Communiqué

Décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022 - Communiqué de presse

Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
Non conformité partielle - réserve

Saisi de quatre articles de la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel censure partiellement les dispositions relatives au recours aux drones dans le cadre de la police administrative et assortit de cinq réserves d'interprétation le reste des dispositions contestées

Par sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, dont il avait été saisi par deux recours émanant, respectivement, de plus de soixante députés et de plus de soixante sénateurs.

* Etait en particulier contesté l'article 15 de la loi permettant le recours à des traitements d'images issues de caméras installées sur des aéronefs, y compris sans personne à bord, dans le cadre d'opérations de police administrative

Pour l'examen de ces dispositions, le Conseil constitutionnel rappelle que, pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, le législateur peut autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans personne à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics. Toutefois, eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d'un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée.

- En ce qui concerne le recours à ces dispositifs dans le cadre des missions de police administrative incombant aux services de l'Etat, le Conseil constitutionnel juge à cette aune que les dispositions de l'article 15 de la loi déférée permettent le recours à des aéronefs circulant sans personne à bord qui sont susceptibles de capter et transmettre des images concernant un nombre très important de personnes, y compris en suivant leur déplacement, dans de nombreux lieux et, le cas échéant, sans qu'elles en soient informées. Elles portent donc atteinte au droit au respect de la vie privée.

Il relève que, en premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

En deuxième lieu, d'une part, les services de police nationale et de gendarmerie nationale ainsi que les militaires déployés sur le territoire national ne peuvent être autorisés à faire usage de ces dispositifs qu'aux fins d'assurer la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques de commission de certaines infractions, la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation, la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public lorsque ces rassemblements sont susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public, la prévention d'actes de terrorisme, la régulation des flux de transport aux seules fins du maintien de l'ordre et de la sécurité publics, la surveillance des frontières et le secours aux personnes.

D'autre part, les agents des douanes ne peuvent être autorisés à recourir à de tels dispositifs qu'afin de prévenir les mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées. Ce faisant, le législateur a précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs.

En troisième lieu, le recours à ces dispositifs ne peut être autorisé par le préfet que s'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie. À cet égard, la demande des services compétents doit préciser cette finalité et justifier, au regard de celle-ci, la nécessité de recourir aux dispositifs aéroportés.

Par une première réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge que l'autorisation du préfet déterminant cette finalité et le périmètre strictement nécessaire pour l'atteindre ainsi que le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément dans le même périmètre géographique ne saurait, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être accordée qu'après que le préfet s'est assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard de ce droit ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents.

Par une deuxième réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge que le renouvellement d'une telle autorisation ne saurait, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans qu'il soit établi que le recours à ces dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d'atteindre la finalité poursuivie.

En quatrième lieu, le Conseil constitutionnel relève que les dispositifs aéroportés sans personne à bord sont employés de sorte à ne recueillir ni les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Les dispositions contestées prévoient en outre que, dans le cas où ces lieux seraient néanmoins visualisés, l'enregistrement doit être immédiatement interrompu et que, lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf dans le cas de la transmission, dans ce délai, d'un signalement à l'autorité judiciaire.

En dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l'article L. 242-4 du code de la sécurité intérieure, les dispositifs aéroportés ne peuvent procéder à la captation du son, ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale. Ces dispositifs aéroportés ne peuvent procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec d'autres traitements de données à caractère personnel.

Par une troisième réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés.

Le Conseil constitutionnel relève que, en revanche, les dispositions contestées prévoient que, en cas d'urgence résultant d' « une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens », ces mêmes services peuvent recourir immédiatement à ces dispositifs aéroportés, pour une durée pouvant atteindre quatre heures et à la seule condition d'en avoir préalablement informé le préfet. Ainsi, ces dispositions permettent le déploiement de caméras aéroportées, pendant une telle durée, sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier. Le Conseil constitutionnel juge que, dès lors, elles n'assurent pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées. Il censure en conséquence le vingt-cinquième alinéa du 6 ° de l'article 15.

En outre, s'agissant des dispositions de l'article 15 de la loi déférée relatives aux recours à ces dispositifs par les services de police municipale, le Conseil constitutionnel juge, en premier lieu, que le législateur a permis à ces services de recourir à ces dispositifs aéroportés aux fins non seulement d'assurer la régulation des flux de transport et les mesures d'assistance et de secours aux personnes, mais également la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles, sans limiter cette dernière finalité aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l'ordre public.

En deuxième lieu, si le législateur a prévu que le recours à ces dispositifs aéroportés devait être autorisé par le préfet, il n'a pas prévu que ce dernier puisse y mettre fin à tout moment, dès lors qu'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies.

En dernier lieu, les dispositions contestées prévoient que, en cas d'urgence résultant d' « une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens », ces mêmes services peuvent recourir immédiatement à ces dispositifs aéroportés, pour une durée pouvant atteindre quatre heures et à la seule condition d'en avoir préalablement informé le préfet. Ainsi, ces dispositions permettent le déploiement de caméras aéroportées, pendant une telle durée, sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portée à la connaissance de ce dernier.

Le Conseil constitutionnel juge que, dès lors, ces dispositions n'assurent pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées. Il censure en conséquence le 8 ° de l'article 15.

* Le Conseil constitutionnel a également assorti de deux réserves d'interprétation les dispositions de l'article 17 de la loi déférée permettant à certains services de sécurité et de secours de procéder à un enregistrement de leurs interventions au moyen de caméras embarquées dans leurs moyens de transport.

D'une part, il juge que les caméras embarquées ne peuvent pas comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale et qu'il ne peut être procédé à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec d'autres traitements de données à caractère personnel. Ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas installés sur les caméras.

D'autre part, le législateur a expressément imposé que les caméras soient munies de dispositifs techniques garantissant l'intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations lorsqu'il y est procédé dans le cadre d'une intervention. Toutefois, ces dispositions ne sauraient s'interpréter, sauf à méconnaître les droits de la défense et le droit à un procès équitable, que comme impliquant que soient garanties, jusqu'à leur effacement, l'intégrité des enregistrements réalisés ainsi que la traçabilité de toutes leurs consultations.