Communiqué

Décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022 - Communiqué de presse

Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne
Conformité

Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution certaines dispositions de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne

Par sa décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur certaines dispositions de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.

L'article unique de cette loi insère notamment les articles 6-1-1, 6-1-3 et 6-1-5 au sein de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (« LCEN »), afin de déterminer, respectivement, l'autorité compétente pour enjoindre aux fournisseurs de services d'hébergement de retirer des contenus à caractère terroriste au titre de l'article 3 du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, les peines applicables en cas de manquement à l'obligation d'y déférer et les voies de recours contre ces injonctions.

Ainsi, le paragraphe I de l'article 6-1-1 de la loi du 21 juin 2004 issu des dispositions contestées donne compétence à l'autorité administrative mentionnée à l'article 6-1 de la même loi pour émettre des injonctions de retrait de contenus à caractère terroriste au titre de l'article 3 du règlement du 29 avril 2021. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 6-1-3 prévoit que la méconnaissance de l'obligation de retirer de tels contenus ou d'en bloquer l'accès est punie d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende. Le paragraphe I de l'article 6-1-5 détermine, quant à lui, les recours pouvant être exercés contre une injonction de retrait.

* S'agissant de la nature du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur ces dispositions

À l'appui de leur critique de ces dispositions, les députés requérants invitaient le Conseil constitutionnel à les contrôler au regard de la liberté d'expression et de communication et, en particulier, de la liberté d'accéder aux services de communication au public en ligne et de s'y exprimer, qu'ils analysaient comme un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle, sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution, qu'il lui appartient, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive de l'Union européenne ou d'adapter le droit interne à un règlement de l'Union européenne, de veiller au respect de cette exigence. Toutefois, la transposition d'une directive ou l'adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l'absence de mise en cause d'une telle règle ou d'un tel principe, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive ou des dispositions d'un règlement de l'Union européenne.

À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions du règlement du 29 avril 2021, et en particulier ses articles 9, 12 et 18, imposent seulement aux États membres de l'Union européenne de désigner une autorité compétente pour émettre une injonction de retrait au titre de l'article 3 du même règlement, de prévoir un recours effectif permettant aux fournisseurs de services d'hébergement de contester une telle injonction devant les juridictions de l'État membre de l'autorité qui l'a émise, ainsi que de déterminer le régime des sanctions applicables en cas de manquement. Elles confèrent ainsi aux États membres une marge d'appréciation pour choisir cette autorité et déterminer les conditions du recours ainsi que la nature et le quantum des sanctions applicables.

Le Conseil constitutionnel juge que, dès lors, il est bien compétent pour se prononcer sur le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu la liberté d'expression et de communication en désignant l'autorité administrative compétente pour émettre ces injonctions, en ne donnant pas aux recours un caractère suspensif et en punissant d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 250 000 euros la méconnaissance de l'obligation de retrait.

* Sur le fond

Pour se prononcer sur la critique tirée de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services et de s'y exprimer.

L'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer. Il lui est aussi loisible, à ce titre, d'instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.

Au regard de ce cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel constate que les dispositions contestées ont pour objet d'adapter la législation nationale au règlement européen du 29 avril 2021 qui vise à lutter contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. De tels contenus constituent des abus de la liberté d'expression et de communication qui portent gravement atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers.

Le Conseil constitutionnel relève que, en premier lieu, d'une part, l'injonction de retrait susceptible d'être émise par l'autorité administrative compétente ne peut porter que sur des contenus à caractère terroriste précisément définis et limitativement énumérés à l'article 2 du règlement du 29 avril 2021. Son article premier prévoit, en outre, que ne peut être considéré comme ayant un caractère terroriste le contenu diffusé au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme, y compris le contenu qui représente l'expression d'opinions polémiques ou controversées dans le cadre du débat public.

D'autre part, l'article 3 du même règlement prévoit que l'injonction de retrait émise par l'autorité administrative compétente doit comporter non seulement la référence au type de contenu concerné, mais aussi une motivation suffisamment détaillée expliquant les raisons pour lesquelles il est considéré comme ayant un caractère terroriste.

Par ailleurs, la personnalité qualifiée mentionnée à l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004, désignée en son sein par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui est une autorité administrative indépendante, est obligatoirement informée de ces demandes de retrait et peut, en cas d'irrégularité, recommander à l'autorité compétente d'y mettre fin et, dans le cas où cette recommandation n'est pas suivie, saisir la juridiction administrative en référé ou sur requête qui doit être jugée dans le délai de soixante-douze heures.

Le Conseil constitutionnel juge que, ainsi, la détermination du caractère terroriste des contenus en cause n'est pas laissée à la seule appréciation de l'autorité administrative que les dispositions contestées désignent pour émettre des injonctions de retrait.

En deuxième lieu, l'injonction de retrait, qui peut faire l'objet, de la part des fournisseurs de services d'hébergement ou de contenus, de recours en référé de droit commun devant la juridiction administrative, est également susceptible, en application des dispositions de l'article 6-1-5 de la loi du 21 juin 2004, d'être contestée par la voie d'un recours spécifique en annulation devant le tribunal administratif. Celui-ci est alors tenu de statuer sur la légalité de cette injonction dans le délai de soixante-douze heures à compter de la saisine. En cas d'appel, la juridiction d'appel est tenue de statuer dans le délai d'un mois. Ainsi, les dispositions contestées permettent qu'il soit statué dans de brefs délais sur la légalité de l'injonction de retrait et, en cas d'annulation, que les contenus retirés, dont l'article 6 du règlement du 29 avril 2021 impose la conservation, soient rétablis.

En dernier lieu, si les dispositions contestées de l'article 6-1-3 de la loi du 21 juin 2004 répriment par des sanctions pénales le manquement à l'obligation de retirer des contenus à caractère terroriste ou de bloquer l'accès à ces contenus, il résulte de l'article 3 du règlement du 29 avril 2021 qu'un tel manquement n'est pas constitué tant que le fournisseur de services d'hébergement ne peut pas se conformer à l'injonction reçue en raison d'un cas de force majeure, d'une impossibilité de fait qui ne lui est pas imputable ou des erreurs manifestes ou de l'insuffisance des informations que l'injonction contient.

Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas la liberté d'expression et de communication. Il les juge par conséquent conformes à la Constitution.