Décision n° 2023-1058 QPC du 21 juillet 2023 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution des dispositions du code pénal punissant de vingt ans de réclusion criminelle des actes de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de moins de quinze ans lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 222-23-1 du code pénal et de l’article 222-23-3 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
En termes de procédure, la décision de ce jour du Conseil constitutionnel marque une évolution de sa pratique concernant l’information relative au déport ou au traitement des demandes de récusation de tel ou tel membre du Collège.
Afin que la transparence sur ces sujets soit pleinement effective, le déport des membres fera désormais l’objet d’une mention dans les visas mêmes de la décision, comme c’est le cas ici par l’indication selon laquelle Mme MALBEC a estimé devoir s’abstenir de siéger dans le présent dossier.
Les décisions par lesquelles le Conseil est susceptible de statuer sur une demande de récusation d’un ou plusieurs de ses membres seront elles-mêmes rendues publiques dès leur adoption, et non pas seulement à l’issue de la procédure.
L’objet de la QPC
Aux termes de l’article 222-23 du code pénal, tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Ce crime est puni de quinze ans de réclusion et, conformément au 2 ° de l’article 222-24 du même code, de vingt ans de réclusion lorsqu’il est commis sur un mineur de quinze ans.
Les dispositions contestées instituent une nouvelle infraction afin de punir de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans.
Les critiques formulées contre ces dispositions
Le requérant soutenait notamment que, en instituant une infraction de viol sur mineur de quinze ans punissable sans que soit rapportée la preuve que l’acte sexuel a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ces dispositions, qui ne font ainsi pas de l’absence de consentement du mineur un des éléments constitutifs de l’infraction, instituaient une présomption irréfragable de culpabilité contraire au principe de la présomption d’innocence et aux droits de la défense.
Il soutenait également, d’une part, que la culpabilité de l’auteur résultait du simple constat de la matérialité des faits, sans qu’il soit besoin pour l’autorité de poursuite de rapporter la preuve de l’intention du majeur d’imposer un acte sexuel au mineur, et, d’autre part, que la minorité de quinze ans de la victime était à la fois un élément constitutif et une circonstance aggravante de l’infraction. Il en résultait selon lui une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.
Il faisait enfin valoir que, en réprimant d’une même peine de vingt ans de réclusion criminelle des actes sexuels entre un majeur et un mineur de quinze ans, qu’ils soient ou non commis avec violence, menace, contrainte ou surprise, ces dispositions méconnaissaient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.
Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle, en premier lieu, que, en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable. Il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive.
À cette aune, il relève que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a interdit tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital entre un majeur et un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans. D’une part, cette incrimination, dont la caractérisation n’exige pas que ces actes soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, ne repose pas sur une présomption d’absence de consentement de la victime. D’autre part, il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l’ensemble de ses éléments constitutifs.
Le Conseil constitutionnel en déduit que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer une présomption de culpabilité et écarte, par ces motifs, le grief tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence, ainsi que celui tiré de la méconnaissance des droits de la défense.
Le Conseil constitutionnel rappelle, en deuxième lieu, que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
Au regard de ces exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel relève que, d’une part, les dispositions contestées n’ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a pas de crime sans intention de le commettre, la seule imputabilité matérielle des actes réprimés ne suffisant pas à caractériser l’infraction. D’autre part, le Conseil constate qu’il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que la minorité de quinze ans de la victime, qui est un élément constitutif de l’infraction, n’est pas, dans le même temps, une circonstance aggravante de cette même infraction.
Par ces motifs, la décision de ce jour écarte le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.
Répondant, en troisième lieu, à la critique adressée aux dispositions contestées au regard du principe d’égalité devant la loi pénale qui trouve son fondement dans l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge que, si les faits réprimés par ces dispositions sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du crime de viol aggravé commis sur un mineur de quinze ans, prévu aux articles 222-23 et 222-24 du code pénal, ils sont punis, à la différence de ceux réprimés par cette dernière infraction, même lorsqu’ils sont commis sans violence, contrainte, menace ou surprise et supposent qu’il existe entre l’auteur majeur et la victime mineure une différence d’âge d’au moins cinq ans. Il en résulte que ces deux infractions punissent des agissements de nature différente.
Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi pénale est donc écarté.
Enfin, au regard des principes de nécessité et de proportionnalité des peines qui se déduisent de l’article 8 de la Déclaration de 1789, le Conseil juge que, en réprimant d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génital commis par un majeur sur un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre eux est d’au moins cinq ans, le législateur, qui a entendu renforcer la protection de ces mineurs victimes d’infractions sexuelles, n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée.
Il relève en outre que les modalités de répression de cette infraction n’ont ni pour objet ni pour effet de déroger au principe de l’individualisation des peines confiée au juge conformément à l’article 8 de la Déclaration de 1789.
De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées doivent être déclarées conformes à la Constitution.