Communiqué

Décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023 - Communiqué de presse

Loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions
Non conformité partielle - réserve

Saisi de la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, le Conseil constitutionnel assortit de plusieurs réserves d’interprétation la déclaration de conformité des articles permettant le recours à des analyses génétiques dans le cadre des contrôles antidopage et le traitement algorithmique des images collectées au moyen de la vidéoprotection ou de drones.

Par sa décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.

  • Était notamment contesté l’article 5 de cette loi visant à permettre au laboratoire accrédité par l’Agence mondiale antidopage en France de procéder, dans certains cas, à la comparaison d’empreintes génétiques et à l’examen des caractéristiques génétiques d’un sportif.

Les dispositions contestées prévoient que, dans certains cas, un laboratoire accrédité par l’Agence française de lutte contre le dopage peut procéder, à partir des prélèvements sanguins ou urinaires qui lui sont transmis, à la comparaison d’empreintes génétiques et à l’examen de caractéristiques génétiques sur tout sportif au sens de l’article L. 230-3 du code du sport, c’est-à-dire toute personne qui participe ou se prépare à une manifestation sportive.

Les députés requérants reprochaient à ces dispositions d’autoriser, de manière pérenne, la réalisation d’analyses génétiques sans prévoir que le consentement du sportif contrôlé soit préalablement recueilli. Ils dénonçaient également l’absence de nécessité de l’une des finalités de ces analyses, consistant à rechercher une manipulation génétique pouvant modifier les caractéristiques somatiques aux fins d’augmentation de la performance. Il en résultait selon eux une méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté individuelle.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. En des termes inédits, il juge que ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans l’analyse et le traitement des données génétiques d’une personne.

À cette aune, il relève en premier lieu que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu renforcer les moyens de prévenir et de rechercher les manquements aux règles relatives à la lutte contre le dopage, qui tendent à assurer la protection de la santé des sportifs ainsi que la loyauté des compétitions. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de sauvegarde de l’ordre public.

En deuxième lieu, le laboratoire accrédité ne peut procéder à la comparaison d’empreintes génétiques et à l’examen de caractéristiques génétiques qu’aux seules fins de mettre en évidence la présence dans l’échantillon prélevé sur un sportif d’une substance interdite et l’usage par ce dernier d’une substance ou d’une méthode interdites.

D’une part, ces analyses génétiques ne peuvent être mises en œuvre que pour la recherche d’une administration de sang homologue, d’une substitution d’échantillons prélevés, d’une mutation génétique dans un ou plusieurs gènes impliqués dans la performance induisant une production endogène d’une substance interdite, ou d’une manipulation génétique pouvant modifier les caractéristiques somatiques aux fins d’augmentation de la performance. À cet égard, le Conseil constitutionnel relève qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques scientifiques, les dispositions ainsi prises par le législateur dès lors que les choix qu’il a opérés ne sont pas manifestement inappropriés à l’objectif visé.

D’autre part, il ne peut être procédé à ces analyses génétiques que dans l’hypothèse où les autres techniques disponibles ne permettent pas de détecter une substance ou une méthode interdites.

En troisième lieu, d’une part, les analyses génétiques sont effectuées sur des échantillons pseudonymisés et portent sur les seules parties du génome pertinentes. Les données analysées ne peuvent conduire à révéler l’identité des sportifs ni servir à leur profilage ou à leur sélection à partir d’une caractéristique génétique donnée. Ces analyses sont réalisées à partir de segments d’acide désoxyribonucléique non codants ou, si elles nécessitent l’examen de caractéristiques génétiques, ne peuvent conduire à donner d’autres informations que celles recherchées ni permettre d’avoir une connaissance de l’ensemble des caractéristiques génétiques de la personne. D’autre part, le traitement des données issues de ces analyses est strictement limité aux données nécessaires à la recherche des cas précités. En outre, les données génétiques analysées sont détruites sans délai lorsqu’elles ne révèlent la présence d’aucune substance ou l’utilisation d’aucune méthode interdites ou, dans le cas contraire, au terme des poursuites disciplinaires ou pénales engagées.

En dernier lieu, ces dispositions prévoient que ces analyses génétiques ne peuvent être mises en œuvre que si la personne contrôlée a été expressément informée, préalablement au prélèvement, et en particulier au moment de son inscription à chaque compétition sportive, de la possibilité que les échantillons prélevés fassent l’objet de telles analyses, dont la nature et les finalités lui sont alors précisées. La personne doit alors également être informée de l’éventualité d’une découverte incidente de caractéristiques génétiques pouvant être responsables d’une affection justifiant des mesures de prévention ou de soins pour elle-même ou au bénéfice de membres de sa famille potentiellement concernés et de ses conséquences, ainsi que de la possibilité de s’opposer à ce qu’une telle découverte lui soit révélée.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartiendra aux autorités administratives compétentes de s’assurer, sous le contrôle du juge, que les conditions dans lesquelles cette information est délivrée au sportif sont de nature à garantir que, en décidant de prendre part à la compétition, il consent également à ce que les échantillons prélevés puissent faire l’objet d’analyses génétiques.

Sous cette réserve et en l’état des connaissances et techniques scientifiques, le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée.

  • Était également contesté l’article 10 de la loi prévoyant, à titre expérimental, que les images collectées au moyen d’un système de vidéoprotection ou de caméras installées sur des aéronefs peuvent faire l’objet de traitements algorithmiques afin de détecter et signaler certains événements.

