Décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020 - Communiqué de presse
Consacrant l'existence d'un droit constitutionnel à l'accès aux documents administratifs, le Conseil constitutionnel juge que chaque établissement d'enseignement supérieur doit rendre compte des critères en fonction desquels ont été examinées les candidatures dans le cadre de Parcoursup.
- L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 janvier 2020 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du paragraphe I de l'article L. 612-3 du code de l'éducation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.
Aux termes du code de l'éducation, l'inscription dans les formations initiales du premier cycle de l'enseignement supérieur dispensées par les établissements publics est précédée d'une procédure nationale de préinscription, au cours de laquelle sont portées à la connaissance des candidats les caractéristiques de chaque formation. Ces caractéristiques font l'objet d'un « cadrage national » fixé par arrêté du ministre de l'enseignement supérieur. Elles peuvent être complétées par les établissements pour prendre en compte les spécificités de leurs formations.
Pour l'accès aux formations non sélectives, est prévu un mécanisme de départage des candidats lorsque leur nombre excède les capacités d'accueil des formations demandées. Dans ce cas, les inscriptions sont décidées par le chef d'établissement au regard de la cohérence entre, d'une part, le projet de formation des candidats, leurs acquis et compétences et, d'autre part, les caractéristiques de la formation. Le chef d'établissement se prononce au regard des propositions qui lui sont faites par des commissions d'examen des vœux, constituées au sein de l'établissement pour chacune des formations dispensées. Chaque commission définit les critères et les modalités d'examen des candidatures, dans le respect des critères généraux fixés par l'établissement.
Les dispositions du code de l'éducation faisant l'objet de la QPC prévoient que les candidats peuvent obtenir la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen ainsi mis en œuvre par les établissements ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise à leur égard. En revanche, elles excluent l'application de deux articles du code des relations entre le public et l'administration relatifs à la communication et à la publicité des traitements algorithmiques utilisés comme fondement, exclusif ou partiel, d'une décision administrative individuelle. Selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, elles réservent ainsi l'accès aux documents administratifs relatifs aux traitements algorithmiques utilisés, le cas échéant, par les établissements d'enseignement supérieur pour l'examen des candidatures, aux seuls candidats qui en font la demande, une fois la décision les concernant prise, et pour les seules informations relatives aux critères et modalités d'examen de leur candidature. Ni les tiers ni les candidats, avant qu'une décision ait été prise à leur encontre, ne peuvent donc demander à ce que ces critères et modalités leur soient communiqués.
- Les critiques formulées contre ces dispositions législatives
L'union requérante, rejointe par plusieurs parties intervenantes, reprochait principalement à ces dispositions de restreindre l'accès aux informations relatives aux critères et aux modalités d'examen des demandes d'inscription dans une formation du premier cycle. Selon elle, ces dispositions étaient contraires au droit à la communication des documents administratifs qui découlerait de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En effet, elles excluraient tout accès, des candidats comme des tiers, aux algorithmes susceptibles d'être utilisés par les établissements pour traiter les candidatures à l'entrée dans une telle formation, formulées sur la plateforme numérique dite « Parcoursup ». Or, une telle exclusion ne serait justifiée ni par le secret des délibérations des jurys ni par aucun autre motif.
- Le cadre constitutionnel
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel juge, pour la première fois, qu'est garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 le droit d'accès aux documents administratifs. Il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
- Le contrôle des dispositions législatives faisant l'objet de la QPC
Au regard du cadre constitutionnel ainsi explicité, le Conseil constitutionnel relève que, par les dispositions contestées, le législateur a considéré que la détermination de ces critères et modalités d'examen des candidatures, lorsqu'ils font l'objet de traitements algorithmiques, n'était pas dissociable de l'appréciation portée sur chaque candidature. Dès lors, en restreignant l'accès aux documents administratifs précisant ces critères et modalités, le législateur a souhaité protéger le secret des délibérations des équipes pédagogiques au sein des établissements. Il a ainsi entendu assurer leur indépendance et l'autorité de leurs décisions. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général.
En outre, la procédure nationale de préinscription, notamment en ce qu'elle organise les conditions dans lesquelles les établissements examinent les vœux d'inscription des candidats, n'est pas entièrement automatisée. D'une part, l'usage de traitements algorithmiques pour procéder à cet examen n'est qu'une faculté pour les établissements. D'autre part, lorsque ceux-ci y ont recours, la décision prise sur chaque candidature ne peut être exclusivement fondée sur un algorithme. Elle nécessite, au contraire, une appréciation des mérites des candidatures par la commission d'examen des vœux, puis par le chef d'établissement.
Le Conseil constitutionnel relève également que les candidats ont accès, d'une part, aux informations relatives aux connaissances et compétences attendues pour la réussite dans la formation, telles qu'elles sont fixées au niveau national et complétées par chaque établissement. D'autre part, ils ont également accès aux critères généraux encadrant l'examen des candidatures par les commissions d'examen des vœux. Si la loi ne prévoit pas un accès spécifique des tiers à ces informations, celles-ci ne sont pas couvertes par le secret. Les documents administratifs relatifs à ces connaissances et compétences attendues et à ces critères généraux peuvent donc être communiqués aux personnes qui en font la demande, dans les conditions de droit commun prévues par le code des relations entre le public et l'administration.
Il s'y ajoute que, sur le fondement des dispositions contestées, une fois qu'une décision a été prise à leur égard, les candidats peuvent, à leur demande, obtenir la communication par l'établissement des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures, ainsi que des motifs pédagogiques justifiant la décision de refus prise à leur égard. Ils peuvent ainsi être informés de la hiérarchisation et de la pondération des différents critères généraux établies par les établissements ainsi que des précisions et compléments apportés à ces critères généraux pour l'examen des vœux d'inscription. La communication prévue par ces dispositions peut, en outre comporter des informations relatives aux critères utilisés par les traitements algorithmiques éventuellement mis en œuvre par les commissions d'examen.
Le Conseil constitutionnel relève toutefois que cette communication ne bénéficie qu'aux candidats. Or, une fois la procédure nationale de préinscription terminée, l'absence d'accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d'examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l'article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, tiré de la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques. Il juge que, dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le droit d'accès aux documents administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l'issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d'un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen.
Sous la réserve d'interprétation ainsi énoncée, le Conseil constitutionnel juge que les limitations apportées par les dispositions contestées à l'exercice du droit d'accès aux documents administratifs résultant de l'article 15 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à cet objectif. Il écarte en conséquence le grief tiré de la méconnaissance de cet article et, après rejet d'un autre grief, déclare ces dispositions conformes à la Constitution.