Communiqué

Décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020 - Communiqué de presse

Loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Non conformité partielle

Rappelant que l'objectif de lutte contre le terrorisme participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public, le Conseil constitutionnel juge qu'il est loisible au législateur de prévoir, sous certaines conditions, des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité de l'auteur d'un acte terroriste et visant à prévenir la récidive de telles infractions. Il censure néanmoins les dispositions de la loi instaurant la mesure de sûreté contestée comme contraires aux exigences résultant des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789


Par sa décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur l'article 1er de la loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine


Le Conseil avait été saisi de la loi, en premier lieu, par le Président de l'Assemblée nationale et, en second lieu, par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés.

Cet article crée une mesure de sûreté visant à soumettre les auteurs d'infractions terroristes, dès leur sortie de détention, à des obligations et interdictions afin de prévenir leur récidive.

Pour l'examen de ces dispositions, le Conseil constitutionnel juge en des termes inédits que le terrorisme trouble gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Il rappelle que l'objectif de lutte contre le terrorisme participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

Analysant la nature de la mesure instituée par le législateur, le Conseil constitutionnel relève que, si elle est prononcée en considération d'une condamnation pénale et succède à l'accomplissement de la peine, elle n'est pas décidée lors de la condamnation par la juridiction de jugement mais à l'expiration de la peine, par la juridiction régionale de la rétention de sûreté. Elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée, mais sur sa particulière dangerosité appréciée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté à la date de sa décision. Elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive. Ainsi, cette mesure n'est ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition.

Toutefois, bien que dépourvue de caractère punitif, elle doit respecter le principe, résultant des articles 2, 4 et 9 de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, l'exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ceux-ci figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Les atteintes portées à l'exercice de ces droits et libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi.

Au regard du cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel juge que, par les dispositions contestées, le législateur a voulu, comme il y était fondé, lutter contre le terrorisme et prévenir la commission d'actes troublant gravement l'ordre public. Il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public.

Toutefois, s'il est loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité, évaluée à partir d'éléments objectifs, de l'auteur d'un acte terroriste et visant à prévenir la récidive de telles infractions, c'est à la condition qu'aucune mesure moins attentatoire aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne soit suffisante pour prévenir la commission de ces actes et que les conditions de mise en œuvre de ces mesures et leur durée soient adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi. Le respect de cette exigence s'impose a fortiori lorsque la personne a déjà exécuté sa peine.

A cet égard, la décision de ce jour relève, en premier lieu, que la mesure contestée permet d'imposer, le cas échéant de manière cumulative, diverses obligations ou interdictions portant atteinte à la liberté d'aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Tel est le cas en particulier de l'obligation d'établir sa résidence dans un lieu déterminé, de l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, jusqu'à trois fois par semaine, de l'interdiction de se livrer à certaines activités, de l'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître dans certains lieux, catégories de lieux ou zones et de l'obligation de respecter les conditions d'une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique.

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel relève que la durée de la mesure de sûreté en accroît la rigueur. Or, si la mesure contestée peut être ordonnée pour une période d'un an, elle peut être renouvelée et durer jusqu'à cinq ans voire, dans certains cas, dix ans. Si la personne était mineure lors de la commission des faits, ces durées maximales sont respectivement de trois et cinq ans. Les durées maximales s'appliquent en considération de la peine encourue, quel que soit le quantum de la peine prononcée.

En troisième lieu, d'une part, si la mesure contestée ne peut être prononcée qu'à l'encontre d'une personne condamnée pour une infraction terroriste, elle peut être appliquée dès lors que la personne a été condamnée à une peine privative de liberté supérieure ou égale à cinq ans ou à trois ans si l'infraction a été commise en état de récidive légale. D'autre part, elle peut être prononcée y compris si cette peine a été assortie en partie d'un sursis simple. Ainsi, il résulte des dispositions contestées que la mesure de sûreté peut être prononcée dès lors que la partie ferme de la peine est au moins égale à trois mois d'emprisonnement, et ce alors même que, en prononçant un sursis simple, la juridiction de jugement n'aurait pas jugé utile de prévoir que la partie de la peine assortie du sursis prendrait la forme d'une mise à l'épreuve ou d'un sursis probatoire, mesures pourtant de nature à assurer un suivi de la personne après son emprisonnement.

En quatrième lieu, la mesure ne peut être prononcée qu'en raison de la dangerosité de la personne caractérisée notamment par la probabilité très élevée qu'elle récidive. Toutefois, alors que la mesure de sûreté ne peut intervenir qu'à l'issue de l'exécution d'une peine d'emprisonnement, il n'est pas exigé que la personne ait pu, pendant l'exécution de cette peine, bénéficier de mesures de nature à favoriser sa réinsertion.

Enfin, les renouvellements de la mesure de sûreté peuvent être décidés aux mêmes conditions que la décision initiale, sans qu'il soit exigé que la dangerosité de la personne soit corroborée par des éléments nouveaux ou complémentaires.

De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées. Il déclare contraires à la Constitution l'article 1er de la loi déférée et, par voie de conséquence, ses articles 2 et 4 qui en sont inséparables.

Il revient au législateur, s'il l'entend, d'adopter un nouveau dispositif répondant à ces exigences constitutionnelles dès que possible.