Les dispositions contestées prévoient plus précisément que les images collectées dans les lieux accueillant certaines manifestations et à leurs abords ainsi que dans les véhicules et les emprises de transport public et sur les voies les desservant peuvent faire l’objet de traitements algorithmiques ayant pour objet de détecter en temps réel et signaler certains événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes.

Il était reproché à ces dispositions par les députés requérants, notamment, de méconnaître la liberté d’aller et de venir, le droit de manifester, la liberté d’opinion ainsi que le droit au respect de la vie privée. Au soutien de ces griefs, ils estimaient que le recours à des traitements algorithmiques n’était pas entouré de garanties suffisantes. En particulier, ils faisaient valoir que le champ d’application de ces dispositions, qui ne se limite pas aux manifestations liées aux jeux olympiques et paralympiques, était trop large et que la détection de certains événements conduirait nécessairement au traitement de données biométriques alors même que la loi l’interdit.

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il lui incombe également d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789.

En des termes inédits, il juge ensuite que, pour répondre à l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, le législateur peut autoriser le traitement algorithmique des images collectées au moyen d’un système de vidéoprotection ou de caméras installées sur des aéronefs. Si un tel traitement n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions dans lesquelles ces images sont collectées, il procède toutefois à une analyse systématique et automatisée de ces images de nature à augmenter considérablement le nombre et la précision des informations qui peuvent en être extraites. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée.

Dans le cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public.

En deuxième lieu, les dispositions contestées prévoient que les traitements algorithmiques des images ainsi collectées ne peuvent être mis en œuvre qu’afin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l’ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes. Elles réservent ainsi l’usage de tels traitements à des manifestations présentant des risques particuliers d’atteintes graves à l’ordre public et en excluent la mise en œuvre en cas de seuls risques d’atteintes aux biens.

En troisième lieu, d’une part, l’emploi d’un traitement algorithmique ne peut être autorisé par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police, que s’il est proportionné à la finalité poursuivie. À cet égard, la décision du préfet doit être motivée et préciser notamment le responsable du traitement, la manifestation concernée, les motifs de la mise en œuvre du traitement, le périmètre géographique concerné ainsi que la durée de l’autorisation. Elle peut faire l’objet de recours devant le juge administratif, notamment devant le juge des référés qui peut suspendre l’exécution de la mesure ou ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale.

D’autre part, la durée de l’autorisation, qui doit en tout état de cause être proportionnée à celle de la manifestation dont il s’agit d’assurer la sécurité, ne peut excéder un mois et ne peut être renouvelée que si les conditions de sa délivrance continuent d’être réunies.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge, à ce titre, que si les dispositions contestées prévoient que le préfet ayant autorisé la mesure « peut suspendre l’autorisation ou y mettre fin à tout moment s’il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies », elles ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées autrement que comme obligeant le préfet à mettre fin immédiatement à une autorisation dont les conditions ayant justifié la délivrance ne sont plus réunies.

En outre, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis, le public est préalablement informé, par tout moyen approprié, de l’emploi de traitements algorithmiques sur les images collectées. Par ailleurs, une information générale du public sur l’emploi de traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs est organisée par le ministre de l’intérieur.

En quatrième lieu, d’une part, le législateur a prévu que les traitements algorithmiques mis en œuvre ne peuvent avoir pour objet que de détecter des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes. Sur ce point, le Conseil juge que législateur a pu, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer à un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés le soin d’indiquer les événements prédéterminés qui sont susceptibles de présenter ou de révéler de tels risques et les spécificités des situations justifiant l’emploi des traitements. Il appartient à cet égard au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, de s’assurer que ces événements sont de nature, au sein des manifestations dans lesquelles ils se produisent, à présenter ou à révéler de tels risques.

D’autre part, les dispositions contestées prévoient que les traitements algorithmiques ne mettent en œuvre aucune technique de reconnaissance faciale, n’utilisent aucun système d’identification biométrique et ne recourent pas à des données biométriques, c’est-à-dire relatives aux caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales d’une personne physique qui permettent ou confirment son identification unique. Le Conseil précise qu’il appartient ainsi au pouvoir réglementaire de s’assurer que les événements prédéterminés qu’il fixe peuvent être détectés sans recourir à de telles techniques ou données. Par ailleurs, les traitements ne peuvent procéder à aucun rapprochement, à aucune interconnexion ni à aucune mise en relation automatisée avec d’autres traitements de données à caractère personnel.

En dernier lieu, d’une part, les traitements algorithmiques procèdent exclusivement à un signalement d’attention, strictement limité à l’indication du ou des événements prédéterminés qu’ils ont été programmés à détecter en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires par les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, les services d’incendie et de secours, les services de police municipale et les services internes de sécurité de la société nationale SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens dans le cadre de leurs missions respectives. Les dispositions contestées prévoient que les traitements ne peuvent fonder, par eux‑mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite et demeurent en permanence sous le contrôle des personnes chargées de leur mise en œuvre.

D’autre part, il ressort des dispositions contestées que, pendant toute la durée de leur fonctionnement et en particulier dans le cas où ils reposent sur un apprentissage, les traitements algorithmiques employés doivent permettre de vérifier l’objectivité des critères retenus et la nature des données traitées ainsi que comporter des mesures de contrôle humain et un système de gestion des risques de nature à prévenir et à corriger la survenue de biais éventuels ou de mauvaises utilisations.

Ainsi, le législateur a veillé à ce que le développement, la mise en œuvre et les éventuelles évolutions des traitements algorithmiques demeurent en permanence sous le contrôle et la maîtrise de personnes humaines. Compte tenu de ces différentes garanties et sous la réserve d’interprétation mentionnée plus haut, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées ne méconnaissent donc pas le droit au respect de la vie privée.