséquent, conformément à sa jurisprudence, le Conseil juge, sans qu’il n’ait à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses autres dispositions, que la proposition de loi ne remplit pas la condition prévue au 3 ° de l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.